Diplomatie française : de l'influence à l'effacement
Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 29-08-2016
« Si vous exercez une influence, feignez au moins de l'ignorer » nous rappelle fort à propos Henry de Montherlant dans ses Carnets. Tel n'est pas le cas de la France (le président de la République, François Hollande et son ex-ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius qui fut souvent étranger aux Affaires) qui proclament urbi et orbi que la diplomatie française est avant tout une diplomatie d'influence. Parfois, cette pétition de principe prend la forme de brochure glacée de 200 pages à prétention pseudo-scientifique qui s'apparente, par certains égards, à une forme de propagande officielle1 comme au bon vieux temps. Les vieux concepts ont la vie dure.
Aujourd'hui, il est vrai que, dans ce monde de l'hyper-communication, le faire-savoir a pris le pas sur le savoir-faire. En effet, et à l'inverse du présent, notre pays, dans le passé, fait le choix de pratiquer une authentique diplomatie d'influence sans éprouver le besoin de le crier sur tous les toits à qui veut l'entendre. L'influence ne se décrète pas artificiellement, elle s'impose naturellement comme nous l'enseigne l'Histoire. Peut-être est-il indispensable de préciser ce qui fonde l'influence pour mieux appréhender les conditions dans lesquelles la France passe lentement mais sûrement d'une influence réelle à une influence factice.
LES DÉTERMINANTS DE L'INFLUENCE : UN COCKTAIL D'OBJECTIF ET DE SUBJECTIF
De tous temps, le phénomène de l'influence d'un État dans les relations internationales combine dimensions objective et subjective.
La dimension objective : une réalité incontestable
Evoquer l'influence que peut avoir un pays dans le monde et sur la scène internationale, c'est avant tout faire appel à un autre concept bien connu des internationalistes, celui de puissance. La puissance peut se définir schématiquement comme la « capacité de faire, de faire faire, de d'empêcher de faire, de refuser de faire »2. Pour ce faire, il faut disposer d'une puissance militaire incontestée (de préférence faire partie des cinq Etats dotés de l'arme nucléaire au sens du TNP et d'intervenir hors de son territoire grâce à une capacité de projection autonome), d'une puissance économique (en termes de produit intérieur brut, de vigueur du commerce extérieur, de compétitivité3, de participation aux clubs des grands comme le G7/G8), d'une puissance diplomatique (en termes de présence permanente au Conseil de sécurité de l'ONU, de densité du réseau diplomatique, consulaire, économique et culturel), d'une puissance intellectuelle (en termes de diffusion de la langue grâce à la Francophonie et des idées grâce à ses intellectuels) et d'une magnificence culturelle (littérature peinture, sculpture, théâtre, cinéma…).
La dimension subjective : une réalité impalpable
Evoquer l'influence que peut avoir un pays dans le monde et sur la scène internationale, c'est aussi faire appel à un autre concept bien connu des psychologues et autres sociologues, celui de volontarisme. Même si ceci relève de la tautologie, être une puissance d'influence suppose de le vouloir. Et pour le vouloir, il faut disposer d'une vision qui combine intelligemment le rétrospectif et le prospectif. Comme le souligne Gabriel Hanotaux à la veille du premier conflit mondial : « la diplomatie française travaille toujours et partout, selon les circonstances, pour le plus grand profit du présent et pour la meilleure préparation de l'avenir ». Ne dit-on pas que le système westphalien, c'est l'application de la raison cartésienne aux relations internationales ! La force de la démarche française repose sur une conception stratégique de long terme fondée une juste appréciation de ses leviers d'influence économique, diplomatique, militaire et culturelle4. En un mot, la recherche permanente d'un équilibre particulièrement instable en raison de la volatilité de la situation internationale entre « hard power » et « soft power ». Une sorte de miracle à la française !
C'est sur socle solide que la France construit au fil des siècles une influence que personne ne lui conteste en dépit des avatars et des ironies de l'Histoire.
UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE
Si, au cours des siècles, la France doit en grande partie son influence incontestable et incontestée au poids de ses idées, elle le doit aussi à son art de l'exécution.
Le poids des idées : « une certaine idée de la France »
En France, et sans remonter à la nuit des temps, tout commence avec les Lumières. Sans faire de mauvais jeu de mots, on peut dire, sans la moindre prétention, qu'elles éclairent le monde, qu'elles guident les peuples dans leur cheminement vers des sociétés plus justes et plus respectueuses de l'homme. Ainsi, se dessine la vocation universelle de notre pays. La France pratique une politique étrangère consistant à exporter son influence politique, économique ou culturelle, afin d'étendre son prestige et le rayonnement de sa présence. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité, une des cinq puissances nucléaires au sens du TNP, fondatrice de l'Union européenne, du G7 devenu G8 (avec la Russie) et du G20, grande contributrice aux opérations de maintien de la paix et capable d'intervenir seule et en premier sur un théâtre d'opération extérieur (en Afrique en particulier), disposant du deuxième réseau diplomatique au monde derrière les États-Unis, utilisant au mieux du levier de la Francophonie5… La valeur de sa tradition intellectuelle renforce son poids intrinsèque dans la pagaille multipolaire.
