Eric Zemmour, odieuse audience, par Jérôme Lefilliâtre
Très intéressant article de Jérôme Lefilliâtre !
Source : Jérôme Lefilliâtre, pour Libération, le 21 septembre 2016.
L'inviter ou pas ? Gourou de l'ultradroite au discours toujours plus nauséabond mais à forte portée médiatique, le pamphlétaire condamné par deux fois pour provocation à la haine n'en a pas moins micro ouvert.
Le Zemmour nouveau est arrivé et, cette année, il a plus que jamais un goût de moisi. En promo pour son nouveau livre, Un quinquennat pour rien (Albin Michel), sorti au début du mois, le journaliste grandi au Figaro où il tient toujours une chronique fait le tour des plateaux télé : on l'a vu dans C à vous sur France 5, à la matinale de LCI, chez Bourdin sur BFM TV ou chez Ardisson sur C8. Le bouquin n'est pourtant qu'un recueil de ses chroniques sur RTL, agrémenté d'une préface inédite intitulée «la France face au défi de l'islam». C'est sur ce texte de moins de quarante pages mais d'une extrême violence contre la religion musulmane qu'il est questionné.
Et un constat s'impose : Eric Zemmour, l'un des gourous intellectuels de la fachosphère (la plupart de ses interventions sont relayées par le site Fdesouche) bien que membre actif des médias institutionnels, s'est encore radicalisé. «Les soldats du jihad sont considérés par tous les musulmans, qu'ils le disent ou qu'ils ne le disent pas, comme des bons musulmans», lâche-t-il le 6 septembre sur France 5. Ou comment repeindre tous les musulmans, sans exception, en admirateurs des terroristes. Dans la même émission, l'homme, très en verve, estime aussi «qu'en donnant des prénoms musulmans [à leurs enfants, les musulmans] refusent de s'approprier l'histoire de France» : interrogée à ce propos, l'ex-ministre de la Justice Rachida Dati l'a invité à se faire «soigner». Zemmour prône par ailleurs une «dictature au sens romain du terme» contre «le gouvernement des juges», lesquels «ne respectent plus la volonté du peuple au nom de l'Etat de droit».
Après cette apparition tonitruante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) reçoit plus de 700 signalements de téléspectateurs et décide d'instruire un dossier. Chroniqueur dans C à Vous, le journaliste Patrick Cohen, dont on peut voir sur la vidéo de l'interview le visage se décomposer peu à peu, affirme qu'il y a eu un «vrai effet de surprise sur le plateau». « On a essuyé les plâtres de façon imprévue. C'était effarant. Ce qu'il dit est très violent, très essentialisant pour les musulmans. Je n'avais pas imaginé qu'il avait franchi un cran», raconte celui qui confesse ne pas avoir lu «ligne à ligne» avant l'émission la préface d'Un quinquennat pour rien.
Tu m’étonnes, le type n’a été condamné que 2 fois pour incitation à la haine…
«Caricature de lui-même»
Dans chacune de ses interventions, Zemmour, déjà condamné deux fois pour provocation à la haine, ressert les mêmes idées nauséabondes, les mêmes formules stigmatisantes, la même morgue vitupérante. Son discours plein de contre-vérités atteint une telle agressivité qu'un vieux débat s'en trouve relancé : faut-il continuer à lui donner la parole ? «Cette question me gêne car elle présuppose que les téléspectateurs sont des imbéciles, qu'ils sont incapables de faire la part des choses et que diffuser des propos inacceptables revient à les faire rentrer dans la tête des gens», tempère Patrick Cohen. Le matinalier de France Inter ajoute toutefois qu'il n'invitera pas Zemmour sur l'antenne du service public, pour trois raisons : «Un, on n'est pas loin de discours pouvant tomber sous le coup de la loi. Deux, son livre n'est pas une œuvre originale si on met de côté les quelques pages de la préface. Trois, il y a suffisamment d'intellectuels dans le paysage pour ne pas aller chercher quelqu'un qui a été journaliste mais qui est devenu un acteur politique sans en avoir la légitimité électorale.»
OB : On rappellera tout de même que Patrick Cohen n’a pas toujours pensé que les téléspectateurs “n’étaient pas des imbéciles”, étant donné qu’il ne fallait pas inviter des “cerveaux malades” sur une chaîne du service public…
Son confrère de BFM TV et RMC Jean-Jacques Bourdin, qui a reçu Zemmour le 16 septembre, n'a pas le même avis. «Il faut l'inviter pour montrer sa dérive, il faut le laisser déblatérer. Pendant l'interview, j'ai beaucoup insisté sur l'histoire des prénoms car ça révèle l'absurdité de son discours, ça le ridiculise. C'est un homme du passé, tombé dans l'excès, qui se caricature lui-même pour exister. Il ne convainc plus que les plus convaincus, et encore. Les retours d'auditeurs ont été moins nombreux qu'auparavant.
Tu m’étonnes, c’est juste que l’arabophobie s’est répandue !
Mais ce n'est pas en mettant ses propos sous le sable qu'on les combat.» Qualifié le 9 septembre sur RTL de «collabo» et de «complice des futurs talibans de la France» par Zemmour, l'éditorialiste Nicolas Domenach, qui débat avec lui le vendredi matin sur la première radio de France, partage ce point de vue : «L'interdire d'antenne serait lui rendre service, faire de lui un martyr. C'est ce qui s'est passé quand iTélé a arrêté “Ça se dispute” [où les deux hommes ont débattu jusqu'en décembre 2014, ndlr]. Je crois que le plus efficace n'est pas de le faire taire mais de répliquer. Il se nuit à lui-même. L'extravagance de ses attaques le disqualifie. Il est croisé, chargé de bouter l'islam hors de France. Et quand il se présente comme détenant la vérité sur cette religion c'est à pleurer de rire.»
