Comment le scandale des emails d'Hillary Clinton a pris racine, par Robert O'Harrow Jr.
23Source : The Washington Post, le 27/03/2016 Les problèmes d’emails d’Hillary Clinton remontent à ses premiers jours en tant que secrétaire d’État. Elle insista pour utiliser son BlackBerry personnel pour l’ensemble de ses communications par emails, mais elle n’était pas autorisée à apporter l’appareil dans ses bureaux du septième étage, un espace sécurisé connu comme le Mahogany Row (le passage acajou). Pour Clinton, c’était contrariant. En tant que poids lourd de la politique et chef du corps diplomatique de la nation, elle avait besoin de gérer un déluge d’emails pour rester connectée à ses collègues, amis et soutiens. Elle détestait avoir à mettre son BlackBerry dans un coffre avant d’entrer dans son propre bureau. Ses assistants et de hauts fonctionnaires ont fait pression pour trouver un moyen de lui permettre d’utiliser son appareil dans la zone sécurisée. Mais leurs efforts ont perturbé le bureau de la sécurité diplomatique, inquiet que des services de renseignements étrangers puissent pirater son BlackBerry et le transformer en instrument d’écoute. Le 17 février 2009, moins d’un mois après sa titularisation, les ennuis ont commencé. Le département de la sécurité, les spécialistes en technologie et renseignement, ainsi que cinq représentants de l’Agence de sécurité nationale, se sont réunis dans une salle de conférence du Mahogany Row. Ils expliquèrent les risques à Cheryl Mills, la chef de cabinet de Clinton, en cherchant des « options de compromis » qui pourraient s’accorder aux souhaits de Clinton. « Le problème est de l’ordre du confort personnel, » écrivit après coup l’un des participants à cette réunion, Donald Reid, le coordinateur principal du département pour la sécurité, dans un email qui décrivait le cercle intime des conseillers de Clinton comme des « accros (au BlackBerry) ». Clinton utilisait son BlackBerry pendant que le groupe tentait toujours de trouver une solution. Mais il existait une autre vulnérabilité dans les communications encore inconnue du personnel du service technologie et sécurité diplomatique : le BlackBerry de Clinton était relié à un serveur email privé dans le sous-sol de sa maison familiale, à environ 400 kilomètres au nord de Chappaqua, dans l’État de New York, comme l’ont montré les documents et interviews. Les officiels n’ont rien fait pour protéger le serveur contre les intrusions et les espions, car ils semblaient ne pas être au courant. Le département d’État a publié 52 000 pages d’emails d’Hillary Clinton dans le cadre d’un processus ordonné par le tribunal. Voici ce que nous avons appris des emails rendus publics. (Monica Akhtar/The Washington Post) La faille du serveur de Clinton est une des questions clés sans réponse au cœur du scandale qui a sapé sa campagne à la nomination au sein du Parti démocrate pour les présidentielles. Depuis que l’existence du compte email privé de Clinton a été révélée il y a un an dans un reportage du New York Times – suivi d’un reportage de l’Associated Press révélant l’existence du serveur – le sujet a été une source intarissable pour les journaux télévisés. Des groupes privés ont lancé des poursuites sur le fondement du Freedom of Information Act (Loi sur l’accès à l’information). Des comités de députés et les bureaux de l’Inspection générale au sein du département d’État et du monde du renseignement ont entrepris des enquêtes, qui ont transmis l’affaire au FBI en juillet à « des fins de contre-renseignement » après avoir établi que le serveur transmettait des données classifiées. Le FBI essaie maintenant de déterminer si un crime a été commis dans la possession des données classifiées. Il recherche également si le serveur a été piraté. Des dizaines d’agents du FBI ont été déployés pour remonter les pistes, selon un élu briefé par le directeur du FBI James B. Comey. Le FBI a accéléré l’enquête, car les autorités veulent éviter la possibilité qu’une action soit annoncée à une date trop proche des élections. Le Washington Post a analysé des centaines de documents et interviewé plus d’une dizaine de représentants bien informés du gouvernement pour comprendre les décisions et les implications des actes de Clinton. Le scandale qui en a résulté tourne autour des questions d’informations classifiées, de la protection des documents du gouvernement et de la sécurité de ses communications par email. Dès les premiers jours, les documents et interviews ont montré que les assistants et hauts responsables de Clinton redoublaient d’efforts pour répondre au souhait de Clinton d’utiliser son compte