Voilà six mois que François Hollande est président de la République. Il avait promis une rupture dans la manière d’exercer sa responsabilité, d’appliquer la gouvernance avec son Premier ministre, mais aussi de communiquer. Quels premiers enseignements peut-on dresser ?
La rupture a eu lieu. Mais dans le système politique contemporain et, au-delà, dans la société moderne, les concepts, les rhétoriques, les postures s’usent très vite, trop vite. En l’occurrence, la « normalité » qu’il avait promise est déjà contestée, notamment, et de manière disproportionnée par une presse qui oublie ou méprise le temps de la politique et des réformes, créant alors un amalgame corrélatif entre lenteur et immobilisme, entre patience et inactivité. Pour autant, le pouvoir en place et plus globalement la nouvelle majorité ne sont pas exempts d’erreurs et de responsabilités : ils peinent à communiquer au sens fort du terme, c’est-à-dire construire un lien avec le pays. Compressés par la volonté de rompre avec la stratégie de communication de leurs prédécesseurs mais saisis par la gravité de la crise, ils se replient sur l’action sans escorter celle-ci d’un « faire savoir » et d’une pédagogie adaptés. Or en politique l’acte de parole est central, surtout lorsque l’on reprend le pouvoir. Le « silence » gouvernemental est apaisant, mais il perturbe une opinion publique qui, particulièrement dans un contexte de crise et de grandes incertitudes, a besoin de connaître et de comprendre les changements en cours. Y compris pour se les approprier et accorder sa confiance à ceux qui les piloteront. La politique, c’est toujours un exercice d’explication, de mise en perspective, et les nouveaux gouvernants doivent apprendre à en façonner une forme inédite, qui leur soit propre et leur corresponde. La marge de man?uvre est toutefois étroite, car ces élections ne furent pas triomphales et résultèrent du bon sens. Et elle doit composer avec une opposition vindicative et volontiers arrogante, dont l’enjeu ante et post primaires de cet automne enflamme la capacité critique en dépit d’une situation ubuesque : peut-on décemment juger l’action d’un gouvernement en place depuis quelques mois lorsqu’on lui laisse cinq années d’un bilan discutable ?
Que la presse et l’opinion publique aient ainsi décidé de fustiger dès la rentrée de septembre, soit seulement quelques semaines après la fin du scrutin législatif, la supposée absence de cap, de conviction, de décision, même la mollesse du tandem Hollande-Ayrault, démontre-t-il que Nicolas Sarkozy a enraciné dans la conscience collective le sentiment que l’autorité, la crédibilité, l’efficacité ne peuvent résulter que d’une pratique ostentatoire, clivante, directive, immédiate, voire autocrate du pouvoir ?
Ce n’est pas l’opinion publique qui a « tiré » la première ; ce sont les médias qui, au nom de leur autonomie, ont tendance à se considérer comme un quatrième pouvoir. Ils ont pensé trouver dans la très relative déception de l’opinion publique un terreau fertile pour donner une résonance à leurs prises de position. Mais à terme, le calcul est fallacieux. La folie de la vitesse qui a gagné le fonctionnement des médias ne peut pas déstabiliser à ce point la politique. Nicolas Sarkozy voulait en quelque sorte une politique à la vitesse des médias. C’est impossible et dangereux. D’autant que cette obsession de la vitesse et de l’hypermédiatisation est moins un idéal que le résultat d’une concurrence farouche qui ne dit pas son nom entre les médias classiques et les nouveaux supports – internet, réseaux sociaux, twitter… – Cette course contre la montre n’a pas grand chose à voir avec l’idéal de l’information au nom de laquelle elle est faite. Les médias confondent une espèce de pseudo-rationalité journalistique avec une bataille économique et justifient cette concurrence endiablée, au nom du progrès de l’information. Un tel amalgame est invraisemblable. Qui vit à un rythme de secrets, révélations, exclusivités… quotidiens ? Reste qu’après le rythme effréné que Nicolas Sarkozy leur avait imposé, – y compris parce que l’agenda du président leur fournissait confortablement matière à « remplir » leur grilles ou leurs pages -, le rythme déployé par François Hollande leur semble si calme qu’ils l’assimilent à une soi-disant inaction. En agissant de la sorte, ces médias prennent le risque de mettre en péril leur propre légitimité. Rien ne dit en effet que les citoyens apprécient cette course effrénée et les leaders médiatiques ne font pas l’opinion. Celle-ci se construit très lentement, selon des rythmes et surtout des logiques beaucoup plus complexes que celle des médias ou des sondages. Un « retour de bâton » pourrait être cuisant.
