"La France n'aurait jamais dû soutenir la rébellion syrienne", par l'archevêque d'Alep
Jean-Clément Jeanbart, né en 1943 (73 ans) à Alep (Syrie) est un prélat catholique syrien de l’Église grecque-catholique melkite. Il est archevêque de l’archéparchie d’Alep depuis 1995. Dès le début de la guerre civile syrienne en 2011, il est particulièrement actif dans la protection des fidèles, persécutés par les islamistes.
Voici une compilation de sa vision (qui n’est bien entendu pas non plus forcément LA vérité, mais qui aide à mieux la cerner) depuis un an – à rebrousse-poil de celle de François Hollande et donc de nos médias…
14 octobre 2015
« En Syrie, les chrétiens ne voient pas d’alternative à Bachar el-Assad »
L’archevêque grec-catholique d’Alep, Jean-Clément Jeanbart, décrit la situation dramatique des chrétiens en Syrie et estime que le régime de Damas est pour l’instant leur plus sûr bouclier
L'archevêque grec catholique Jean-Clément Jeanbart montre des photos d'Alep, la capitale économique de la Syrie coupée en deux depuis l'offensive des rebelles en 2012. Les tirs de mortiers répondent aux barils d'explosifs largués par l'armée syrienne sur les quartiers tenus par les rebelles, à moins que cela soit l'inverse. Plus personne dans cette ville martyrisée ne sait exactement. L'archevêché a été durement touché par les bombes. Jean-Clément Jeanbart a dû déménager dans un couvent plus loin de la ligne de front, réfugié dans sa propre ville, comme beaucoup d'autres chrétiens. L'archevêque était à Genève à l'invitation du cercle international de la Fondation pour Genève.
Le Temps: Combien de chrétiens restent-ils à Alep?
Jean-Clément Jeanbart: Je n'ai pas de chiffres précis mais il doit en rester un peu moins que 100 000, soit deux fois moins qu'avant la guerre. Tous les chrétiens résident dans la partie de la ville contrôlée par le gouvernement. Beaucoup se sont réfugiés dans d'autres parties de la Syrie ou dans les pays voisins, au Liban ou en Jordanie. Le problème, ce sont ceux qui ont émigré en Europe ou outre-Atlantique.
Pourquoi est-ce un plus grand problème?
Parce qu'ils ne reviendront probablement pas. L'émigration saigne les communautés chrétiennes de Syrie, une présence deux fois millénaire. Les premiers chrétiens à avoir été baptisés après les apôtres étaient syriens. Ils étaient venus à Jérusalem pour le pèlerinage de la Pentecôte juive. À l'époque, on ne baptisait que des juifs, le peuple de Dieu. Il était plus dangereux de se convertir pour les habitants de Jérusalem que pour les pèlerins. On estime que 3000 d'entre eux venus d'Alep, de Damas, d'Homs, de Sidon, de Tyr, au Liban, et d'autres villes du Proche-Orient ont été baptisés. Plus tard, Saint-Paul a été le premier à baptiser des non-juifs. Il a été lui-même converti, baptisé et ordonné prêtre par l'Église de Syrie.
Comment reprocher aux gens de vouloir quitter un pays en guerre?
C'est vrai: les chrétiens avaient perdu espoir. Nos jeunes partaient, parce qu'ils étaient préoccupés pour leur avenir et ne voulaient pas être enrôlés dans l'armée. Parfois, ce sont leurs parents qui les incitaient à fuir. Il y a déjà eu tellement de morts. Je reproche à certains pays de favoriser l'émigration massive des Syriens. Je ne crois pas à la possibilité de tels mouvements de population vers l'Europe sans complicité. […]
Qui aurait intérêt à encourager l'exode des Syriens?
Avec le nombre de réfugiés qui arrivent en Europe, il devient plus facile de justifier des solutions radicales. Certains se demandent quelle pourrait être la suite. Une nouvelle intervention militaire en Syrie ou une zone d'exclusion aérienne. Pour l'instant, les Occidentaux s'y sont refusés mais cela pourrait changer.
Vous semblez particulièrement remonté contre la Turquie?
Alep faisait autrefois partie de l'Empire ottoman et le sultan considérait que c'était son bien le plus précieux. Sans cette ville, la Syrie serait amputée de son poumon économique. Avant la guerre, il y avait plus de 1400 usines qui employaient plus d'un million d'ouvriers. Tout a été détruit par les groupes armés à la solde des pays étrangers. À Pâques, un quartier chrétien et arménien a été bombardé par les rebelles. Il y a eu une quarantaine de morts. Ce n'était pas un hasard: le pape venait de reconnaître le génocide des Arméniens par les Turcs. Beaucoup d'Arméniens ont fui Alep, car ils craignaient de connaître le même sort que leurs ancêtres.
Ce sont maintenant les Russes qui bombardent en Syrie.
Ces frappes ont redonné espoir aux chrétiens. Voilà la réalité. J'ai parlé avec de nombreux collègues mais aussi des laïques. Tous voyaient désormais une lueur d'espoir pour que chacun se mette enfin autour d'une table pour mettre un terme à cette guerre folle et inhumaine. Avant le conflit, nous avions commencé à construire quelque 70 appartements à Alep pour des jeunes familles chrétiennes. Le chantier a dû être interrompu à cause des combats et certaines familles ont tenu à récupérer leur argent, même si la livre syrienne s'est effondrée. Juste après le début des frappes russes, une famille nous a suppliés de la reprendre à nouveau dans le projet. Ils croyaient à nouveau à la possibilité d'une solution position.
