samedi 3 décembre 2016

Finalement, laisser les Philippines partir, par Jonathan Marshall

Finalement, laisser les Philippines partir, par Jonathan Marshall

Source : Consortium News, le 21/10/2016

Le 21 octobre 2016

Exclusif : Les fonctionnaires de Washington sont dans tous leurs états à propos du rapprochement du Président des Philippines Duterte avec la Chine, et son éloignement des États-Unis, mais ce réalignement augmente la possibilité d’une épreuve de force militaire entre les États-Unis et la Chine, écrit Jonathan Marshall.

Par Jonathan Marshall

Alors que la crise au niveau des relations entre les États-Unis et les Philippines dégénère, les baromètres de la prudence traditionnelle à Washington sont tous fixés sur la zone rouge “danger”. Les habiles responsables politiques américains devraient cependant voir dans cette crise une opportunité pour la paix régionale, apportée par les ouvertures du Président des Philippines Rodrigo Duterte vers la Chine.

L’autoritaire mais populaire, Duterte, qui peut être encore plus dérangeant et narcissique que Donald Trump, a fait les gros titres en se comparant à Adolf Hitler, en se vantant de ses conquêtes sexuelles, et a invectivé d’un langage fleuri à la fois le Président Obama et le pape François. Mais il a causé encore plus d’aigreurs d’estomac à Washington en annonçant bruyamment sa préférence pour le réchauffement des relations avec la Chine.

Le Président des Philippines Rodrigo Duterte (Photo credit: rodrigo-duterte.com)

Le Président des Philippines Rodrigo Duterte (Photo credit: rodrigo-duterte.com)

Lors de sa visite d’État en Chine, Duterte a déclaré mercredi qu’il était “temps” pour les Philippines “de dire au revoir” aux États-Unis alors que son pays redessine une nouvelle carte avec de « nouvelles orientations » dans ses relations extérieures. Cette déclaration n’était pas un hasard. Il y a quelques semaines, il a dit à un auditoire à Manille, “Je vais rompre avec l’Amérique. Je vais plutôt me tourner vers la Russie et la Chine.”

Derrière sa rhétorique musclée, Duterte a promis de mettre fin à des exercices militaires conjoints avec les forces armées américaines et de renvoyer chez elles les centaines de troupes américaines stationnées aux Philippines. Ses vœux contredisent fortement les accords bilatéraux conclus ce printemps, avant son entrée en fonction, qui stipulaient de permettre aux forces américaines d’utiliser cinq bases militaires aux Philippines et de débuter des patrouilles navales conjointes visant à dissuader l’expansion agressive de la Chine dans la Mer de Chine du Sud.

Le rejet de Duterte des liens militaires traditionnels avec les États-Unis a provoqué la panique des analystes de la politique étrangère conventionnelle. Sur le schéma de la Guerre froide, ils voient tous les changements en Extrême-Orient comme un jeu à somme nulle, bénéficiant soit à la Chine soit aux États-Unis, au détriment de la puissance de l’une ou de l’autre.

Un coup au prestige

Selon le Wall Street Journal, les interventions de Duterte “ont remis en question la relation de longue date entre Manille et Washington, en donnant un coup au prestige américain, et en sapant éventuellement les efforts que les États-Unis ont déployés pour endiguer l’influence croissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique.”

Le Président de la Chine Xi Jinping.

Le Président de la Chine Xi Jinping.

De même, Andrew Shearer, analyste au Centre d’Etudes Stratégiques et Internationales à Washington, avertit : « Si la Chine réussit à éloigner les Philippines des États-Unis, ce sera une victoire majeure dans la campagne à long terme menée par Pékin pour ébranler les alliances avec les États-Unis dans la région. Cela va alimenter les craintes que la combinaison appropriée d’intimidations et d’incitations pourrait amener d’autres partenaires à s’éloigner de Washington. »

La posture anti-Washington de Duterte reflète plusieurs influences. L’une est son grief nationaliste suscité par les documents montrant la brutalité de la guerre coloniale américaine aux Philippines à partir de 1899. Qui plus est, Duterte déteste les dirigeants américains (ou toute autre personne) lui tenant des discours sur les droits de l’Homme, notamment au sujet de son soutien aux escadrons de la mort qui ont tué des milliers de petits criminels et des enfants des rues. Washington a menacé de retenir une partie de l’aide économique si Manille continue cette horrible politique.

Mais Duterte joue également un jeu astucieux avec la Chine. En juillet, Pékin a ravalé sa fierté après que les Philippines ont gagné une décision d’arbitrage international contre la Chine parce qu’elle avait empiété sur leurs lieux de pêche traditionnels et leurs droits à l’exploitation sous-marine des minerais.

Duterte a été assez malin pour réaliser que, même avec le soutien militaire des États-Unis, il ne pouvait pas se permettre de contester les incursions illégales de la Chine.

