Russia Today : allo Paris, ici Moscou – Par Dominique Albertini et Jérôme Lefilliâtre
Source : Libération, 08-04-2016 Par etPorte-voix du Kremlin à l'étranger et très proche de l'extrême droite, RT existe déjà dans l'Hexagone sous la forme d'un site internet. Le média projette de lancer une version française de la chaîne télé. L'article, daté du 7 mars, est couronné d'un titre superbe : «L'art consommé de la propagande ou comment accuser Poutine de tous les maux de l'Europe».
Rebondissant sur une information d'un média allemand,
selon laquelle Berlin s'inquiète de la «propagande» orchestrée par Moscou, «l'analyse» n'est pas signée. Je cite le France 24 allemand : Mais elle ne fait pas dans la dentelle pour défendre le maître du Kremlin : «Ce ne serait pas surprenant si, dans quelques décennies, des documents d'Etat montraient qu'accuser Vladimir Poutine de tous les maux est en fait une politique officielle de notre époque. La Russie semble être devenue le bouc émissaire pour toutes les difficultés contemporaines rencontrées par l'Occident.» Suit un long plaidoyer censé démontrer l'acharnement de l'Union européenne contre la Russie. Quels paranos ces Russes… Ainsi va la vie journalistique sur le site d'information Français.rt.com, rameau hexagonal de la chaîne internationale Russia Today, propriété de l'État russe et équivalent de France 24 ou de la BBC – l'indépendance en moins. Lancé en 2015, RT compte à Paris une douzaine de salariés produisant des contenus originaux, en plus de ceux fournis et traduits par Moscou. Ce qui lui permet de publier chaque jour plusieurs dizaines d'articles, le plus souvent non signés,
dans le but de «donner la vision de la Russie». C'est par cette formule que le président de RT France, Irakly Gachechiladze, avait présenté son média en octobre au marché international de l'audiovisuel de Cannes (contacté à plusieurs reprises, RT n'a pas souhaité répondre à Libération).
Le moins que l'on puisse dire est qu'il tient la ligne de la diplomatie russe, avec des papiers toujours défavorables aux Etats-Unis, à la Turquie et à l'Ukraine, mais vantant sans nuance les mérites des régimes syrien et iranien.
Monde apocalyptique. Ce bourrage de crâne intensif ne fait même pas semblant de chercher l'équilibre des points de vue. Y compris lorsque l'on touche au pire : après la condamnation, le 24 mars, pour «génocide» de Radovan Karadzic, RT publie un article au titre éloquent : «Cela serait à hurler de rire si ce n'était pas si macabre.» L'auteur est un géopolitologue du nom de John Laughland, récemment apparu dans une conférence de presse aux côtés d'un eurodéputé FN.
Visiblement en phase avec l'alliance historique nouée par Moscou et Belgrade, il tente une improbable réhabilitation de l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie : «En voulant préserver à tout prix la condamnation sensationnaliste pour génocide, […] les juges n'ont […] prêté aucune attention aux centaines de témoins à décharge ni aux arguments de la défense prouvant que Karadzic avait essayé d'éviter le pire.» C'est bien connu, le célèbre «boucher des Balkans» a essayé d'éviter le pire.
La «vision de la Russie» portée par RT ne se cantonne pas à la politique étrangère. Le site traite aussi de l'actualité française avec un biais politique à peine dissimulé.
Obsédé par les sujets liés à l'islam et aux migrants, dont il se détourne seulement pour tancer le mariage gay et défendre un protectionnisme autant identitaire qu'économique (on caricature à peine),
le média fait la peinture d'un monde apocalyptique où règnent le désordre et la fureur.
Et donne la parole à la droite dure ou extrême, nouvelle fan et coqueluche de Moscou (voir ci-contre). Forcément, elle accourt. Sur RT, les responsables du FN sont interrogés à propos de tout et n'importe quoi, et les moindres faits et gestes de Marine Le Pen sont relatés.
