jeudi 10 mars 2016

Loi Travail : pari réussi pour les opposants avec entre 200.000 et 500.000 manifestants

Loi Travail : pari réussi pour les opposants avec entre 200.000 et 500.000 manifestants

Apparemment le gouvernement fait la sourde oreille (étonnant non ?) Alors je vous le dis comme je le pense, s'ils veulent passer en force, ça va mal finir cette histoire. On ne « joue » pas impunément avec la vie des gens sans conséquence...


Les opposants à la réforme El Khomri ont estimé avoir réussi leur pari, en mobilisant mercredi, partout en France, plus de 200.000 manifestants pour dire non à la réforme du code du travail. Mais le gouvernement n'y a pas vu "la démonstration" d'un refus de la réforme.

Pour Force ouvrière, qui a recensé 400.000 manifestants comme pour la CGT (en comptant 450.000) et l'Unef (500.000), c'est "incontestablement une réussite" et "un premier avertissement" adressé au gouvernement. De son côté, le ministère de l'Intérieur a évalué à 224.000 le nombre des personnes mobilisées mercredi.

A Paris, les manifestations ont réuni 100.000 personnes, selon la CGT, entre 27.000 et 29.000, selon la préfecture de police.

A Lyon, sept policiers ont été légèrement blessés et trois personnes interpellées pour violences en fin de manifestation. A Nantes, cinq interpellations ont eu lieu après de légers heurts avec les forces de l'ordre.

"Nous entendons, nous écoutons, et, en même temps, je ne pense pas que ça ait fait la démonstration du refus de ce projet de loi", a réagi dans la soirée Jean-Marie Le Guen, ministre des Relations avec le Parlement.

Le premier défilé dans la capitale, à l'appel de la CGT, de FO, de la FSU et de Solidaires, était organisé à la mi-journée entre le Medef et le ministère du Travail, un parcours au "message clair" : dire au gouvernement de cesser de reprendre les propositions du patronat, selon Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Son syndicat, comme FO, réclament le retrait du projet de loi.

Parallèlement, plusieurs milliers de lycéens et étudiants ont répondu à l'appel de syndicats et organisations de jeunesse (Unef, UNL, EELV, Front de gauche, jeunes communistes) se disant prêts à "lutter jusqu'au retrait".

A leurs côtés, des salariés et quelques personnalités politiques, dont une quinzaine de parlementaires PS, ou Pierre Laurent (PCF) qui a évoqué "une lame de fond en train de se lever".

Ce deuxième cortège a manifesté dans l'après-midi entre places de la République et de la Nation, en scandant "El Khomri, t'es foutue, la jeunesse est dans la rue", avec jets d'œufs, de fumigènes et de pétards.

Parmi les slogans des jeunes : "Loi El Khomri, vie pourrie" ou encore "Une gauche qui écrit de la main droite". A 18h, les manifestants se sont dispersés dans le calme, entourés d'un important dispositif policier.

Le mouvement a gagné les lycées. Au total, une centaine d'établissements - 90 selon le ministère de l'Éducation nationale -, dont une quarantaine en Ile-de-France, ont fait l'objet d'un blocage, total ou filtrant, selon l'UNL, un des principaux syndicats de lycéens.

Environ 150 rassemblements étaient prévus en province. Dix mille personnes ont manifesté à Toulouse et à Nantes, 9500 à Bordeaux, 7000 à Lyon, 6000 à Lille, 5000 à Marseille, 4500 à Rouen et Rennes, ou encore 3000 au Havre et à Brest, selon des chiffres de la police.

"Il appartient maintenant au gouvernement de prendre conscience du rejet de son projet et d'en tirer les conséquences", commentait dans la soirée FO.

Sept syndicats ont d'ores et déjà prévu une journée de grèves et de manifestations le 31 mars. L'Unef a appelé à une nouvelle journée d'action dès le 17 mars.

Initialement, le projet El Khomri devait être présenté en Conseil des ministres ce 9 mars. La contestation a contraint le Premier ministre à revoir son calendrier et à reprendre la concertation avec les partenaires sociaux et les députés socialistes, pour une présentation le 24 mars.

Plusieurs points cristallisent les mécontentements : la réforme du licenciement économique, le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif, la primauté des accords d'entreprise dans l'organisation du travail.

Le front syndical est néanmoins fissuré, les syndicats "réformistes" (CFDT, CFE-CGC, CFTC, Unsa) et la Fage (étudiants) ayant préféré des rassemblements distincts le 12 mars. Plutôt qu'un retrait du texte, ils demandent "de profondes modifications", comme l'a répété mercredi le patron de la CFDT, Laurent Berger, pour qui le projet ne contient pas de mesures anti-jeunes, contrairement au Contrat première embauche (CPE) il y a dix ans.

M. Hollande a rappelé en Conseil des ministres que la France entendait "préserver son modèle social", mais en "l'adaptant". Il a jugé "nécessaire d'écouter (...) les revendications" et "d'être ouvert au dialogue".

M. Valls a déjà promis des "améliorations", mais ses marges de manœuvre semblent étroites entre des syndicats, dont "aucun (n'est) d'accord avec la loi", selon M. Martinez, et le patron du Medef, Pierre Gattaz, pour lequel un retrait du texte serait "dramatique pour le pays".

Le Premier ministre a achevé ses concertations mercredi avec les partenaires sociaux, avant une réunion plénière lundi prochain. Seul indice, mercredi soir, M. Le Guen a indiqué qu'une surtaxe des CDD, réclamée par les syndicat, "faisait partie des discussions".

Hasard du calendrier, le 9 mars était aussi jour de grève à la SNCF et à la RATP avec des revendications liées aux conditions de travail et aux salaires. Le retour du trafic à la normale est prévu jeudi matin.

 

Source(s) : FranceSoir avec Afp

 
 
 

[2015] De nouvelles frontières signifieraient-elles moins de conflits au Moyen-Orient ? Par Yaroslav Trofimov

[2015] De nouvelles frontières signifieraient-elles moins de conflits au Moyen-Orient ? Par Yaroslav Trofimov

Source : The Wall Street Journal, le 10/04/2015

La région vit avec l’héritage inflammable d’États artificiellement découpés dans les vestiges de l’Empire ottoman.

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ILLUSTRATION: LUCI GUTIERREZ

Par YAROSLAV TROFIMOV

Peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale, les Premiers ministres français et britannique interrompirent un instant leur dur travail de redéfinition de la carte de l’Europe pour discuter du sujet plus facile des frontières à tracer dans un Moyen-Orient fraîchement conquis.

Deux ans plus tôt, en 1916, les deux alliés s’étaient entendus sur leurs zones d’influence respectives par un pacte secret — connu sous le nom d’accord Sykes-Picot. Mais une fois l’Empire Ottoman vaincu, le Royaume-Uni, qui avait mené l’essentiel du combat contre les Turcs, pensait qu’il avait bien mérité une récompense plus profitable.

