C'est désormais clair : Hillary Clinton est la candidate de la guerre, par Daniel Lazare
Source : Le Grand Soir, Daniel Lazare, 11/10/2016
L'élite politico-médiatique des Etats-Unis n'autorise que la version propagandiste du conflit syrien – chose que Hillary Clinton a totalement assumé dans ses commentaires belligérants lors du deuxième débat présidentiel,
Au cas où il y aurait eu encore quelques doutes, Hillary Clinton les a balayés lors de son deuxième débat avec Donald Trump. Un vote pour elle est un vote non seulement pour la guerre, mais la guerre au nom d'Al-Qaeda.
Ceci apparaît clairement dans sa réponse à la question péniblement orientée de la journaliste Martha Raddatz, de ABC, au sujet du conflit syrien. Raddatz s'est longuement étendue sur les centaines de morts provoqués par les jumeaux maléfiques, Bachar al-Assad et Poutine, réussissant même à mentionner au passage l'Holocauste, pour faire bonne mesure. Clinton s'est engouffrée dans la brèche :
« Eh bien, la situation en Syrie est catastrophique et chaque jour qui passe nous voyons les résultats du régime – de Assad en partenariat avec les Iraniens au sol et les Russes dans les airs – bombardant des lieux, notamment à Alep, où il y a encore des centaines des milliers de personnes, probablement environ 250.000, et où il y a un effort déterminé par la force aérienne russe pour détruire Alep afin d'éliminer les derniers rebelles syriens qui résistent encore au régime d'Assad. »
« La Russie n'a pas prêté attention à Daesh. Ils ne sont intéressés qu'au maintien d'Assad au pouvoir. Donc, moi, quand j'étais secrétaire d'Etat, j'ai préconisé, et je le préconise encore aujourd'hui, une zone d'exclusion aérienne et des zones de sécurité… Mais je tiens à souligner que ce qui est en jeu ici est l'ambition et l'agressivité de la Russie. La Russie a décidé de tout miser sur la Syrie, et ils ont également décidé qui ils veulent voir devenir président des États-Unis, et ce n'est pas moi. Je me suis dressée devant la Russie, devant Poutine et d'autres, et je le ferai encore en tant que Présidente. »
Ce fut une performance étonnante, même pour un débat présidentiel. On a rarement vu autant de mensonges et d'inexactitudes entassés dans une seule déclaration de deux minutes.
Par où commencer ? Commençons par ceci : il n'y a pas 250.000 personnes à Alep, mais environ 1,75 millions, et seulement une petite partie d'entre eux vivent dans une enclave contrôlée par les rebelles dans l'est de la ville. Malgré l'affirmation de Clinton que la Russie tente de « détruire Alep, » la majorité de la ville parvient à survivre plutôt paisiblement malgré les « canons de l'enfer » des rebelles qui lancent à intervalles régulières des bombes à gaz explosifs dans des zones contrôlées par le gouvernement.
« Une des choses les plus frappantes à Alep, » a écrit Declan Walsh, journaliste du New York Times, en mai dernier, « est de voir combien la ville semble fonctionner relativement normalement. Une grande partie de la périphérie a été réduite à des décombres. Mais dans le centre-ville, je voyais des gens dans la rue, un trafic fluide, des hôtels et des cafés remplis de clients, et les universités et les écoles ouverts pour les étudiants. »
Ce qui n'est pas le cas dans l'autre partie de la ville, tenue par les rebelles. Juan Cole décrit la zone comme « un bidonville bombardé, » une ville fantôme avec une population peut-être aussi faible que « quelques dizaines de milliers. » La vie sous les rebelles est « misérable », poursuit-il. « Certains quartiers sont contrôlés par Al-Qaeda, d'autres par la ligne dure Salafi Jihadi « Hommes libres de Syrie » (Ahrar al-Sham), certains par des milices de, principalement, les Frères musulmans. »
La vérité sur les Rebelles
Bien que Clinton semble considérer de tels éléments comme de vaillants combattants de la liberté, un porte-parole du Département de la Défense des Etats-Unis a confirmé en avril dernier qu'al-Nosra, la filiale d'al-Qaeda qui s'est rebaptisée récemment Jabhat Fateh al-Sham, ou Front de Conquête de la Syrie, contrôlait la zone d'une main ferme. « C'est principalement al-Nosra qui contrôle Alep », a déclaré le colonel Steve Warren lors d'une conférence de presse.