Particulièrement en période de crise, les Français sont en demande d’un « chef », d’une autorité qui rassure, anticipe, sur-communique et donne l’impression de maîtriser le cap. La difficile transition portée par François Hollande n’est-elle pas la preuve que l’individu est intoxiqué par une stratégie et un traitement médiatiques qui pendant cinq ans ont créé l’assimilation entre le « faire » et le « faire savoir » ?
En situation de crise, « on » veut un grand capitaine. Pour l’heure, François Hollande n’en porte pas les habits. Mais peut-être le sera-t-il un jour, peut-être se révélera-t-il dans la fonction, peut-être imposera-t-il un style performant… Méfions-nous des jugements hâtifs, ils font partie de cette idéologie de la vitesse qui d’ailleurs permettra, avec la même certitude, de dire le contraire de ce qui a été prononcé. En ce qui concerne François Hollande, son parcours appelle à la prudence. Il n’a jamais été ministre, il fut toujours un « second » jugé inoffensif par ses rivaux, mais c’est lui qui est aujourd’hui président.
Nicolas Sarkozy pensait que « faire savoir » c’était « faire ». Résultat : une contestation radicale, un rejet, et in fine la défaite. Il est exact que sa stratégie s’était tant déployée qu’elle avait conditionné le rapport des gens à la communication politique. Et elle contribue à placer François Hollande dans une situation délicate : il doit créer de « l’exceptionnel » en demeurant dans une posture « banale », il doit susciter de la crédibilité sans verser dans les excès « bling bling » de son prédécesseur. La nature du ton et des discours peut y contribuer, mais pour l’heure ce n’est pas audible. Et le problème est qu’en matière de communication politique le staff de François Hollande n’a pas anticipé la victoire et ne s’est pas projeté dans l’application d’une stratégie structurée, fondée, durable. Les socialistes n’avaient pas assez travaillé et préparé le changement. Décréter une « présidence normale » est une posture, mais délestée d’une véritable stratégie alternative n’a pas d’avenir pertinent. La « normalité », la banalité, le classicisme de ladite stratégie aujourd’hui employée ne sont pas adaptés aux enjeux. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est l’action et les résultats dans un contexte impitoyable.
La gauche est culturellement insubordonnée, et la cohabitation éruptive au sein du gouvernement de personnalités et d’obédiences antagoniques en témoigne : l’esprit culturel de gauche est-il incompatible avec la discipline qu’impose l’exercice du pouvoir ?
Non. Simplement, la nature et l’expression de cette discipline sont singulières. Elles sont essentiellement politiques et idéologiques, et interviennent lors des arbitrages. Les conflits internes au PS prennent trop de place, même si les dirigeants ont l’habitude de les gérer. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas le PS, mais la France. Et les Français ne supportent pas cette confusion. Pour l’heure, les socialistes ont du mal à réussir une communication d’État performante. Cette difficulté à inventer un autre mode de communication publique et politique est d’autant plus étonnante que la majorité actuelle dispose d’une substantielle expérience du pouvoir dans les grandes villes, les régions, et les départements. De quoi ce paradoxe résulte-t-il ? Les raisons sont multiples. Mais la première d’entre elles, c’est l’absence dans leurs rangs d’une réflexion critique sur le statut, les leviers, les desseins, les impacts de la communication, du rapport entre communication et politique. Et surtout d’une confusion entre la remarquable complexité du fonctionnement de l’opinion publique et sa simplification sécurisante, dans les sondages.
Les vives critiques de la presse dite de gauche contre la politique du gouvernement répondent-elles de cette insoumission culturelle endogène, d’une louable indépendance, ou d’une stratégie marketing ?
