Poursuivis pour une pétition : vaste chasse aux sorcières en Turquie Par Céline Lussato + Noam Chomsky
Source : Le Nouvel Obs, Céline Lussato, 18-01-2016 Pour avoir signé une pétition appelant le pouvoir à renoncer à la violence aveugle dont il fait preuve dans le sud-est du pays à majorité kurde, des intellectuels et universitaires turcs sont aujourd’hui poursuivis. Leur seul crime ? Avoir signé une pétition appelant à cesser la répression dans le sud-est de la Turquie à majorité kurde. Une vingtaine des signataires de ce texte, intellectuels, universitaires, auteurs… ont été arrêtés vendredi dernier, accusés, rien de moins, que de “soutenir le terrorisme”. Libérés depuis, ils restent sous le coup de poursuites en justice pour “propagande terroriste”, “insulte aux institutions et à la République turque” ou encore “incitation à violer la loi”. Et l’inquiétude est grande de leur voir payer très cher ce simple paraphe. Une dizaine d’universités ont déjà engagé des poursuites disciplinaires contre plus de soixante autres professeurs ou chercheurs et la chasse aux sorcières ne semblent pas devoir s’arrêter là. Rien dans la pétition ne prête pourtant à penser que ces signataires soutiendraient d’une quelconque manière le terrorisme. Ils s’élèvent en effet dans ce texte contre la violence en cours dans la région, le maintien d’un couvre-feu depuis plusieurs semaines dans de nombreuses villes kurdes et les bombardements à l’arme lourde ordonnés par Ankara. Ils dénoncent un massacre délibéré et planifié en totale violation des lois turques et des traités internationaux signés par la Turquie”.Enfin, ils “exigent que cessent les massacres et l'exil forcé qui frappent les Kurdes et les peuples de ces régions, que soient levés les couvre-feux, identifiés et sanctionnés ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme”. Mais ce texte, signé initialement par 1.128 personnes et aujourd’hui par plus de 2.000, a soulevé l’ire du pouvoir en place qui tolère bien peu les commentaires quant à sa façon de mener le pays et en particulier le sud-est. D’autant que de nombreux chercheurs vivant à l’étranger – d’origine turque ou non – tels que le philosophe américain Noam Chomsky ou l’universitaire français Éric Fassin, ont associé leur signature à cette condamnation de la violence turque. “Trahison”“Cette horde d’universitaires s’est clairement rangée dans le camp de l’organisation terroriste [le PKK, NDLR] et a craché sa haine sur le peuple turc”, s’est emporté le président Erdogan dans un discours à Ankara. “Ces soi-disant intellectuels (…) sont des individus sombres qui n’ont aucun respect de leur patrie”, a-t-il insisté les accusant de “trahison”. L’université de Düzce, dans le nord-ouest du pays, a ainsi décidé de licencier un de ses professeurs de sociologie, Latife Akyüz, qui avait signé la pétition, selon l’agence de presse Dogan. Et le quotidien “Radikal” a publié des photos de bureaux d’universitaires dont la porte a été marquée d’une croix rouge sang, signe de leur “traîtrise” aux yeux des plus radicaux supporters de l’AKP, le parti au pouvoir, dont certains s’apparentent à l’extrême droite. Collé sur la porte des bureaux de ces enseignants chercheurs de l’université Gazi d’Ankara, cet avertissement : Nous ne voulons pas de partisan du PKK dans notre université”.Une cabale menée contre des intellectuels qui n’est pas sans rappeler la menace quotidienne qui pèse sur la presse dans le pays. Recep Tayyip Erdogan, qui n’avait pas hésité à proclamer à la télévision que “les livres sont plus dangereux que les bombes”, a fait mettre nombre de journalistes en prison ces derniers mois et notamment Can Dundar, le directeur de la rédaction du quotidien de gauche “Cumhurriyet” qui avait révélé le double jeu du pouvoir vis-à-vis en Syrie en publiant les photos prouvant que des camions appartenant aux services de renseignement turcs avaient transporté des armes vers le pays voisin. La Turquie a dégringolé à la 149e place dans le classement mondial de la liberté de la presse publié en 2015 par Reporters sans frontières. Sans que les réactions européennes ne soient à la mesure de la situation que vivent les Turcs, et ce alors qu’Ankara maintient sa candidature à l’UE. Dans un communiqué laconique, l’Union européenne qualifiait, plusieurs jours après l’arrestation des signataires de la pétition, “d’extrêmement inquiétantes” les “mesures prises”, mais se bornait à encourager la Turquie à “respecter la liberté d’expression”. Peut mieux faire… Céline Lussato Source : Le Nouvel Obs, Céline Lussato, 18-01-2016