Entre décembre et mars, le souverainiste Philippe de Villiers a aussi eu le droit à trois entretiens, dans lesquels il a pu donner libre cours à sa haine de «la religion du sans-frontiérisme et du multiculturalisme» et d'un monde transformé «en un marché planétaire de masses où le citoyen devient un simple consommateur asexué, apatride, désinstitué, nomade, déraciné». De même, les parlementaires prorusses des Républicains (LR), comme Thierry Mariani, l'un des plus fervents soutiens de Moscou en France, sont accueillis à bras ouverts. Dans un autre genre, pendant la COP 21, RT a donné un micro à Philippe Verdier, ex-Monsieur météo de France 2, viré de la chaîne après la publication d'un livre climatosceptique, pour commenter l'événement dans une série d'éditos. Le site a constitué une équipe de chroniqueurs nettement positionnés sur l'échiquier de la pensée : Bernard Lugan, un historien africaniste proche de l'Action française ; Michel Collon, un ancien militant communiste belge désormais aux commandes d'«Investig'Action», un site qui pourfend «les médiamensonges et les manipulations» ; Jacques Sapir, économiste souverainiste, pro-russe et anti-euro, ayant récemment souhaité la constitution d'un «front de libération nationale» comprenant notamment le FN avant de nuancer sa position ;
ou encore Yves de Kerdrel, le directeur de Valeurs actuelles, l'hebdo ultra-droitier. «Ils ont dû voir dans mes papiers que j'étais plutôt prorusse, raconte ce dernier. Ils cherchent des gens qui prennent leur parti. Ils ont une vraie vision du monde, comme les Allemands au temps de Bismarck. Pour eux, seules survivront les civilisations qui ont une histoire.» Ici, le journalisme s'embarrasse moins de l'objectivité que du combat d'idées. Ainsi RT est-il devenu l'un des médias préférés de la «fachosphère».
«Rumeurs». «Je ne sais pas si on peut parler de propagande, mais c'est au moins du soft power», observe un ex-rédacteur du site qui n'a pas voulu renouveler son CDD à RT et souhaite rester anonyme. Comme lui, quatre journalistes embauchés l'an dernier ont quitté le navire depuis, effarés par la ligne éditoriale. «Ce n'était pas possible au niveau de l'éthique journalistique, raconte un autre. Pas seulement parce que c'est partial, mais aussi parce qu'ils reprennent des rumeurs, des fausses infos et font des articles à base de tweets. J'ai l'impression d'y avoir vécu le pire des journalismes.» Une déception. «Au départ, l'idée présentée était de donner la parole à des gens qu'on voyait peu dans les médias, y compris à gauche, poursuit le premier. Mais il y a eu une reprise en main au mois d'octobre, et à partir de là on a nous poussés à interviewer des gens d'extrême droite. Pour autant, la ligne pro-FN n'est pas revendiquée clairement en interne. C'est plus insidieux.» Les partants ont été remplacés, et pour éviter les malentendus, les petits nouveaux ont été sélectionnés sur affinités. Un certain Jonathan Moadab, juif «altersioniste» revendiqué et ex-animateur du site complotiste le Cercle des volontaires, a été recruté.
Sollicité, il a refusé de répondre à nos questions. A RT, il court les manifs, les conférences de presse et les faits divers pour filmer ce qui s'y passe. «La vidéo est la nouvelle politique de la maison, explique un ancien du site. Ils veulent des images chocs pour faire monter l'audience.» Depuis quelques semaines, on peut apercevoir les caméras de RT à tous les événements parisiens, qu'il s'agisse de la Nuit debout, des mouvements lycéens, d'un énième procès d'Alain Soral ou d'une conférence de presse de Jean-Marie Le Pen. Les images alimentent les comptes du média sur les réseaux sociaux, YouTube (23 000 abonnés) ou Periscope (35 000 abonnés). Au magazine Challenges, Irakly Gachechiladze vient de confier qu'il souhaitait mettre en ligne chaque jour «cinq ou dix» vidéos tournées par RT en France pour porter l'audience de 50 000 à 60 000 visiteurs uniques par jour à 150 000 d'ici à la fin de l'année. Le budget de RT n'est pas énorme : un petit million d'euros seulement. Pas de quoi produire un média de réelle influence. Mais le groupe audiovisuel russe ne veut pas en rester là. Sa grande ambition, annoncée à l'automne, est de créer une vraie chaîne télévisée en France, comme il l'a fait déjà dans d'autres pays, au Royaume-Uni par exemple. Avec un budget de 20 millions d'euros pour 300 salariés, selon Challenges. Elle devait voir le jour en 2016, mais sa création a été repoussée «à cause de la chute du rouble, qui aurait fait s'envoler les coûts», indique une source proche. «Comité d'éthique». Le projet est très sérieux. RT a d'ailleurs signé en septembre une convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), préalable nécessaire à toute autorisation de diffusion. L'article 2-3-7 du texte lui impose «l'obligation déontologique» de «veiller à ce que les émissions d'information politique et générale soient réalisées dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information, notamment à l'égard de ses actionnaires.»