Lorsque le secrétaire d'Etat John Kerry a essayé de persuader les forces rebelles « modérés » de rompre leurs liens avec al-Nosra pendant le bref cessez-le-feu le mois dernier, le Wall Street Journal a rapporté que certaines des plus importantes factions ont répondu par « un retournement d'alliance » et en se rapprochant encore plus d'al-Qaeda. En d'autres termes, Kerry s'est vu répondre par un bras d'honneur.
Les personnes que Clinton soutient sont donc les mêmes forces qui ont fait tomber le World Trade Center il y a 15 ans, tuant près de 3000 personnes et déclenchant une guerre mondiale contre le terrorisme qui a permis à Al-Qaeda de métastaser à travers la moitié du globe, y compris via son groupe affilié, l'Etat Islamique ou Daesh.
L'affirmation selon laquelle « la Russie n'a pas prêté attention à Daesh » fut tout aussi bizarre. Lorsque Daesh a convergé sur Palmyre, dans le centre de la Syrie, en mai 2015, les États-Unis ont retenu leurs bombardiers, alors que les combattants de Daesh auraient fait des cibles parfaites lorsqu'ils ont traversé des kilomètres de désert. Pourquoi les États-Unis n'ont-ils pas attaqué Daesh pour les empêcher de mettre la main sur les antiquités de Palmyre ?
Le New York Times explique : « Les frappes aériennes contre les militants de l'État islamique dans et autour de Palmyra seraient probablement bénéfiques pour les forces du président Bachar al-Assad. Jusqu'à présent, les frappes aériennes menées par les États-Unis en Syrie ont surtout été effectuées sur des zones éloignées des zones contrôlées par le gouvernement, afin d'éviter de donner l'impression d'aider un dirigeant dont l'éviction a été demandée par le président Obama. »
En d'autres termes, les États-Unis ont permis à Daesh de prendre un des sites archéologiques les plus riches du Moyen-Orient, alors même qu'ils auraient pu les arrêter dans leur élan. A comparer avec les frappes aériennes russes – les plus violentes, en fait, depuis l'entrée en guerre de Moscou au mois de septembre 2015 – qui ont permis aux forces syriennes de reprendre la ville au mois de mars suivant.
L'idée que la Russie ne se soucie pas de Daesh constitue un renversement de la réalité. En outre, lorsque les avions américains ont tué le mois dernier au moins 62 soldats du gouvernement à l'extérieur de la ville de Deir Ezzor assiégée par Daesh, Daesh en a profité pour lancer une offensive quelques minutes après la fin du bombardement.
Ainsi, en s'abstenant d'agir à Palmyre mais en se déchaînant à Deir Ezzor, Washington – par inadvertance ou non – permet à Daesh d'avancer, puis s'offusque lorsque quelqu'un proteste. L'ambassadrice des Etats-Unis aux Nations-Unies, Samantha Power, lorsque la Russie a eu le culot de convoquer une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU, a répondu : « Même selon les normes de la Russie, la pirouette de ce soir, un coup rempli de moralisme et de démagogie, est particulièrement cynique et hypocrite. »
Les mots étaient choquantes non seulement parce que des dizaines de personnes étaient mortes, mais aussi parce que Power défendait un raid qui s'était produit sur le territoire syrien en violation flagrante du droit international, alors que le gouvernement souverain de la Syrie avait demandé l'assistance de la Russie, et s'est opposé à la violation de son territoire par les États-Unis et leurs alliés. Cela signifie que la coalition des Etats-Unis n'a pas le droit, en vertu du droit international, d'intervenir en Syrie.
Une Escalade Dangereuse
Quant à la « zone d'exclusion aérienne » que Clinton a invoquée, le général Martin E. Dempsey, président des Chefs d'Etat Major, a mis en garde au début de 2012 que cela signifierait la mobilisation de jusqu'à 70.000 soldats américains pour neutraliser le vaste système anti-aérien syrien – et ça c'était avant que la Russie ne décide de renforcer les défenses de la Syrie en installant des missiles sophistiqués S-300 et S-400. Une « zone d'exclusion aérienne » constituerait également un acte de guerre où les États-Unis pourraient tirer sur les forces syriennes, mais aussi sur les forces russes et iraniennes. Le résultat serait une vaste escalade.
Enfin, le dénigrement systématique de la Russie par Clinton montre à quel point sa vision du monde est devenue belliqueuse. Si Trump fut le premier lors d'un débat présidentiel à menacer son rival de prison, Clinton a été la première à accuser son adversaire d'être un agent d'une puissance étrangère hostile.
