mercredi 21 septembre 2016

Les néoconservateurs trouvent de nouvelles excuses pour bombarder la Syrie, par Paul R. Pillar

Les néoconservateurs trouvent de nouvelles excuses pour bombarder la Syrie, par Paul R. Pillar

Source : Consortium News, le 08/08/2016

Le 8 août 2016

Les néoconservateurs influents de Washington continuent à inventer de nouvelles excuses pour accroître l’intervention militaire des États-Unis en Syrie, y compris pour bombarder les forces gouvernementales syriennes et affronter la Russie, écrit l’ancien analyste de la CIA Paul R. Pillar.

Par Paul R. Pillar

La nature complexe et multidimensionnelle de la guerre civile syrienne entrave la clarté du débat aux États-Unis sur la politique envers la Syrie. L’implication dans le conflit de multiples protagonistes, tous objets d’anathèmes de la part des débatteurs américains, mais s’opposant les uns aux autres en Syrie, reste un élément de complication fondamentale trop souvent ignoré.

Les questions fondamentales sur ce que sont les intérêts américains en Syrie sont trop souvent abordées superficiellement. Un exemple récent nous est donné par un article de Dennis Ross et Andrew Tabler, du Washington Institute for Near East Policy, plaidant en faveur d’une campagne de bombardements contre le régime d’Assad et exprimant son opposition à toute forme de coopération avec la Russie dans les frappes contre les groupes extrémistes, tels que le front al-Nosra affilié à al-Qaïda.

Le Secrétaire d'État américain John Kerry lors d'une conférence de presse commune sur la crise syrienne avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. (Photo du Département d'État)

Le Secrétaire d’État américain John Kerry lors d’une conférence de presse commune sur la crise syrienne avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. (Photo du Département d’État)

En tentant de résoudre la quadrature du cercle, en voulant intervenir avec force dans la guerre contre le régime d’Assad sans saper les efforts faits contre les groupes terroristes anti-occidentaux contre lesquels ce régime se bat aussi, Ross et Tabler soutiennent que toute action américaine ou russe contre ces groupes « les pousserait ainsi que les réfugiés vers la Turquie voisine », entraînant les terroristes « et la menace de la violence militante, à se rapprocher encore plus de l’Occident. »

Ceci est une bien étrange manière de prendre le contre-pied du fameux « les combattre là-bas ou les combattre chez nous » appliqué à la lutte anti-terroriste. Ce point de vue n’a jamais fait la preuve d’une corrélation positive et directe entre les interventions à l’étranger et la sécurité intérieure, pas plus d’ailleurs que ce genre de corrélation négative directe proposée par Ross et Tabler.

L’expérience indique que les corrélations négatives ont beaucoup plus à voir avec le ressentiment lié aux opérations militaires des États-Unis, ce qui crée plus de radicalisation et une augmentation du sentiment anti-occidental, et Ross et Tabler plaident en faveur de plus de telles opérations en Syrie. Ils répètent la même erreur que les tenants du principe « les combattre là-bas ou chez nous », en supposant un nombre constant de méchants qui traversent les frontières internationales mais ne se multiplient pas.

De plus, pour autant que les réfugiés soient concernés, les personnes peuvent devenir des réfugiés autant parce qu’elles combattaient le régime d’Assad que parce qu’elles combattaient contre l’EI ou al-Nosra. Au final, Ross et Tabler ne font la quadrature d’aucun cercle ; ils ne font que répéter qu’ils veulent combattre Assad, et que le volet contre-terroriste de la politique des États-Unis ne devrait pas avoir la priorité en Syrie.

En critiquant l’approche de l’administration Obama qui consiste à se concentrer sur le contre-terrorisme tout en cherchant un terrain d’entente avec les Russes, Ross et Tabler produisent des scénarios comme s’ils étaient les conséquences de ce que fait l’administration, même si ce n’est pas le cas. Ils mettent en avant des arguments sur le manque d’hommes du gouvernement Assad pour occuper les zones rurales sunnites, et donc son besoin de s’appuyer sur le Hezbollah et d’autres milices shiites pour le faire, et cela poussera al-Nosra et d’autres vers la Turquie, les rapprochant de l’Occident.

Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec ce que fait l’administration Obama ou le fait de parler aux Russes ? Damas et le Hezbollah ont leurs propres raisons de faire ce qu’ils font dans les zones sunnites de la Syrie.