Mais, depuis le début des bombardements russes, l'État islamique s'est rapproché d'Alep. Ne craignez-vous pas une prise de la ville?
Cela ne veut rien dire. Comme Raqqa, le fief de l'État islamique, est visé, il est logique que les djihadistes se soient repliés aux abords d'Alep, où ils ont toujours été présents. L'armée syrienne semble avoir renforcé ses positions dans la ville.
Sur le terrain, ce sont surtout les rebelles anti-Assad qui combattent l'État islamique.
Peut-être mais ils les avaient auparavant invités en Syrie. Quand il est apparu que l'État islamique voulait en réalité les dominer et créer son propre califat, ils se sont alors mis à le combattre.
N'y a-t-il pas de rebelles syriens qui trouvent grâce à vos yeux?
Les rebelles modérés existent encore mais ils sont trop peu nombreux. La plupart ont fui le pays ou se sont réconciliés avec d'autres factions. La majorité des musulmans syriens sont modérés. Mais leur voix est étouffée par les cris des plus aguerris et des plus fanatiques. C'est une autre forme de dictature.
L'avenir de la Syrie peut-elle passer par le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad?
Pas nécessairement mais le problème est que 80% de ses opposants sont des fondamentalistes. Nous réclamons un régime démocratique, pluraliste et non-confessionnel, gardien de la liberté religieuse des nombreuses dénominations de Syrie. Si les djihadistes et les autres groupes étaient prêts à garantir que nos fidèles ne soient pas égorgés, exécutés ou obligés de renier leur foi pour trouver un emploi ou un logement, nous ne verrions pas d'inconvénient à ce qu'ils exercent le pouvoir. Mais ce n'est pas le cas. Nous ne voyons donc pour le moment pas d'alternative au régime de Bachar el-Assad.
Vous ne voyez vraiment personne à même de le remplacer, alors qu'il a tellement de sang sur les mains?
Vous savez, c'est un homme cultivé et ouvert. Il a d'ailleurs épousé une femme née et éduquée au Royaume-Uni. Cela montre une sympathie pour l'éducation à la démocratie et aux valeurs qu'elle a reçues. Ce n'est pas vraiment le profil d'un fanatique. Bachar el-Assad n'est pas aussi mauvais que vous le dites en Occident, où la vision de la situation est contaminée par l'argent versé par certains pays. Ils ont intérêt à affaiblir la Syrie mais, contre toute attente, elle résiste encore. Bachar el-Assad a-t-il plus de sang sur les mains que les autres? Franchement, je n'en sais rien. Au début du conflit, il a plutôt fait preuve de retenue. Ce n'est pas le pire président de la région et il est encore aimé en Syrie. Il ne demanderait sans doute pas mieux que de sortir de ce guêpier. Une fois la guerre terminée, je ne serais pas surpris qu'il ne se représente pas à de nouvelles élections. De toute façon, le camp loyaliste devra forcément être inclu dans le futur règlement de paix.
Rangez-vous tous les chrétiens dans le camp du président?
Non. Ils ne sont pas nécessairement tous loyalistes, mais ils trouvent que jusqu'à présent ils n'ont pas été maltraités par ce régime. Nous voulons surtout la fin de la guerre et son cortège d'atrocités et la réconciliation et la concorde entre tous les Syriens.
Source : Le Temps
28 janvier 2016
L’archevêque d’Alep en Syrie : l’incitation à l’immigration est “une déportation”
Publié le dans International
La 7ème Nuit des Témoins se tiendra ce vendredi soir à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Milices armées, Bachar Al-Assad, immigration : Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque d'Alep en Syrie, racontera la situation dans son pays. Il était notre Grand Témoin.
Alep, Mgr Jean-Clément Jeanbart la connaît bien. Et pour cause : il y a vu le jour en 1943 au sein d'une famille grecque-catholique melktite de douze enfants. ordonnée prêtre en 1968n cela fait maintenant plus de 20 ans qu'il est archevêque d'Alep. Une ville de Syrie qui, il y a deux ans encore, était inaccessible. « C'était très difficile de se déplacer et de maintenir des liens avec l'extérieur », raconte-t-il, « désormais, nous pouvons maintenant sortir, il y a une route latérale qui nous permet d'aller jusqu'au Liban pour prendre l'avion, les lignes téléphoniques fonctionnent de nouveau, l'internet reprend ». La vie quotidienne n'est pas pour autant meilleure : pas d'électricité, pas d'eau. « Notre eau vient de l'Euphrate, les canalisations ont été coupées par les rebelles », explique Mgr Jeanbart, « Alep est une ville de trois millions d'habitants, imaginez ce que c'est sans eau ! ». Autrefois, plus d'un million d'ouvriers travaillaient dans les usines, Alep étant la ville la plus industrialisée d'Orient. « Ces usines ont été rasées par les rebelles ».