A observer les prouesses journalistiques actuelles de RT, on voit mal comment le CSA pourrait laisser la chaîne russe se créer sans rien dire. Peut-être l'autorité préférera-t-elle s'en remettre au «comité d'éthique» interne que la convention impose de mettre en place. Le média s'est respectueusement acquitté de l'obligation avec l'instauration d'un comité d'une indépendance incontestable. Celui-ci est en effet composé de l'historienne et académicienne Hélène Carrère d'Encausse, plutôt bienveillante à l'égard de Poutine, mais aussi de deux figures bien connues de la maison : Jacques Sapir et Thierry Mariani. Marine Le Pen n'était pas disponible ?
Source : Libération, 08-04-2016 ====================================================== Tiens, et au fait, ils disaient quoi les articles de RT – vu que Libé a omis de mettre un hyperlien vers les articles qu’ils commentaient… : L'art consommé de la propagande ou comment accuser Poutine de tous les maux de l'EuropeLe gouvernement allemand a demandé à ses services de renseignement de déterminer si la Russie menait une campagne de propagande en Allemagne – une tentative de plus de présenter Poutine comme le croquemitaine de l’Europe. La rédaction de RT analyse. Comme les informations quant à une prétendue désinformation menée par la Russie sont vagues et que Berlin n'indique pas leur provenance, on ne sait pas exactement ce qu'ils espèrent de découvrir. Le renseignement allemand aurait-il inventé un test décisif permettant de classer un point de vue discordant comme comme «propagande», ou va-t-il le faire au fur et à mesure de son enquête ? Deutsche Welle, la chaîne d'information internationale allemande (financée avec de l'argent public, tout comme RT, afin de représenter le point de vue allemand, mais qui ne serait jamais qualifié de «propagande» par les médias occidentaux) affirme que les experts du gouvernement allemand s'inquiètent du fait que Moscou aurait préparé «une propagande systématique qui rappelle les méthodes du KGB de l'époque de la Guerre froide». L’ironie est que RT a été fondée comme un service d'information, précisément parce que la Russie, grâce à son passé soviétique, a très bien compris que la propagande n'était pas un bon moyen de faire entendre sa voix. Qui veut se vautrer dans son canapé et regarder des informations, toutes passionnantes puissent-elles être, sur, sur la récolte de céréales à Stavropol ? Ou sur la polémique sur l'amitié entre la Russie et Cuba – sauf, peut-être, si le Buena Vista Social Club y figure ? Et pourtant, cela n'empêche pas les services de sécurité allemands de tirer la sonnette d'alarme, vraisemblablement pour la simple raison que la radiodiffusion russe en langue étrangère existe. Car, voyez-vous, comme le reconnaissent les médias allemands, les choses ne vont pas très bien en Allemagne et en Europe en général ces derniers temps et le coupable ne peut être plus évident à trouver : la Russie. Ce ne serait pas surprenant si, dans quelques décennies, des documents d’Etat montraient qu'«accuser Vladimir Poutine de tout les maux» est en fait une politique officielle de notre époque. La Russie semble être devenue le bouc émissaire pour toutes les difficultés contemporaines rencontrées par l’Occident. La seule chose qui les sauve est, qu'au moins, ils sont cohérents, ils ne pointent jamais du doigt quelqu'un d'autre. Surtout pas eux-mêmes. Ainsi, qu'a encore fabriqué la Russie ? Récemment, les médias allemands ont accusé Moscou de tenter de détruire l’Union européenne vial’afflux de réfugiés syriens. Apparemment, la Russie «utilise les migrants à des fins militaires» pour déstabiliser l’institution. Et cela malgré le fait que plus d’un million de migrants sont arrivés en Europe au cours de l’été dernier avant que la Russie n'intervienne militairement en Syrie. En fait, la Russie est arrivée tardivement dans le bourbier du Moyen-Orient. Moscou n'est intervenu que l’automne dernier et à la demande du gouvernement de Damas. Alors que de leur côté, l’Amérique et un certain nombre de ses amis de l’OTAN se sont largement immiscés dans les affaires de la région