Contrairement à ce que les éditorialistes concernés expriment, ce déferlement ne traduit pas une maturité. L’analyse est plus triviale : le pouvoir médiatique ne sait plus s’arrêter, ne connait plus ses limites, se croit légitime à tout juger, tout examiner, tout critiquer, tout revendiquer. Or franchir cette ligne pourrait lui être fatal, car le public, même s’il est parfois voyeur ou en accord idéologique, ne souscrit pas à cette outrance dans l’anathème qui décrédibilise l’information et discrédite la posture. « Dégommer » un président après quatre mois d’exercice n’est pas une marque d’indépendance mais d’inconsistance. Etre indépendant, c’est chercher des sujets singuliers, c’est les traiter autrement, c’est être neuf dans leur exploration, c’est prendre le temps de bien les réaliser, c’est proposer une vision insoupçonnée de la société, c’est comparer. Et surtout c’est sortir de France. Voyager. Interroger l’extrême complexité de l’Europe et sa force. Et aussi se familiariser avec l’extraordinaire rupture de la mondialisation… Bref, c’est être original, rigoureux et intègre, se différencier, et ne pas « surfer » sur la production des rivaux. L’originalité, ce n’est pas être « de gauche » ce qu’il faudrait encore expliciter, et s’employer à anéantir l’action de la gauche au pouvoir – cette observation vaudrait bien sûr pour une presse de droite à l’égard d’une droite au pouvoir depuis quatre mois. Oui à l’information, à la critique, et au contre-pouvoir de la presse. Non au mythe de l’auto-institution de la presse en 4e pouvoir. Seuls les politiques ont la redoutable responsabilité de l’action. D’ailleurs, il faut nuancer. Cette dérive, en France, comme ailleurs, ne concerne pas tous les médias mais surtout une partie de la hiérarchie journalistique et éditorialiste.
Etre vainqueur davantage par défaut qu’au nom d’une idéologie, d’un projet et d’un programme différenciants, doit-il dicter une certaine manière de communiquer ?
Absolument. Etre élu par défaut ne constitue pas en soi un handicap, car la légitimité peut être conquise une fois au pouvoir. En revanche, et toujours au nom de cette soi-disant « normalité », les dirigeants socialistes ont commis l’erreur d’adopter un style extrêmement classique et traditionnel du pouvoir, au point que l’opinion ne distingue qu’avec peine les ministres des gouvernements Ayrault et Fillon. La similitude des apparences et des modes d’expression, des styles technocratiques, des langues de bois, des manières de parler… induit l’idée qu’il n’existe pas de différences dans le fonctionnement, dans les méthodes, dans la stratégie du gouvernement et de l’État. Cette confusion est problématique.
Le cas Montebourg-Pulvar est symptomatique : la compagne d’un ministre emblématique est nommée à la tête d’un hebdomadaire politique par un propriétaire, également co-actionnaire du Monde, par ailleurs mandaté par Bercy – où siège ledit ministre – pour paver la création de la Banque publique d’investissement. Quant à Valérie Trierweiler, en dépit de son mea culpa et de son renoncement à intégrer la chaine D8, elle poursuit sa collaboration à Paris Match, tout en bénéficiant de la logistique humaine, organisationnelle, financière propre à sa condition de Première Dame. La liberté de travailler, particulièrement pour les « compagnes ou compagnons de », peut-elle s’appliquer sans conditions à l’exercice journalistique ?
Les deux cas sont différents. On peut faire confiance à la capacité à distinguer information et politique pour les journalistes. Non, le problème ici plus grave est la consanguinité de plus en plus forte entre journalistes et politiques. Preuve que les uns et les autres vivent de plus en plus les uns sur les autres. Ce qui pose un problème de fond : la fin d’une vision différente du monde et une certaine homogénéisation de points de vue. Donc un risque d’appauvrissement, que la société verra très bien. La compagne d’un président de la République pose un autre problème. Jusqu’où peut-on tout faire, et surtout a-t-on encore la capacité de se dédoubler ? On ne peut pas à la fois bénéficier de tous les honneurs et des servitudes de la République et faire semblant d’être indépendante dans la pratique de sa profession. Il faut choisir. Le vrai problème plus général est le manque d’autonomie du monde médiatique par rapport à la politique. D’une manière générale, les élites dans les démocraties sont beaucoup trop homogènes, et la société le voit, alimentant un populisme rampant. Plus le monde est apparemment transparent, plus il faut au contraire préserver les différents points de vue entre information, action politique, culture et connaissance. La consanguinité actuelle est dévastatrice pour la démocratie. Pas d’espace public sans hétérogénéité de points de vue, et sans visibilité de cette hétérogénéité. C’est la condition du lien social. Sinon la représentation de la société est bancale. Refléter la complexité et l’hétérogénéité de la société est la condition du fonctionnement des sociétés contemporaines. D’où la responsabilité des médias qui hélas se ressemblent tous, beaucoup trop.