« De très bonnes relations avec les musulmans »
Pour autant, la moitié des chrétiens sont restés sur place. Du coup, explique l'archevêque d'Alep, « l'affluence est plus importante aux célébrations religieuses, les gens viennent plus qu'avant. Nous n'avons aucun problème à vivre notre vie religieuse là où il y a le gouvernement. Nous avons de très bonnes relations avec les musulmans. Ils représentent 80 % des habitants ». Mgr Jeanbart souligne également que les écoles sont toujours debout, accueillant à la fois des élèves chrétiens et des élèves musulmans.
L'immigration : une Syrie vidée de ses « forces vives »
Quelques chiffres qui en disent long : avant le début de la guerre, la Syrie comptait 22 millions d'habitants. Aujourd'hui, 12 millions de personnes ont perdu leur logement. 8 millions ont été déplacées à l'intérieur du pays et 4 millions sont parties à l'étranger. « Devant cette grande catastrophe qu'est l'exode des chrétiens, il ne faut pas baisser les bras, même si on se demande toujours si tout le monde ne va pas partir », lance Mgr Jeanbart qui n'hésite pas à parler de « déportation ». Et l'archevêque d'Alep d'expliquer :« Nous avons vu non seulement des gens partir, mais aussi des pays offrir le transport par avion gratuit, donner des visas à peine demandés… Tout à coup, on les emmène, on prend les quelques forces humaines restantes… C'est comme si c'était une déportation ». Un mot fort, que reprend à son compte le directeur général de l'AED en France, Marc Fromager : « Derrière ce mot, il y a l'action voulue et organisée de prélever de la Syrie les forces vives, on peut parler de rapt« , ajoute-t-il, « La plupart des migrants arrivés cet été en Europe sont des hommes jeunes, qui pourraient reconstruire le Moyen-Orient, notamment la Syrie, lorsque la guerre sera terminée. Si tout le monde est parti, qui va reconstruire ce pays ? Le mot 'déportation' est fort mais correspond à la réalité ».
Un complot occidental ?
Mgr Jeanbart, lui, va plus loin et s'interroge : « C'est la première fois de l'histoire que des centaine de milliers de personnes se déplacent comme ça, sous les yeux de la Turquie qui avait les moyens de les empêcher de passer. Cela justifiait auprès de l'opinion publique un silence et un laissez-faire face à d'éventuelles frappes », souligne l'archevêque d'Alep, « je suis de plus en plus persuadé qu'il y avait un complot pour justifier une intervention militaire musclée en Syrie. Un complot des Etats-Unis, de l'Europe, de l'OTAN. Mais la donne a changé avec l'intervention soudaine russe, ils ont été pris de court ». Mgr Jeanbart le répète, il ne s'agit là pas d'une information mais d'une opinion personnelle. Il rappelle également que le pape François a, dès le début du conflit, été très positif envers la Syrie en demandant qu'il n'y ait pas de frappes. « Il a toujours poussé à une solution politique ». Revenant sur la situation des migrants, il rappelle les deux points de vue. Le point de vue occidental d'abord : « Si des réfugiés arrivent, il faut les accueillir, on ne peut pas les laisser dans leur souffrance et leur désarroi ». Le point de vue syrien, ensuite : « De notre côté, partir fait du tort au pays et aux immigrants eux-mêmes, car ils rêvent d'un monde meilleur. Ce monde meilleur, s'il y a des réformes dans le pays, ils l'auront sur place, peut-être mieux qu'en Europe ».
Pourparlers : « un signe d'espoir et de sérieux dans la recherche d'une solution politique »
Évoquant les discussions politiques : « Je trouve que la solution politique serait que tout le monde mette un peu d'eau dans son vin, on ne peut pas parler de vin avec nos frères musulmans qui ne boivent pas, c'est une expression », explique dans un sourire Mgr Jeanbart, « il faut que l'on trouve un dénominateur commun qui puisse mettre à l'aise tout le monde ». Il explique : « Le gouvernement syrien refuse absolument que le dénominateur commun soit religieux, confessionnel. Il tient à un pays laïc, non dans le sens opposé à l'islam ou au christianisme, mais laissant le domaine religieux dans le privé, séparé de la politique ». L'opposition rebelle n'est évidemment pas d'accord. Pour l'Archevêque, le Président Bachar Al-Assad n'est donc pas le problème. Opinion partagée par Marc Fromager : « C'est aux Syriens de décider », dit-il, « vu la dangerosité de l'Etat Islamique qui commence à se retourner contre ses parrains originaux – locaux comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie ou occidentaux comme les Etats-Unis, la France et l'Allemagne – et avec l'intervention russe qui redistribue les cartes dans la région, on peut espérer qu'un jour tout le monde se mettra d'accord sur la nécessité de réduire sérieusement la capacité de nuisance des l'EI, mais pour le moment nous n'y sommes pas encore… Si l'on voulait vraiment mettre fin à cette guerre, la seule solution est pour le moment le scénario russe, défendre l'Etat syrien, d'attaquer l'ensemble des rebelles, y compris les pseudo-modérés qui n'existent pas« .
Pire sans Bachar Al-Assad ?
Mgr Jeanbart défend, lui aussi, le maintien de la structure politique actuelle : « En maintenant le gouvernement, l'armée, l'Etat, on sauvegarde le pays d'une guerre civile. Si le régime coulait, le Président s'en allait, ce serait une infinité de guerres locales partout. Les gens s'entre-tueraient. Ce serait terrible.Bachar Al-Assad n'est pas seulement une personne, un symbole, il a toute une population derrière lui… Il faut donner la possibilité à la Syrie de continuer à vivre. Si la Syrie n'est plus gouvernable, les pays limitrophes pourront prendre une partie du pays et faire ce qu'ils veulent. Il faut éviter le chaos. Sans ça, vous n'aurez plus de chrétiens, de minorités, il y aura des atrocités ».