depuis 2003. En 2015, l'espace Schengen s'est fissuré et les gouvernements à travers l’Europe ont commencé à résister aux sollicitations de Berlin pour accueillir des migrants. Certes, la Hongrie et la Slovaquie, quirésistaient le plus aux appels d'Angela Merkel, ont d’assez bonnes relations avec Moscou. Mais seul l'eurocrate le plus bercé d'illusions pourrait imaginer que la Grande-Bretagne, la Pologne et la Lettonie, tous les trois fanatiquement hostiles au Kremlin, étaient d'une certaine façon influencée par Poutine dans leur refus d'obéir. De peur que vous ne l'oubliiez, rappelons que la Russie est également accusée d’avoir mené une «guerre hybride» contre l’Allemagne, censée faire partie d’une grande stratégie visant à détruire l’UE. Car, naturellement, toute mésaventure se déroulant entre Lisbonne et Athènes est causée par l’ingérence russe. Le vrai problème est à l'intérieur En réalité, le maire de Londres, Boris Johnson, et le Premier ministre britannique, David Cameron, causent en ce moment plus de tort à l’UE que Poutine ne pourra jamais en faire. Moscou n’a pas influencé le deuxième membre le plus puissant de l’Union dans sa décision d’organiser un référendum sur le Brexit – un mouvement qui pourrait faire plus de dégâts à l’unité de l’Europe que, sans doute, aucun autre défi auquel pourrait faire face le continent. À moins que certains affabulateurs du camp «pro-Bruxelles» croient que Johnson et Cameron suivent les ordres du Kremlin ? Bien sûr, cela n’a pas empêché les lobbyistes pro-UE de d’agiter le spectre de Poutine dans leurs efforts destines voué à maintenir la Grande Bretagne dans l’union. En outre, ils accusent Moscou de «propagande négative» envers l’UE. Mais la réalité est différente : la presse britannique fustige Bruxelles depuis des décennies. Les journaux de droite britanniques prennent de si ridicules positions sur l’Europe que les médias russes ne peuvent que les lire avec stupéfaction. Rupert Murdoch, propriétaire du Sun&The Times, a exercer des pressions sur les gouvernements du Royaume-Uni pendant quatre décennies, plaidant pour un retrait de l’Union Européenne, comme l'a affirmé l’ancien Premier ministre britannique, John Major. Témoignant dans le cadre de l’enquête Leveson à Londres, John Major a révélé que juste avant l’élection générale de 1997, Ruppert Murdoch «a précisé qu’il n'appréciait pas mes politiques européennes, qu'il voulait que je les change». L'ex-Premier ministre britannique a poursuivi : «Dans le cas contraire, ses journaux ne soutiendraient pas le gouvernement conservateur. A ce que je me rappelle, il ne faisait aucune mention d’indépendance éditoriale, mais faisait référence à tous ses titres en disant «nous». Alors que le Brexit et la crise des migrants sont en ce moment des dangers évidents pour Bruxelles, des défis économiques se profilent également. Il est vrai qu'en ce moment, en Russien tout n'est pas parfait non plus, mais les experts occidentaux ont fait en sorte que vous sachiez que «la Russie est tout à fait au bord de l’effondrement, nous le promettons !» D'une manière ou d'une autre, ils ne parviennent pas à remarquer que l’inflation reste en dessous d’1% [en Europe], les puissances européennes comme l'Italie et la France se forcent à retrouver une croissance qui continuer à leur échapper, tandis que les économies endommagées du Portugal et de la Grèce ne montrent aucun signe de reprise. Paul Krugman, lauréat du prix Nobel d'économie, appelle cela une «stagnation séculaire». Paul Krugman n'est pas russe, d'ailleurs, et n’a jamais travaillé pour les médias russes. Qui tire les ficelles ? Une autre accusation fréquente contre la Russie est qu’elle essaie de semer le trouble au sein de l’UE en osant tenir des dialogues différents avec toutes sortes avec de pays différents. Il est difficilement choquant que Moscou puisse ne pas avoir pleine confiance en l'autonomie de la prise des décisions d’une organisation (UE) à laquelle le vice-président des Etats-Unis Joe Biden a reconnu avoir donné des ordres. «L'[Europe] ne voulait pas le faire» [imposer des sanctions à la Russie], jusqu’à