vendredi 9 septembre 2016

L’horreur au Yémen révèle l’hypocrisie meurtrière des exportateurs d’armes tels que la Grande-Bretagne et les États-Unis, par Amnesty International

L'horreur au Yémen révèle l'hypocrisie meurtrière des exportateurs d'armes tels que la Grande-Bretagne et les États-Unis, par Amnesty International

Source : Amnesty International, 26-08-2016

Rasha Mohamed, chercheuse sur le Yémen à Amnesty International, et Rasha Abdul Rahim, chargée de campagne sur le Contrôle des armes à Amnesty International 

La frappe aérienne qui a touché l’hôpital rural d’Abs, dans le gouvernorat d’Hajja, au Yémen, le 15 août, est la quatrième attaque contre un hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) en 10 mois. Cela n’a en rien atténué le choc.

Ayman Issa Bakri, chauffeur d’ambulance de 16 ans, compte parmi les 10 victimes. Il y travaillait depuis que MSF a commencé à financer l’hôpital à l’été 2015.  Son corps a été retrouvé près du site de l’impact ; il portait encore dans les bras la patiente qu’il transférait de l’ambulance jusqu’aux urgences.

Peu après, MSF a annoncé qu’elle mettait un terme à ses opérations au Yémen. Il est difficile d’imaginer le désespoir des Yéménites apprenant que le seul hôpital à des kilomètres à la ronde est rayé de la carte.

Sur le site de l’hôpital en ruines, Amnesty International a identifié des fragments de bombes qui semble-t-il ont été fabriquées aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Cela coïncide avec ce que nous savons des importantes exportations d’armes qu’effectuent ces deux pays vers l’Arabie saoudite et d’autres membres de sa coalition militaire.

Parallèlement, des délégués du Royaume-Uni et des États-Unis s’apprêtaient à participer à la deuxième Conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (TCA), qui s’achève à Genève le 26 août. Le TCA définit des interdictions portant sur les transferts d’armes lorsque l’on sait qu’elles seront utilisées pour commettre des crimes de guerre – dans le cadre d’attaques directes ou menées sans discrimination contre des civils notamment. Le Royaume-Uni ayant ratifié le Traité, il est tenu d’en respecter les dispositions. En tant que signataires, les États-Unis ne doivent prendre aucune mesure susceptible de saper l’objet et le but du Traité.

Les enfants ne peuvent se sentir en sécurité nulle part. Ils comptent pour le tiers des 3 799 civils tués au Yémen depuis le lancement de la campagne de la coalition en mars 2015.
Rasha Mohamed et Rasha Abdul Rahim

Étant donné les nombreuses informations pointant du doigt l’utilisation par la coalition que dirige l’Arabie saoudite de certaines armes pour commettre des attaques aveugles et directes contre des hôpitaux et des cibles civiles, ils ne devraient autoriser aucun transfert d’armes susceptibles d’être utilisées par la coalition au Yémen. C’est précisément pourquoi nous avons demandé à plusieurs reprises un embargo total sur les transferts d’armes susceptibles d’être utilisées par l’une des parties au conflit au Yémen.

Dans une déclaration à la Conférence le 23 août, la délégation britannique a exhorté les États parties à « remédier aux pratiques qui ne vont pas dans le sens de l’idéal du Traité » et à se montrer prêts à accepter les critiques quant à leur conduite. Cet appel est d’une hypocrisie consternante : il intervient après trois semaines d’horreurs vécues par les civils yéménites, une nouvelle fois victimes d’attaques menées sans discrimination par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui regorge d’armes fabriquées au Royaume-Uni – munitions et avions militaires notamment.

En effet, depuis l’effondrement des pourparlers au Koweït le 6 août, les frappes aériennes contre le groupe armé des Houthis ont repris, et les civils en paient le prix fort. Deux jours seulement avant l’attaque contre l’hôpital d’Abs, 10 enfants auraient été tués et 28 blessés dans le bombardement de leur école à Saada. Les enfants ne peuvent se sentir en sécurité nulle part. Ils comptent pour le tiers des 3 799 civils tués au Yémen depuis le lancement de la campagne de la coalition en mars 2015.

