La démocratie sans peuple ? (billet invité)
Billet invité de l'œil de Brutus C'est l'utopie que semble appeler de ses vœux le philosophe libéral Gaspard Koenig dans un billet cinglant de colère sur le Brexit lorsqu'il clame « Oui à la démocratie, non au «peuple», fiction de romancier ». Mais comment cela serait-il possible ? Imaginons un brésilien arrivant à l'aéroport d'Heathrow en ce jour de référendum sur le Brexit. Pourrait-il aller porter son bulletin dans l'urne du simple fait de sa présence sur le sol britannique ? Non, bien sûr que non et il y en aurait bien peu à prôner une interprétation aussi fantasque de la démocratie. Pour qu'il y ait démocratie, il faut donc bien qu'il y ait un « dedans » - des personnes qui expriment leurs choix sur la réalisation d'un bien commun qu'ils partagent avec d'autres – et un « dehors » - ceux qui ne peuvent exprimer leur choix car ne participant pas, ou de manière trop partielle, à ce bien commun. Bien évidemment, entre ce « dedans » et ce « dehors », il ne saurait y avoir une étanchéité parfaite. Il faut avoir l'esprit sacrément obtus pour ne pas être capable d'imaginer qu'entre un modèle de libre-échange (de biens et de personnes) parfait (ce qui au demeurant n'existe pas) et la Corée du Nord, il existe une multitude de possibilités. Ces possibilités sont la manière dont nous régulons nos frontières. Cette régulation peut être très ouverte ou très peu permissive, mais cela est un autre débat. Mais dans tous les cas, c'est cette régulation – qui inclut notamment l'accès à la citoyenneté – qui permet l'existence de ce « dedans ». Et qu'est-ce que ce « dedans » ? Le peuple, tout simplement. Une communauté de personnes qui accepte de mettre en partage un bien commun, la citoyenneté. Sans cela la démocratie ne fait plus aucun sens : imaginerait-on des Brésiliens se prononcer sur le Brexit puis demain des Gallois en vacances à Rio de Janeiro sur le successeur de Dilma Roussef ? Un simple constat historique s'impose : de la Grèce antique à nos jours, il n'y a jamais eu de démocratie sans peuple, et de peuple sans Cité (ou Nation, ce qui équivaut). Alors, bien évidemment, quelques bien-pensants ramèneront le peuple à la nation, la nation à la haine, la haine à la guerre. Drôle de (faux) syllogisme qui confond le concept avec l'usage qui a pu en être fait. Avec de tels sophismes simplistes, les usagers du TGV Paris-Marseille se doutent-ils qu'ils ont maillent à partie avec les déportations de la 2e guerre mondiale ou avec celle des Arméniens par les Turcs ? Espérons que nos bien-pensants ne découvrent pas que Marine Le Pen utilisent fourchettes et couteaux pour son déjeuner sinon ils en viendront à manger avec leurs mains … Au demeurant, qui se montre le plus violent, le plus haineux et le moins ouvert ? M. Koenig lorsqu'il pérore « Je hais la nation (…) et méprise les nationalistes » ? Ou le peuple britannique qui fait le choix, assumé et dans la droite lignée de siècles d'indépendance farouche, de tourner le dos à la technocratie et aux diktats bruxellois par l'expression d'un vote on ne peut plus démocratique ? On rappellera également que, si elle se veut politique (au sens fédéral), l'Europe ne formant pas peuple, elle ne peut pas, constitutivement, être démocratique (et une addition de différentes démocraties n'a jamais formé une démocratie). Par contre, si elle se veut coopération politique (et donc confédérale), alors, oui, elle peut faire sens en tant que coopération entre peuples d'une même civilisation. |
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