email privé. Durant tout ce temps, les documents et interviews ont montré qu’ils n’ont pas prêté suffisamment attention aux lois et réglementations régentant les données classifiées et la préservation des documents gouvernementaux. Ils ont également négligé les alertes répétées concernant la sécurité du BlackBerry, alors que Clinton et ses assistants les plus proches prenaient d’évidents risques en utilisant le serveur de la cave. Les hauts responsables qui aidèrent Clinton dans sa demande au sujet de son BlackBerry ont affirmé qu’ils ne connaissaient pas les détails du serveur au sous-sol, selon le département d’État, bien qu’ils aient reçu des emails de son compte privé. Un email écrit par un haut responsable mentionne le serveur. Le scandale a opposé ceux qui disent que Clinton cherchait innocemment à trouver le moyen le plus facile de communiquer et ceux qui disent qu’elle se plaçait au-dessus des lois dans une volonté de contrôler ses échanges. Elle et son équipe de campagne ont été accusées d’être peu compréhensibles avec des déclarations contradictoires et changeantes qui minimisaient les conséquences de ses actes. Clinton, 68 ans, a refusé d’être interviewée. Elle a dit à plusieurs reprises que son usage du serveur privé n’avait que peu d’importance et qu’il n’y avait aucune preuve d’intrusion. Lors d’une conférence de presse en mars dernier, elle dit : “J’avais opté dans un esprit pratique pour l’usage de mon compte email personnel, ce qui était autorisé par le département d’État, parce que je pensais qu’il serait plus simple de ne transporter qu’un appareil pour mon travail et pour mes emails personnels plutôt que deux.” Durant un débat du Parti démocrate le 9 mars, elle reconnut son erreur de jugement mais maintint qu’elle était autorisée à utiliser son propre serveur : “Ce n’était pas le meilleur choix. J’ai fait une erreur. Ce n’était pas défendu. Ce n’était en aucune façon interdit.” Le déroulement de l’histoire du serveur du sous-sol de Clinton a indigné les défenseurs de la transparence gouvernementale et consterné aussi bien ses soutiens politiques que ses adversaires. Le juge Emmet G. Sullivan de la Cour du district de Washington D.C., qui préside une des poursuites du FOIA (Freedom of Information Act), a exprimé sa perplexité au sujet de l’affaire. Il fait remarquer que Clinton met le département d’État dans une position où il doit lui demander de lui retourner des milliers de documents gouvernementaux – ses emails. “Est-ce que j’ai manqué quelque chose ?” demandait Sullivan durant une audience le 23 février. “Comment cela est-il même possible ?” Hillary Clinton se préparait à utiliser son serveur personnel après que le président Obama l’a choisi comme sa secrétaire d’État en novembre 2008. Le système était déjà installé. Il avait été mis en place pour l’ancien président Bill Clinton, qui l’utilisait pour son usage personnel et pour la fondation Clinton. Le 13 janvier 2009, un assistant de longue date de Bill Clinton a enregistré l’adresse email pour Hillary Clinton, clintonemail.com, ce qui lui permettrait d’envoyer et de recevoir des emails via le serveur. Huit jours plus tard, elle prête serment en tant que secrétaire d’État. Parmi l’ensemble des défis auxquels elle a fait face, il y avait celui d’intégrer les emails dans les habitudes du département d’État. Parce que Clinton n’utilisait pas d’ordinateur de bureau, elle faisait usage de son BlackBerry personnel, qu’elle avait commencé à utiliser trois ans plus tôt. Durant des années, des employés du gouvernement avaient utilisé des comptes officiels et privés. Le nouveau président faisait de grandes promesses quant à la transparence du gouvernement qui avaient une influence sur les choix en matière de communication de Clinton. Dans des mémos à ses chefs d’agence, Obama disait que son administration promouvrait la responsabilité via l’ouverture au public d’un large éventail d’informations, comme faisant partie d’un “profond engagement national à garantir un gouvernement ouvert.” Cela incluait les emails professionnels. Un an plus tôt, durant sa campagne présidentielle, Clinton avait dit que si elle était élue, “nous adopterons une ouverture de principe, ainsi que les demandes du Freedom of Information Act et demanderons aux agences de répondre rapidement aux demandes d’information.” Mais dès ses premiers jours, les principaux conseillers de Clinton étaient déjà en train d’essayer de l’aider à circonscrire ses propos grandiloquents, selon une succession d’emails internes du département d’État révélés par Judicial Watch, une organisation à but non lucratif conservatrice qui poursuit le