On a connu ces gens moins tendres avec d’autres “polémistes”…
Mais bon, ce n’est pas facile pour tous ces gens de se rendre compte que leur “ami de quinze ans” est une sorte de gros raciste…
«Hypocrisie totale»
La question de la présence médiatique de Zemmour, d'abord propulsé sur le devant de la scène par un Laurent Ruquier qui a depuis exprimé ses regrets, se pose avec plus d'acuité encore à ses deux employeurs audiovisuels actuels, Paris Première et RTL, qui lui offrent une visibilité énorme. Du côté de la chaîne payante du groupe M6, où Zemmour et Naulleau reviendra le 12 octobre pour une sixième saison, on assume. «Nous le maintenons à l'antenne car c'est une émission où plusieurs personnes, dont l'invité, lui portent la contradiction», explique le directeur général, Jonathan Curiel. Même chose à RTL, où il tient chronique seul le mardi et le jeudi à 8 h 17, en plus du débat avec Domenach le vendredi : «Nous sommes très attachés à la liberté d'expression, dans la limite de la légalité. Or Eric Zemmour n'a jamais été condamné pour des propos tenus sur RTL. Ses idées intéressent une partie de la population.»
En interne, la place de Zemmour, soutenu mordicus par le PDG Christopher Baldelli, est vivement contestée. Ses outrances ont été évoquées mercredi lors d'une réunion entre la direction et la société des journalistes. «Quand ce monsieur a mis les pieds dans la maison [en 2010], nous avons essayé de lutter parce qu'il ne correspond pas aux valeurs de la radio, relate un taulier de RTL. Mais en haut lieu, on ne veut rien savoir. Dans la rédaction, il y a à la fois un ras-le-bol, une lassitude et un sentiment d'impuissance.» Sans langue de bois, Bourdin, ex-grande voix de RTL, résume l'évidence : «Il y a une hypocrisie totale. Zemmour fait de l'audience et comme les dirigeants de RTL se couchent devant l'audience, ils le gardent. Ils n'ont aucune indépendance d'esprit.» A ce petit jeu du bruit médiatique qui se nourrit lui-même, l'auteur d'Un quinquennat pour rien, en tête de la plupart des classements de vente, ne risque pas de disparaître des ondes et des écrans. D'après son attachée de presse, les libraires commandent chaque jour 5 000 exemplaires du livre.
Zemmour dans le texte
«En islam, il n'y a pas de musulmans modérés. […] Il y a simplement des gens qui appliquent à la lettre et d'autres qui n'appliquent pas à la lettre . […] Ceux que vous appelez bons musulmans, l'islam les appelle mauvais musulmans.» Le 6 septembre, dans C à vous (France 5).
«La France est envahie, colonisée et maintenant combattue. […] On sera très heureux dans la soumission à l'islam, magnifiquement heureux. On sera tous frères, sauf ceux qui ne seront pas musulmans.»Le 9 septembre dans On n'est pas forcément d'accord (RTL).
«Marine Le Pen a toujours été de gauche. Elle est complètement endoctrinée par Florian Philippot, qui est une espèce de cheval de Troie chevènementiste.»Le 12 septembre dans LCI matin (LCI).
«Le peuple armé […] c'est aussi le peuple qui s'approprie sa liberté. […] Le comportement des Corses est admirable. Les Corses, eux, ne cèdent pas devant la pression islamique.» Le 16 septembre, dans Bourdin direct (RMC et BFM TV).
Source : Jérôme Lefilliâtre, pour Libération, le 21 septembre 2016.
Dans le château cher à Pagnol, Eric Zemmour voit l’avenir et Chantal Goya ne fait que passer
Source : Stéphanie Harounyan, pour Libération, le 23 septembre 2016.
Jeudi soir, le polémiste d’extrême droite organisait une soirée débat au château de la Buzine, pour la promotion de son dernier livre. Il y a rencontré ses fans et… la chanteuse.
La foule impatiente piétine le parvis du château de la Buzine. Perdue dans les hauteurs de l'est marseillais, l'édifice cher à Pagnol – le fameux «château de sa mère», c'est ici– accueille ce jeudi soir Eric Zemmour. Mais c'est Chantal Goya et Jean-Jacques Debout qui surgissent d'un taxi devant le portail de l'établissement ! «Un hasard absolu», balbutie, affolé, leur accompagnateur. De passage à Marseille, Goya a voulu visiter la Buzine où elle projette de donner un concert l'an prochain. «Mais que font tous ces gens ici ?» questionne la fée, un peu perdue. Ah, c'est une belle histoire, Chantal !
Si les quelque 300 personnes réunies au château sont si heureuses, c'est que leur preux polémiste sans peur et sans reproche vient donner une conférence sur son dernier ouvrage, Un quinquennat pour rien. Douze euros l'entrée pour accéder à leur vœu le plus cher, qui a bien failli ne jamais se réaliser : la semaine dernière, de vils socialistes locaux avaient appelé à l'annulation de la rencontre, arguant qu'inviter Zemmour dans un établissement public – certes géré par une structure privée – n'était pas du meilleur goût. Ce dernier a pu compter sur le soutien zélé du chevalier Franck Allisio, élu régional FN, qui avait rétorqué via une pétition numérique «pour défendre sa liberté d'expression». Affolée par tant de tapage, Dame Valérie Fédèle, la directrice de l'établissement, retiendra aussi cet argument pour maintenir l'événement, malgré les menaces téléphoniques et les risques de débordement.
Il n'a pas peur de le dire : il peut voir l'avenir
«Les Corses, ils font ! Nous devrions prendre exemple sur eux»
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