Amnesty International a recueilli de nombreuses informations sur les livraisons d’armes qu’effectuent certains États parties au TCA à destination de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, armes du même type que celles utilisées pour les attaques contre des civils et des infrastructures civiles au Yémen. Ces États risquent de se rendre complices de ces attaques illégales.

Par ailleurs, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite utilise des bombes à sous-munitions, prohibées par un traité international que le Royaume-Uni a signé. Lors de notre dernière mission au Yémen, nous avons découvert des fragments de bombes à sous-munitions fabriquées au Royaume-Uni et aux États-Unis, éparpillés autour de maisons et qui pendaient des arbres, ainsi que des preuves de leur impact : des enfants à qui il manque des doigts, des parents qui ont perdu leurs enfants.

À Genève cette semaine, la Coalition pour le contrôle des armes et Pax ont rappelé aux délégués la souffrance humanitaire endurée par les civils au Yémen. Le silence des États-Unis et du Royaume-Uni à cette rencontre fut assourdissant. Quant à la France, elle ne s’est pas donné la peine d’y assister. Avec le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne, la France compte parmi les cinq principaux fournisseurs d’armes de l’Arabie saoudite – d’après son propre rapport annuel, elle a autorisé l’exportation de près de 16 milliards d’euros d’armements à ce pays en 2015.

Le refus des principaux fournisseurs d’armes de l’Arabie saoudite d’ouvrir un débat public sur ce qui se passe au Yémen est honteux. Ils opposent systématiquement des démentis catégoriques, des platitudes fumeuses ou un silence absolu aux informations crédibles selon lesquelles la coalition dirigée par l’Arabie saoudite utilise ces armes pour commettre de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Les photos de munitions du type vendues par le Royaume-Uni à l’Arabie saoudite à proximité de bambins en sang et de maisons réduites en poussière ne sont pas jugées dignes d'inciter le Royaume-Uni à se fendre d’une brève déclaration publique.

Le silence sur les victimes civiles au Yémen compromet l’un des outils majeurs de la communauté internationale pour protéger les civils pris au piège des conflits.
Rasha Mohamed et Rasha Abdul Rahim

Les États parties au TCA, dont le Royaume-Uni, encouragent d’autres États à se joindre au Traité. Cependant, s’ils ne sont pas prêts à examiner leur conduite ni à sanctionner les violations, ils saperont l’esprit fondateur du Traité, qui se résumera bientôt à un simple exercice de relations publiques.

Il faut mettre en œuvre la tolérance zéro pour les États qui bafouent les obligations découlant du Traité. Amnesty International demande qu’un critère essentiel s’applique aux exportateurs d’armes : ils ne doivent pas autoriser les transferts d’armes tant que les États importateurs n’ont pas fourni de garanties juridiquement contraignantes assurant que les utilisateurs finaux de ces armes respecteront les droits humains et l’état de droit. À titre d’exemple, le Royaume-Uni ne pourrait pas actuellement autoriser un transfert d’armes vers l’Arabie saoudite sans avoir reçu la garantie juridiquement contraignante que ces armes ne seraient pas utilisées au Yémen.

Le silence sur les victimes civiles au Yémen compromet l’un des outils majeurs de la communauté internationale pour protéger les civils pris au piège des conflits. Un ambassadeur de haut niveau a déclaré à Amnesty International lors de la Conférence que, le TCA n’ayant que deux ans, nous devons « faire preuve de patience » et lui donner du temps. Cependant, des États comme le Royaume-Uni, la France ou les États-Unis ont les ressources nécessaires pour contrôler leurs exportations d’armes et garantir qu’elles n’alimentent pas des atrocités – ils peuvent et doivent montrer l’exemple.

En attendant que les États parties au TCA se montrent à la hauteur de leurs obligations, les Yéménites dans les lits d’hôpitaux peuvent prier pour n'être pas la cible de la prochaine série de frappes aériennes.

Cet article a été initialement publié dans l’International Business Times. 

Source : Amnesty International, 26-08-2016

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