A l’heure d’une crise de confiance sans précédent de l’opinion publique à l’égard des journalistes et des producteurs d’information, mesure-t-on les dégâts que ces collusions provoquent ?
On ne le mesure pas parce que ce n’est pas visible. C’est comme la question très compliquée de l’opinion publique, à savoir les mutations lentes invisibles avec les sondages. En cinquante ans, le contre-pouvoir médiatique, dans les démocraties évidemment et non dans les régimes autoritaires, a tendance à ne plus savoir où sont ses limites. D’autant que le pouvoir politique, avec la visibilité justifiée critique des médias, la rigidité de nos sociétés et les difficultés de la mondialisation, devient de plus en plus fragile. La baisse de prestige de la politique ne doit pas faire oublier sa spécificité : la grandeur et les risques de l’action. Mais comme la collusion presse – politique – élites en général est trop forte, cela ne donne plus confiance aux citoyens. Surtout en temps de crise, alimentant ce pernicieux populisme rampant. La transparence critique se retourne contre les médias avec cette réflexion : « Ils ne sont pas mieux que ceux qu’ils critiquent. Tout ça, c’est le même monde ».
Ces délétères effets collatéraux sont-ils fondamentalement différents de ceux générés par la proximité incestueuse qui liait Nicolas Sarkozy à plusieurs « patrons de presse » – Arnaud Lagardère, Martin Bouygues, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Bernard Arnault… – ?
Ce problème n’était pas propre à Nicolas Sarkozy. Ce qui était inédit, c’était cette correspondance générationnelle entre lui et les patrons de presse, c’était aussi cette manière de l’afficher ostensiblement. Pour autant, était-ce pire ? Certes, quelques coups de téléphone douteux passés aux dirigeants de quelques grands titres avaient témoigné d’un raisonnement classique – et faux – du pouvoir politique convaincu que s’il maîtrise les « tuyaux » il maîtrise les consciences. Mais c’était oublier deux paramètres : celui des journalistes, qui à un moment se révoltent, et celui des citoyens que l’envahissement de messages, souvent unilatéraux, ne rend pas plus dociles ou favorables. Cette collusion entre Nicolas Sarkozy et certains médias l’a servi jusqu’en 2010. Puis, comme autrefois Michel Rocard, François Mitterrand ou Jacques Chirac l’avaient eux-mêmes expérimenté, l’élite médiatique s’est détournée puis s’est retournée contre sa « coqueluche ». La volte-face fut brutale. Sa côte de confiance au sein des médias était devenue faible mais il « tenait » encore ces derniers grâce à ses « amis » et ainsi demeurait hyper médiatisé. Pour cette raison, il a eu grand tort de s’afficher en « victime expiatoire » desdits médias. Et l’issue du scrutin a donc démontré que « tenir » les médias ne signifie pas « tenir » les consciences.
Le plus important n’est pas ce que les médias disent du président, c’est la perception que les citoyens se font de l’action du Président. Or ils sont à même de juger de la cohérence ou du décalage entre les discours et les actes du pouvoir indépendamment des médias.
Il fut reproché à Nicolas Sarkozy de mêler l’opinion publique à ses affaires privées les plus intimes. Et son successeur avait, là encore, promis la rupture. De la guerre que se livrent Ségolène Royal et Valérie Trierweiler au fameux tweet de cette dernière en passant par les prises de position des enfants du couple Royal – Hollande, le nouveau Président ne fait pas mieux que son prédécesseur. Seule différence : il est débordé là où Nicolas Sarkozy manoeuvrait voire instrumentalisait. Est-ce intrinsèque à une société des réseaux sociaux, de la surenchère médiatique, de l’interconnexion immédiate, et de la dictature de l’anecdote qu’aucune volonté ne peut désormais contenir ? Ce tweet pourrait-il se révéler le pendant du funeste dîner au Fouquet’s qui poursuivit Nicolas Sarkozy durant toute sa mandature ?