gouvernement sur le fondement des emails de Clinton. Mills, la chef de cabinet de Clinton, conduisait l’initiative. Elle fut rejointe par la conseillère de Clinton Huma Abedin, le secrétaire adjoint Patrick Kennedy et Lewis Lukens, un haut fonctionnaire de carrière qui servait de chef des opérations logistiques. Leur objectif premier était de soutenir au mieux Clinton. Mills se demandait si le département pourrait lui procurer un appareil crypté comme celui de la NSA qu’utilisait Obama. “Si c’est possible, comment lui en obtenir un ?” écrivait Mills au groupe le samedi 24 janvier au soir. Lukens répondait le soir même, disant qu’il pourrait aider à installer “un ordinateur personnel dans le bureau de la secrétaire, connecté à internet (mais pas à travers notre système) pour lui permettre de consulter ses emails depuis son bureau.” Kennedy écrivait qu’un “réseau PC autonome” était une “très bonne idée”. Abedin et Mills n’ont pas souhaité faire de commentaires pour cet article, selon le porte-parole de Clinton, Brian Fallon. Lukens n’a également pas souhaité s’exprimer, selon le département d’État. En tant que secrétaire adjoint pour la gestion, Kennedy occupe un rôle central dans la saga des emails de Clinton. Le département a reconnu que Kennedy, dans le cadre de ses fonctions normales, a aidé Clinton avec son BlackBerry. Mais dans sa déclaration, le département a dit : “Le secrétaire adjoint Kennedy maintient qu’il n’était pas au courant de l’existence du serveur. Sur un sujet tout autre, le secrétaire adjoint Kennedy était au courant qu’à la suite de son entrée en fonction, le cabinet de Clinton souhaitait mettre en place un ordinateur au sein du département pour qu’elle puisse envoyer des emails à sa famille durant son temps de travail. “Comme nous l’avons déjà clairement spécifié – aucun ordinateur n’a en réalité été installé. De plus, le sous-secrétaire Kennedy n’avait pas vraiment connaissance de la gestion de Clinton de ses emails notamment quant à la fréquence d’utilisation des emails par Clinton, alors secrétaire.” Dans les faits, Clinton n’aura pas de BlackBerry gouvernemental, d’ordinateur personnel ou de compte emails. Une demande à la NSA pour un appareil sécurisé a été d’entrée de jeu rejetée : “En l’état actuel ce n’est pas facile d’utilisation, en raison de l’absence d’infrastructure, et c’est très coûteux,” écrivait Reid, le responsable de la sécurité, dans un email du 13 février, ajoutant “chaque fois que nous demandons ‘Quelle est la solution pour POTUS [Président des États-Unis] ?’ on nous envoie promener.” Clinton continuera d’utiliser son BlackBerry pour pratiquement toutes ses communications officielles, mais pas à Mahogany Row. Sa première communication connue avec le BlackBerry via le serveur du sous-sol date du 28 janvier 2009, lorsque Clinton a échangé des notes avec le général David H. Petraeus, alors chef du Centre de commandement américain, selon la porte-parole du département d’État. Il n’a pas été communiqué. Certains connaissaient les détails derrière l’adresse clintonemail.com. Mais les informations concernant son choix d’utiliser son propre BlackBerry se sont rapidement répandues parmi les spécialistes du département sécurité diplomatique et “contre-mesures de renseignement”. Leurs craintes se concentraient sur le septième étage, qui une décennie plus tôt avait été la cible d’espions russes qui s’étaient arrangés pour installer un appareil d’écoute à l’intérieur d’une moulure décorative non loin du Mahogany Row. Plus proche de nous, dans une série de cyber-attaques largement médiatisées, des hackers avaient pénétré dans les ordinateurs du département, ainsi que dans ceux d’autres agences fédérales et de plusieurs grandes sociétés. Les documents et entretiens montrent que la possibilité que le BlackBerry de Clinton puisse être compromis et utilisé pour écouter illicitement angoissait les responsables de la sécurité du département d’État. Après la réunion du 17 février avec Mills, les responsables de la sécurité ont rédigé un mémo sur les risques. Et parmi eux, ils exprimaient des inquiétudes sur le fait que d’autres employés du département voudraient suivre le “mauvais exemple” et chercheraient à utiliser des BlackBerry non sécurisés. Les documents montrent qu’alors qu’ils travaillaient sur le mémo, ils étaient au courant d’un discours tenu par Joel F. Brenner, alors chef du contre-renseignement au bureau du directeur du renseignement national, le 24 février dans un hôtel de Vienne. “Votre téléphone ou BlackBerry pourrait avoir été marqué, suivi, surveillé et exploité entre le moment où vous êtes descendue de l’avion et