“Dites-moi ce que vous voulez,” demanda Georges Clemenceau représentant la Frances à David Lloyd George alors qu’ils déambulaient dans l’ambassade française de Londres.

“Je veux Mossoul,” répondit le Premier ministre britannique.

“Vous l’aurez. Autre chose ?” demanda Clemenceau.

Quelques secondes, et c’était fait. L’immense province impériale ottomane de Mossoul, où se trouvent des Arabes sunnites, Kurdes et beaucoup de pétrole, finirent par faire partie de l’Irak nouvellement créé, et non de la nouvelle Syrie.

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Damat Ferid Pacha, chef de la délégation turque, arrivant à Vaucresson (France) en 1920, pour signer le Traité de Sèvres abolissant l’Empire ottoman après sa défaite lors de la Première Guerre mondiale. PHOTO: MAURICE BRANGER/ROGER-VIOLLET/THE IMAGE WORKS

Les Ottomans géraient un empire multilingue et multi-religieux, dirigé par un sultan qui portait aussi le titre de calife – commandeur de tous les musulmans du monde. Ayant rejoint le camp des perdants de la Grande Guerre, les Ottomans virent leur empire sommairement démantelé par des politiciens européens qui connaissaient peu de choses des habitants, de la géographie et des coutumes de la région.

Les États du Moyen-Orient qui en résultèrent étaient généralement des créations artificielles, dont certaines frontières étaient d’improbables lignes droites. Ils ont persisté, dans leur ensemble, restant dans leurs frontières de l’ère coloniale en dépit de tentatives répétées d’unification panarabe.

Les déséquilibres intrinsèques de certains de ces nouveaux États remodelés — en particulier la Syrie et l’Irak — engendrèrent des dictatures brutales qui parvinrent pendant des décennies à museler des majorités rétives au profit du règne d’une minorité.

Mais aujourd’hui tout ceci pourrait prendre fin. La Syrie et l’Irak ont cessé de fonctionner en tant qu’États. De grandes parties des deux pays sont hors de contrôle du gouvernement, et la signification même de nationalité syrienne et irakienne a été vidée de sa substance par la domination sectaire des identités ethniques.

L’ascension de l’État Islamique est le résultat direct de cette débâcle. Le leader du groupe extrémiste sunnite, Abu Bakr al-Baghdadi, s’est proclamé le nouveau calife et a juré d’effacer la honte de « la conspiration Sykes-Picot”. Après que ses hommes ont déferlé de leur bastion en Syrie l’été dernier et ont capturé Mossoul, à présent une des plus grandes villes de l’Irak, il a promis de détruire les anciennes frontières. Dans cette offensive, une des premières actions de l’ISIS (nom par lequel son groupe est aussi connu) devait être de faire sauter les points de contrôle douaniers entre la Syrie et l’Irak.

« Ce dont nous sommes témoin est la mort de l’ordre post-ottoman, la mort des États légitimes, » dit Francis Ricciardone, ancien ambassadeur américain en Turquie et en Égypte, qui est maintenant au Conseil Atlantique, un groupe de réflexion de Washington. « ISIS est un morceau de ça et il vient remplir un vide dû à l’écroulement de cet ordre. »

Dans le chaos engloutissant désormais le Moyen-Orient, ce sont principalement les pays créés il y a un siècle par des Européens colonialistes qui se disloquent. Dans les nations plus “naturelles” de la région, un sens plus fort de l’histoire et des traditions partagées a, jusqu’à présent, empêché une semblable implosion.

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Une carte jointe à l’accord secret Sykes-Picot de 1916 répartit le Moyen-Orient entre la Grande-Bretagne et la France. PHOTO: THE NATIONAL ARCHIVES OF THE UK

“La plupart des conflits du Moyen-Orient sont le résultat de l’insécurité d’États artificiels,” dit Husain Haqqani, un auteur et ancien ambassadeur du Pakistan aux États-Unis. “Les États artificiels ont besoin d’idéologies d’État pour compenser leur manque d’histoire, et jouent souvent les gros bras contre leur propre peuple ou contre leurs voisins pour consolider leur identité.”

En Égypte, avec son histoire millénaire et son fort sens de l’identité, presque personne n’a remis en cause « l’égyptianité » de base du pays à travers le bouleversement qui a suivi l’éviction du Président Hosni Mubarak lors de la révolution de 2011. En conséquence, la plupart des institutions de l’Égypte a réchappé de l’agitation relativement intacte et la violence s’est bien arrêtée, sauf la guerre civile ouverte.

La Turquie et l’Iran – tous d’eux, jadis, centre de vastes empires –ont également été largement épargnés ces dernières années, même s’ils possèdent d’importantes minorités ethniques, incluant des Arabes et des Kurdes.

Les pays « artificiels » du Moyen-Orient ne sont pas nécessairement voués à l’échec, et certains – notamment la Jordanie – ne se sont pas effondrés, du moins pas encore. Le monde, après tout, est plein d’États multiethniques et multi-confessionnaux qui réussissent et prospèrent, de la Suisse à Singapour et aux États-Unis, qui reste un nouveau venu en tant que nation, par exemple, par rapport à l’Iran.

Dans tous ces endroits, un contrat social — d’habitude fondé sur de bonnes pratiques de gouvernement et des opportunités économiques — fait souvent de la diversité religieuse et ethnique une source de force, et non un moteur de déstabilisation. Au Moyen-Orient, au contraire, “dans les cas où les choses ont déraillé, il n’y avait pas eu de bonne  gouvernance — il y avait en fait une gouvernance exécrable,” déclare M. Ricciardone.

Il y a un siècle, beaucoup de gens espéraient que Syrie et Irak, aussi, suivraient la voie de la Suisse. À l’époque, le président Wilson avait envoyé une commission au Moyen-Orient pour étudier quelles nouvelles nations devaient s’élever des ruines de l’Empire ottoman.

Sous la domination ottomane, ni la Syrie ni l’Irak n’existaient en tant qu’entités séparées. En gros trois provinces ottomanes – Bagdad, Basar et Mossoul – correspondaient à l’Irak d’aujourd’hui. Beyrouth, Alep et Deir ez-Zor comprenaient ce qui est à l’heure actuelle la Syrie, le Liban, une grande partie de la Jordanie et de la Palestine, ainsi une large bande de la Turquie méridionale. Toutes ces régions étaient peuplées par un méli-mélo de communautés : Arabes sunnites et chiites, Kurdes, Turcomans et chrétiens en Irak et, en Syrie, tous ces groupes auxquels s’ajoutent Alaouites et Druzes.