Pourtant, les efforts de Clinton pour blâmer la Russie de la débâcle en Syrie n'ont aucun sens. Après tout, la Russie n'est entrée en guerre qu'en septembre 2015, soit plus de quatre ans après que le sang ait commencé à couler. Plutôt que d'ambition et d'agressivité, il est clair que les visées Russes sont beaucoup plus pragmatiques. Le président russe Vladimir Poutine sait trop bien que si Assad tombe, ce sera une répétition de la victoire des talibans en Afghanistan en 1996, mais à une échelle beaucoup plus grande.
Comme Alastair Crooke, un diplomate et vétéran du renseignement militaire britannique, observait à la fin de 2015, Poutine voit la Syrie comme « la véritable ligne de front de la Russie » :
« La Russie rappelle comment, après la guerre en Afghanistan, un islam radical de type wahhabite s'est étendu de l'Afghanistan jusqu'en Asie centrale. La Russie rappelle également comment la CIA et l'Arabie Saoudite ont enflammé et utilisé l'insurrection tchétchène pour affaiblir la Russie. …
« Mais aussi, le président Poutine partage la perception de beaucoup dans la région que l'Amérique et ses alliés ne sont pas sérieux au sujet de vaincre Daesh. En sentant que l'Occident était sur le point d'être convaincu par la Turquie d'établir une zone d'exclusion aérienne – qui aurait fini comme en Libye, dans le chaos – Poutine a joué son joker : il est entré en guerre contre le « terrorisme », bloqué le projet de la Turquie de « re-Ottomaniser » le nord de la Syrie, et défié l'Occident de se joindre à lui dans cette entreprise »
L'idée était de forcer les États-Unis à mener une véritable guerre contre les salafistes violents qui menaçaient la Russie à travers son ventre mou. Si tel est le cas, l'initiative n'a pas produit l'effet escompté car elle n'a réussi qu'à provoquer la colère de l'establishment intransigeant de la politique étrangère à Washington, et qui sera sans doute furieux si les rebelles à l'est d'Alep sont vaincus.
Trump dans le brouillard
Trump, en homme d'affaires stupide qu'il est, semblait perdu dans son propre brouillard. Une ou deux fois, cependant, il semblait avoir une vague idée des enjeux. « Maintenant, elle joue aux durs », a-t-il dit de Clinton :
« Elle joue aux durs contre Poutine et Assad. Elle parle en faveur des rebelles. Elle ne sait même pas qui sont les rebelles. Vous savez, chaque fois que nous soutenus des rebelles, que ce soit en Irak ou ailleurs, nous armons des gens. Et vous savez ce qui se passe ? Ils finissent par être pires que ceux qu'ils renversent. Regardez ce qu'elle a fait en Libye avec Kadhafi. Kadhafi a été éliminé. C'est la pagaille. Et soi-dit en passant, Daesh contrôle une bonne partie de leur pétrole. Je suis sûr que vous en avez entendu parler. Ce fut un désastre. Le fait est que pratiquement tout ce qu'elle a fait a été une erreur et un désastre »
Le commentaire de Trump était correct, plus ou moins. Soit Clinton ne sait pas qui sont les rebelles, soit elle est tellement obnubilée par sa haine pour Poutine et Assad qu'elle s'en fiche.
Trump a eu raison aussi en disant que les rebelles se révèlent être souvent pires que les hommes forts qu'ils renversent. Dans la vraie vie, Mouammar Kadhafi était un guignol grotesque. Mais par rapport à certains coupeurs de têtes salafistes qui ont rempli le vide du pouvoir en Libye, il paraît, rétrospectivement, plus comme un Desmond Tutu.
La même chose peut être dite d'Assad. Il est sans doute plus proche d'un Michael Corleone syrien, mais pour avoir réussi à survivre à cinq années de massacres par les Etats-Unis-Turquie-Arabie-Saoudite – et en comparaison avec les fanatiques barbares d'Al-Qaeda et Daesh – il serait plutôt un Nelson Mandela.
En tout état de cause, Hillary Clinton a clairement annoncé la couleur. Un vote pour elle est un vote pour une guerre considérablement élargie au Moyen-Orient et une confrontation, probablement militaire, ailleurs avec la Russie. Aussi mauvaise que soit la situation en Syrie, dans quelques mois elle pourrait être bien pire. Ne dites pas que vous n'étiez pas prévenus.
Daniel Lazare
Traduction “à choisir, je préfère un raciste à un assassin” par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.
Source : Le Grand Soir, Daniel Lazare, 11/10/2016
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