celui où vous avez rejoint la station de taxis à l’aéroport,” a dit Brenner. “Et lorsque vous avez échangé des emails depuis chez vous, les virus ont pu migrer vers le serveur de votre domicile. Ce n’est pas hypothétique.” A ce moment-là, Clinton venait juste de revenir d’un voyage officiel en Chine et ailleurs en Asie. Elle avait embarqué pour une autre incursion au Moyen-Orient et en Europe. Elle avait emporté son BlackBerry. Début mars, Eric Boswell, le secrétaire adjoint pour la sécurité diplomatique, avait transmis un mémo sur la thématique “Usage des BlackBerry dans Mahogany Row”. “Notre analyse confirme notre conviction que les vulnérabilités et risques associés à l’usage de BlackBerry dans Mahogany Row excèdent considérablement le confort qu’ils peuvent procurer,” disait le mémo. Il insistait : “Tout BlackBerry non classifié est hautement vulnérable, quelle qu’en soit la configuration, à une surveillance secrète et distante des conversations, à l’extraction des emails et à l’exploitation des calendriers.” Neuf jours plus tard, selon un email envoyé par un responsable principal de la sécurité diplomatique, Clinton disait à Boswell qu’elle avait lu son mémo et “avait compris”. Son attention a été attirée sur la phrase qui indique que (la Sécurité diplomatique) dispose d’indices de cette vulnérabilité lors de son récent voyage en Asie,” dit le courriel. Mais Clinton continua à utiliser son BlackBerry privé – et le serveur de son sous-sol. Le serveur n’avait rien de remarquable, le genre de système souvent utilisé par les petits commerces, selon les personnes qui connaissaient son installation à la fin de son mandat. Il consistait en deux systèmes d’ordinateurs serveurs. Les deux étaient équipés de logiciels antivirus. Ils étaient connectés par câble au fournisseur d’accès internet local. Un pare-feu était utilisé comme protection contre les intrusions. Peu de personnes auraient pu en être informées, mais le système d’emails fonctionna durant les deux premiers mois sans le cryptage standard généralement utilisé sur internet pour protéger les communications, selon une analyse indépendante que Venafi Inc. (une société de cyber-sécurité spécialisée dans la procédure de cryptage) a pris l’initiative de publier sur son site internet après que le scandale a éclaté. Selon l’analyse de Venafi, ce n’est pas avant le 29 mars 2009 – soit deux mois après que Clinton a commencé à l’utiliser – que le serveur a reçu un “certificat digital” pour protéger les communications sur internet grâce au cryptage. On ne sait pas si le système possédait un autre système pour crypter le trafic d’emails pendant cette période. Sans cryptage – un procédé qui brouille les communications pour tous ceux qui ne possèdent pas la bonne clé – emails, pièces jointes et mots de passe sont transmis en clair. “Cela signifie que tout le monde pouvait y avoir accès. Tout le monde,” affirmait à The Post Kevin Bocek, vice-président du département d’analyse des renseignements de sécurité et des menaces sur internet de Venafi. Le système avait d’autres caractéristiques qui le rendaient vulnérable à des hackers talentueux, notamment un logiciel qui permettait aux utilisateurs de se connecter directement depuis le réseau internet. Quatre spécialistes en sécurité informatique interviewés par The Post ont affirmé qu’un tel système pouvait être raisonnablement sécurisé mais que cela aurait nécessité un suivi constant par des personnes chargées de vérifier les irrégularités dans les connections au serveur. “Pour des données aussi sensibles… nous aurions besoin au minimum d’une petite équipe pour la surveillance et le renforcement du système,” affirmait Jason Fossen, un spécialiste en sécurité informatique à l’Institut SANS, qui fournit une formation en cyber-sécurité partout dans le monde. L’homme qui selon Clinton assurait l’entretien et la surveillance de son serveur était Bryan Pagliano, qui avait travaillé comme directeur de la technologie pour son comité d’action politique et pour sa campagne présidentielle. A-t-il reçu de l’aide ? Cela reste douteux. Pagliano a aussi fourni des services informatiques à la famille Clinton. En 2008, il a reçu plus de 5000 $ pour ce travail, selon des déclarations de situation financière qu’il a déposées au gouvernement. En mai 2009, avec l’aide de Kennedy, Pagliano a trouvé un emploi comme employé politique dans la division informatique du département d’État, selon des documents et des entretiens. C’était un arrangement inhabituel. Au même moment, Pagliano a apparemment donné son accord pour maintenir le serveur du sous-sol. Des responsables de la division informatique