Les commissaires du président Wilson, Henry King et Charles Crane, ont témoigné de leurs observations en août 1919. À ce moment en Europe, l’éclatement des empires austro-hongrois et russe était en train de donner naissance à des nations fondées sur des racines ethniques. Mais les responsables américains avaient d’autres plans : ils ont conseillé à Wilson d’ignorer les différences ethniques et religieuses.

Ce qui est maintenant l’Irak, ont-ils suggéré, devrait rester uni car “la sagesse d’un pays uni est évidente dans le cas de la Mésopotamie.” Ils ont aussi conseillé une Syrie élargie qui aurait inclus ce qui constitue aujourd’hui  le Liban, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens.

King et Crane ont donné leur raison : “la fin du règne ottoman donne une chance inespérée de construire […] un état au Proche-Orient sur la base moderne de la liberté religieuse totale, en incluant délibérément des fois différentes, et particulièrement en préservant le droit des minorités.” Les autochtones, ajoutaient-ils, “devraient mieux réussir dans un État aux principes modernes” que sous la loi ottomane.

Les espoirs des Américains ne se sont pas réalisés.

En Syrie, les autorités coloniales françaises, confrontées à une majorité sunnite hostile, ont cherché la faveur des Alaouites, une ramification minoritaire de l’islam chiite qui avait souffert de discrimination sous le règne ottoman. Les Français ont même brièvement créé un état alaouite séparé sur ce qui est maintenant la côte méditerranéenne de la Syrie, et ont incorporé de nombreux Alaouites dans leurs nouvelles forces armées.

En Irak, où les chiites sont majoritaires, les administrateurs britanniques, confrontés à une révolte chiite juste après le début de leur occupation, ont joué un jeu similaire. La nouvelle administration s’est appuyée sans mesure sur la minorité arabe sunnite. Celle-ci avait prospéré sous les Ottomans et s’était maintenant ralliée au nouveau roi d’Irak, sunnite, que la Grande-Bretagne avait importé de Hedjaz, province nouvellement indépendante, anciennement ottomane et depuis conquise par l’Arabie saoudite.

Ces décisions ont aidé à configurer l’avenir de l’Irak et de la Syrie, une fois les institutions coloniales disparues. La famille Assad dirige la Syrie depuis 1970 ; Saddam Hussein est devenu président de l’Irak en 1979. Malgré une rhétorique hautaine au sujet d’une nation arabe unique, les deux régimes ont fait de leurs pays des endroits où les minorités au pouvoir (Alaouites en Syrie, Arabes sunnites en Irak) étaient résolument plus égales que les autres.

Les tentatives par la majorité sunnite en Syrie ou par la majorité chiite en Irak de remettre en cause ces régimes terriblement autoritaires ont été impitoyablement écrasées. En 1982, le régime syrien passa au bulldozer la ville de Hama, majoritairement sunnite, après une révolte islamiste. De même, après la guerre du Golfe en 1991, Saddam Hussein déchargea sa colère en écrasant un soulèvement chiite dans le sud de l’Irak.

Aujourd’hui en Syrie, le président Bachar el-Assad est soutenu par beaucoup d’alaouites contre les rebelles majoritairement sunnites. Ce soutien est mû par leur peur qu’un effondrement du régime puisse signer la disparition de leur communauté – une menace que renforce l’État Islamique, dont la mouvance sunnite extrémiste n’offre aux alaouites et aux chiites modérés qu’un choix cornélien entre la conversion et la mort.

En Irak, les gouvernements à majorité chiite qui ont été au pouvoir depuis l’invasion des États-Unis en 2003 ont inversé les rôles avec les anciens dirigeants en exerçant une discrimination contre la minorité sunnite. En conséquence, l’État Islamique est parvenu, l’année dernière, à s’emparer d’une partie de l’Irak quasiment sans opposition parce qu’ils étaient perçus par la population locale comme un moindre mal.

« Le problème ce n’est pas seulement les frontières territoriales – c’est aussi le cadre de gouvernance que l’Europe a imposé, » dit Vali Nasr, doyen de l’École d’Études internationales avancées à l’Université Johns Hopkins et ancien conseiller au Département d’État. « Les puissances coloniales au sein des États ont créé des administrations coloniales qui ont formé, recruté et placé des minorités au pouvoir. Après leur départ, ils ont laissé le pouvoir entre les mains de ces minorités – ils ont laissé en place la dictature des minorités. »

Le Dr Nasr ajoute : “Le pouvoir a été tellement déséquilibré en Irak, en Syrie et beaucoup d’autres de ces pays qu’il n’existe pas de bonne solution pour remédier à la situation. Les vainqueurs ne veulent pas partager, les perdants ne veulent pas renoncer au pouvoir. Le Moyen-Orient traverse une période de grand trouble, dont il sortira configuré très différemment au niveau politique et peut-être aussi au niveau territorial.”

Mais quelle envie a-t-on au Moyen-Orient de modifier ces configurations territoriales ? Et si elles devaient changer, à quoi pourrait ressembler une nouvelle carte de la région ?

Une possibilité évidente implique les Kurdes, dont le désir d’obtenir un État indépendant dans les actuels Turquie orientale et Irak septentrional avait été cautionné par le Traité de Sèvres (1920), un pacte éphémère entre les alliés occidentaux et les Ottomans. Ce traité fut rapidement dénoncé par les nationalistes turcs, dirigés par le fondateur de l’État turc moderne, Mustapha Kemal Atatürk. En fait, jusqu’à une époque récente, la Turquie a nié jusqu’à l’existence d’une ethnie kurde.

Les Kurdes, qui vivent dispersés à cheval sur l’Irak, la Turquie, La Syrie et l’Iran, ont déjà savouré des décennies d’indépendance virtuelle sous un gouvernement autonome dans le nord de l’Irak – la partie montagneuse de ce qui était autrefois la province ottomane de Mossoul. Ils ont maintenant établi trois “cantons” autonomes au nord de la Syrie.

“Je serais surpris qu’il n’y ait pas dans les 20 prochaines années de pays appelé Kurdistan,” dit Karim Sadjapour, un spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie. “De fait, il existe déjà.”

Avec leur propre langue et leur propre culture, les Kurdes d’Irak contrôlent déjà leurs frontières, limitant le passage des Arabes irakiens. Alors que la guerre civile faisait rage en Syrie, les milices kurdes sur place se sont identifiées, dans leur ensemble, à un projet national différent. “Les autres rebelles combattent pour la Syrie, mais nous avons notre propre Kurdistan, et c’est ce dont nous nous préoccupons,” dit Farid Atti, un officiel de la milice laïque qui combat l’État Islamique près de Kobane, l’un des trois “cantons” autonomes kurdes de Syrie.

Au-delà du Kurdistan, cependant, la situation de nouvelles nations séparées devient beaucoup moins claire, malgré les horreurs ethniques et confessionnelles qui tourmentent la région aujourd’hui.