Qu’un président de la République se montre incapable de contenir les sentiments de sa compagne n’est pas anodin au moment où il s’emploie à l’égard de l’opinion publique à asseoir sa légitimité. Ceci étant, les personnalités, politiques ou artistiques, disposent d’une marge de man?uvre dans leur appréhension des mécanismes de peoplisation qui se sont imposés dans la société et au sein des médias. Tout est question d’anticipation, de rigueur, de discipline. Et de lucidité : on ne peut pas espérer vivre « normalement » et exprimer « librement » ses sentiments lorsqu’on est la compagne du président de la République. Cette absence de réflexion sur les enjeux contemporains de la communication est sidérante. Et cette illusion de croire que « twitter » fait de vous une personne moderne et proche des jeunes, est tout aussi incompréhensible. Le tweet est un poison pour ceux qui s’y enferment et n’est la preuve d’aucune intelligence. La réalité politique ne va pas à la vitesse de ces commentaires, et la société est dans un autre espace-temps. Toujours cette illusion d’une élite qui en saurait plus que les autres dans une sorte de virtuosité de la vitesse… On voit le résultat…
Le numérique a bel et bien bouleversé l’exercice politique. Le rapport des élus au peuple est métamorphosé, la participation de ce dernier à la « chose politique » est transformée. Une nouvelle démocratie est-elle en train de naître ? Le risque que les institutions représentatives volent en éclats sous le joug d’une supposée démocratie directe est-il réel ?
On assiste moins à l’irruption d’un nouveau modèle qu’à celle d’une forme caricaturale d’un modèle ancien. Cette dérive, c’est la liberté de la presse désormais sans limite. Liberté au nom de laquelle la peoplisation, le parler de soi, la mise en scène, la futilité, l’absence de culture, deviennent la norme, le narcissisme et l’auto-congratulation un idéal… Cela va accentuer le sens critique du public, mais aussi obliger à réintroduire de la démocratie « indirecte ». Pour casser l’illusion d’une société en direct, étouffée par la peopolisation, la psychologie, et les révélations, il faut maintenir la compétence et la visibilité de tous les intermédiaires d’une société : hauts fonctionnaires, professeurs, médecins, militaires, religieux… Laisser visible cette hétérogénéité de la société et casser la fausse homogénéité. Organiser la cohabitation de points de vue contradictoires. Quant à l’avènement d’une démocratie directe, je n’y crois pas. Certes, les nouvelles technologies ont modifié les codes de l’information et de la communication, ils ont instauré une instantanéité et une interactivité avec lesquelles il faut intelligemment composer. Mais la classe politique ne doit en aucun cas faire acte de suivisme. La politique ne se fera jamais à la vitesse des internautes. Heureusement. Et surtout en démocratie où le défi est justement d’organiser la cohabitation de points de vue et de gérer les échelles contradictoires du temps. Plus tout est transparent, plus chacun doit demeurer à sa place. Un journaliste est un journaliste, un élu est un élu, un scientifique est un scientifique, un patron est un patron, etc. Les identités des uns ne peuvent se substituer à celles des autres, et il n’y a pas de progrès dans cette sorte de mimétisme techniciste et urbain. La modernité ne veut pas dire grand chose quand tout est moderne. Cette confusion rétrécit l’espace de représentation nécessaire au fonctionnement de la démocratie. C’est l’altérité des points de vue qui est au c?ur de la politique. Et c’est en cela que l’homogénéité des élites est dangereuse. La « transparence » apparente de nos sociétés devrait au contraire renforcer la visibilité de la transparence des repères politiques et culturels. Ceci afin de ne pas confondre les performances techniques qui permettent vitesse et transparence avec l’inévitable et indispensable épaisseur des sociétés et des cultures.
Source : La Tribune, Denis Lafay, 01/11/2012
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