ont dit aux enquêteurs qu’ils ne pouvaient pas se rappeler avoir précédemment engagé du personnel politique. Trois superviseurs de Pagliano ont aussi dit aux enquêteurs qu’ils ne savaient vraiment pas que Clinton utilisait le serveur du sous-sol ou que Pagliano travaillait au noir dessus. Par l’intermédiaire d’un avocat, Pagliano a décliné la demande d’interview du Post. Il a aussi refusé une demande du Comité de magistrature du Sénat, de celui de la Sécurité du territoire et de celui des affaires gouvernementales, pour discuter de son rôle. Le 1er septembre 2015, son avocat a dit aux Comités qu’il invoquerait le 5e amendement s’il y avait une tentative de le forcer à faire une déclaration. Le département de la Justice lui a plus tard accordé l’immunité en échange de sa coopération, selon des articles du New York Times et du Post. Dans une déclaration, le bureau de campagne de Clinton a dit que le serveur était protégé mais a refusé de fournir des détails techniques. Les représentants de Clinton ont dit que les journaux des serveurs donnés aux autorités ne montraient pas de trace de piratage. « La sécurité et l’intégrité des communications électroniques de sa famille a été prise au sérieux dès le début quand il a été configuré pour l’équipe du président Clinton, » disait la déclaration. « En bref, des protections robustes ont été mises en place ainsi que des améliorations supplémentaires et des techniques employées à mesure qu’elles devenaient accessibles, dont le consulting et le recrutement d’experts tiers. » La déclaration ajoutait qu’« il n’a pas de preuve qu’il y ait jamais eu une brèche. » Le nombre d’emails circulant dans le système au sous-sol a augmenté rapidement lorsqu’Hillary Clinton a plongé dans les détails de son travail de globetrotteuse. Il y en a eu 62 320 en tout, une moyenne de 296 par semaine, près de 1300 par mois, selon les chiffres rapportés par Clinton au département d’État. Environ la moitié d’entre eux étaient liés au travail. Son correspondant le plus fréquent était Mills, son directeur de cabinet, qui a envoyé des milliers de notes. Ensuite vient Abedin, directeur de cabinet adjoint, et Jacob Sullivan, également directeur de cabinet adjoint, selon un décompte du Post. Clinton utilisait comme adresse hdr22@clintonemail.com rendant immédiatement visible le fait que les emails ne provenaient pas d’une adresse gouvernementale ni n’y était destinés. La plupart étaient des emails de routine, dont ceux envoyés à des amis. Certains nécessitaient la coordination d’efforts pour apporter de l’aide à Haïti en provenance du département d’État et de la fondation Clinton de son mari basée à New York. Les emails montrent des notes mélangeant des affaires gouvernementales et familiales. D’autres concernaient des affaires classifiées. Le département d’État et les représentants de la communauté du renseignement ont déterminé que 2093 conversations par email contenaient des informations classifiées. La plupart des emails classifiés étaient étiquetés « confidentiel », le plus bas niveau de classification. Une analyse du Post a plus tard trouvé que Clinton elle-même avait créé 104 emails dont le contenu était classifié. Avant que le serveur ne reçoive un certificat numérique indiquant l’utilisation d’un chiffrement standard, Clinton et ses assistants ont échangé des notes concernant la Corée du Nord, le Mexique, l’Afghanistan, les conseillers militaires, les opérations de la CIA et un briefing pour Obama. Le conseiller de Clinton Philippe Reines lui a écrit une note à propos du président d’Afghanistan Hamid Karzai. Reines a commencé sa note en rappelant à Clinton que « l’ami proche [de Reines] Jeremy Bash est maintenant le directeur de cabinet [du directeur de la CIA Leon E.] Panetta. » Le reste de la note a été rédigé avant son renvoi, expliquant que le sujet sensible concernait la sécurité nationale. Dimanche 29 mars 2009, quelques heures seulement avant que le chiffrement standard du serveur ne démarre, Sullivan a envoyé le brouillon d’un rapport confidentiel à Clinton qu’elle devait rendre à Obama. « Ci-joint une ébauche du rapport de votre voyage au Mexique au président des États-Unis, » a écrit Sullivan. Dans le monde sous haute pression de la diplomatie, le partage de tels contenus était une pratique discrète mais courante pendant de nombreuses années. Les décideurs qui gèrent les problèmes en continu ont besoin d’un flux ininterrompu d’information tranchée pour prendre des décisions rapidement. Tous les contenus classifiés n’ont pas une sensibilité équivalente. Une grande partie comporte des discussions sur des pays étrangers ou des