ce que l’Amérique la pousse à faire des concessions, a-t-il fièrement déclaré en octobre 2014. Et donc, encore et encore, au lieu de faire face à leurs propres problèmes, certains acteurs de Berlin et Bruxelles préfèrent présenter ces derniers sous l’angle de malfaisants complots russes. Ainsi, nous avons Stratcom Orient, qui reçoit des millions d’euros de financement de l’UE pour publier une feuille composée en grande partie de «dénonciations» d’activistes sur les réseaux sociaux qui ne fournissent que rarement, s'ils le font, des réfutations factuelles des informations diffusées par RT. Au lieu de cela, ils relatent simplement leur mécontentement sur les points de vue exprimés. Ô pluralisme ! RT, en passant, a une section (Facts vs. Fiction – les faits face à la fiction) pour contrer la désinformation flagrante dont elle est victime, lancée au moins six mois avant le projet Stratcom. Peut-être que pouvons-nous prendre ce projet comme une forme de flatterie très sincère ? Si ce n'est pas sur le fond, au moins sur la forme ? L'obsession actuelle des médias allemands sur une éventuelle «guerre hybride» mentionnée ci-dessus est également très intéressante. Le terme représente un slogan de l'OTAN, destiné à attiser les craintes et à justifier la poursuite de l’existence de l’organisation militaire. Bien sûr, l’OTAN est avant tout un bras armé de la politique étrangère des Etats-Unis. Le rapprochement entre Berlin et Moscou pourrait bien être le pire cauchemar de Washington. Par conséquent, quelle meilleure façon de protéger les intérêts américains en Allemagne, si ce n'est en diabolisant la Russie et en semant la discorde entre les deux pays ? Dans le passé, les échelons inférieurs du BND (Service secret allemand chargé de l'«enquête sur la propagande russe») étaient infiltrés par des espions de la CIA. En outre, les hauts responsables de la CIA et du BND coopèrent fréquemment. Il y a eu ensuite les révélations d'Udo Ulfkotte, un ancien journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui prétend qu'en Allemagne, des journalistes reçoivent des pots-de-vin de la part de la CIA et du BND pour écrire des articles de propagande en faveur de l'OTAN. Enfin, l'establishment militaire américain considère depuis longtemps la Russie comme son premier adversaire au plan géopolitique et le président Poutine comme l’ennemi public numéro 1. Lord Ismay, le premier secrétaire général de l’OTAN, est resté célèbre pour avoir déclaré que le rôle de l'Alliance était de «garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle». Tous les signes indiquent que la politique actuelle de l’OTAN se concentre sur la poursuite de cet objectif . Peut-on parier que l’establishment allemand accusera Poutine de cela aussi ? ====================================================== Procès Karadzic : ce serait à hurler de rire si ce n’était pas si macabreUne nouvelle condamnation du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qui «ne s’attaque nullement aux vraies racines des problèmes ne pourra jamais contribuer à éviter de futures guerres», estime le chercheur John Laughland. Quand l’ancien président yougoslave, Slobodan Milosevic, est décédé dans la prison du Tribunal pénal international à Scheveningen, près de La Haye, le 11 mars 2006, les médias se sont livrés à une véritable orgie de dénonciation du «bourreau de Balkans». Ils l’ont fait en ne tenant compte d’aucune séance du procès, qui avait pourtant duré quatre ans et qui était en cours quand Milosevic est mort à cause d’une maladie du coeur que les juges ont refusée de faire soigner. Le procès aurait pu ne pas avoir eu lieu, tellement ils ont voulu vite refermer sa parenthèse. Leur méthode consistait à ressortir du placard toutes les vieilles histoires qu’ils avaient apprises au début des années quatre-vingt-dix, quand les guerres yougoslaves ont éclaté, à l’instar de la politique occidentale dictée par les Allemands et les Américains qui se sont concurrencés pour dénoncer les Serbes et pour aider, y compris militairement, les sécessionistes d’abord croates et slovènes, ensuite islamo-bosniaques.
