mercredi 21 décembre 2016

Jeremy Corbin, le Tsipras britannique (Huffington Post)

Jeremy Corbin, le Tsipras britannique (Huffington Post)

GRANDE-BRETAGNE - Battu aux dernières élections législatives, le Parti travailliste britannique a entamé ce vendredi dans une ambiance crispée le processus de désignation de son nouveau leader. Près de 610.000 votants (adhérents du Labour, syndicalistes et sympathisants inscrits pour l'occasion) ont jusqu'au 10 septembre pour choisir celui ou celle qui succèdera à Ed Miliband. Sauf crise interne, le vainqueur briguera ensuite la succession de David Cameron au 10, Downing Street aux législatives de 2020.

Dans une campagne sans éclat encore marquée par la défaite surprise des general elections, un seul des quatre prétendants semble en mesure de réunir une majorité des voix. A 66 ans, le député du Nord de Londres, Jeremy Corbyn, figure anti-austérité aux antipodes de la doxa sociale-libérale des héritiers de Tony Blair, affiche jusqu'à 30 points d'avance sur ses poursuivants Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall. "Stéréotype du gauchiste nord-londonien", selon l'hebdomadaire de gauche New Statesman, il est végétarien, ne boit pas d'alcool, cultive son propre jardin et se déplace à vélo. Allergique aux cravates, celui-ci reconnait même avoir divorcé de la deuxième de ses trois épouses parcequ'elle voulait envoyer leurs enfants dans une école privée.

Problème, ce candidat atypique, qui dit s'inspirer de Syriza en Grèce et du mouvement Podemos en Espagne, fait l'unanimité contre lui dans l'establishment centriste de son propre parti. Et ce dernier semble prêt à faire n'importe quoi pour lui barrer la route.

Tony Blair prédit "l'annihilation" du Labour

L'obstruction de la frange la plus libérale du Labour à l'émergence d'une personnalité jugée trop à gauche n'a rien d'une première de l'autre côté de la Manche. Ancien trotskiste, Ken Livingstone avait dû faire face à la même levée de boucliers en 2000 lorsqu'il briguait la mairie de Londres. Privé de l'investiture travailliste par des méthodes peu glorieuses, "Ken le Rouge" avait fait dissidence et écrasé son adversaire dans les urnes.

Mais le "tout sauf Corbyn" (ABC pour Anyone but Corbyn dans la langue de Shakespeare) atteint des proportions inégalées au royaume de la City. Au palmarès des pires vacheries, l'ancien premier ministre Tony Blair décroche aisément la première place. L'inventeur du "New Labour" qui convertit son parti au libéralisme le plus assumé a pris la plume dans The Guardian pour dire tout le mal qu'il pense de la "tragédie" que constituerait à ses yeux l'élections de Corbyn.

"Si Jeremy Corbyn l'emporte, cela ne signifiera pas une défaite comme en 1983 ou 2015. Cela entraînera une déroute, peut-être l'annihilation", menace-t-il. Le parti travailliste, assure-t-il, "est en train de marcher les yeux fermés et les bras ouverts au bord du précipice".

Sur son blog, Alastair Campbell, porte-voix et tête pensante du blairisme, préfère comparer une victoire de Jeremy Corbyn à "un accident de voiture".

Au fond, la plupart des dirigeants du Labour s'opposent à l'ascension du député d'Islington-North non pas tant pour des motifs idéologiques que parce qu'ils ont la certitude que ce "socialiste" (un gros mot en Grande-Bretagne) sera incapable de mener son parti à la victoire dans cinq ans. Après deux défaites consécutives en 2010 et 2015, le Parti travailliste veut à tout prix éviter une nouvelle déconvenue électorale qui pourrait précipiter sa disparition.


Attaques politiques et soupçons d'antisémitisme

Cette hantise a conduit ses adversaires à se liguer contre le député anti-nucléaire pour dénoncer sa "face cachée". Liz Kendall et Yvette Cooper ont toutes deux fait savoir qu'elles refuseraient de participer à son gouvernement fantôme (shadow cabinet) s'il était élu. Yvette Cooper a résumé le programme de son adversaire (qui prévoit notamment la nationalisation des chemins de fer, la sortie du nucléaire et une relance de l'économie par l'Etat) à "de vieilles solutions à de vieux problèmes".

Entre temps, le parti travailliste a accusé l'extrême gauche ainsi que d'autres partis de pratiquer l'entrisme pour favoriser l'élection du favori des sondages. Plus de 160.000 personnes ont adhéré rien que dans les 24 heures précédant la clôture des inscriptions mercredi et le Labour assure avoir rayé de ses listes près de 1200 inscrits. Parmi ces "infiltrés" se trouvaient notamment 214 membres du parti écologique, 37 membres d'une coalition d'extrême gauche, 13 du parti conservateur ou encore 7 du parti europhobe et anti-immigration Ukip. Ces tentatives d'infiltration ont conduit plusieurs députés travaillistes à demander l'annulation du vote.

Aucun des concurrents de Jeremy Corbyn n'a toutefois (encore) osé l'attaquer sur la controverse née peu avant l'été après la diffusion d'un extrait vidéo dans lequel le député britannique invitait ses "amis" du Hamas et du Hezbollah à discuter avec Israël. Cette phrase maladroite, sa participation à une conférence au côté d'un dessinateur taxé d'antisémitisme ainsi que le soutien affiché d'un négationniste notoire ont semé le trouble dans la communauté juive britannique, comme s'en alarme le journal The Jewish Chronicle.

"Bien qu'il n'existe pas de preuve directe que [Corbyn] a un problème personnel avec les Juifs, il existe des preuves accablantes qu'il est associé, soutient et même dans un cas précis finance des négationnistes, des terroristes et des antisémites", s'inquiète le "JC" qui assure avoir invité (en vain) le candidat travailliste à s'expliquer dans ses colonnes.

Philosophe, Jeremy Corbyn appelle ses adversaires à mettre un terme aux "attaques personnelles". Des attaques qui ont surtout eu pour effet de doper sa popularité chez les jeunes et d'accroître son avance dans les sondages.

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