Réécouter Le Grand Témoin
Source : Radio Notre Dame
29 janvier 2016
L'archevêque d'Alep appelle les Syriens à ne pas fuir le pays
L’archevêque d’Alep regrette que la Syrie “se vide”, alors que des millions de personnes ont déjà quitté le pays à cause de la guerre.
“Il y aura un avenir s'il y a un peu de paix”. En France pour “la Nuit des témoins” en soutien aux chrétiens d’Orient, Monseigneur Jean-Clément Jeanbart archevêque d'Alep, espère que les négociations de paix qui s'ouvrent à Genève sur la Syrie aboutiront. Depuis cinq ans, au moins quatre millions de personnes ont fuit ce pays, peuplé de plus de 20 millions d’habitants avant la guerre. Une situation que déplore l'homme d'église.
“A cause du terrorisme, il y a eu cette invasion incroyable de réfugiés en Europe, puis dernièrement au Canada qui transporte des centaines, voire des milliers de personnes vers le Canada. Cela nous met dans une situation de peur et de crainte que le pays se vide”, regrette-t-il sur BFMTV.
“Alep en a vu d’autres”
Les habitants d'Alep “sont continuellement harcelés par les bombes”. Mais Jean-Clément Jeanbart croit en la capacité du pays de sortir de la guerre. “C'est un pays très riche. Alep a 8.000 ans d'âge et en a vu d'autres. C'est une ville qui est industrielle, une ville où les gens aiment travailler. Avant la guerre, Alep faisait travailler 1,2 million d’ouvriers dans les usines”, explique-t-il. Il salue le fait que le régime de Bachar al-Assad soit associé aux négociations de paix, “au moins nous pouvons espérer avoir un Etat laïc, un Etat pluraliste, un Etat où l'on peut avoir une citoyenneté égale”, espère-t-il.
Source : BFM
« Alep a 8 000 ans, elle en a vu d'autres », affirme son évêque
30 janvier 2016
Si Bachar Al-Assad quitte le pouvoir, ce sera la guerre civile
« Je suis inquiet parce que je vois nos fidèles partir. Avec l'arrivée de centaines de milliers de réfugiés en Europe, j'ai peur de l'avenir. Je sens comme si une déportation de notre population était organisée, surtout de notre population productive, ceux qui pouvaient reconstruire le pays et l'Église. C'est la classe moyenne, la charnière et la colonne vertébrale de notre société, qui est en train d'être absorbée ».
L'archevêque d'Alep adresse ainsi un message aux chrétiens d'Occident. « Je voudrais que vous vous rappeliez que les premiers chrétiens sont les chrétiens de Syrie. L'Église a commencé chez nous. J'appelle les chrétiens d'Europe et du monde entier à ne pas oublier cette Église et à la préserver », lance-t-il.
Des pourparlers entre l'ONU et les représentants du régime de Damas ont débuté à Genève le vendredi 29 janvier. Y-a-t-il encore des raisons de croire à la paix en Syrie ? « Tout dialogue est positif. Toutes les fois que deux personnes de bonne volonté se rencontrent, elles trouvent toujours des lieux communs même si ça prend un peu de temps ».
Le président iranien Hassan Rohani, en visite à Paris il y a quelques jours, a expliqué qu'en l'état actuel des choses, il n'y a pas d'autres solutions que de maintenir Bachar Al-Assad au pouvoir. « Il a raison. Si, par malheur, le président part, ce sera la guerre civile. Ce sera tout le monde contre tout le monde et on s'entretuera. Maintenant, c'est le gouvernement, l'armée contre l'opposition et les rebelles. Sans le président, ce sera l'armée qui s'entretuera, les gens et les différentes communautés qui s'entretueront ».
9 février 2016
L’archevêque d’Alep estime que “la moitié des chrétiens ont quitté” la ville
L’archevêque d’Alep, Monseigneur Jean-Clément Jeanbart, redoute que les chrétiens d’Orient ne reviennent plus en Syrie. “Ce que nous voulons, c’est que les Syriens vivent de nouveau ensemble “, a-t-il répété, ce mardi sur RMC.
“On n’a pas de statistique, mais certainement que la moitié [des chrétiens] ont quitté Alep”. L’archevêque de la ville syrienne, Monseigneur Jean-Clément Jeanbart, redoute que les chrétiens d’Orient qui ont fui la guerre ne reviennent plus jamais en Syrie. Depuis cinq ans, au moins quatre millions de personnes ont quitté ce pays, peuplé de plus de 20 millions d’habitants avant la guerre.
“Ce que nous voulons, c’est la paix”, répète-t-il, ce mardi sur RMC. “C’est que les Syriens vivent de nouveau ensemble, comme ils ont toujours vécu. Nous avons toujours vécu, chrétiens et musulmans, ensemble. Nous avons toujours vécu, entre différentes communautés, ensemble. En Syrie, il y a plus de 24 confessions”.
“Nous voulons être libres”
Tout en prenant ses distances avec le régime de Bachar al-Assad, Mgr Jeanbart “craint ce qui viendrait remplacer ce régime”.
