Le directeur de la CIA a trompé le FBI sur la façon dont l'agence espionnait celui qui a révélé les Pentagon Papers, par Ray Locker
Source : USA Today, le 31/08/2016
Par Ray Locker, le 31 août 2016
WASHINGTON – Le directeur de la CIA Richard Helms a trompé le FBI en juin 1972 pour couvrir le rôle de son agence qui a aidé à salir la réputation de Daniel Ellsberg, l’homme qui a divulgué l’histoire secrète de la guerre du Vietnam à la presse, comme le montre un document de la CIA publié récemment.
Le 28 juin 1972, dans une note de service écrite à son adjoint Vernon Walters, Helms demande au FBI de « renoncer à étendre cette enquête à d’autres domaines car cela pourrait bien, à terme, aller à l’encontre de nos opérations. » Ces détails sont inclus dans le rapport de 155 pages de l’inspecteur général de la CIA, qui a été obtenu grâce au Freedom of Information Act, par le chien de garde juridique conservateur Judicial Watch, et qui a été publié mardi. D’autres parties du document ont été publiées mardi par Fox News.
Les informations volontairement trompeuses données par Helm ont permis que le rôle de la CIA dans l'affaire des Pentagon Papers reste caché pendant onze mois, pendant que grandissait un scandale politique qui forcera finalement le président Richard Nixon à quitter ses fonctions et conduira à l'ouverture d'une vaste enquête sur les abus de la CIA et d’autres services de renseignement des USA.
Le 17 juin 1972, le FBI enquêtait sur le cambriolage au quartier général du Democratic National Committee dans les bureaux du Watergate, à Washington. Ils arrêtèrent à l’intérieur même du bureau du DNC cinq cambrioleurs liés à la CIA ; l’un deux, James McCord, était un fonctionnaire de la CIA en retraite et en fait le chef de la sécurité du comité de réélection de Nixon. Deux autres membres de l’équipe, E. Howard Hunt et G. Gordon Liddy surveillaient la tentative de cambriolage depuis un hôtel proche.
Le rapport de la CIA produit par l’inspecteur général de l’agence en 1974 examine les liens entre le cambriolage et l’agence, et si des responsables de l’agence ont été impliqués dans la préparation et l’exécution.
Hunt, le leader du groupe, était un ex agent de la CIA et membre de l’équipe secrète d’enquêtes à la Maison-Blanche connue sous le nom de « the Plumbers » (les plombiers). Les enquêteurs du FBI trouvèrent le carnet d’adresse de Hunt comprenant les noms de deux fonctionnaires de la CIA, John Caswell et Karl Wagner, que le Bureau désirait interroger.
Helms a dit au directeur intérimaire du FBI Patrick Gray le 28 juin que Caswell et Wagner étaient des agents de la CIA en activité qui ne devraient pas être interrogés. Des agents avaient déjà parlé à Caswell, qui leur a dit peu de choses, mais Gray a ordonné au FBI de ne pas interroger Wagner, comme le démontre les enregistrements.
Qui était Karl Wagner ?
Cependant, Wagner était le responsable de la CIA qui a coordonné l’entière assistance de l’agence à Hunt, qui a obtenu des déguisements, une fausse identité, des caméras spéciales, des évaluations psychologiques et l’usage d’une maison sécurisée dans le cadre de la campagne menée par la Maison-Blanche pour enquêter sur Ellsberg.
Au moment où la CIA assistait Hunt durant l’été et l’automne 1971, Wagner était l’assistant exécutif de Robert Cushman, directeur adjoint de la CIA. On savait depuis longtemps que Cushman, qui travaillait pour Nixon quand il était vice-président, a aidé Hunt à obtenir les ressources de la CIA. C’est Wagner qui a le plus facilité l’assistance de l’agence à Hunt, et c’est ce rôle qui est éclairé en détail dans le rapport de la CIA.
Wagner a aussi enregistré une réunion du 22 juillet 1971 entre Cushman et Hunt, durant laquelle ils discutaient de l’aide apportée par l’agence à Hunt. Quand Cushman a quitté la CIA en décembre 1971 pour devenir commandant du corps des Marines, son secrétaire et Wagner « ont examiné tous ses dossiers et rapports, incluant la transcription des réunions et des conversations téléphoniques, ils en ont détruit un certain nombre, envoyé d’autres aux archives et conservé quelques-uns dont ils pensaient qu’ils étaient encore d’actualité, » dit le rapport de la CIA. Wagner a gardé la transcription Cushman-Hunt dans son coffre-fort, mais ne l’a plus retrouvée après l’enquête sur le cambriolage post-Watergate.