Bien qu’au départ artificiels, les États post-ottomans se sont montrés étonnamment résilients. Prenez le Liban, un pays de 18 communautés religieuses querelleuses qui a survécu à une guerre civile sanglante, aux multiples camps, de 1975 à 1990 et a contredit à de nombreuses reprises les prévisions de sa disparition imminente. Malgré, ou peut-être à cause de, cette histoire remplie de conflits, le Liban reste un îlot de stabilité relative au milieu du bouleversement religieux actuel, même débordé par les plus d’un million de réfugiés syriens fuyant le chaos voisin.

“Les dirigeants de ces pays qui ont été formés sur des frontières reconnues comme artificielles ont placé beaucoup d’efforts dans la construction d’un sentiment nationaliste. La question est : à quel point y sont-ils parvenus ?” demande Michele Dunne, une ancienne responsable du Département d’État, aujourd’hui spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie. “Ça n’est peut-être pas aussi fort que dans un pays dont l’identité date de plusieurs siècles, mais pourrait quand même exister.”

En effet, même dans un Irak et une Syrie dévastés, les sentiments nationalistes restent vivaces. “N’importe quel pays qui aurait subi ce que l’Irak a subi pendant les 12 dernières années aurait été démembré depuis longtemps,” d’après Ayad Allawi, vice-président et ancien Premier ministre irakien. “Ce qui a maintenu le pays, c’est la volonté du peuple.”

En Syrie, un étudiant de 19 ans Mohammed Ali s’est récemment rappelé comment les habitants ont réagi à l’arrivée de l’État Islamique dans sa ville natale d’al-Boukamal, près de la frontière irakienne. Dans leur campagne pour effacer les frontières coloniales, les nouveaux chefs ont détaché al-Boukamal de la province syrienne à laquelle elle appartient et l’ont incorporée dans la nouvelle « Province de l’Euphrate » de l’État islamique, gouvernée par la ville irakienne de Qaim.

D’abord, a dit M. Ali, les habitants étaient ravis par la destruction de la frontière à proximité. « Durant 30 ans, nous n’avons pas été capables de traverser et rendre visite à notre famille de l’autre côté, » a raconté M. Ali. Mais depuis lors, l’état d’esprit s’est changé en réaction patriotique chargée de rancœur vis-à-vis des Irakiens qui affluaient dans la zone, asservissant al-Boukamal et passant la frontière avec des camions de pétrole syrien « volé ». « Nous ne voulons pas d’eux ici ; maintenant, nous voulons à nouveau nos frontières, » a-t-il dit.

S’opposer à de possibles nouvelles partitions dans la région apporte un nouveau lot de problèmes : où exactement tracer les lignes ? Et à quel prix ?

Malgré le nettoyage ethnique des dernières années, sunnites et chiites vivent toujours ensemble dans de nombreuses régions d’Irak, dont Bagdad, et une grande majorité de sunnites syriens préférerait habiter dans des villes contrôlées par le régime d’Assad plutôt que dans des zones ravagées par la guerre sous l’emprise rebelle.

M. Allaoui, le vice-président irakien, fait remarquer que de nombreux groupes tribaux traditionnels du pays comportent à la fois des chiites et des sunnites, et que beaucoup de familles irakiennes, en particulier dans les grandes villes, sont mélangées elles aussi. « Il faudrait entrer dans la chambre des habitants pour séparer le pays, » s’amuse-t-il. Et en Irak comme ailleurs, sunnites, chiites et Kurdes sont loin d’être des groupes unitaires qui décident par consensus ; les rivalités sont nombreuses parmi eux.

La partition récente d’un pays arabe, le partage du Soudan entre le nord arabe et la nouvelle République du Soudan du Sud non arabe en 2011, n’est pas un précédent encourageant pour les éventuels apprentis créateurs de frontières. Le Soudan du Sud a rapidement dérapé vers sa propre guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné deux millions d’habitants.

« Il n’y a pas d’alternative pour remplacer le système étatique, » dit Fawaz Gerges, qui enseigne sur le Moyen-Orient à la London School of Economics. « Sinon, vous pourriez remplacer une guerre civile par de multiples guerres civiles, et c’est exactement ce qu’il peut se passer en Syrie ou en Irak. C’est un cycle catastrophique. »

“Forger un contrat social de la base au sommet à l’intérieur des frontières actuelles de la région – ce qui ne sera envisageable qu’une fois que les populations se seront lassées de ces guerres sans fin – est le seul moyen d’avancer,” dit Stephen Hadley, ancien conseiller à la sécurité nationale pour le président George W. Bush et maintenant président du conseil de l’Institut des États-Unis pour la Paix.

“Le vrai problème au Moyen-Orient, dit-il, est un effondrement, pas des frontières, mais de ce qui se passait à l’intérieur des frontières : des gouvernements qui, au départ, n’avaient pas une grande légitimité et qui n’en ont pas acquis face à leur peuple. On ne va pas résoudre ces problèmes en retraçant les frontières.”

Trouver ces solutions, reconnaît M. Hadley, ne sera pas facile.

« Cela peut permettre de se racheter du passé, » dit-il. « En sortir sera le travail d’une génération. »

Source : The Wall Street Journal, le 10/04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

[2013] Réinventer la carte du Moyen-Orient, par Robin Wrigh

[2013] Réinventer la carte du Moyen-Orient, par Robin Wrigh

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Par ROBIN WRIGH

La carte du Moyen-Orient, un pivot politique et économique de l’ordre international, est en lambeaux. La guerre désastreuse de Syrie en a été le tournant décisif. Or les forces centrifuges des croyances, tribus et ethnies en concurrence – renforcées par les conséquences fortuites du Printemps arabe – sont en train de démanteler une région définie, il y a un siècle de cela, par les puissances coloniales et défendue depuis sans relâche par les autocrates arabes.

Une carte différente constituerait un changement stratégique du jeu pour à peu près tous les intéressés, avec la possibilité de causer une reconfiguration des alliances, mais aussi du commerce et de la circulation de l’énergie pour la plus grande partie du monde.

La situation de choix et le poids de la Syrie en font le centre stratégique du Moyen-Orient. Mais c’est un pays complexe, riche d’une variété ethnique et religieuse et, par-là, fragile. Une fois indépendante, la Syrie a vu défiler plus d’une demi-douzaine de coups d’État entre 1949 et 1970 lorsque la dynastie des Assad s’est emparée du pouvoir. Aujourd’hui, après 30 mois d’effusion de sang, la diversité s’est révélée mortelle, perpétuant la mort à la fois de la population et du pays. La Syrie s’est écroulée en trois régions distinctes, chacune avec son drapeau et ses forces de sécurité propres. Un avenir différent se dessine : un mini-État étroit comme un couloir allant du sud à travers Damas, Homs et Hama jusqu’à la côte méditerranéenne Nord et contrôlé par la secte minoritaire alaouite des Assad. Au nord, un petit Kurdistan largement autonome depuis la mi-2012. Le plus gros des morceaux en est le centre du pays, dominé par les sunnites.