“Ce que nous voulons, c’est que nous puissions être libres d’être nous-mêmes”, poursuit-il. “Que nous puissions avoir une citoyenneté pleine. Que nous puissions être respectés pour ce que nous sommes, et que nous ayons tous les droits et tous les devoirs”.
Et il le redoute, “s’il y a un écroulement du gouvernement et du régime actuel, ce sera tout le monde contre tout le monde”. “Les gens s’entre-tueraient”, craint-il.
“Nous voulons un régime laïc”
Il le souligne, les chrétiens syriens aspirent à vivre en paix avec les autres communautés.
“Nous voulons un régime laïc”, explique-t-il mais un régime “non anticlérical”, qui adopterait “une laïcité positive, qui laisse la religion d’un côté”. “La cité est habitée par une mosaïque de confessions, une mosaïque d’ethnies. On ne peut pas être monolithe”.
Et d’interpeller directement la communauté sunnite, majoritaire en Syrie: “les sunnites ont tous les droits d’une majorité. Mais il faut qu’ils respectent aussi les minorités. Et c’est cela qui nous fait peur. Nous voulons un système qui puisse garantir à tout le monde, à chaque être humain – pas seulement à chaque communauté – à chaque individu, la liberté, qui est sacrée”.
Source : RMC
28 avril 2016
Le grand entretien. Mgr Jean-Clément Jeanbart : « La France n'aurait jamais dû soutenir la rébellion syrienne »
L’archevêque d’Alep était l’invité jeudi 21 avril de l’association SOS chrétiens d’Orient qui lui a remis un chèque de 150 000 euros destiné à la reconstruction de sa ville martyre.
Aleteia : Quelle est la situation à Alep ?
Mgr Jean-Clément Jeanbart : La trêve a été interrompue. De violents combats ont eu lieu autour de la ville qui vont causer de nouvelles violences et un nombre croissant de victimes. Certains États ne veulent pas la paix dans les circonstances actuelles et espèrent au contraire que la situation se renverse. Je pense à la Turquie en particulier mais aussi Israël et l'Arabie saoudite. Une solution diplomatique compromettrait leur objectif de voir la Syrie se désintégrer. Les djihadistes sont pris en étau tandis que l'armée est sur le point de les encercler. Les Alepins sentent qu'une grande offensive approche et sont profondément préoccupés. Approximativement un million de personnes sont encore dans la ville. Pour vous donner une idée, avant la guerre plus de trois millions d'habitants vivaient à Alep. Il est donc terrible de voir cette ville en pleine expansion ainsi démolie…
Malgré tout, peut-on croire en une issue prochaine du conflit ?
Je pense que oui dans le mesure où de nombreuses personnes de l'opposition ont réalisé qu'il était absurde de continuer de s'entretuer. D'un autre côté, l'opposition basée à Ryad (Arabie saoudite, ndlr), la plus réticente aux négociations, a finalement rejoint la table des négociations à Genève. Troisièmement, la conjoncture internationale a considérablement changé, autant pour l'Europe qui subit la menace du terrorisme que pour les États-Unis et la Russie qui s'accordent. On est arrivé à un point où exclure la Russie n'est plus possible, contrairement à ce qu'espérait au départ l'OTAN. Après son intervention et son succès.
Vladimir Poutine se place désormais en grand défenseur des chrétiens d'Orient, ressentez-vous les choses de la même manière ?
Il peut bien se présenter comme il veut ! Mais il faut reconnaître que nous avons été soulagés par l'intervention russe parce qu'elle a éloigné les terroristes les plus fondamentalistes, Daesh et al-Nosra qui sont ceux qui inquiètent le plus les chrétiens. Même les musulmans syriens ne sont pas épargnés par ces islamistes : la majorité des musulmans de Syrie sont modérés, considèrent que la religion est importante au même titre que leur citoyenneté. Dans ce pays, demander à quelqu'un sa religion est presque impoli. Ce qui compte c'est que l'on vive ensemble et que l'on partage une nationalité. Cela ne veut pas dire que la société était parfaite, il y avait beaucoup de réformes importantes, mais sur le plan de la laïcité du moins la situation convenait à tous.
Quelle est votre position vis-à-vis de Bachar el-Assad ?
Notre position est la suivante, vis-à-vis de qui que ce soit : notre avis sera positif dès l'instant où cette personne nous donnera le droit de vivre décemment dans notre pays. Celui qui vient et qui nous garantit ce droit et la liberté d'être nous-mêmes, d'avoir notre religion tout en étant un citoyen avec tous les droits et devoirs que cela comporte, celui-là est le bienvenu. Nous craignons que l'opposition ne soit pas capable de nous donner cet élément indispensable à notre vie dans ce pays qui est le nôtre finalement. Par la force des choses, nous refusons donc la rébellion telle qu'elle se présente. Nous ne refusons pas une opposition modérée, capable de vivre en harmonie avec toutes les différentes populations.
Vous refusez de personnaliser le conflit en quelque sorte ?
Oui car c'est en réalité un conflit entre différentes façons de concevoir la citoyenneté : une identité monolithique et confessionnaliste face à une identité laïque où le citoyen se sent fils de ce pays parce qu'il y est né, qu'il remplit son devoir pour celui-ci, qu'il le sert et veut le bâtir. En parallèle, qu'il soit musulman ou chrétien, l'important est qu'il soit libre. Nous sommes favorables à cette dernière conception des choses et soutiendrons la personne – ou le groupe ou gouvernement – qui nous donnera cela. […]
La politique de la France envers la Syrie vous a-t-elle déçu ces dernières années ?