Plus tard, le 22 juillet 1971, le rapport de la CIA dit : « Hunt a demandé à Wagner de ne pas le nommer aux autres employés ni d’indiquer que c’était un sujet sensible demandé par la Maison-Blanche. »
Gray respecta la demande de Helms de ne pas interroger Wagner, mais il a finalement conclu que la Maison-Blanche essayait d’empêcher l’enquête du FBI sur le Watergate. Dans un livre écrit par son fils Ed, Gray dit qu’il a aussi réalisé plus tard que Helms a menti quand il lui a demandé de ne pas interroger Wagner.
« Pendant notre conversation téléphonique et encore après, pendant l’enquête quand il a gardé pour lui des preuves physiques, Helms a commis une obstruction de justice, » écrit Gray dans ses mémoires, In Nixon’s Web.
Les Pentagon Papers
Ellsberg, un ex-sous-traitant du Pentagone qui travaillait pour un think tank, a volé au Pentagone l’histoire secrète du rôle des USA au Vietnam et l’a donnée au New York Times, qui l’a publiée en détail en juin 1971. L’histoire, très vite désignée sous le nom de Pentagon Papers, montrait comment, depuis les années 50 jusqu’en 1968, des fonctionnaires américains ont menti à propos de la politique américaine au Vietnam et comment la nation a été fermement entrainée dans une guerre qui aura sacrifié la vie de plus de 58 000 soldats américains.
Bien que Nixon ne soit pas mentionné dans les dossiers qui ont été rassemblés avant qu’il prenne ses fonctions en 1969, il s’est inquiété d’une fuite possible concernant son sabotage des Entretiens de la Paix de Paris en 1968. Il a demandé au FBI, alors dirigé par J. Edgar Hoover, d’enquêter, mais Hoover refusa. Nixon autorisa alors la création d’une unité spéciale d’enquêtes à la Maison-Blanche, qui devint “the Plumbers”, pour enquêter sur Ellsberg et salir sa réputation dans le milieu de la presse.
“The Plumbers” comprenaient Hunt, Liddy, l’ancien collaborateur du Conseil de Sécurité Nationale David Young et l’assistant à la Maison-Blanche Egil Krogh, qui était considéré comme le chef du groupe. Ils ont fait un rapport à Nixon par l’intermédiaire de John Ehrlichman, conseiller à la politique intérieure de Nixon et l’un de ses plus proches collaborateurs.
La CIA, selon le rapport, était gravement préoccupée au sujet des Pentagon Papers. « La totalité du matériel collecté de l’agence dans les documents du Pentagone pourrait dire à tout étranger initié ou professionnel énormément de choses sur la façon dont l’Agence travaille, » affirme le rapport. « Cela constituerait une aubaine inespérée pour tout service de renseignement hostile et faciliterait grandement les futures opérations de dénigrement, y compris la préparation de documents fabriqués, de faux ou d’autres types de désinformation à la demande. »
« Dans ce contexte, il faut considérer la préoccupation et les efforts de l’Administration contre Ellsberg, » poursuit le rapport. « Non seulement ils estiment qu’Ellsberg doit servir d’exemple pour prévenir des fuites futures, mais ils ont estimé aussi que s’il était en contact avec les Soviétiques, comme cela avait été répandu, il était d’une importance vitale d’identifier ses contacts. La préoccupation était légitime, les moyens d’atteindre leurs fins étaient pour le moins discutables. »
Deux tentatives de poursuivre Ellsberg pour avoir volé les Pentagon Papers ont échoué. Un juge fédéral a rejeté l’affaire du gouvernement en mai 1973, en partie à cause du rôle de la CIA dans l’attaque d’Ellsberg.
Le psychiatre d’Ellsberg
Hunt savait depuis son service à la CIA que l’agence procédait souvent à des examens psychologiques des personnalités du monde entier, et il voulait que l’agence lui en fournisse un sur Ellsberg, dans l’espoir que certains détails soient divulgués à la presse affirmant qu’Ellsberg était mentalement instable. En fin de compte, deux de ces évaluations ont été fournies à “the Plumbers” après une demande expresse de Young à Helms, selon le rapport de la CIA.