Chomsky accuse Erdogan de double jeuSource : Agoravox, 14-01-2016 Quelques heures après l’attentat perpétré mardi dans un quartier touristique d’Istanbul, Erdogan s'est livré à une critique sarcastique de Chomsky et des « soi-disant intellectuels” qui avaient signé une lettre demandant à la Turquie de lever le siège contre les villes kurdes et d'autres villes dans le sud-est du pays. Par défi, il avait invité Chomsky à visiter la région dans un discours télévisé lors d'une conférence des ambassadeurs turcs à Ankara. Noam Chomsky* a rejeté l’invitation. Dans un e-mail à « The Guardian », il écrit : “Si je décide d’aller en Turquie, ce ne sera pas sur son invitation, mais comme je l’ai déjà fait aupparavant, à l’invitation des nombreux dissidents courageux, y compris les Kurdes qui subissent des attaques sévères depuis de nombreuses années ». Chomsky a également affirmé qu'Erdoğan jouait double-jeu avec le terrorisme. Dans la lettre ouverte à M. Erdoğan publiée le mois dernier, Noam Chomsky et des centaines d’autres intellectuels l’avaient accusé de faire la guerre contre son propre peuple : « La responsabilité de la crise actuelle fabriquée dans le pays revient à Erdoğan lui-même. Il perçoit les Kurdes – que ce soit le HDP [le, parti de gauche pro-kurde qui a gagné 81 sièges à la dernière élection ], le PYD en Syrie ou le PKK [Parti des travailleurs kurdes séparatistes] – comme des obstacles à son plan visant à établir règle suprême pour la présidence turque. Avec les sièges imposés sur leurs communautés dans le sud-est, la Turquie a effectivement déclaré la guerre à son propre peuple. La crise actuelle est fabriquée et totalement inutile. Cela démontre encore une fois qu'Erdoğan est une force de profondes divisions “. Dans son discours, M. Erdogan a déclaré : « Que notre ambassadeur aux États-Unis invite Chomsky, qui a fait des déclarations au sujet des activités de la Turquie contre l’organisation terroriste. Nous l'accueilleraons dans la région “. Se référant aux opérations des séparatistes kurdes du PKK, Erdoğan a ajouté : “Nous sommes prêts à leur dire ce qui se passe dans le sud-est. Ils devraient voir avec leurs yeux si le problème est une violation par l’État ou le détournement des droits et des libertés de nos citoyens par l’organisation terroriste “. Il a continué à accuser Chomsky et les autres signataires d'afficher une « mentalité du colonialisme” : “Vous dites que les intellectuels sont des personnes éclairées, mais vous êtes dans le noir. Vous n'êtes rien comme intellectuels “. Une traduction en direct par al-Jazira a cité Erdoğan en disant : « Je dois envoyer un message aux universitaires : apposer votre signature sur un morceau de papier sec ne veut rien dire. Venez en Turquie. Chomsky peut voir ce qui se passe en Turquie avec ses propres yeux, pas à travers les yeux d’une cinquième colonne. Que ces universitaires viennent en Turquie – je suis certain que nous serons en mesure de leur montrer la véritable image “. Dans son e-mail au « Guardian », Chomsky accuse Erdogan d’hypocrisie. Il écrit : “La Turquie a accusé Isis [de l’attaque sur Istanbul], alors qu' Erdoğanles aidait à bien des égards, tout en soutenant le Front al-Nusra, qui est à peine différent. Il a ensuite lancé une tirade contre ceux qui condamnent ses crimes contre les Kurdes – qui se trouvent être la principale force terrestre à combattre Isis à la fois en Syrie et en Irak. Est-il besoin d’autres commentaires ? ” Source : Agoravox, 14-01-2016 |
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