Oui parce que nous aimons la France et que c'est un pays que nous considérions comme ami. Nous avons passé beaucoup d'années à étudier la langue, la culture, la littérature et l'Histoire de votre pays. Nous sommes d'une certaine manière des enfants de France. Vous comprenez alors que cela nous déconcerte de la voir nous délaisser comme cela parce que nous ne sommes pas assez riches à ses yeux, elle à qui nous avons donné notre cœur et pour laquelle nous avons tout tenté pour la faire aimer de nos concitoyens.
Qu'aurait dû faire le gouvernement français selon vous ?
Ne pas soutenir la rébellion armée. S'il n'y avait pas eu d'opposition armée, nous aurions fait partie de l'opposition ! Il fallait faire un effort pour améliorer ce qui existait et non pas soutenir ceux qui détruisent tout.
Les relations tendent à s'améliorer ?
Oui sans aucun doute, beaucoup de sénateurs, de députés ont visité dernièrement la Syrie et commencent maintenant à revenir sur leur position initiale. On sent qu'il y a davantage de discrétion dans les déclarations et moins d'agressivité.
Comment percevez-vous l'initiative du pape François de ramener des musulmans avec lui jusqu'au Vatican ?
C'est une très bonne chose ! C'est un signe envoyé aux musulmans que les chrétiens les aiment et c'est un fait, nous les aimons et ne leur voulons que du bien. Mais il faut qu'ils nous aiment aussi et qu'ils n'aient pas peur de nous. Il ne faut pas interpréter d'une mauvaise façon le geste du Pape et croire qu'il encourage les Syriens à quitter leur pays, je suis sûr que ce n'est pas ce qu'il souhaite. Cela me plaît que François sème un peu de doute sur son action, qu'il veuille n'être que Miséricorde et non pas un instrument politique. Tout comme lorsque le Saint-Père invite chaque paroisse à accueillir une famille. Il n'a pas dit que tous les Syriens devaient aller vivre en France mais seulement que ceux qui étaient déjà sur place, désemparés, puissent être accueillis. Il y a une grande différence entre « Accueillez-les tous » et « Soutenez une famille dans la détresse ». […]
Propos recueillis par Arthur Herlin
26 juillet 2016
Msg Jeanbart : « La Paix reviendra par la force des choses… »
Msg Jeanbart, archevêque d'Alep en Syrie, préside le Grand pardon. Dans un contexte international tendu, il vient en messager. Combatif défenseur de la Paix, il porte l'espoir des Chrétiens d'Orient persécutés.
Msg Jean-Clément Jeanbart, archevêque d'Alep en Syrie est l’invité du Grand pardon qu’il préside ce mardi aux côté de Msg Centène, évêque de Vannes. ” Sainte-Anne et moi, c'est une longue histoire, explique l’archevêque. Je prie Sainte-Anne depuis l'âge de 11 ans et je suis entré au grand séminaire de Sainte-Anne de Jérusalem avant d'être ordonné prêtre en 1968″.
Msg Jeanbart évoquera sans doute en jour de pardon, la situation des Chrétiens d’Orient. “Chaque jour, la ville compte de nouvelles victimes, c'est là le malheur. La partie administrative d'Alep est protégée des incursions jihadistes. Mais notre archevêché, situé entre la vieille ville, investie par les rebelles et la nouvelle ville, a déjà été visé six fois. Il règne une grande confusion dans l'opposition au régime de Bachar El Hassad”.
Source : Ouest France
4 août 2016
« Si vous nous voulez du bien, aidez-nous à rester chez nous »
Source : La Presse.ca
1er septembre 2016
Le credo anti-islamiste de l'archevêque d'Alep
Pour Jean-Clément Jeanbart, la descente aux enfers de la Syrie correspond aux objectifs de l'Arabie saoudite et de la CIA américaine. Le meilleur allié des chrétiens? La Russie
Jean-Clément Jeanbart, l'archevêque d'Alep, a des raisons de s'alarmer. A Genève, où il est passé cette semaine après avoir été reçu au Vatican par le pape François, il a eu l'occasion de décrire une nouvelle fois la tragique situation que vivent aujourd'hui les chrétiens de Syrie. Mais le prélat apportait aussi une bonne nouvelle: ses mises en garde, qu'il répète inlassablement depuis le début de la guerre en Syrie, ont fait leur effet. «Notre vision des faits progresse. Les gens comprennent mieux ce qui est réellement en train de se passer», souligne-t-il.
Cette vision «chrétienne» du conflit, au demeurant, n'est pas très éloignée de celle que professent à satiété, par exemple, les médias de propagande russes lorsqu'ils évoquent la situation en Syrie.
OB : ce qui est drôle là-dedans, c’est à quel point pour un “journaliste” le fait que, sur ce point, l’hypothèse que le gouvernement russe puisse avoir bien plus raison que le gouvernement français est une abomination, un délire absolu… Puisque sur 100 % de sujets, la Russie a donc tort.
