Trump craint une Convention "négociée", par Peter W. Dickson
Source : Consortiumnews.com, le 09/03/2016 9 mars 2016 En exclusivité : Nous apprenons par l’ancien analyste de la CIA Peter W. Dickson que le dernier sursaut de l’élite du parti républicain contre Donald Trump pourrait se traduire par une réécriture des règles de la convention. Par Peter W. Dickson Le spectacle d’une convention républicaine bloquée aboutissant à une nomination “achetée” ou négociée à Cleveland en juillet est une possibilité que les initiés ont commencé à prendre de plus en plus au sérieux au regard des résultats des “caucus” observés ces derniers mois. C’est un scénario qui menace en particulier le favori, Donald Trump, qui a admis que s’il ne gagne pas la majorité des délégués avant la convention, il sera “désavantagé”. Il n’y a aucun doute que les pontes du Parti Républicain [GOP: Good Old Party] le considèrent inéligible (et comme une menace pour les institutions du parti) et qu’ils explorent toutes les pistes permettant de le stopper à la convention, voire de lui “voler” la nomination. Donald Trump, milliardaire et candidat républicain à la présidence. Étant donné que les 11 primaires du “Super Mardi” (1er mars) n’ont pas eu de gagnant incontesté, Trump n’a pas pu mettre hors-jeu ses concurrents principaux, les sénateurs Ted Cruz et Marco Rubio. Sept États ont dispersé leurs délégués sur les candidats, Trump a gagné 240 délégués au lieu des 300 que les initiés prédisaient avant la colère provoquée par l’attitude évasive de Trump sur un soutien du nationaliste David Duke et du Ku Klux Klan. Les principaux rivaux de Trump réussirent souvent à remplir les conditions minimales pour avoir des délégués lors du “Super Mardi”. Mais Trump récupéra son élan lors des nominations du 8 mars en gagnant trois États – Michigan, Mississippi et Hawaii – pendant que Cruz emportait l’Idaho. Une règle importante de la convention républicaine, la règle 40, pourrait détruire les projets des élites du parti et offrir à Trump sa nomination sur un plateau d’argent, car elle limite le nombre de nominés et interdit certaines méthodes pour voler la nomination au concurrent favori. Le but de cette règle était d’assurer le couronnement d’une tête de liste incontestable et d’offrir au nominé présumé le meilleur lancement possible pour l’élection générale. Avant la convention de 2012, cette règle exigeait de tout candidat à la nomination du parti d’avoir gagné une majorité relative de délégués dans au moins cinq États pour qu’il puisse être accepté dans les nominations à la convention. Toutefois, une fois que Mitt Romney s’est assuré qu’il avait suffisamment de délégués pour remporter la nomination de 2012, ses partisans (en particulier son conseiller en chef Ben Ginsburg) ont fait réviser cette règle afin d’empêcher toute personne d’être nominée lors de la convention, à moins qu’il ou elle n’ait remporté au préalable une majorité de délégués dans au moins huit États. (Une partie du raisonnement de Romney était d’éliminer une grande manifestation de soutien de la base au libertaire républicain texan Ron Paul et ainsi de présenter à la nation devant sa télévision un parti uni et rallié derrière l’ancien gouverneur du Massachusetts.) En plus d’interdire l’enregistrement de tout délégué acquis par un candidat n’ayant pas atteint le seuil des huit États, la règle 40 interdit aux délégués lors de la convention de manifester leur soutien à toute personne qui n’a pas participé aux primaires dans les États. Par conséquent, cette règle empêche une version moderne du “Nous voulons Willkie” qui avait conduit à la nomination de Wendell Willkie lors de la convention républicaine de 1940. (Ironiquement, cela bloquerait toute tentative des caciques du parti de lancer au cri de “Romney, Romney” une révolte des élites à la convention de Cleveland.) Reste à voir si et quand Trump et ses rivaux sont en mesure de s’assurer une majorité des délégués dans huit États. Trump a franchi ce seuil dans sept des quinze États où il a eu le plus de votes le laissant avec un unique État à convaincre. Cruz a gagné le plus de votes dans sept États et assuré une majorité des délégués dans quatre : Idaho, Kansas, Maine et Texas. En d’autres termes, le sénateur du Texas est à mi-chemin. En revanche Rubio et Kasich n’ont fait que peu ou pas de progrès jusqu’ici, le premier n’ayant obtenu une majorité des délégués qu’à Porto-Rico. La possibilité d’assurer une majorité des délégués d’un État est devenue plus facile après le 15 mars lorsque les États peuvent mener des primaires du genre “tout ou rien”. Cela implique que les candidats n’auront besoin que de la majorité relative des électeurs pour gagner les vingt élections de ce type (elles sont toutes en dehors du Sud, si l’on ne tient pas compte de la Floride) qui auront lieu après le 15 mars. (Cinq autres États donneront au mieux élu la majorité de leurs délégués.) Le nombre de délégués à distribuer selon ces règles est de 960 au total. Cela représente presque 40 pour cent de tous les délégués de la convention. La situation actuelle paraît favoriser Trump et Cruz car étant les plus près de franchir la ligne des huit États. Même si Rubio et Kasich emportent le 15 mars leurs États d’origine, respectivement la Floride et l’Ohio, où la règle est celle du “tout ou rien” ; ils devront relever le défi herculéen d’emporter une majorité de délégués lors d’élections à quatre candidats dans huit États avec des intentions de vote bien arrêtées. Cela permet d’imaginer une convention républicaine avec Trump seul ou, peut-être, Trump avec Cruz comme nominés à la candidature présidentielle. Les délégués de Rubio et Kasich se retrouveraient effectivement hors-jeu. Ce résultat signifierait que le nombre magique – une simple majorité – pour gagner la nomination tomberait sous le niveau connu de 1 237 délégués. En éliminant du vote les délégués des candidats qui ne franchissent pas la limite des huit États, la règle 40 rend une victoire d’un candidat au premier tour d’une élection quasiment certaine étant donné qu’il est seul ou opposé à un seul adversaire. Bien sûr, il reste la possibilité que la direction du parti républicain, occupée frénétiquement à monter un mouvement anti-Trump, puisse agir pour modifier la règle 40 avant la convention. Curly Haugland, le représentant du Comité National pour le Dakota du Nord et membre du Comité pour le règlement de la convention nationale républicaine (RNC), expliqua mardi au journal The Daily Star qu’il y aura une tentative de modifier la règle 40 pour ouvrir la convention à tout candidat qui a obtenu des délégués. Un tel changement de règles devrait avoir lieu avant la convention et elle exigerait une majorité des délégués pour être acceptée. Cela s’annonce difficile si Trump contrôle la majorité des votes. S’il n’a pas cette majorité, la manœuvre aboutirait à la nomination d’un autre candidat. Cela passerait par un premier tour sans vainqueur, ouvrant la porte à des négociations qui permettront d’orienter les tours vers l’attribution du grand prix à un autre candidat. La convention serait alors plus le résultat de négociations que le résultat d’un choix par les délégués, autrement dit ce serait une convention “négociée”. Si un changement de dernière minute est mis en place pour bloquer Trump – ou même simplement proposée en vote lors du congrès – Trump et ses partisans pourraient rendre cette convention aussi chaotique que celle des Démocrates à Chicago en 1960. Il pourrait aussi décider de se présenter en candidat indépendant, comme il l’a suggéré, s’il n’était pas “traité correctement”. Des précédents historiques Il n’y a que peu d’exemples historiques récents d’une convention négociée du GOP. La dernière convention républicaine sérieusement disputée eut lieu en 1978 où le gouverneur de Calfornie, Ronald Reagan, défia et perdit contre le président en place, Gerald Ford. Auparavant, il n’était pas rare d’avoir un congrès des délégués du parti bloqué par leur incapacité à choisir un candidat pour l’élection principale. Cela laissait les chefs de factions décider pour les délégués. C’était possible car les premiers jouissaient d’une influence solide sur les seconds. Dans ce contexte, il vaut la peine de se pencher sur un cas charnière, et même emblématique, de la longue histoire du Parti Républicain : sa deuxième convention