dirigeants, pas des sources de renseignements ou des méthodes. Travailler avec du contenu classifié peut être fastidieux et, dans le cas de classification basse, ennuyeux. Le 10 février 2010, dans un échange avec Sullivan, Clinton a laissé échapper sa frustration un jour où elle a voulu lire une déclaration sur José Miguel Insulza, alors secrétaire général de l’Organisation des États américains. Sullivan a écrit qu’il ne pouvait pas lui envoyer immédiatement parce que le département devait le mettre sur le réseau classifié. « C’est une déclaration publique ! Envoyez-la, » a riposté Clinton quelques instants plus tard. « Faites-moi confiance, je partage votre exaspération, » a écrit Sullivan. « Mais jusqu’à ce que les opérations ne le convertissent sur le système d’email déclassifié, je n’ai pas de moyen physique de l’envoyer par email. Je ne peux même pas y accéder. » Plus tôt le 17 juin 2011, Clinton s’est montrée impatiente en attendant les « points de discussion » sur un sujet sensible qui devaient être remis via une ligne sécurisée. « Ils ont dit qu’ils avaient des problèmes pour envoyer un fax sécurisé. Ils y travaillent, » a écrit Sullivan à sa patronne. Clinton lui a dit de prendre un raccourci. « S’ils n’en sont pas capables, convertissez en non-article sans intitulé d’identification et envoyez en non-sécurisé, » a-t-elle dit. Fallon, le porte-parole de Clinton, a dit qu’elle n’essayait pas de contourner le système de classification. « Ce qu’elle demandait, c’est que toutes les informations qui pouvaient être transmises sur le système déclassifié soient transmises, » a-t-il dit. « Il est faux de sous-entendre qu’elle sollicitait autre chose. Le département d’État a examiné le sujet et a confirmé qu’aucun contenu classifié n’avait été envoyé à travers un fax ou email non-sécurisé. » La sécurité est restée une préoccupation constante. Le 28 juin 2011, en réponse à des rapports que les comptes Gmail d’employés du gouvernement avaient été visés par des « adversaires en ligne », une note a été envoyée au nom de Clinton préconisant aux employés du département d’« éviter de gérer des affaires officielles du département depuis vos comptes email personnels. » Mais elle a elle-même ignoré l’avertissement et a continué à utiliser son BlackBerry et le serveur du sous-sol. En décembre 2012, près de la fin du mandat de Clinton, une association à but non lucratif appelée Citoyens pour la responsabilité et l’éthique à Washington, ou CREW, a formulé une demande de droit à l’information à propos des archives de ses emails. CREW a reçu une réponse en mai 2013 : « Aucune archive relative à votre demande n’a pu être localisée. » D’autres demandes des archives de Clinton ont eu le même destin, jusqu’à ce que le département d’État reçoive une demande de la nouvellement formée Commission spéciale sur Benghazi en juillet 2014. La commission voulait les emails de Clinton, entre autre pour voir ce qu’elle et d’autres savaient sur l’attaque mortelle en Libye et la réponse du gouvernement des États-Unis. Les responsables du bureau des affaires du Congrès du département ont trouvé certains emails de Clinton et ont vu qu’elle utilisait le domaine privé, pas le système du département. Le secrétaire d’État John F. Kerry s’est résolu à rassembler les emails de Clinton et à les fournir au Congrès dès que possible. Les responsables du département ont contacté Clinton et les bureaux de trois anciens secrétaires, Madeleine K. Albright, Condoleezza Rice et Colin L. Powell, en demandant s’ils avaient des emails ou d’autres archives fédérales en leur possession. Albright et Rice ont dit qu’elles n’utilisaient pas les emails au département d’État. Powell, secrétaire d’État de 2001 à 2005, avait un compte email privé chez America Online, mais il n’a pas gardé de copies de ses emails. L’inspecteur général du département d’État a trouvé que le compte personnel d’emails de Powell avait reçu deux emails du cabinet qui contenaient « des informations classifiées portant sur la sécurité nationale aux niveaux secrets ou confidentiels. » L’avocat de Clinton, David Kendall, a plus tard dit au département d’État que son « utilisation d’email personnel était équivalente aux pratiques des autres secrétaires d’État, » citant Powell en particulier, selon une lettre qu’elle a écrite en août. Mais la situation de Powell différait aussi de celle de Clinton de plusieurs façons importantes. Powell avait une ligne téléphonique installée dans son bureau uniquement pour le relier à son compte privé, qu’il utilisait généralement pour des communications personnelles ou non-classifiées. À l’époque, il incitait le