« J’ai vu les deux documents que [nom expurgé] a préparé pour vous, » écrit Helms à Young le 9 novembre 1971. « Nous sommes, bien sûr, heureux de vous être utiles. Je tiens à souligner le fait que notre participation à cette question pourrait être révélée dans tout contexte, formel ou informel. Je suis sûr que vous comprenez notre inquiétude. »
Hunt et ses collègues, cependant, n’étaient pas satisfaits des évaluations de la CIA. Ils avaient également appris qu’Ellsberg avait vu à Beverly Hills, en Californie, le Dr Lewis Fielding, psychiatre, en 1969 et 1970. Ils ont cru que le dossier d’Ellsberg dans le bureau de Fielding contenait des révélations potentiellement dommageables sur la santé mentale d’Ellsberg.
En utilisant de fausses identités, des déguisements, des caméras et des appareils électroniques fournis par la CIA, Hunt et Liddy ont cambriolé par deux fois le bureau de Fielding en septembre 1971. Eux et le reste de leur équipe d’exilés de Cuba liés à la CIA ont saccagé le bureau de ce qu’on croyait être une tentative infructueuse de trouver n’importe quoi de préjudiciable pour Ellsberg. Ces effractions feront partie de l’un des deux articles de la procédure d’empêchement approuvé contre Nixon en juillet 1974. Ehrlichman ira en prison pour son implication dans l’affaire de Fielding.
« La publicité négative pour l’Agence provoquée par le cambriolage du bureau de M. Fielding refait surface en avril 1973, et confirme que l’anxiété et l’inquiétude des médecins et des autres fonctionnaires de l’Agence était bien fondée, » a conclu le rapport de la CIA.
La CIA arrête son aide
Après que Hunt a quitté la CIA en avril 1970, l’agence l’a aidé à décrocher un emploi à Washington dans la firme de relations publiques, Mullen and Company, qui était considérée comme une façade de la CIA. Le rapport de la CIA disait que Robert Bennett, qui a aidé à diriger l’entreprise, était soupçonné d’avoir menti aux procureurs fédéraux au sujet de ses liens avec la CIA. Bennett est devenu plus tard sénateur républicain de l’Utah entre 1993 et 2011.
Hunt avait de nombreux contacts avec ses anciens associés à la CIA pendant la majeure partie de l’été et de l’automne 1971, selon le rapport de la CIA. Il a rencontré Cushman et Thomas Karamessines, chef des opérations secrètes de l’agence. Il a rencontré Caswell, le directeur général de la division Europe, sur les fuites d’information du gouvernement en France.
Mais Hunt a été trop loin quand il a invité Liddy à l’accompagner à une réunion avec un fonctionnaire de l’agence en leur fournissant une fausse identité.
« Je vois deux problèmes, » écrit Wagner à Cushman le 27 août 1971, dans une note de service incluse dans le rapport de la CIA. « 1) Hunt a introduit un étranger qui est maintenant au courant du rôle [de la Division des services techniques] dans cette affaire. La Maison-Blanche aurait arrangé cela avec nous et devait nous dire son nom. Il pourrait nous embarrasser plus tard. 2) L’utilisation par Hunt d’un équipement clandestin dans une activité domestique ou de nature indéfinie peut également poser des problèmes. L’Agence pourrait pâtir de la découverte de l’utilisation de ses engins clandestins dans les opérations de sécurité intérieure. »
Le 27 août 1971, Wagner avait appelé un fonctionnaire, en « l’informant que la CIA ne fournirait aucune aide supplémentaire à Hunt, que le TSD [Services techniques, devenu OSD, NdT] n’acceptera plus d’autres demandes de Hunt, et qu’il devra retourner les matériels sensibles au TSD, » selon le rapport de la CIA.
Les responsables de l’agence pensaient que cela mettait alors un terme à leur association avec Hunt. Mais il n’en fut rien, comme allaient le montrer les événements du 17 juin 1972, lorsque les cambrioleurs du Watergate ont été arrêtés, ce qui a déclenché une cascade de révélations, de dissimulations et de poursuites qui ont mis fin à la présidence Nixon.
Source : USA Today, le 31/08/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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