Tout ce qui ne va pas avec le redressement d'Apple
Cela a été une des informations principales de la semaine dernière : la commission européenne demande à Apple un redressement 13 milliards d'euros d'impôts à l'Irlande. Les passes d'armes entre l'UE et les Etats-Unis peuvent être prises comme une bonne évolution de la construction européenne. Mais en réalité, cette condamnation pose beaucoup plus de problèmes qu'elle n'en résoud.
Légitimation de la désertion fiscale, effacement des Etats
Bien sûr, le Monde s'est empressé de féliciter Jean-Claude Juncker pour le redressement d'Apple. Mieux, les déclarations venues de l'administration étasunienne ou des dirigeants d'Apple contre la commission, qualifiée de « foutaise politique », donne à Bruxelles le beau rôle. Mais d'abord, il est quand même pour le moins ironique de faire de l'ancien dirigeant du Luxembourg, qui a facilité l'organisation du vol massif des 500 millions de citoyens des pays européens, le justicier fiscal du continent. D'ailleurs, la commission ne propose de redresser Apple que du montant jugé insuffisant d'impôts payés à l'Irlande, de 2003 à 2014, environ 2% des profits officiellement réalisés en Irlande, alors que le taux officiel est de 12,5%, du fait d'un accord fiscal passé avec Apple, annulé depuis l'année 2015.
D'abord, il faut remettre le redressement à sa place. Même si la somme est énorme en apparence, ce n'est pas grand chose pour Apple, à peine 20% des profits de la seule année 2015, 6% de son chiffre d'affaires. Ces 5 dernières années, l'entreprise a réalisé environ 260 milliards de profits. Si on suit le raisonnement de la commission, si Apple doit payer 13 milliards de redressement au titre des profits réalisés en Irlande de 2003 à 2014, cela représente un profit de 100 milliards réalisé en Europe sur ces douze années. Pouquoi donc seule l'Irlande, en Europe, pourrait bénéficier de ces profits gargantuesques ? Car c'est cela que ce redressement entérine : cela ne pose pas de problème qu'un Etat vole les ressources fiscales des autres pays. Pas étonnant venant d'un ancien dirigeant Luxembourgeois.
L'autre gigantesque problème que pose ce jugement, c'est l'effacement du rôle des Etats. Il est navrant de voir la commission européenne réclamer à Apple le paiement d'un redressement de 13 milliards à l'Irlande, et cette dernière de faire appel de cette décision. Espérons que les citoyens Irlandais apprécient le cadeau de leur gouvernement à la multinationale au plus de 200 milliards de trésorerie… Dans cette mondialisation sans frontière, la volonté démocratique des Etats semble manquer de poids face aux intérêts de toutes ces multinationales, qui utilisent la complexité d'un droit et d'une fiscalité, trop souvent taillés à leur mesure, pour se soustraire à leurs devoirs collectifs et donner toujours plus à leurs actionnaires. Malheureusement, bien des exemples montre que ce n'est qu'une question de volonté politique.
Bref, le redressement d'Apple n'est pas une bonne nouvelle. D'abord, comme toujours, il est très insuffisant. Ensuite, il est anormal qu'il ne bénéficie qu'à l'Irlande, sur des profits essentiellement réalisés ailleurs, ce dont, malheureusement, aucun de nos politiques ne semble avoir conscience. Enfin, ceci illustre encore l'effacement des Etats, porteurs de l'intérêt général face à des actionnaires sans limites.
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