Procès d’intention

Ross et Tabler imputent certaines priorités au président russe Vladimir Poutine, affirmant qu’il « est plus intéressé à démontrer que la Russie et ses alliés gagnent en Syrie et que les États-Unis perdent », plutôt que d’essayer de trouver des façons de limiter l’engagement de la Russie et les coûts dans la guerre civile Syrienne.

Dennis Ross, qui a été émissaire haut placé des États-Unis au Moyen Orient.

Dennis Ross, qui a été émissaire haut placé des États-Unis au Moyen Orient.

Mais leur appel ultérieur à utiliser l’armée de l’air américaine pour infliger des dégâts aux Russes ou à leur allié syrien reviendrait plutôt à affirmer le contraire. Si Poutine était vraiment plus intéressé au jeu des gagnants et des perdants en Syrie plutôt qu’à la limitation des coûts pour son pays, alors la coûteuse escalade des États-Unis serait plus encline à provoquer une contre-escalade de la part des Russes qu’un repli.

C’est peut-être pour échapper à un tel manque de logique que Ross et Tabler disent que les frappes aériennes américaines qu’ils recommandent « seraient effectuées seulement si le gouvernement d’Assad violait la trêve que, selon la Russie, la Syrie s’est engagée à respecter. » Mais l’hypothèse implicite qu’il y aurait quelque chose d’approchant une vision commune de ce qui est ou non une violation de la trêve et de qui l’a ou ne l’a pas commise, est tout à fait irréaliste, en particulier dans un conflit aussi confus avec autant de combattants différents, que celui de la Syrie.

Le régime syrien justifierait presque certainement toutes les attaques qu’il mènerait comme une réponse aux violations de l’autre camp, et au moins dans certains cas, le régime pourrait avoir raison. Ross et Tabler écrivent qu’il faut persuader la Russie « de s’arranger pour que M. Assad se conduise correctement », comme si la Russie contrôlait le comportement de la Syrie, ce qui n’est pas le cas. Qui va donc s’arranger pour que l’opposition archi-divisée et infestée d’extrémistes « se conduise correctement » ?

L’article soutient l’hypothèse erronée que la création des conditions d’un règlement politique consiste simplement  à peser suffisamment sur le régime syrien et à obtenir alors de ses soutiens russes et iraniens qu’ils se débarrassent de leur conviction présumée (une autre hypothèse erronée de Ross et Tabler, pour laquelle ils ne fournissent aucune preuve) qu’une résolution purement militaire du conflit est possible.

Mais un seul camp ne suffit pas pour faire un règlement politique. Il y a eu au moins autant d’obstination et de réticence à faire des compromis du côté des éléments rebelles. En pesant sur ces éléments avec leur puissance aérienne, les États-Unis ne feraient probablement qu’augmenter ce durcissement. Les guerres civiles ne peuvent se régler que lorsque tous les côtés, et pas uniquement un seul, comprennent que continuer une guerre mène à une impasse. Il sera difficile d’obtenir un cessez-le-feu si une des parties voit le conflit se développer trop à son avantage, ou au contraire trop à son désavantage.

Le manque le plus flagrant et le plus fondamental dans l’analyse de Ross et Tabler est son échec à examiner avec précision quels sont les intérêts réels des États-Unis en Syrie. L’afflux de réfugiés venant de Syrie, l’instabilité ou le terrorisme sont des conséquences néfastes de la guerre elle-même, et non d’une coloration politique particulière du gouvernement de Damas.

Les Assad père et fils ont été au pouvoir depuis 46 ans. Il serait difficile de faire valoir que la vie ou la mort d’un régime d’Assad est essentielle pour les intérêts américains et ce serait encore plus difficile en prenant en compte les solutions de rechange actuelles, ou plutôt le manque de solutions de rechange.

La guerre syrienne finira par se terminer par une sorte de compromis par épuisement, probablement fragile et temporaire, comme l’accord de Taëf concernant le Liban ou l’accord de Dayton concernant la Bosnie. Et cela, on l’a déjà sans doute compris dans toutes les capitales concernées.

Obtenir un accord, même fragile, ne va pas consister simplement à exercer des pressions ou à imposer des coûts d’un côté. Pour y arriver, il faudra la coopération constructive de la Russie et de l’Iran. Aucun de ces alliés d’Assad ne va être amené par la puissance aérienne des États-Unis à se coller l’étiquette de « perdant » sur le front en s’éclipsant de la Syrie la honte au front.

Paul R. Pillar, pendant ses 28 ans passés à la Central Intelligence Agency, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.

Source : Consortium News, le 08/08/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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