L'art de l'exécution : une certaine approche de la diplomatie
Comment évolue la diplomatie ? « La diplomatie telle qu'elle se pratiquait au Congrès de Vienne n'avait pas grand-chose à voir avec les usages du XXIe siècle. De nos jours, les diplomates sont en contact immédiat avec leurs capitales, en temps réel, et reçoivent des instructions extrêmement détaillées concernant jusqu'aux textes de leurs présentations… Aussi (A Vienne), les instructions devaient-elle être rédigées en des termes assez vagues pour pouvoir se prêter à d'éventuelles évolutions ; les directives communiquées aux diplomates concernaient essentiellement des idées générales et des intérêts à long terme ; s'agissant de la tactique au jour le jour, les diplomates étaient largement livrés à eux-mêmes »6. L'influence à la française résulte alors de cette division du travail entre un centre (le politique) fixant un cap pérenne au bateau France et une périphérie (le diplomate) opérant au quotidien dans les soutes du navire les adaptations rendues nécessaires, indispensables pour tenir compte des contingences du moment. Cette dichotomie entre politique étrangère et diplomatie a tendance à s'estomper. Force est de constater que l'ambiguïté assumée face à la mondialisation entraîne lentement mais sûrement la France vers l'abime.
La France a-t-elle encore la politique étrangère d'une grande puissance ? A-t-elle encore les moyens de ses ambitions diplomatiques ? Est-elle toujours une puissance d'influence ?
LES MOTEURS DE L'EFFACEMENT ET LE PRIX DE L'IRRÉSOLUTION
Après le temps incontournable du constat d'échec vient celui aussi redoutable de la causalité de l'effacement actuel de la diplomatie française.
Un constat d'échec : au revoir Paris !
Plus on nous assène ce mantra de la diplomatie d'influence que l'on ne cesse de conceptualiser, plus on a des raisons sérieuses d'être dubitatif sur la consistance réelle de ce concept dans la pratique de la diplomatie française. L'aveuglement de nos dirigeants successifs face à l'effacement de notre pays sur la scène internationale est pathétique, désespérant. La voix de la France serait attendue et entendue, nous répète-t-on à longueur de péroraisons qui sonnent creux par leur côté pavlovien. La politique étrangère de la France pensée par des énarques (la plupart d'entre eux n'ont jamais mis les pieds à l'étranger) ferait pâlir d'envie le monde. La diplomatie de la France serait pris comme modèle tant elle est géniale et dans la lignée de Talleyrand. Le reste est à l'avenant ! Les bras vous en tombent (Cf. les bourdes de Jean-Marc Ayrault).
Aucun de ces raisonnements ne résiste à une analyse de bon sens. L'histoire se répète. Pour faire de la politique, il faut rêver, dit-on ! Mais il faut avant tout être réaliste. L'influence ne se décrète pas, elle se construit sur le long terme par un mélange subtil de « hard power » et de « soft power ». Pour ce qui est du premier, les moyens de la Défense sont aux limites de nos capacités, l'inutile opération « Sentinelle » venant désorganiser une structure qui n'en avait pas besoin. Pour ce qui est du second volet, le constat est encore plus accablant. « Paris a perdu son hégémonie. Elle faisait figure, sur le plan intellectuel, d'Athènes moderne. C'est le déclin d'Athènes… et la prise du pouvoir par la nouvelle Rome, les Etats-Unis »7. Le point de passage obligé est désormais Berlin ! C'est une vérité d'évidence que seuls les aveugles, les somnambules – et ils sont légions – ne veulent pas voir.
Une causalité redoutable : la multiplication des erreurs
La France sort de l'Histoire. Sa situation économique n'est guère enviable, son attractivité diminue8. Tous les indicateurs sont au rouge. La commission européenne nous tance régulièrement sur le non-respect des règles et sur notre déficit de réforme. A Bruxelles, 85% des textes produits sont en anglais. Au Saint-Siège, le Français n'est plus la langue de référence. Les rodomontades répétées de Laurent Fabius ainsi que ses coups de menton aussi ridicules que contre-productifs nous ont été fatals. La diplomatie française est hors-jeu sur la Syrie, l'Irak en dépit d'un bombardement mensuel. La France tente des réparations minimales, empilent rustines et rapiéçages dans l'attente d'hypothétiques jours meilleurs. Au cours de la dernière décennie, nous nous sommes projetés comme une « grande nation » que nous n'étions plus. Car une telle vue ne résiste évidemment pas aux faits comme sur la question du climat9.