Le détricotage de la Syrie créait un précédent pour la région, à commencer chez ses voisins immédiats. Jusqu’à présent, l’Irak a résisté à l’effondrement à cause de la pression de l’étranger, de la peur de faire cavalier seul qui régnait dans la région et de la loyauté achetée, du moins sur papier, par la richesse pétrolière. Mais la Syrie est en train d’aspirer l’Irak dans sa propre tourmente.

Les champs de bataille sont en train de fusionner,” a déclaré en juillet Martin Kobler, envoyé de l’ONU, au Conseil de sécurité. “L’Irak est la ligne de faille entre les mondes chiite et sunnite et tout événement en Syrie a évidemment des répercussions sur le paysage politique en Irak.

Avec le temps, la minorité sunnite d’Irak – notamment dans la province occidentale d’Anbar, théâtre de manifestations antigouvernementales – pourrait se sentir plus de points communs avec la majorité sunnite de l’est de la Syrie, les liens tribaux et la contrebande étant de nature transfrontalière. Ensemble, ils pourraient former un Sunnistan de fait ou officiel. Le sud de l’Irak deviendrait le Chiitestan, quoiqu’une délimitation aussi nette soit peu probable.

Les partis politiques dominants dans les deux régions kurdes de Syrie et d’Irak ont des différends qui remontent loin dans le temps, mais quand la frontière s’est ouverte en août dernier, plus de 50 000 Kurdes syriens ont fui vers le Kurdistan irakien, créant ainsi de nouvelles communautés transfrontalières. Massoud Barzani, du Kurdistan irakien a annoncé la préparation, pour l’automne prochain, d’une réunion au sommet de 600 Kurdes de quelques 40 partis d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Iran.

“Nous pensons que les conditions sont maintenant adéquates,” a déclaré Kamal Kirkuki, l’ancien interlocuteur du parlement kurde d’Irak, en parlant des efforts pour mobiliser l’ensemble disparate des Kurdes en vue de discuter de leur avenir.

Le Moyen-Orient est depuis longtemps un terrain de jeu pour étrangers : et si l’Empire ottoman n’avait pas été découpé par des étrangers après la Première Guerre mondiale ? Ou si la nouvelle carte avait reflété la réalité du terrain ou les identités ? Le redécoupage géographique a rendu les Arabes furieux car ils suspectaient des complots étrangers ayant pour but de les diviser et de les affaiblir une fois de plus.

Je n’ai jamais joué aux cartes. Je vivais au Liban pendant les 15 années de guerre civile et pensais que le pays pouvait survivre des clivages entre ses 18 différentes sectes. Par ailleurs je ne pensais pas que l’Irak volerait en éclats dans les années 2006-2007. Mais un double déclic m’a fait changer d’opinion.

Le printemps arabe a mis le feu aux poudres. Les Arabes ne voulaient pas seulement chasser les dictateurs, ils voulaient un pouvoir décentralisé qui reflète les identités locales et les droits aux ressources. La Syrie, s’enflammant d’elle-même, a réduit en cendres la sagesse conventionnelle sur les questions géographiques.

De nouvelles frontières peuvent être tracées de manière hétéroclite et potentiellement chaotique. Les pays pourraient se défaire en passant par des phases de fédération, de partition modérée ou d’autonomie, finissant en un divorce géographique.

Le soulèvement en Libye était dirigé en partie contre la domination du colonel Mouammar Kadhafi. Mais il reflétait également la recherche de séparation de Benghazi de la domination de Tripoli. Les tribus ne se ressemblent pas : les Tripolitains sont tournés vers le Maghreb ou le monde musulman occidental, tandis que les habitants de la Cyrénaïque sont tournés vers le Machrek ou monde musulman oriental. Par ailleurs, la capitale monopolise les revenus tirés du pétrole dont 80% proviennent cependant de la région Est.

Ainsi la Libye pourrait être décentralisée et divisée en deux, voire trois. Le Conseil national de la Cyrénaïque, dans la partie est de la Libye, a déclaré son autonomie en juin. Au sud, le Fezzan possède également des identités tribales et géographique propres. Plus sahélien que nord-africain de par ses tribus, identité et culture, il pourrait faire scission aussi.

D’autres États sans conscience d’un intérêt général ni identité, ingrédients du ciment politique, sont vulnérables, en particulier les démocraties naissantes qui ont du mal à prendre en compte des circonscriptions disparates avec leurs nouvelles attentes.

Après avoir chassé son dictateur de longue date, le Yémen a lancé en mars un débat national intermittent afin de plancher sur un ordre nouveau. Mais dans un pays depuis longtemps déchiré par une rébellion au Nord et des séparatistes au Sud, un succès durable pourrait dépendre de l’acceptation de l’idée de fédération – et la promesse de donner au Sud un vote sur sa sécession.

Une nouvelle carte peut même se montrer encore plus fascinante. Les Arabes sont en effervescence à propos de la fusion possible à terme d’une partie du Sud-Yémen avec l’Arabie saoudite. Les yéménites du sud sont en majorité sunnites, comme le sont la plupart des saoudiens ; beaucoup d’entre eux ont des liens familiaux avec le royaume. Les yéménites, les plus pauvres d’entre les arabes, pourraient bénéficier de la prospérité saoudienne. De leur côté, les saoudiens gagneraient un accès direct à l’Océan Indien pour leur commerce, encore tributaire du Golfe Persique où ils craignent le contrôle du détroit d’Ormuz par l’Iran.

Les idées les plus fantaisistes impliquent la balkanisation de l’Arabie saoudite, qui en est déjà à sa troisième édition pour un pays ayant rassemblé, sous le coup de l’Islam wahhabite rigide, des tribus rivales. La sécurité matérielle du royaume paraît assurée dans ses hautes tours vitrées et ses autoroutes à huit voies, néanmoins y cohabitent des cultures disparates, des identités tribales distinctes et des tensions entre une majorité sunnite et une minorité chiite, notamment dans la région de l’Est riche en pétrole.

Les tensions sociales, dues à la corruption effrénée ainsi qu’au chômage des jeunes (30 pour cent), vont s’aggravant dans un pays qui ne se refuse rien et pourrait être réduit à importer du pétrole d’ici deux décennies. En passant à la génération suivante, la maison des Saoud sera quasiment obligée de créer une nouvelle famille régnante à partir de milliers de princes, ce qui représente un processus litigieux.