La guerre actuelle? Elle oppose désormais, grosso modo, les djihadistes à un pouvoir syrien qui, certes, a ses défauts mais qui reste le rempart essentiel face aux islamistes fanatiques. L'opposition modérée? «Elle avait du bon à l'origine, mais elle est sortie du jeu de la guerre. Aujourd'hui, elle n'existe pratiquement plus.»
Cette radicalisation de la guerre a un coupable principal, aux yeux du prélat : c'est l'Arabie saoudite, qui alimente désormais tous les opposants, regroupés dans la bouche de l'archevêque sous la même appellation de Daech (l'acronyme en arabe de l'organisation de l'État islamique). Mais cette descente aux enfers a aussi ses complices. Le sauve-qui-peut de millions de réfugiés syriens, par exemple, qui risquent leur vie pour fuir les combats et les barils d'explosifs largués par les hélicoptères du régime? «C'est un scénario monté par la CIA américaine afin de terroriser l'opinion publique internationale et de préparer une intervention contre Bachar el-Assad», assure Mgr Jeanbart.
De fait, une mise en scène similaire avait déjà été utilisée à l'heure de faire croire à l'utilisation d'armes chimiques à la Ghouta, près de Damas, qui a fait des centaines de morts en 2013 selon des enquêtes indépendantes. «C'était, là aussi, un prétexte des Américains pour bombarder Damas. Seule l'intervention du pape François a permis d'éviter ce qui se préparait», croit savoir l'archevêque.
Jean-Clément Jeanbart en convient: c'est désormais sur la Russie – quelles que soient ses raisons politiques inavouées – que reposent les espoirs des chrétiens d'Orient. Moscou a «bousculé» le projet fou qui consistait à tenter de «désintégrer la Syrie». […]
Mais l'archevêque le reconnaît également: il prêche surtout pour ses fidèles, dont il a à coeur de garantir la survie. Ainsi, pas un mot pour évoquer les quelque 200 000 personnes assiégées dans les quartiers de l'Est d'Alep qui subissent quotidiennement les bombardements des armées russe et syrienne et qui sont menacés de famine. C'est une zone contrôlée par «Daech». Et les chrétiens, là-bas, «se comptent sur les doigts d'une main».
27 septembre 2016
L’archevêque d’Alep : “Si crimes de guerre il y a, ils sont perpétrés des deux côtés”
Mgr Jean-Clément Jeanbart, joint par téléphone dans la partie de la ville syrienne aux mains du régime de Bachar el-Assad, confie sa colère et son désarroi.
Le Point.fr : Comment vivez-vous actuellement à Alep ?
Jean-Clément Jeanbart : Nous arrivons à nous ravitailler, grâce aux organisations humanitaires, par exemple l’Unicef. Mais nous n’avons pas d’électricité, l’eau est souvent coupée, le travail devient impossible. Il n’y a plus d’emplois. Nous sommes terrorisés par ce qui se passe. La situation n’a jamais été aussi préoccupante. Ce que nous espérions avec la dernière trêve malheureusement n’a pas eu lieu. Qu’allons-nous devenir ? Depuis cinq ans nous vivons sous les bombes. Notre ville, naguère, était prospère, hyperactive, cosmopolite ; tout le monde pouvait y vivre ensemble, main dans la main. Et maintenant ? Tout cela est réduit à néant. On dirait qu’Alep subit le même sort qu’Hiroshima ou Nagasaki. Allons-nous pouvoir un jour reconstruire tout cela ? Nous sommes terrassés, mais nous gardons espoir.
OHHHH le méchant provocateur, parler d’Hiroshima – dont les responsables n’ont jamais été poursuivis…
Partagez-vous les condamnations devant l’ONU des représentants français, américains et anglais dénonçant les bombardements russes et syriens comme « crimes de guerre » ?
Avant d’incriminer, il faut vérifier. Beaucoup d’informations arrivent de façon faussée. Je vois toutes ces violences, toutes ces batailles, mais je ne sais pas quelle conclusion en tirer… Si crimes de guerre il y a, ils sont perpétrés des deux côtés. Toute guerre est un crime. Je condamne la guerre d’où qu’elle vienne. Je vous dis cela en toute bonne foi. Je ne me couvre pas les yeux, je n’ai pas peur que l’on m’arrête. Je demande qu’une seule chose : que toutes les parties s’assoient autour d’une table, et on trouvera une solution. Mais si certains refusent le dialogue, qu’ils sortent ! Pour vivre ensemble, il faut d’abord respecter l’autre. Ce pays appartient à tous les Syriens. Personne ne peut prétendre à un droit exclusif sur cette terre. Arrêtons cette folie ! Que cherchez-vous ? Vous voulez détruire ce pays et vous le partager comme des loups ? C’est une guerre pleine de sang, d’argent, de corruption, de mensonges. Arrêtez de jouer en dessous de la table ! Laissez-nous tranquilles ! Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Je parle en homme d’Église, avec sa conscience et son cœur. Chaque jour qui passe, je souffre comme si je perdais un frère ou une sœur.
Quand nous nous étions vus à Paris il y a quelques mois vous imploriez les chrétiens de ne pas fuir Alep. Est-ce toujours votre état d’esprit ?