département à intégrer l’ère d’Internet et voulait montrer l’exemple. « Je réalisais un petit test quand je visitais une ambassade : je plongeais dans le premier bureau ouvert que je trouvais (parfois c’était le bureau de l’ambassadeur). Si l’ordinateur était allumé, j’essayais de me connecter à mon compte d’email privé, » a écrit Powell dans It Worked for Me: In Life and Leadership. « Si j’y arrivais, ils avaient réussi. » Powell a réalisé potentiellement toutes ses communications classifiées par papier ou sur un ordinateur du département d’État installé sur son bureau et réservé aux informations classifiées, selon des entretiens. Clinton n’a jamais eu un tel bureau ou un compte classifié d’email, selon le département d’État. Le 5 décembre 2014, les avocats de Clinton ont fourni 12 boîtes de dossiers remplies d’imprimés contenant plus de 30 000 emails. Clinton détenait près de 32 000 emails évalués à caractère personnel. Le département a commencé à publier les emails en mai dernier, en commençant avec quelque 296 emails demandés par la Commission Benghazi. En analysant ces emails, des responsables du renseignement ont réalisé que certains contenaient des documents classifiés. Clinton et son bureau de campagne ont formulé des réponses variées aux questions sur la classification. Au début, elle a nié en bloc que son serveur n’en avait jamais détenu. « Il n’y a pas de contenu classifié, » a-t-elle dit à une conférence de presse du 10 mars 2015. Son bureau de campagne a plus tard publié une déclaration disant qu’elle ne pouvait pas savoir si du contenu était classifié, parce qu’il n’était pas étiqueté comme tel. « Aucune information dans les emails n’était marquée classifiée à l’époque où elle les a reçus ou envoyés, » disait la déclaration. Clinton a aussi sous-entendu que nombre de ses emails étaient classifiés par formalité uniquement parce qu’on les destinait à être publiés sous une demande de droit à l’information. Son bureau de campagne a dit qu’une grande partie du contenu classifié, dans des emails envoyés à plus de 300 individus, provenait d’articles de presse et d’autres sources publiques. « Ce dont vous parlez, c’est de classification rétroactive, » a-t-elle dit durant un récent débat. « Et je pense que ce que nous avons là, c’est un cas typique de sur-classification. » Sa déclaration semble en conflit avec un rapport au Congrès l’an dernier réalisé par des inspecteurs généraux du département d’État et du groupe d’agences d’espionnage connu sous le nom de communauté du renseignement. Ils ont fait leur rapport après la découverte de quatre emails contenant des informations classifiées, parmi un échantillon de 40 à avoir transité par son serveur. « Ces emails n’étaient pas classifiés rétroactivement par le département d’État, » a dit le rapport. « Au contraire, ces emails contenaient des informations classifiées quand ils ont été générés et, selon des responsables du renseignement à la classification, ces informations restent classifiées aujourd’hui. Ces informations classifiées n’auraient jamais dû être transmises via un système personnel non-classifié. » L’un de ces quatre emails a depuis été déclassifié et rendu public par le département d’État. Le département a remis en question la classification d’un autre de ces emails. Vingt-deux emails découverts plus tard ont mérité une classification si haute qu’ils ont été gardés dans leur intégralité pour ne pas être rendus publics. “Ils sont en soi sensibles et évidemment classifiés,” a dit au Post Chris Stewart, représentant républicain (Utah) et membre de la Commission spéciale permanente de la Maison-Blanche sur le renseignement. « Ces informations auraient dû être maintenues dans les serveurs les plus sécurisés, classifiés et top-secrets. » Fallon a fait remarquer qu’aucun de ces emails ne provenait de Clinton, quelque chose qu’il a dit que la sénatrice démocrate Dianne Feinstein (Californie), vice-présidente de la Commission spéciale du sénat sur le renseignement, avait remarqué. « Nous désapprouvons la décision de retenir l’intégralité de ces emails, » a-t-il dit. Sous le titre 18, section 1924 de la loi fédérale, c’est un délit punissable par des amendes et de l’emprisonnement lorsqu’un employé fédéral retire des informations classifiées en connaissance de cause « sans autorité et avec l’intention de conserver de tels documents ou contenu dans un endroit non autorisé. » D’anciennes affaires, conformément à la loi, ont nécessité la preuve d’une intention de mal manipuler des informations classifiées, une sérieuse embûche dans l’affaire Clinton. Le serveur du sous-sol a aussi exposé Clinton au risque