jeudi 12 mai 2016

Autisme gouvernemental (billet invité)

Autisme gouvernemental (billet invité)

Billet invité de l'œil de Brutus



Les récentes manifestations contre la loi El Khomri ont dégénéré, un peu partout, en violences qu'il ne s'agit ici nullement d'excuser, encore moins lorsqu'elles mettent en danger la vie d'agents de la force publique qui risquent quotidiennement leur vie pour nous protéger et qu'il y a peu étaient unanimement salués pour leur dévouement. Ces violences permettent cependant d'effectuer deux constats.

Le premier est, qu'à l'inverse de mes espoirs initiaux, une part importante du mouvement Nuit Debout s'est fait récupérer par quelques gauchistes, pseudo-révolutionnaires professionnels qui espèrent encore, à la mode d'un Lénine des journées d'octobre 1917, qu'une poignée d'entre eux pourra générer un fantasmagorique Grand Soir. La scandaleuse expulsion d'Alain Finkielkraut[i]de la Place de la République ne fut ainsi, en fait, qu'un prélude à ces violences. Outre leur comportement, diamétralement opposé aux valeurs dont ils se réclament – en particulier démocratie directe et citoyenneté –, la gauche libertaire fait là tout le jeu du système néolibéral qu'elle prétend combattre. Car la mise à bas de l'oligarchie qui mène la France au gouffre ne se fera certes pas sur les bases ultra-minoritaires qu'elle représente. Face à une oligarchie qui a méticuleusement verrouillé les institutions, en particulier politiques et médiatiques, ce nécessaire renouveau ne pourra se faire que sur la plus large base possible. Il nécessite un esprit de Résistance qui fasse taire les clivages sectaires. C'est tout le sens de l'appel à la constitution d'un Front de libération émis par Jacques Sapir et largement développé ici. Or, en excitant les divisions entre Français de bonne volonté, ces gauchistes sont, dans les faits et dans la pratique de la même manière que le Front national, les idiots utiles du système en place. Ajoutons qu'en utilisant une violence sectaire, physique comme verbale, à l'égard de personnes – autant Alain Finkielkraut que les policiers et tant d'autres jugés plus ou moins indésirables[ii]– qui ne sont pas nécessairement opposés à leurs revendications de fond, ils justifient au regard de la grande majorité l'utilisation d'une répression plus musclée et discréditent leur propre mouvement. Lorsque l'on invective, bouscule, crache puisse chasse d'un espace public quelqu'un pour le simple fait que ses idées sont jugées non convenables (c'est-à-dire incompatibles avec leur supposé camp du Bien), c'est que, dans l'esprit, les massacres de Septembre et les excitations d'un Hébert et autres Enragés ne sont plus loin.  Ainsi, entre le gauchisme et le social-libéralisme à la sauce Hollande-Valls-Macron, il y a un vide terrible. Un vide de gauche qu'il est plus qu'urgent de réinventer. On aurait pu croire que c'était l'objet de Nuit Debout. Ce ne semble, malheureusement, plus le cas : le gauchisme est factuellement le plus grand pourfendeur de la gauche.
Mais, et c'est l'objet du deuxième constat, cette violence n'est malheureusement pas une surprise et risque fort de se développer dans les mois qui viennent. En effet, dans un régime qui n'est plus que démocratie de façade – une démocrannie pour reprendre le néologisme de Jacques Sapir – et dans lequel par voie de conséquence l'avis du peuple est méprisé, le mécontentement finit par s'exprimer non plus dans les urnes mais dans la rue. Et lorsque la rue n'est elle-même plus écoutée, c'est la violence qui se fait entendre. C'est en effet désormais une évidence que le vote des citoyens ne compte plus. Il a été méprisé lorsque, en 2005, il s'est opposé à la construction européenne telle que vue, et désormais imposée, par l'oligarchie européiste. Il a été bafoué tant par Nicolas Sarkozy que par François Hollande lorsque, l'un comme une autre, une fois élus se sont appliqués, dans bien des domaines, à faire strictement l'inverse de ce qu'ils avaient annoncé. Enfin, et sans doute pire que tout, le peuple français n'est tout simplement même plus consulté lorsqu'il s'agit de modifier saconstitution et d'adopter, dans le dos des citoyens et souvent en complète opacité, des traités, tels que les TSCG[iii]et le TTIP[iv], qui les concernent pourtant au premier chef. Cet autisme des classes dirigeantes, totalement coupées des réalités – notamment de par la professionnalisation de la politique –, est en réalité la première des causes des radicalisations et du recours à la violence. Tant qu'elles resteront au pouvoir, radicalisations et violences ne feront que croître un peu partout. Ses représentants seraient un tant soit peu animés par l'esprit de responsabilité (l'on sait très bien qu'ils ont abandonné l'esprit de conviction depuis fort longtemps), qu'ils abandonneraient séance tenante toutes activités politiques avant que la France – et l'Europe – ne sombre dans l'anarchie. On peut, malheureusement, toujours rêver.
En tout état de cause, l'oligarchie a dépassé le dilemme du président Mac Mahon. Elle ne peut même plus se soumettre à la volonté souveraine du peuple français puisqu'elle a tout fait pour détruire cette souveraineté. Il ne lui reste plus qu'à se démettre.  
Précision suite au commentaire d'un lecteur : comme annoncé en introduction, il ne s'agit pas ici de légitimer la violence mais d'en expliquer l'origine et le fait que si ce qui en est la cause - l'autisme gouvernemental - ne change pas, elle ne pourra qu'aller croissant. Cela ne tient lieu ni de légitimation, ni même encore moins de vœux.



[i]  Lire :
Alain Finkielkraut, Nuit debout et le fascisme des antifascistes, Mathieu Bock-Côté, Figarovox, 18-avr.-16 ;
Nuit Debout laisse des plumes dans l'expulsion de Finkielkraut, Thomas Vampouille, Marianne, 18-avr.-16.
[ii] Lire :
Géant, Marc Rameaux, Le Troisième homme, 22-févr-16 ;
Alain Finkielkraut, Nuit debout et le fascisme des antifascistes, Mathieu Bock-Côté, Figarovox, 18-avr-16.

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