Après le Brexit, en finir avec le référendum ? Par Matthieu Croissandeau
Source : Le Nouvel Obs, Matthieu Croissandeau, 29-06-2016 L'exemple du vote sur le Brexit nous a offert en quelques mois un condensé de perversion démocratique, une extravagante illustration de ce qu'il ne faut pas faire. C'est l'autre leçon du Brexit. Elle ne porte pas sur la nature du projet européen que rappelle cette semaine Jean Daniel dans son éditorial, mais sur la procédure choisie par le Royaume-Uni pour permettre à son peuple souverain de s'exprimer : le référendum. Entendons-nous, il ne s'agit pas, bien évidemment, de dénier aux électeurs le droit de se prononcer sur les grands enjeux qui les concernent dès lors que le résultat de leur vote risquerait de décevoir ceux qui les gouvernent.
Poussé à l'absurde, ce genre de raisonnement conduirait en effet à dissoudre le peuple pour en élire un autre comme l'avait magnifiquement dénoncé Bertolt Brecht !
Mais tout de même,
l'exemple britannique nous a offert en quelques mois un condensé de perversion démocratique, une extravagante illustration de ce qu'il ne faut pas faire : d'abord une manœuvre bassement politicienne de David Cameron pour rallier les suffrages eurosceptiques avant des élections à la Chambre des communes, eh oui, c’est bassement politique de donner la parole au peuple.
puis une campagne démagogique
faisant le jeu des “faire le jeu de” : expression frappant toute personne disant des trucs dérangeants pour le pouvoir. Généralement suivi des expression “extrême-droite”, “populistes”, “nazis”, … populistes de tout poil, des vainqueurs, enfin, qui reconnaissent dès le lendemain du scrutin avoir menti au pays
et – plus accablant encore – paraissent aujourd'hui bien démunis pour appliquer le verdict…
Tyrannie de la majoritéQuel naufrage, et quelle ironie, de voir les inventeurs du régime parlementaire sombrer sous les coups de boutoir de la démocratie directe !
“Le référendum, ça blesse, ça brûle, ça divise“, a justement rappelé au lendemain du scrutin le commissaire européen Pierre Moscovici devant la tentation exprimée par quelques populistes français d'imiter nos voisins britanniques.
On connaît depuis longtemps en effet les limites de l'exercice. Le caractère binaire de la question posée ne permet pas une campagne sereine. Il ouvre grand la porte à la caricature, aux mensonges et aux raccourcis. Plus le sujet est complexe, plus la réponse est décalée.
Car sa portée, alors dévoyée, se transforme souvent en plébiscite ou en rejet de son initiateur.
Quant à son résultat, forcément aussi manichéen que son intitulé, il revient à exercer une forme de tyrannie de la majorité faisant bien peu de cas des avis contraires. Alors que si le Remain avait gagné, on aurait tenu compte des minoriatires, comme on l’a vu.
Il suffit, pour s'en convaincre, de voir aujourd'hui le désespoir de la jeunesse anglaise.
Arme de frustration massiveEnfin et surtout, en matière d'affaires européennes, le référendum peut devenir une arme de frustration massive si son verdict se révèle trop compliqué à appliquer. On l'a vu en 2005 à propos du traité constitutionnel européen, en 2015 avec Aléxis Tsípras en Grèce et demain – qui sait ? – avec le Brexit.
L'Europe n'est pas exempte de critiques, loin de là. Elle est même clairement responsable du divorce à bas bruit qui couve entre ses élites et les opinions publiques. Elle a besoin de se réformer, bien sûr, de manière urgente et profonde, pour devenir plus efficace, plus transparente et plus démocratique.
Mais ce changement doit être conduit par des représentants élus sur la base de programmes clairs. On n'a pas attendu le Brexit pour découvrir que la somme des intérêts particuliers ne dessine jamais l'intérêt général. Ni qu'un référendum – notre passé bonapartiste l'a montré – pouvait parfois se révéler liberticide !
Matthieu Croissandeau Source : Le Nouvel Obs, Matthieu Croissandeau, 29-06-2016 Cadeau :
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