D’autres changements peuvent être de fait. Des cités-États – oasis aux multiples identités comme Bagdad, ou enclaves fortement armées comme Misrata, la troisième plus grande ville de Libye, ou encore zones homogènes comme Djébel el-Druze dans le sud de la Syrie – peuvent réapparaître, même si elles feraient partie de pays, techniquement parlant.

Un siècle après le découpage de la région par Sir Mark Sykes, l’aventurier-diplomate britannique, et l’envoyé français François Georges-Picot, le nationalisme est ancré à des degrés variés dans des pays initialement définis par des goûts et un commerce tout britanniques, et non par la logique. La question maintenant est de savoir si le nationalisme est plus fort que des sentiments d’identité plus anciens, en temps de conflit ou de rudes transitions.

Les Syriens aiment à affirmer que le nationalisme prévaudra dès que la guerre cessera. Le problème c’est que la Syrie a désormais un nationalisme multiple. “L’épuration” devient un fléau. Et les armes à feu ne font qu’aggraver les différends. D’une manière générale, le conflit sectaire traduit maintenant dans la territorialité la division entre sunnites et chiites, de façons inconnues du Moyen-Orient moderne.

Mais d’autres facteurs pourraient empêcher la dégradation du Moyen-Orient – une bonne gouvernance, des services et une sécurité décents, une justice équitable, des emplois et des ressources partagées équitablement, ou même un ennemi commun. Les pays sont faits de mini-alliances. Mais ces facteurs semblent bien éloignés du monde arabe. Et plus longtemps la guerre en Syrie fera rage, plus il y aura d’instabilité et de dangers dans toute la région.

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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Source : The New York Times, le 29/09/2013

Lentement, la carte du Moyen-Orient pourrait être redessinée. Une analyse de Robin Wright.

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SYRIE : LE DECLENCHEUR ?

Des rivalités ethniques et confessionnelles pourraient la briser en au moins trois morceaux :

1. Alaouites, une minorité qui a contrôlé la Syrie pendant des décennies, domine un couloir côtier.

2. Un Kurdistan syrien pourrait se détacher et finalement fusionner avec les Kurdes d’Irak.

3. Le cœur du pays sunnite fait sécession et pourrait ensuite être combiné avec des provinces d’Irak pour former un Sunnistan.

DEBORDEMENT VERS L’IRAK

L’option la plus simple parmi plusieurs solutions verrait les Kurdes du nord rejoindre les Kurdes syriens. De nombreuses zones centrales, dominées par des sunnites, rejoindraient les sunnites syriens. Et le Sud deviendrait un Chiitistan. Il y a peu de chances que cela se passe de façon aussi nette.

DESINTEGRATION DE LA LIBYE

Du fait de rivalités tribales et régionales importantes, la Libye pourrait se retrouver scindée en ses deux parties historiques — Tripolitaine et Cyrénaïque — et éventuellement un troisième État, le Fezzan dans le sud-ouest.

ARABIE SAOUDITE PRE-MONARCHIQUE

À long terme, l’Arabie saoudite fera face à ses propres divisions internes (réprimées) qui pourraient faire surface avec l’arrivée au pouvoir de la prochaine génération de princes. L’unité du royaume est d’autant plus menacée par les différences tribales, la division sunnites-chiites et les défis économiques. Elle pourrait se morceler et revenir aux cinq régions qui ont précédé l’État moderne.

DIVISION DU YEMEN

Le pays arabe le plus pauvre pourrait (à nouveau) être coupé en deux à la suite d’un éventuel référendum sur l’indépendance au Yémen du sud.

Dans une tournure des événements plus drastique, tout ou partie du Yémen du sud pourrait alors intégrer l’Arabie saoudite. Presque tout le commerce saoudien se fait par la mer, et l’accès direct à la mer d’Arabie diminuerait la dépendance au Golfe persique – et la crainte d’un possible blocage du détroit d’Ormuz par l’Iran.

Source : The New York Times, le 29/09/2013

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

[2006] Frontières de sang, par Ralph Peters

[2006] Frontières de sang, par Ralph Peters

Source : Armed Forces Journal, le 01/06/2006

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A quoi ressemblerait un Moyen-Orient amélioré

Les frontières internationales ne sont jamais complètement justes. Mais le degré d’injustice qu’elles infligent à ceux qu’elles forcent à vivre ensemble ou qu’elles séparent fait une énorme différence – bien souvent la différence entre liberté et oppression, tolérance et atrocité, légalité et terrorisme, ou même la paix et la guerre.

Les frontières les plus arbitraires et les plus déformées du monde se situent en Afrique et au Moyen-Orient. Dessinées par les intérêts particuliers des Européens (qui ont eu eux-mêmes suffisamment de problèmes à définir les leurs), les frontières africaines continuent de provoquer la mort de millions d’habitants de ces régions. Mais les frontières injustes du Moyen-Orient – pour emprunter à Churchill – génèrent plus de mal que ce qui peut être résorbé localement.

Alors que le Moyen-Orient a – et de loin – de nombreux autres problèmes que de simples frontières dysfonctionnelles – de la stagnation culturelle aux scandaleuses inégalités et au fanatisme religieux le plus sanglant– le plus grand tabou dans la difficulté à rendre l’échec de cette région compréhensible n’est pas l’Islam mais les horribles et pourtant sacro-saintes frontières internationales adorées par nos diplomates.

Bien sûr, aucune modification de frontières, même draconienne, ne pourrait satisfaire toute les minorités du Moyen-Orient. Dans certains cas, des groupes ethniques et religieux sont entremêlés et se sont mariés entre eux. Partout ailleurs, les réunions fondées sur “La Foi ou le Sang” semblent ne pas être aussi joyeuses que ce que leurs partisans en attendent. Les frontières projetées sur les cartes qui accompagnent cet article redressent les erreurs dont souffrent les groupes de populations les plus significatifs, tels que les Kurdes, les Baloutchis, les chiites arabes, mais n’arrivent toujours pas à prendre correctement en compte les chrétiens du Moyen-Orient, les Bahaïs, les Ismaïliens, les Naqshbandis et de nombreux autres minorités moins nombreuses. Et un autre tort qui nous hante ne pourra jamais être redressé par le don d’un territoire : le génocide perpétré contre les Arméniens par l’Empire Ottoman en voie de disparition.

Toutefois, même avec toutes les injustices que ces limites réinventées ne résolvent pas, sans révisions majeures de ces frontières, on ne verra jamais un Moyen-Orient plus pacifique.