Il y a ce défaut de vision globale et de long terme d'une diplomatie aux abois qui a conduit aux erreurs grossières sur les crises du Proche et Moyen-Orient (« Initiative pour la paix au Proche-Orient », Paris, 3 juin 2016). Il est trop facile pour les hommes politiques de se défausser de leur responsabilité sur les fonctionnaires. « Nos diplomates ne peuvent faire de miracles lorsqu'ils sont amenés à ne défendre que des dossiers indéfendables, qui les placent systématiquement du mauvais côté de l'Histoire »10. Si la diplomatie doit faire connaître sa mission et son bilan au plus grand nombre, il est regrettable qu'elle cède aux mauvais réflexes d'une communication racoleuse, voire contradictoire11 et au tropisme actuel du mentir vrai ! Conséquence de cette faiblesse coupable, il n'y a que Bernard-Henri Lévy pour se faire l'avocat zélé de François Hollande12.
LA FIN DES ILLUSIONS
« L'homme n'accepte le changement que sous l'emprise de la nécessité » (Jean Monnet). Croit-on encore pouvoir sauver la face en courbant l'échine ; en en appelant à une Europe moribonde en voie de désintégration, en s'alignant sur les positions des États-Unis et de son bras armé l'OTAN ; en ostracisant la Russie et, finalement, en se maintenant dans une obscure clarté avec une diplomatie faite de beaucoup de communication et de peu de réflexion et d'action ? Croit-on encore que c'est en avançant les yeux fermés que nous éviterons le gouffre ? Croit-on que nous influencerons les débats en nous retranchant derrière une hypocrisie qui empêche de dire clairement les choses telles qu'elles sont et non comme nous souhaiterions qu'elles soient ?
L'histoire de la plupart des civilisations retrace l'ascension et la chute d'empires. Face à la volatilité du monde actuel, la France doit impérativement se réinventer pour renaître de ses cendres, tel le Phénix de la mythologie égyptienne. Ceci constitue un impératif absolu pour elle en tant qu'abstraction et pour ses dirigeants en tant que réalité. Refuser d'avancer, c'est se condamner à reculer déclare Emmanuel Macron. Les dirigeants actuels réussiront-ils à prendre de la hauteur et à fixer un cap par rapport à l'urgence des évènements au jour le jour pour surmonter cette situation ? Trouveront-ils la clairvoyance et le courage politique qui leur font tant défaut de nos jours ? « Mieux vaut abandonner la partie que de s'user à la jouer mal » !13
Ce défi, c'est celui de Sisyphe. « La politique est l'art du possible ; la science, l'art du relatif » enseignait Bismarck. Or, comment faire avec des moyens de plus en plus contraints ? « L'histoire finit toujours par punir la frivolité stratégique »14. Le constat est peu flatteur : « Peut-être aussi sommes-nous un peu vexés, nous Français plus que d'autres peuples, que rien ne se passe comme nous l'espérions, heurtés dans notre conviction bien ancrée que c'était à nous qu'il revenait d'organiser le monde sur la base de notre universalisme autodécrété, toujours prêts à sermonner, sanctionner, nous ingérer ou nous projeter sur le monde »15. En dernière analyse, et au rythme où vont les choses, la diplomatie française passe lentement mais sûrement du statut longtemps enviable et envié de diplomatie d'influence à celui qui l'est nettement moins de diplomatie d'effacement.
Guillaume Berlat
29 août 2016
1Michel Foucher (sous la direction de), Atlas français de l'influence au XXIe siècle, Institut français/Le monde comme il va. Robert Laffont, 2013.
2Serge Sur, Relations internationales, Montchrestien, lextenso éditions, 6e édition, 2011, p. 249,
3Cyrille Pluyette, Compétitivité : la France a du chemin à faire, Le Figaro économie, 10 mars 2016, p. 19.
4Anne Gazeau-Secret, Pour un « soft power » à la française : du rayonnement culturel à la diplomatie d'influence, l'ena hors les murs, mars 2010, n° 399, pp. 10-12.
5Vénus Khoury-Ghata/Michel Foucher (avec), Francophonie. Une idée neuve ?, le un, n° 98, 16 mars 2016.
6Henry Kissinger, L'ordre du monde, Fayard, pp. 64-65.
7Pascal Ceaux, Shlomo Sand au chevet des « intellos », L'Express, n° 3375, 9 mars 2016, p. 22.
8Guillaume de Callignon, Attractivité ; la France de plus en plus distanciée en Europe, Les Échos, 24 mai 2016, p. 2.
9Stéphane Foucart, La chimère du 1,5° C, Le Monde, 23 août 2016, p. 24.
10Michel Raimbaud, Le mensonge, la nausée et les sanctions, www.prochetmoyen-orient.ch/humeurs , 7 mars 2016.
11Bastien Bonnefous/Patrick Roger, La leçon de diplomatie de Jean-Marc Ayrault à Manuel Valls, Le Monde, 12 mars 2016, p. 8.
12Bernard-Henri Lévy, The defiant European, Time Magazine, 21 avril 2016.
13Joseph Kessel, En Syrie, Gallimard, 1926, repris dans l'édition Folio, 2014, p. 88.
14Henry Kissinger, L'ordre du monde, précité, p. 81.
15Hubert Védrine, Le monde au défi, Fayard, 2016, p. 28.
Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 29-08-2016
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