“Que pensez-vous qu’il va arriver à mon pays si je choisis d’entrer en guerre ?” demande-t-il. “Nous pouvons seulement dialoguer.”

Au lieu d’exiger une reddition inutile, Duterte a donc choisi d’arroser la Chine d’amour et de respect. Il lance un appel avec brio à la psychologie des fiers dirigeants Chinois, qui sont heureux d’être magnanimes avec les Philippines tout en damant le pion aux États-Unis.

Dialoguer, ne pas combattre

Une porte-parole du Ministère des Affaires étrangères de la Chine a salué l’engagement de Duterte pour résoudre les conflits territoriaux « par le biais de la consultation et du dialogue » et a ajouté : « Celui qui veut vraiment la paix, la stabilité, le développement et la prospérité dans la région Asie-Pacifique » devrait faire bon accueil à la visite d’État de Duterte. Elle était dans le vrai.

Le président chinois Xi Jinping reçoit le président Barack Obama à son arrivée pour le sommet du G20 au Centre de l'Exposition Internationale de Hangzhou, en Chine, le 4 septembre 2016. (Photo Officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

Le président chinois Xi Jinping reçoit le président Barack Obama à son arrivée pour le sommet du G20 au Centre de l’Exposition Internationale de Hangzhou, en Chine, le 4 septembre 2016. (Photo Officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

Duterte améliore considérablement la sécurité nationale des États-Unis en réduisant les risques de départ d’un conflit avec la Chine en mer de Chine méridionale. En outre, en révisant à la baisse l’alliance militaire entre les États-Unis et les Philippines, il réduit le risque que les forces américaines soient appelées à se battre si les Philippines devaient un jour se livrer à des escarmouches militaires avec la Chine.

Les décisions de Duterte devraient inciter les Américains à se poser des questions fondamentales sur le but des alliances militaires américaines dans la région. Est-ce que notre alliance avec les Philippines sert principalement à protéger la sécurité des États-Unis, ou à protéger généreusement un ami vulnérable contre l’agression chinoise ?

Le précédent raisonnement n’est plus convaincant : les Philippines étaient un assujettissement stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale mais ne présentent aujourd’hui aucun intérêt pour la défense de la patrie américaine, qui, à court terme, ne fait face à aucune menace militaire de guerre nucléaire.

Les États-Unis n’ont pas besoin des Philippines pour aider à protéger les voies maritimes commerciales, quelles qu’elles soient. La Chine, avec sa grande dépendance à l’égard du commerce international et du transport maritime, a toutes les raisons de respecter et de défendre la liberté de circulation sur mer. L’expansion de la Chine dans la Mer de Chine du Sud vise à contrer la puissance militaire des États-Unis et à accéder aux ressources sous-marines plutôt qu’à bloquer la navigation commerciale.

La seconde raison devient caduque si les Philippines deviennent rapidement amies avec la Chine. Si notre objectif est de protéger notre ancienne colonie contre l’agression, nous devrions applaudir le réchauffement de ses relations avec Pékin.

Interpeller la Chine

L’une des raisons restante pour l’alliance militaire est – ce que la Chine craint – de contenir Pékin en l’entourant de bases américaines. Le consensus conventionnel, reflété par un rapport de 2015 du Conseil sur les Relations Etrangères, étiquette la Chine comme « le concurrent le plus important des États-Unis pendant les décennies à venir », et recommande la « concertation pour développer les capacités des alliés et amis des américains à la périphérie de la Chine ; et l’amélioration de la capacité des forces militaires américaines pour projeter efficacement le pouvoir dans la région Asie-Pacifique.”

La Chine et ses voisins

La Chine et ses voisins

Mais, fière, nationaliste et toujours plus riche, la Chine ne restera pas bien longtemps à subir l’humiliation d’un statut de seconde zone dans son propre environnement. La politique américaine d’endiguement installée, si elle n’est pas officiellement avouée au sein du “pivot vers l’Asie,” par l’administration Obama, garantit l’hostilité chinoise et la menace croissante d’un conflit avec les États-Unis.

Une politique plus intelligente serait de renverser ce paradigme en accueillant les ouvertures de Duterte vers la Chine et en encourageant les autres pays de la Mer de Chine méridionale à engager des pourparlers bilatéraux ou multilatéraux avec Pékin.

En 1900, au paroxysme de la brutale campagne anti-insurrectionnelle des États-Unis contre les rebelles philippins, l’anti-impérialiste Mark Twain a dit qu’au lieu d’essayer de conquérir les populations locales, il aurait mieux valu « se contenter, de plein gré et par devoir, de rendre ces gens libres, et de les laisser régler à leur manière leurs propres questions internes. » Ceci reste une bonne règle partout, mais surtout dans les Philippines d’aujourd’hui.

Source : Consortium News, le 21/10/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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