nationale qui s’est tenue en 1860 au “Wigwam” de Chicago. Ce fut la convention présidentielle ayant eu le plus de conséquences de toute l’histoire de ce parti. Elle aboutit à une nomination dramatique d’un outsider nommé Abraham Lincoln dont la nomination a été indéniablement « achetée » par un gros marchandage dans une chambre d’hôtel enfumée à minuit bien passé, seulement quelques heures avant le début du vote. Le directeur de la campagne de Lincoln, David Davis, “vola” la nomination républicaine à l’icône de l’élite de la côte Est, le fameux sénateur de New York William Seward. Défiant les fastidieuses instructions répétées de Lincoln qui, depuis sa maison Springfield, en Illinois, lui interdisait tout “marchandage” et “tout contrat qui me lierait”, Davis fit tout cela et plus, comme d’entasser des partisans munis d’entrées illégitimes dans l’arène de la convention. Le tournant eu lieu quand Davis fit des promesses à la délégation de la Pennsylvanie pour qu’elle abandonne son candidat préféré (Simon Cameron) et se tourne vers Lincoln au second tour. Cela bloqua la montée de Seward vers une majorité des délégués et anéantit son couronnement avant le début du quatrième tour. Les partisans de Seward furent blancs de rage. Pour la sécurité de Lincoln, Davis et son équipe envoyèrent huit télégrammes (conservés dans les papiers de Lincoln à la Bibliothèque du Congrès) le suppliant de refuser de nombreuses demandes pour qu’il vienne à Chicago accepter sa nomination. Malgré son peu de goût pour les manœuvres de Davis, Lincoln suggéra au sénateur Joshua Giddings que toutes les “conditions” (i.e. les accords ou les promesses) faites à la convention étaient “honorables”. Lincoln fit quand même quelques nominations conformes aux promesses de Davis. Pour le bien de l’unité du parti, Lincoln nomma Cameron secrétaire de la Guerre, bien que ce dernier fut viré après neuf mois et remplacé par l’ancien camarade de classe de Davis au collège de Kenyon, Edwin Stanton. Les biographes et autres spécialistes de Lincoln ont pendant longtemps détourné notre attention de ce qui s’est passé à cette convention de Chicago. La révélation que Lincoln – une figure christique après son assassinat le vendredi saint de 1865 – a eu besoin d’un “faiseur de rois” comme Davis, ôte toute majesté au parcours exemplaire de Lincoln allant de ses humbles origines à son martyre pour une cause juste : le sauvetage de l’Union et l’abolition de l’esclavage. Visiblement, les règles de nomination ont changé depuis l’époque de Lincoln et même de celle de Willkie – avec des primaires et des caucus du parti donnant une voix beaucoup plus forte aux républicains de la base. Cette “démocratisation” du processus de sélection a permis à un riche outsider comme Trump de passer en tête de la course en s’opposant aux membres influents du parti tout en rejetant avec dédain le soutien financier de la “classe des donneurs” du GOP. Maintenant, les représentants républicains du système jettent des millions de dollars dans une campagne anti-Trump visant à casser l’attrait de la population pour sa personne et à soutenir ses trois adversaires restants pour bloquer son chemin vers une claire majorité des délégués. Cela rendrait possible le scénario d’une convention où les règles pourraient être réécrites pour ouvrir la porte à d’autres choix. À côté des délégués choisis par les électeurs, la hiérarchie du GOP aura 168 délégués non élus, surtout des membres du comité national républicain (RNC) qui pourront voter. Mais contrairement aux 712 “super délégués” de la convention démocrate, ils seront supposés soutenir le candidat qui a gagné le plus de votes dans leur État. Dans tous les cas, l’affrontement principal de cette convention républicaine commençant le 18 juillet se fera sans doute sur les règles décidant de qui est éligible à la nomination et qu’est-ce qui se passera si personne n’est élu au premier tour. Peter W. Dickson est un ancien analyste politique et militaire de la CIA et l’auteur de “Old Kenyon” et “Lincoln’s Kenyen Men”. Source : Consortiumnews.com, le 09/03/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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