Berlin demande 130 milliards d'euros de plus pour l'armée
Ces dernières semaines, des hauts responsables allemands, dont la chancelière Angela Merkel et le ministre des finances Wolfgang Schäuble (tout deux de l'Union chrétienne démocrate, CDU) ont avancé un projet d'augmentation majeure du budget militaire du pays. La ministre de la défense, Ursula von der Leyen (CDU) vient d'apporter des détails supplémentaires sur ce projet. Berlin engagera au moins 130 milliards d'euros en dépenses militaires additionnelles jusqu'en 2030. Dans un communiqué affiché sur le site Web du ministère de la défense et intitulé « Investir des milliards dans les années à venir », Von der Leyen s'engage à augmenter « les dépenses sur l'équipement des forces armées d'environs 130 milliards d'euros sur les 15 prochaines années pour assurer une fonctionnalité flexible. » Il n'est plus question « comme les années précédentes, de diminuer les dépenses militaires, mais de les augmenter. » Mercredi matin, Von der Leyen a annoncé ces plans dans le journal télévisé du matin de la chaîne ARD. Elle a annoncé que dorénavant, le budget de la défense augmenterait « graduellement » et « régulièrement ». Il ne s'agit pas d'une « grande rasade uniquement pour cette année, » mais d'augmenter le budget militaire et de le maintenir à ce niveau sur une longue période. Les jours où « on se serrait la ceinture » sont terminés, d'après Von der Leyen. D'après elle, l'armée allemande a vécu bien trop longtemps avec « le strict minimum ». Ces 25 dernières années, l'écart entre les fonds disponibles et les tâches à mener n'a fait qu'augmenter, et Berlin veut à présent réduire cet « arriéré important ». Dès maintenant, le ministère ne partira plus du principe que l'armée doit se débrouiller avec seulement 70 pour cent des équipements dont elle a besoin. Avoir une armée « complètement équipée » deviendra à nouveau une priorité. Von der Leyen a apporté des précisions lors d'une réunion de la commission parlementaire à la défense mercredi matin. Selon les articles de presse sur le document soumis à la commission par Von der Leyen, le matériel lourd de l'armée, notamment, sera revu à la hausse pour 2030. Il s'agit de véhicules de reconnaissance blindés, de cannons automoteurs, d'hélicoptères, et de navires. Les chiffres dépassent de loin ceux évoqués jusque là. Le nombre de véhicules de reconnaissance de type Fennek, par exemple, passe de 217 à 248 et les cannons automoteurs de 89 à 101. Le Fennek, dont le nom vient d'un renard du désert, est produit par le fabricant d'armes allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) et a été utilisé en Afghanistan. À partir de mai, il sera également utilisé dans la prochaine mission de combat de l'armée allemande au Mali. De plus, 36 nouveaux hélicoptères navals Sea Lion seront achetés, six de plus que prévu au départ. Ce document mentionne également pour la première fois les quantités à acheter pour un nouveau type d'hélicoptère de transport lourd. Le ministère de la défense en achètera au moins 59. D'autres projets détaillés dans ce document avaient déjà été annoncés par le ministère de la défense. Entre autres, le nombre de chars de combat Leopard 2 passera de 225 à 320. De plus, le ministère va déterminer si 196 vieux véhicules de combat pour l'infanterie « Marder » feront toujours partie des effectifs. Trois-cent quarante-deux chars « Puma », successeur du Marder, seront également achetés. Le Léopard 2, comme le « Puma », sont construits par KMW et Rheinmetall, le deuxième géant de l'armement allemand. La mise à niveau prévue de la flotte de chars est à couper le souffle. Von der Leyen compte acquérir un total de 1.300 véhicules de transport lourd blindés de type Boxer (KMW et Rheinmetall) et Fox (Rheinmetall), d'après le document, et ce nombre pourrait encore augmenter. La proportion serait de 900 Fox, plus anciens, et environs 400 Boxer plus modernes. Ces chiffres ne sont pas simplement les propositions d'une ministre de la défense qui serait atteinte de mégalomanie. Ils représentent la politique du gouvernement. Mercredi, le Spiegel Online a fait savoir que le ministre des finances à déjà « déclaré qu'il est prêt à augmenter le budget du ministère de la défense. » Evoquant les projets de Von der Leyen, le ministre des finances, Schäuble, s'est déclaré « ouvert à investir un total de 130 milliards d'euros dans l'armement pour 2030. » Pour mettre cette somme en perspective : 130 milliards