En réalité, le procès avait produit bien de surprises. De nombreux témoignages avaient disculpé l’ancien président, y compris de la part de témoins à charge dont certains ont accusé l’Accusation de torture. Les juges se sont déshonorés en faisant taire l’accusé à chaque fois qu’il démontrait les mensonges de ses accusateurs. L’Accusation a même été contrainte d’abandonner, au milieu du procès, son affirmation centrale, à savoir que Milosevic aurait cherché à créer une Grande Serbie. Comme j’avais moi-même été le dernier journaliste occidental à rendre visite à Milosevic dans sa cellule, j’en savais quelques chose. J’étais tellement dégoûté par la légèreté et la malhonnêteté des reportages médiatiques que j’ai rédigé un livre sur le procès fleuve dont le titre résume bien l’argument: “La parodie” (Travesty, en anglais). Depuis la mort de Milosevic, bien des événements juridiques ont eu lieu qui vont dans le sens d’une réévaluation des guerres yougoslaves. Aucune accusation pour genocide au Kosovo n’a jamais été engagée, alors que celui-ci était le prétexte pour le bombardement illégal de la Yougoslavie par l’Otan en 1999. En 2007, après quatorze ans de délibérations, la Cour internationale de justice (la plus haute instance juridique des Nations-Unies, et non pas un tribunal ad hoc concocté pour des raisons politiques par les Américains, comme le TPI) a rendu son jugement dans l’affaire qui opposait la Bosnie-Herzégovine à la Serbie depuis 1993. La Cour a trouvé que la Serbie n’avait joué aucun rôle décisif dans la guerre civile bosniaque et que la très grande majorité des accusations de génocide portées contre les Serbes de Bosnie étaient sans fondement. La Bosnie avait en effet affirmé, dès le début des combats, que les Serbes voulaient exterminer les Musulmans, et que Milosevic et les Serbes de Bosnie ne faisaient que répéter le travail entrepris contre les Juifs par Adolf Hitler. Cette thèse fut aussi avancée par un universitaire américain, Norman Cigar, dans un livre publié avant la prise de la ville de Srebrenica en juillet 1995. Tous ces développements juridiques restent largement inconnus du grand public, et pour cause. Si hier la salle de presse du TPI était comble pour entendre le verdict des juges dans le procès Karadzic, c’était la première fois depuis le début du procès, en 2009. Tout comme pendant le procès de Milosevic, les journalistes ont fait preuve d’un dédain superbe quant au vrai déroulement de la procédure contre Karadzic. Ils n’ont assisté à aucune séance. Tous ceux qui se sont empressés de vous annoncer avec délectation que l’ancien président de la République serbe de Bosnie avait été jugé coupable de génocide sont parfaitement incapables de vous citer le nom d’un seul témoin parmi les 585 qui ont été entendus pendant les cinq dernières années. Pire, les juges semblent avoir agi de la même manière. En écoutant la voix robotique du président coréen de la Chambre de première instance, O-Gon Kwon, qui lisait le résumé du jugement (celui-ci fait 2.600 pages) on aurait pu croire que le procès n’avait pas eu lieu. Pas un seul argument de la Défense n’a été cité ou retenu; pas le moindre rééquilibrage ou nuance des faits n’a pu être observé. Au contraire, le jugement ne consiste qu’en la répétition d’accusations vieilles de 25 ans et issues de la propagande occidentale depuis les tous premiers mois de la guerre. Ce simplisme qui frôle la débilité est particulièrement criant dans le cas du plus grand tabou de tous, celui des massacres qui ont eu lieu à Srebrenica après trois ans de guerre atroce. Avec l’énorme mémorial construit près de la ville pour figer cet événement dans la pierre (en face duquel, d’ailleurs, des livres et DVD islamistes sont en vente dans un kiosque), Srebrenica constitue une référence négative presqu’aussi forte que celle de la Shoah, à laquelle les évènements de juillet 1995 sont