Même ceux qui ont en horreur le sujet du changement de frontières seraient bien inspirés de s’engager dans un exercice de réflexion où ils chercheraient à concevoir des délimitations nationales entre le Bosphore et l’Indus, qui irait vers plus de justice, en dépit d’imperfections éventuelles. On peut admettre le fait que les instances gouvernementales internationales n’ont jamais été capables de trouver, hormis la guerre, une façon efficace d’ajuster les frontières qui posaient problème, néanmoins, un effort intellectuel pour saisir ce que peuvent être les frontières “organiques” du Moyen-Orient nous aide à comprendre l’étendue des difficultés auxquelles nous faisons face et continuerons à faire face. Nous sommes en présence de monstruosités colossales, créées par l’homme et qui ne cesseront de générer haine et violence jusqu’à ce qu’elles soient corrigées.

Quant à ceux qui refusent de “penser l’impensable,” qui déclarent que les frontières ne doivent pas changer et que c’est ainsi, il serait utile de leur rappeler que les frontières n’ont cessé de changer au cours des siècles. Les frontières n’ont jamais été statiques et, beaucoup, du Congo au Caucase en passant par le Kosovo, continuent de changer (tandis qu’ambassadeurs et représentants spéciaux détournent le regard pour étudier le vernis sur la pointe de leurs souliers).

Oh, et un petit secret vieux de 5 000 ans d’histoire : l’épuration ethnique, ça marche.

A commencer par la question frontalière la plus délicate pour les lecteurs américains : pour qu’Israël ait un quelconque espoir de vivre dans des conditions de paix raisonnables avec ses voisins, il devra retourner à ses frontières d’avant 1967 – avec des réajustements locaux essentiels pour des raisons de sécurité. Mais la question des territoires entourant Jérusalem, ville maculée de milliers d’années sanglantes, restera probablement insoluble de notre vivant. Là où tous les partis ont transformé leur Dieu en magnat de l’immobilier, des conflits sur les terrains – littéralement – démontrent une pugnacité avec laquelle ne rivalisent pas la rapacité pour la richesse pétrolière ou les querelles ethniques. Laissons donc de côté cette seule question étudiée à n’en plus finir et tournons-nous vers celles qui restent soigneusement ignorées.

L’injustice la plus manifeste dans ces territoires notoirement injustes qui se trouvent entre les montagnes des Balkans et l’Himalaya, est l’absence d’un État kurde indépendant. Entre 27 et 36 millions de Kurdes vivent dans des pays qui jouxtent le Moyen-Orient. (Le nombre exact de Kurdes n’est pas connu avec précision puisqu’aucun État n’a jamais autorisé un recensement fiable.) Ils sont plus nombreux que les Irakiens, et même si l’on choisit de prendre en compte le chiffre le plus bas, ils représentent le plus grand groupe ethnique du monde à ne pas avoir son propre État. Pire encore, les Kurdes ont été opprimés par tous les gouvernements qui ont contrôlé les collines et les montagnes où ils vivent depuis l’époque de Xénophon.

Les États-Unis et les membres de leur coalition ont, après la chute de Bagdad, une magnifique chance de commencer à remédier à cette injustice. L’Irak, ce monstre à la Frankenstein, cet État rapiécé avec des lambeaux disparates, aurait dû être divisé immédiatement en trois États. Nous avons échoué par lâcheté et par manque de vision, forçant les Kurdes à soutenir le nouveau gouvernement irakien, ce qu’ils font en contrepartie de notre bonne volonté à leur égard. Toutefois ne nous y trompons pas : si un référendum libre était organisé, 100 pour cent des Kurdes voteraient pour l’indépendance.

Comme le feraient les Kurdes de Turquie, une population durement et longuement éprouvée, ayant enduré des décennies d’oppression militaire violente pendant lesquelles ils étaient ravalés au rang de “Turcs des montagnes” et ce afin de détruire leur identité. Tandis que la situation critique des Kurdes aux mains d’Ankara s’était quelque peu allégée au cours de la dernière décennie, récemment la répression s’est à nouveau intensifiée et le cinquième oriental de la Turquie peut être considéré comme territoire  occupé. Comme les Kurdes de Syrie et d’Iran, eux aussi, se précipiteraient pour rejoindre un Kurdistan indépendant s’ils le pouvaient. Le refus des démocraties légitimes du monde occidental de promouvoir l’indépendance des Kurdes est un péché d’omission contre les droits de l’homme bien pire que les péchés par commission, mineurs et malhabiles, qui régulièrement enflamment nos médias. A propos, un Kurdistan libre, s’étendant du Diyarbakir en passant par Tabriz serait  l’État le plus pro-occidental entre la Bulgarie et le Japon.

Si l’on procédait à des regroupements équitables dans cette région, nous aurions trois provinces à majorité sunnite qui formeraient un État tronqué. Celui-ci pourrait finir par choisir de s’unir avec une Syrie qui perdrait son littoral en faveur d’un Grand Liban, orienté vers la Méditerranée : la Phénicie qui renaîtrait. Le sud chiite de l’ancien Irak formerait la base d’un État arabe chiite qui borderait la plus grande partie du golfe Persique. La Jordanie garderait son territoire actuel avec une avancée au sud, aux dépens des Saoudiens. L’État artificiel qu’est l’Arabie saoudite subirait, quant à lui, un démantèlement aussi important que le Pakistan.

La famille royale saoudienne considère La Mecque et Médine comme son fief, et c’est là une cause fondamentale de la grande stagnation du monde musulman. Avec les sanctuaires les plus sacrés de l’Islam sous contrôle de l’État policier d’un des régimes les plus fanatiques et oppressifs du monde — un régime à la tête d’une énorme rente pétrolière, imméritée — les Saoudiens ont pu projeter bien au-delà de leurs frontières leur vision wahhabite d’une foi intolérante aux règles rigoristes. L’ascension des Saoudiens à cette richesse, dont ils ont tiré leur influence, a été la pire chose qui pouvait arriver au monde musulman, dans son ensemble, depuis le temps du Prophète, et la pire chose pour les Arabes depuis la conquête, sinon par les Mongols, par les Ottomans.

Certes les non-musulmans ne pourraient rien changer dans le contrôle des cités saintes de l’islam, mais imaginez donc à quel point le monde musulman se porterait mieux si La Mecque et Médine étaient gouvernées par un conseil tournant, représentatif des plus importants mouvements et universités d’un État islamique sacré, un peu comme un Super-Vatican musulman. Au lieu de procéder par arrêtés, on y débattrait de l’avenir de cette grande foi. La vraie justice consisterait — même si cette perspective  ne nous enthousiasme pas vraiment — à donner les champs de pétrole de l’Arabie saoudite aux Arabes chiites qui vivent dans cette région, tandis qu’un quart-de-cercle sud-est irait au Yémen. Voyant son domaine restreint aux Saudi Homelands Independent Territory (le Territoire indépendant des Saoudiens autour de Riyad), la famille royale n’aurait plus la même capacité de nuisance vis-à-vis de l’Islam et du monde.