d'euros représentent le double de ce qui est alloué chaque année à la fois pour l'éducation et la recherche (16,4 milliards) ; les familles, les personnes âgées, les femmes et la jeunesse (9,1 milliards) ; la santé (14,5 milliards) ; l'alimentation et l'agriculture (5,6 milliards) ; l'économie et l'énergie (7,6 milliards) ; ainsi que les infrastructures routières et informatiques (24,5 milliards). La propagande officielle justifie ce renforcement massif de l'armée par le mauvais degré supposé de préparation au combat de l'armée allemande, équipée d'un équipement inadapté et usé. Un jour seulement avant la présentation de Von der Leyen devant la commission militaire du Parlement, Hans-Peter Bartels (du Parti social-démocrate) en a présenté le rapport annuel. « Les troupes souffrent », s'est-il lamenté, « il manque trop de choses ». « L'économie de la rareté » mettrait en péril, l'entraînement et les missions des soldats. « L'armée est à un tournant. Davantage de réductions budgétaires ne seraient pas possibles. » Comme Von der Leyen, il s'est exprimé en faveur d'un renforcement massif de l'armée et a appelé à un changement de la politique de défense. La véritable raison de ce renforcement ne tient cependant pas à l'état prétendument désespéré de l'armée, mais au « tournant » annoncé par le président Joachim Gauck, le ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (SPD) et Von der Leyen elle-même, lors de la Conférence de sécurité de Munich en 2014. Selon eux, l'Allemagne serait « trop grande pour commenter la politique étrangère depuis le banc de touche » et doit « se préparer à intervenir de manière plus précoce, plus décisive et plus substantielle en politique étrangère et de sécurité ». Von der Leyen fonde explicitement ses projets de renforcement militaire sur ces critères. Lors de son passage sur ARD, elle a expliqué que l'Allemagne « a une grande importance économique et politique et doit en supporter la responsabilité ». Elle a ajouté, « si nous ne faisons pas attention à la Syrie et à l'Irak, ou à ce qu'il se passe en Afghanistan et en Afrique […] si nous ne faisons pas notre part là-bas, les problèmes viendront à nous et ce sera encore pire et c'est exactement ce que nous ne voulons pas. Nous voulons prendre notre part de responsabilité et, pour cela, les troupes doivent être bien équipées. » Bref, afin de prendre ses « responsabilités » au plan mondial, c'est-à-dire de faire respecter par la force les intérêts économiques et géopolitiques de l'impérialisme allemand sur toute la planète, l'élite allemande, comme par le passé, a besoin d'une grande armée bien équipée. D'après les médias, une augmentation des effectifs militaires devrait également être décidée en mars. Pour préparer une campagne de recrutement de grande ampleur, les politiciens et les journalistes vont répéter que l'armée s'est « rétrécie » en passant de 600.000 soldats en 1990 à 177.000 aujourd'hui. Ce plan de réarmement massif et la propagande qui l'accompagne évoque des parallèles historiques. Avant que le Reich allemand n'entame son énorme plan de réarmement sous les nazis, le ministre de la défense Werner von Blomberg avait préparé un rapport sur l'état de l'armée, qu'il disait être « sans espoir ». Tout comme le rapport actuel, il déclarait que l'armée manquait de tout – personnel, matériel, munitions. La marine n'avait même pas le matériel garanti par le traité de Versailles. Les navires de combat commandés n'étaient pas livrés et l'armée de l'air était pratiquement inexistante. Les terribles conséquences sont bien connues. Aux années 1930, pratiquement toute l'économie allemande fut placée au service du militarisme et une vaste machine de guerre fut construite de toutes pièces pour réaliser les projets de Hitler. En 1939, l'armée allemande, armée jusqu'aux dents, a lancé la Seconde guerre mondiale et réduit de grandes parties de l'Europe en ruines. Si l'élite allemande croit maintenant qu'après les terribles crimes de deux guerres mondiales, elle peut une fois de plus se préparer à la guerre, ils se trompent. Les travailleurs et les jeunes, qui devront subir le coût du militarisme – par les coupes sociales pour financer ce renforcement, par leurs propres vies et la suppression de leurs droits démocratiques – ne permettront pas une troisième catastrophe de ce genre. Johannes Stern Article original publié en Allemand, WSWS, le 28 janvier 2015 |
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