censés ressembler. Mais que disent les juges dans l’affaire Karadzic sur Srebrenica? Ils racontent exactement les mêmes âneries que leurs prédécesseurs dans les autres procès devant le TPI. Ils racontent en particulier, tout comme la Cour internationale de justice en 2007, que les Serbes de Bosnie n’avaient aucune intention de commettre un génocide contre les Musulmans de Bosnie en général. Karadzic a été acquitté hier pour génocide dans sept municipalités où pourtant l’Accusation avait affirmé sa culpabilité. Ils démentent ainsi l’affirmation centrale portée par la Bosnie dès 1992. En revanche, les juges nous invitent à croire que la volonté génocidaire des Serbes de Bosnie ne concernait pas tous les Musulmans de Bosnie, mais seulement leshommes musulmans de la ville de Srebrenica. Ils nous invitent à croire, en outre, qu’après trois ans de lourds combats le plan génocidaire a été conçu à 20h le 13 juillet 1995. Dans le jugement du 24 mars, Karadzic a été acquitté par ses juges de toute accusation de génocide antérieur à ce moment précis. Cela serait à hurler de rire si ce n’était pas si macabre. Plusieurs massacres ont certainement eu lieu dans la ville suite à sa capture par les forces serbes de Bosnie, nul ne le conteste. La plupart des victimes étaient des combattants, ou des anciens combattants, qui ont formé une colonne de plusieurs milliers d’hommes essayant de fuire la ville pour rejoindre Tuzla, territoire bosniaque. Les Serbes leur ont tiré dessus et ils ont riposté. Mais les juges ne mentionnent aucune riposte, prétendant que dans la colonne il n’y avait que de civils non armés. Je le répète: qu’il y ait eu barbarie, personne ne le nie. Mais comment un génocide peut-il s’appliquer aux seuls habitants masculins d’une seule ville? Ce n’est pas le sens du mot génocide, qui veut dire “destruction de tout un peuple” ou “de toute une race”, c’est-à-dire des hommes et femmes d’une certaine race ou religion, partout où ils se trouvent.
En voulant préserver à tout prix la condamnation sensationnaliste pour génocide, qui constitue un grand succès institutionnel pour le TPI, les juges n’ont pas seulement prêté aucune attention aux centaines de témoins à décharge ni aux arguments de la Défense prouvant que Karadzic avait essayé d’éviter le pire. Ils ont surtout commis une grosse erreur d’analyse qui va vicier pour les décennies à venir la loi de la guerre qu’ils entendent renforcer. Ce qui s’est passé à Srebrenica, sous la chaleur intense de l’été 1995, est très clairement une série d’actes de vengeance, d’une fureur et d’une violence rares. Pendant trois ans, les Serbes autour de Srebrenica avaient été victimes d’attaques barbares par les islamistes sous le commandement de Nasir Oric, grand coupeur de têtes exonéré par le TPI en 2006, comme les très nombreux tombeaux dans les villages voisins l’attestent. Ils haïssaient ceux qui les avaient terrorisés et ils voulaient un règlement de comptes. Leurs actes étaient sans aucun doute condamnables – mais ils ne peuvent pas être qualifiés de génocidaires car le génocide est une opération planifiée et appliquée méthodiquement pour des raisons racistes. Ce n'est pas une explosion spontanée de violence. En ignorant volontairement l’anthropologie de la guerre, et en particulier le phénomène girardien de la montée aux extrêmes de la spirale de violence – une violence que, ne l’oublions pas, les Musulmans avaient été les premiers à déclencher – les juges du TPI ont déformé la réalité de la guerre. Leur énième condemnation, basée sur une telle déformation et qui ne s’attaque nullement aux vraies racines des problèmes qu’elle entend résoudre, ne pourra jamais faire autorité. Elle ne pourra donc jamais contribuer à mitiger, et encore moins à éviter, des guerres futures. Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.15 |
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