Oui, et plus que jamais, car, sans prétention, je pense que notre société a besoin des chrétiens parce qu’ils œuvrent pour la convivialité, l’acceptation de l’autre, la gratuité. Ici, les chrétiens ont souvent été à l’avant-garde, en médecine, en sciences et en urbanisme, notamment. La Syrie, qui a vu naître le christianisme et des centaines de millions de chrétiens qui ont contribué à son édification, est ma terre autant que celle des autres. Nous devons rester ici parce que nous y sommes enracinés, autant religieusement que socialement. En moins de deux ans, nous avons restauré 250 maisons pour que leurs habitants restent, nous avons fourni des prêts gratuits à 70 jeunes, nous avons proposé des bourses d’études pour 1 200 élèves, nous avons créé un centre de formation aux métiers du bâtiment, un centre de promotion pour les femmes, une coopérative alimentaire… Nous avons lancé un mouvement qui s’appelle Bâtir pour rester. Nous attendons avec impatience la paix, qui sera le salut de tout le monde. Le 6 octobre, nous rassemblerons plus de mille enfants chrétiens et musulmans de sept à douze ans pour prier ensemble pour la réconciliation et la paix.
Source : Le Point
28 septembre 2016
Voici une lettre de Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque melkite d'Alep, datée du 28 septembre dernier :
Le monde entier est terrorisé à la vue de l'image d'Alep que lui ont servi les médias de masse ces derniers jours. Un grand nombre de nos amis de l'étranger se préoccupent pour nous et veulent avoir de nos nouvelles. Il est évident que nous vivons des moments tragiques de notre Histoire et ce qui arrive continue à faire souffrir Alep et les Alépins qui depuis cinq ans n'ont pu avoir aucun répit, tellement ils ont été harcelés et malmenés par les groupes armés venus, de toute part dans le monde, pour mener une soi-disant guerre sainte, dans un pays gouverné par des impies et des infidèles ! Depuis cinq ans maintenant ces terroristes font la loi, là où les autorités civiles du pays n'arrivent pas à être présentes. Ils ont semé la terreur partout, tué des dizaines de milliers d'innocents, détruits par milliers les usines, les commerces et les institutions de services publiques, saccagé les habitations et volé sans souci aucun, les biens du pays et des citoyens. Ils ont fait beaucoup de victimes innocentes, enlevé et sauvagement assassiné d'innombrables personnes pacifiques, y compris des religieuses, des prêtres et même des évêques.
Cela continue aujourd'hui, ce matin une dizaine d'obus sont tombés sur deux de nos quartiers résidentiels provoquant de nouvelles destructions et faisant, encore une fois, de nombreuses victimes entre morts et blessés. Des batailles font rage dans les banlieues de la ville, les rebelles du Front Al-Nosra essaient de reprendre position dans des zones considérées comme stratégiques, quasi totalement dépeuplées et presque entièrement détruites, qu'ils occupaient jusqu'en juin dernier dans la périphérie de la ville. Des vues de ces lieux de désolation totale sont largement diffusées par les chaînes de télévision : c'est là que les grandes batailles en cours ont lieu actuellement.
Nous avons mis de grands espoirs sur le cessez-le-feu décidé il y a trois semaines, nous souhaitons qu'il puisse permettre une pacification, suivie d'une réconciliation nationale et d'une reprise de la vie normale dans le pays ! Malheureusement cette trêve, fragilisée par les infractions continuelles des opposants radicaux, a été officiellement rompue il y a quelques jours, suite aux frappes inattendues de la Coalition, alliée des rebelles, sur Deir-El-Zor. Ces frappes ont atteint une base militaire de l'Armée syrienne et causé la mort de plus de 90 soldats présents dans leurs casernes, sans compter le nombre non déclaré de blessés. Est-ce que cette reprise des combats peut s'arrêter ? Nous le souhaitons et comptons pour cela sur la grâce de Dieu, seule capable d'éveiller la conscience des grands décideurs. Le spectacle horrifiant de ce qui se passe a de quoi secouer tout homme qui respecte la sacralité de la vie humaine. Si M. Staffan de Mistura [envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie] réussit à relancer le processus de paix déjà entamé, nous pouvons espérer une éclaircie et peut-être même des résultats concrets de pacification, préalable indispensable aux assises du dialogue tant souhaité.
Le plus dur pour les chrétiens présents actuellement à Alep serait de devoir vivre, matin et soir, dans l'anxiété d'une situation d'insécurité déstabilisante et d'incertitude troublante. Ils ont peur du lendemain, l'avenir de leurs enfants les préoccupe énormément. Imaginer qu'un jour un État d'obédience musulmane fondamentaliste leur serait imposé est pour eux un cauchemar insupportable. C'est la raison pour laquelle nous nous tournons vers nos frères en France et partout en Occident et nous les supplions de nous aider en faisant en sorte que cela n'advienne point. Nous ne leur demandons pas de faire la guerre pour nous, mais tout simplement de mettre un terme aux prétentions injustes de leurs alliés qui veulent nous imposer des lois vétustes, insupportables pour un homme du XXIe siècle qui veut être libre de choisir sa culture, son mode de vie et sa foi.
Nous faisons appel à nos frères en France pour prier pour nous et que toutes les femmes et tous les hommes Français soucieux de la dignité de l'être humain et épris de liberté, viennent à notre secours pour sortir notre pays chéri du gouffre du régime fondamentaliste dans lequel on cherche à nous plonger. De grâce, aidez-nous à continuer à vivre dignement sur cette terre bénie qui nous a vu naître et grandir !
À suivre..
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