de violer les lois et la réglementation visant à protéger et préserver les archives du gouvernement. Dans une déclaration, le bureau de campagne de Clinton a dit qu’elle avait reçu « des conseils à propos du besoin de préserver les archives fédérales » et a suivi ces règles. « C’était dans ses pratiques d’envoyer des emails aux employés du gouvernement à leur adresse en “.gov”. De cette façon, les emails de travail étaient immédiatement saisis et préservés dans les systèmes d’archivage du gouvernement, » a dit la déclaration. Fallon a dit que « plus de 90% » de plus de 30 000 e-mails en lien avec le travail « étaient originaires ou à destination de comptes d’emails gouvernementaux. » Le Post s’est entretenu avec des spécialistes qui ont dit que ses pratiques n’étaient pas satisfaisantes vis-à-vis des exigences des lois et des régulations. Certaines de ces obligations ont été précisées quelques mois avant que Clinton n’entre en fonction dans le National Archives and Records Administration Bulletin de mai 2008, qui disait que tous les systèmes d’emails étaient censés « permettre une récupération facile et rapide » des archives. Les emails de travail de la secrétaire d’État sont censés être conservés de manière permanente. De plus, les règles exigeaient aussi que les archives permanentes soient aussi envoyées au Centre de service des archives du département « à la fin du mandat de la secrétaire ou plus tôt si nécessaire » pour conservation. Sous le titre 18, section 2071, c’est un délit de prendre des archives fédérales sans autorisation, quelque chose qui est parfois appelé « aliénation » d’archives. La loi est rarement appliquée, mais une condamnation peut être assortie d’une amende ou d’emprisonnement. Jason R. Baron, un ancien directeur des contentieux à l’Administration des archives et registres nationaux, a dit l’an dernier à la Commission judiciaire du sénat qu’il pensait que le serveur de Clinton transgressait les règles. Dans une note à la commission, Baron écrivait que « la configuration et la maintenance d’un réseau privé d’email à seule fin de s’occuper d’affaires officielles par email, doublées d’un échec à retourner à temps les archives des emails aux autorités gouvernementales, représentent des actes parfaitement incompatibles avec les lois fédérales des archives. » Le 19 mai 2015, en réponse à une action en justice pour droit à l’information de la part de l’organisation médiatique Vice News, le juge de district des États-Unis Rudolph Contreras a ordonné que tous les emails soient publiés par étapes, avec des censures. L’un des emails importants a été envoyé en août 2011. Stephen Mull, alors secrétaire exécutif du département, a envoyé un email à Abedin, Mills et Kennedy pour fournir à Clinton un BlackBerry produit pour le gouvernement et relié à un serveur gouvernemental. « Nous travaillons à fournir à la secrétaire selon sa demande un BlackBerry produit par le département pour remplacer son appareil personnel qui a un défaut de fonctionnement (peut-être parce que son serveur personnel d’email est déconnecté). Nous préparerons deux versions qu’elle pourra utiliser, l’une avec un compte d’email opérationnel du département d’État (qui masquera son identité, mais qui sera aussi sujet à des demandes de droit à l’information). » Abedin a répondu fermement. « Steve, parlons du BlackBerry de l’État. Ça n’a pas beaucoup de sens. » Fallon a dit que l’email montrait que l’équipe de la secrétaire s’était « opposée à l’idée que son identité soit masquée. » Le mois dernier, dans une audition à propos d’une action en justice de Judicial Watch, le juge de district Sullivan a cité cet email comme une partie de la raison pour laquelle il avait ordonné au département d’État de produire des archives en rapport avec les échecs initiaux des recherches pour le droit à l’information dans les archives de Clinton. Au cours d’une audience publique, Sullivan a dit que des questions légitimes avaient été soulevées sur le fait que l’équipe de Clinton avait ou pas essayé de l’aider à contourner le droit à l’information. « Nous parlons d’une représentante au niveau ministériel qui a été accueillie par le gouvernement pour des raisons inconnues du public. Et je pense qu’il est juste de le dire : pour des raisons jusqu’ici inconnues du public. Et tout ce que la population peut faire, ce sont des suppositions », a-t-il dit, ajoutant : « Tout tourne autour du droit de la population à savoir. » Alice Crites a contribué à cet article. Source : The Washington Post, le 27/03/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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