L’Iran, un État aux frontières complètement loufoques, perdrait une grande partie de son territoire au profit de l’Azerbaïdjan unifié, du Kurdistan libre, de l’État arabe chiite et du Baloutchistan libre ; mais il gagnerait les provinces situées autour d’Hérat, dans l’actuel Afghanistan. C’est là une région qui a des affinités linguistiques et culturelles avec la Perse. L’Iran deviendrait donc ainsi, de nouveau, un État ethniquement perse et la question la plus difficile serait de décider s’il doit garder le port de Bandar Abbas ou le céder à l’État chiite arabe.

Ce que l’Afghanistan perdrait au profit de la Perse à l’ouest, il le gagnerait à l’est, les tribus de la frontière nord-ouest du Pakistan seraient réunies avec leurs frères afghans (le but de cet exercice n’est pas de dessiner des cartes telles qu’on les aimerait mais telles que les populations locales les préféreraient). Le Pakistan, un autre État artificiel, perdrait aussi son territoire baloutche au profit du Baloutchistan libre. Le Pakistan « naturel » restant se situerait entièrement à l’est de l’Indus, à l’exception d’une pointe près de Karachi.

Les villes-États des Émirats Arabes Unis auraient un destin mitigé – ce qui, dans la réalité sera probablement le cas. Certaines pourraient être incorporées à l’État chiite arabe bordant une grande partie du golfe Persique (un État qui évoluera probablement comme un contrepoids, plus qu’un allié, de l’Iran persique). Puisque toutes les cultures puritaines sont hypocrites, Dubaï, par nécessité, serait autorisée à garder son statut pour riches débauchés. Le Koweït resterait dans ses frontières actuelles, tout comme Oman.

Dans chaque cas, ce redécoupage hypothétique des frontières reflète le communautarisme religieux ou ethnique, dans certains cas les deux. Bien entendu, si nous pouvions donner un coup de baguette magique et modifier les frontières en discussion, nous préférerions certainement le faire de façon sélective. Néanmoins, l’examen de la carte révisée, par contraste avec celle montrant les frontières actuelles donne une idée des grands torts que des frontières dessinées par les Français et les Anglais au XXe siècle ont pu faire dans une région qui peinait à émerger des humiliations et défaites du XIXe siècle.

Corriger les frontières pour refléter la volonté du peuple est peut-être impossible. Pour l’instant. Mais avec du temps, et l’inévitable bain de sang qui se produira, des frontières nouvelles et naturelles émergeront. Babylone est tombée plus d’une fois.

En attendant, nos hommes et nos femmes en uniforme continueront de se battre pour la protection contre le terrorisme, pour la perspective de la démocratie et pour l’accès à des sources de pétrole dans une région vouée à une lutte interne. Les divisions humaines actuelles et unions forcées entre Karachi, ajoutées aux malheurs auto-infligés de la région, forment un terrain aussi propice à l’extrémisme religieux, à une culture du reproche et au recrutement de terroristes que quiconque souhaiterait le concevoir. Partout où les hommes et les femmes regrettent leurs frontières, ils se cherchent avec enthousiasme des ennemis.

De la surproduction de terroristes dans le monde à la raréfaction des sources d’énergie, les déformations actuelles du Moyen-Orient promettent une aggravation de la situation, pas une amélioration. Dans une région où seuls les pires aspects du nationalisme ont jamais pris le contrôle et où les aspects les plus dégradés de la religion menacent de dominer une foi désabusée, les États-Unis, leurs alliés et, par-dessus tout, nos forces armées peuvent chercher des crises sans fin. Alors que l’Irak semble fournir un contre-exemple d’espoir – si nous ne quittons pas prématurément son sol – le reste de cette vaste région présente des problèmes qui empirent sur presque tous les fronts.

Si les frontières du grand Moyen-Orient ne peuvent être modifiées pour refléter les liens naturels du sang et de la foi, nous pouvons considérer comme un article de foi qu’une partie du sang versé dans la région sera le nôtre.

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QUI GAGNE, QUI PERD

Les gagnants

Afghanistan

Arménie

Azerbaïdjan

Baloutchistan libre

État arabe chiite

État islamique sacré

Iran

Jordanie

Kurdistan libre

Liban

Yémen

Les perdants

Afghanistan

Arabie saoudite

Cisjordanie

Émirats Arabes Unis

Irak

Iran

Israël

Koweït

Pakistan

Qatar

Syrie

Turquie

Ralph Peters est l’auteur du nouveau livre “Never Quit the Fight”, à paraître le 4 juillet.

Source : Armed Forces Journal, le 01/06/2006

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Frontières de sang : Une proposition visant à redessiner un “Nouveau Moyen-Orient”

Source : Brilliant Maps, le 11/06/2015

La carte apporterait des changements de grande envergure à travers la région, tels que :

Israël : Retourne à ses frontières d’avant 1967.

La Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak perdent tous du territoire pour créer un Kurdistan libre.

Le Kurdistan libre : Nouvel État créé pour les Kurdes.

Le Grand Liban : Renaissance de la Phénicie qui gagne aussi du territoire aux dépens de la Syrie.

La Grande Jordanie : Gagne du territoire aux dépens des Saoudiens.

L’Irak sunnite : Un des trois États successeurs de l’Irak, celui-là étant évidemment principalement sunnite.

L’État Arabe Chiite : Un autre successeur de l’Irak, hébergerait la population chiite actuelle de l’Irak tout en gagnant du territoire de l’Iran.

L’État Sacré Islamique : Un nouvel État qui agirait comme un Vatican musulman pris à l’Arabie saoudite.

L’Arabie saoudite : Perd du territoire au profit de la Jordanie, de l’État Arabe Chiite, du Yémen et de l’État Sacré Islamique.

Le Yémen : Prend des terres à l’Arabie saoudite.

Les Émirats Arabes Unis : Perdent des territoires au profit de l’État Arabe Chiite, même si Dubaï restera probablement un terrain de jeu indépendant pour les riches.

Le Koweït et Oman garderaient leurs frontières actuelles.

L’Azerbaïdjan : Gagne du territoire sur l’Iran.

L’Iran : Perd du terrain au profit du Kurdistan, de l’État Arabe Chiite, de l’Azerbaïdjan et du Baloutchistan libre, mais gagne du territoire sur l’Afghanistan. Le but est de rendre l’Iran encore plus persique.

Baloutchistan libre : Nouvel État destiné au peuple baloutche à découper à partir du Pakistan et de l’Iran.

Afghanistan : Perd du terrain au profit de l’Iran à l’ouest, mais gagne du terrain sur le Pakistan à l’est.

Pakistan : Perd du territoire au profit à la fois du Baloutchistan et de l’Afghanistan. Il se situerait dès lors presque entièrement à l’est de l’Indus.

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Source : Brilliant Maps, le 11/06/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.