mardi 7 juin 2016

Quand le FMI critique le néolibéralisme…, par Romaric Godin

Quand le FMI critique le néolibéralisme…, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 27/05/2016

La fin du consensus de Washington ? (Crédits : © Kim Kyung Hoon / Reuters)

La fin du consensus de Washington ? (Crédits : © Kim Kyung Hoon / Reuters)

Dans un article signé de trois de ses économistes, le FMI estime que les politiques “néolibérales” ont été “survendues”, notamment l’ouverture des marchés de capitaux et les politiques d’austérité. Un tournant ?

Dans les années 1980, le FMI était le bras armé de la révolution libérale qui avait commencé sous l’influence des penseurs monétaristes lors de la décennie précédente. L’institution promouvait partout où elle allait les mêmes politiques : réduction de la taille de l’Etat, excédents budgétaires, déconstructions des politiques sociales, privatisations massives et ouvertures des marchés. Ces politiques ont même été connues sous le nom de « consensus de Washington » en référence au siège du FMI.

Un article qui remet en cause le fondement de la pensée du FMI

Cette tradition vacillerait-elle ? Le FMI serait-il sur le point de prendre conscience de ses erreurs passées ? Alors qu’il lutte actuellement avec l’Eurogroupe pour en finir avec le songe de la « soutenabilité de la dette grecque » grâce à des excédents budgétaires primaires gigantesques et infinis, le Fonds vient de publier ce jeudi 26 mai un article dans son magazine Finance & Development qui remet en cause la toute-puissance des recettes « néolibérales ».

Dans un article titré « Le néolibéralisme est-il survendu ? », les trois auteurs, Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, tous trois économistes à la section de recherche du FMI, soulignent les effets négatifs de deux types de politiques longtemps soutenues par le FMI : l’ouverture du marché des capitaux et les politiques d’austérité et de privatisations. Certes, le texte souligne qu’il existe « beaucoup de raisons de se réjouir à propos de l’agenda néolibéral », citant le développement des économies émergentes, la sortie de la pauvreté de millions de personnes et la meilleure efficacité des services fournis. Mais le texte cherche clairement à corriger l’idée d’une solution miracle et insiste sur les effets néfastes des politiques néolibérales.

Les effets néfastes de l’ouverture aux marchés de capitaux

Sur l’ouverture des marchés de capitaux, l’article souligne combien le lien entre ce phénomène et la croissance est un lien complexe. Si les investissements directs étrangers sont clairement favorables au développement économique, il n’en va pas de même d’autres flux financiers comme les flux bancaires, les flux spéculatifs à court terme (« hot money ») ou les flux purement de portefeuilles. Ces flux financiers alimentent des bulles qui débouchent sur de la volatilité et des crises. « Depuis 1980, indique l’article, il y a eu 150 épisodes de forte hausse des flux entrants de capitaux dans plus de 50 économies émergentes (…) et dans 20 % des cas, ceci s’achève par une crise financière qui, souvent, débouche sur un recul de la production », indique l’article.

Pour les économistes du Fonds, « l’ouverture accrue au marché des capitaux figure en permanence comme un facteur de risque ». Le FMI souligne aussi le biais distributif de ces flux de capitaux qui accroissent les inégalités et donc pèsent sur la croissance, notamment lorsqu’un krach survient. Au final, les économistes jugent même que le contrôle des capitaux, avec le taux de change et la réglementation financière, peut être une « option viable quand la source d’une hausse insoutenable du crédit vient directement de l’étranger ».

Baisser la dette à tout prix ?

Les économistes passent ensuite aux politiques d’austérité. Tout en défendant l’idée d’une nécessaire consolidation budgétaire lorsque le pays est menacé de perdre son accès au marché, ce qui semble justifier les politiques menées en Europe du sud depuis 2010, les auteurs soulignent qu’une dette élevée n’est pas toujours un problème pour la croissance, notamment lorsque le pays dispose d’une bonne réputation et n’est pas menacé de perdre cet accès, la réduction de la dette à tout prix « semble avoir un bénéfice remarquablement faible » en termes d’assurance contre les futures crises budgétaires. Passer d’une dette de 120 % du PIB à 100 % du PIB apporterait bien peu pour les économistes. L’élément le plus intéressant est que le FMI souligne ici que « la mise en garde contre une politique de recette qui vaut pour tous est justifiée ». Or, c’est cette politique qui a été menée en Europe entre 2010 et 2013.

Découverte des effets négatifs de l’austérité

Les auteurs remarquent ensuite que l’intérêt de l’austérité doit prendre en compte son coût. Or, ils insistent sur le fait que ce coût est très élevé. Le texte nie l’existence de la « consolidation budgétaire favorable à la croissance », chère à Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE et nouveau membre du Conseil européen du risque systémique. « En pratique, les épisodes de consolidations budgétaires ont été suivies par un recul plutôt que par une hausse de la production », explique le texte qui quantifie cet effet : toute consolidation de 1 % du PIB conduit à une hausse de 0,6 point du taux de chômage à long terme et à une hausse de 1,5 point du coefficient de Gini qui estime les inégalités. Bref, le FMI découvre les multiplicateurs budgétaires et le manque de sérieux de la théorie de l’équivalence ricardienne.

Malgré les appels à la prudence des auteurs, ce texte semble prouver que le FMI s’interroge sur ses fondements théoriques. Son attitude face à la crise grecque semble le confirmer. Le changement ne se fera sans doute pas en un jour, mais cet aggiornamento semblait in fine nécessaire.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 27/05/2016

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