Starship Troopers : l'un des films les plus incompris de tous les temps, par Calum Marsh
Source : The Atlantic, le 07/11/2013
La prise de conscience que ce film de science-fiction est une satire est restée ignorée des critiques lorsqu’elle a émergé 16 années après. Aujourd’hui, certains commencent à saisir la plaisanterie.
Calum Marsh, le 7 novembre 2013
Lorsque Starship Troopers de Paul Verhoeven est sorti au cinéma il y a 16 ans, la plupart des critiques américains l’étrillèrent. Dans le New York Times, Janet Maslin éreinta “le spectacle épouvantable et dément” propulsant sur le devant de la scène “de vulgaires accoutrements taillés pour des garçons adolescents.” Jeff Vice, du Deseret News appela cela: “une éclaboussure sans fin aussi dépourvue de goût et de logique qu’elle donne même l’air intelligent à la plus décérébrée des superproductions de l’été.” Roger Ebert, qui avait loué “la satire sociale aiguisée” du Robocop de Verhoeven, trouva le film “unidimensionnel”, d’un néant insignifiant “fait pour des fans de science-fiction de 11 ans.”
Mais ces critiques n’avaient pas compris la subtilité. Starship Troopers est une satire, une parodie impitoyablement drôle et pleinement consciente du militarisme d’extrême droite. Le fait qu’il ait été et continue à être pris au pied de la lettre démontre la très grande vacuité des critiques de films.
Starship Troopers se situe dans un futur lointain, où l’espèce humaine a commencé à coloniser des mondes au-delà des frontières de notre galaxie. Les habitants de la terre ont provoqué une autre espèce d’extraterrestres malveillante ressemblant à des insectes, qui ripostent violemment contre notre planète qu’ils perçoivent soudainement et avec raison comme hostile. Interprétant des tactiques d’autodéfense évidentes pour des manœuvres d’agressions, la race humaine rassemble ses forces mondiales et se lance dans une guerre interstellaire d’un autre temps. La rhétorique tout au long du film est indéniablement fascisante : des soldats d’infanterie terriens à usage unique, parmi lesquels notre héros, un ancien apprenti pilote de la classe d’âge des étudiants des hautes écoles faisant partie intégrante des rangs, se voient galvanisés par des slogans idiots qu’ils régurgitent sur commande avec sincérité pendant qu’ils sont envoyés au massacre (“Le seul bon insecte est un insecte mort ! ” est le slogan favori – les allusions à La ferme des animaux abondent.)
Le film qui en résulte critique le complexe militaro-industriel, le chauvinisme de la politique étrangère américaine, et une culture qui privilégie la violence réactionnaire sur la compassion et la raison. Le scénario d’Edward Neumeier, écrivain de Robocop, a fourni le cadre démodé de science-fiction du roman notoirement militariste de Robert A. Heinlein, avec des archétypes empruntés à des séries pour adolescents et des fictions pour jeunes adultes, sapant le côté sérieux de la farce du texte original. Même la conclusion s’attache à amenuiser tout sentiment résiduel d’héroïsme et de bravoure. Nous voyons nos protagonistes, ayant échappés de justesse à la mort au cours d’une mission quasi suicidaire, partant de nouveau à la bataille dans une vidéo de recrutement glorificatrice, suggérant que dans la guerre la seule récompense d’une bataille bien menée est la perspective d’une nouvelle bataille.
Près de deux décennies après la sortie de ce film, les critiques de Starship Troopers ne se sont pas particulièrement améliorées. Mais on peut sentir le débat qui commence à évoluer, il en est venu à être légitimement apprécié par certains comme un chef d’œuvre méconnu. Arrivant en 20e position l’an dernier sur la liste des 100 meilleurs films des années 1990 (sondage de Slant Magazine dans lequel la publication est complète, je faisais partie des critiques votants), le site de Phil Coldiron le décrit comme “un des plus importants de tous les films anti-impérialistes”, une parodie du genre hollywoodien dont la superficielle “méchanceté” est au centre de sa critique. Il se trouve en bonne place au palmarès du film de A.V. club des années 90 en apparaissant dans le top 50 des votes où il a été salué comme “une satire gonzo [journalisme ultra-subjectif, NdT], destinée, même conçue à être mal comprise.” Scott Tobias, ancien rédacteur en chef de A.V. Club section films a salué Troopers quelques années plus tôt comme “le film de studio majeur le plus subversif de ces dernières années,” faisant remarquer qu’il semble dorénavant absurde de le considérer comme un quelconque film godiche de science-fiction, dont ses détracteurs l’accusaient.
Le slogan pour RiffTrax est “Vos films préférés sont des films drôles !” Ce qu’ils ne semblent pas comprendre, c’est que Starship Troopers est déjà drôle et intelligent.
Mais les idées trompeuses de départ persistent encore. Le 4 octobre, RiffTrax a publié un épisode dans lequel ils se sont moqués de Starship Troopers, un film que leur site web décrit comme « balourd et gueulard » et un « cafouillage imbécile ». Mike J. Nelson et ses acteurs vedettes de RiffTrax Kevin Murphy et Bill Corbett chahutent le film avec autant de perspicacité et d’esprit qu’ils ont mal compris le second degré du film. Exemple d’humour : à un moment donné, une bombe détruit une bestiole géante, et les trois hurlent « Oh non, Raid ! » Plus tard, Denise Richards sourit, et quelqu’un dit, d’une voix robotique : « Sourire-o-tron 3000 engagé. » Ça continue comme ça. Le slogan pour RiffTrax est “Vos films préférés sont des films drôles !” Ce qu’ils ne semblent pas comprendre, c’est que Starship Troopers est déjà drôle et intelligent.
Troopers, bien sûr, est loin d’être le seul exemple de film généralement incompris. En prenant suffisamment de recul, même le film le plus ardemment crucifié peut un jour trouver son héritage ressuscité, gagnant ainsi des décennies plus tard une tardive et légitime reconnaissance. Peut-être que ce temps est proche pour Troopers ; avec un peu de chance, au moins quelques auditeurs de Rifftrax ont dernièrement fait remonter à propos de ce film ce qui s’était réellement passé. Si vous êtes ouvert et en accord avec lui – si vous êtes préparé à la rigueur et l’intensité de l’approche de Verhoeven – vous comprendrez ce que la comédie burlesque de Starship Troopers est en train de vous raconter. Et vous rirez.
Source : The Atlantic, le 07/11/2013
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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