mardi 15 juillet 2014

Divorce Entre "La Gauche" Et Le PS : La Trahison Tranquille Ou La Cinquième Colonne Du MEDEF

Le quinquennat Hollande brûle les électeurs et intellectuels de gauche l'ont jeté au feu!


"Plaisir de trahir, joie de décevoir" 


Ex-soutien de François Hollande, l'auteur de "Rien ne se passe comme prévu" (Grasset), Journal de sa campagne présidentielle, est stupéfait par la politique menée aujourd'hui. Il l'écrit pour la première fois.


Finalement, il y aura quand même eu un changement sous le quinquennat de François Hollande. Il ne s'agit pas, naturellement, du tournant social-démocrate imaginaire que seules l'inculture historique, la complaisance proverbiale et la dépolitisation fondamentale de certains journalistes ont pu accréditer un instant. 

Politiquement, le déroulement des opérations a été au contraire remarquablement rectiligne : des premières semaines (ratification du traité européen, hausse de la TVA, crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) aux dernières en date (intermittents, pénibilité), l'inconcevable succession de reniements s'est égrenée avec une formidable constance. 

D'autres journalistes ont toutefois mis le doigt sur la nature exacte du changement : c'est dans le discours qu'il s'est passé quelque chose. Maintenant, Hollande assume, il a fait son « coming out », etc. A l'époque où cette antienne a émergé, ils avaient tort. Dire « social-démocratie » pour « néolibéralisme» ou bien inventer l'oxymore « socialisme de l'offre » pour «politique de droite », c'est faire un usage des mots politiquement classique : mentir, dissimuler, se justifier par des contorsions rhétoriques, essayer d'abuser un auditoire ou de sauver les apparences. 

Un homme politique fait des promesses, les électeurs font semblant d'y croire, c'est le jeu. En littérature, on appelle ça la suspension d'incrédulité. En politique, c'est une campagne électorale. A charge pour l'élu de justifier, par la suite, son incapacité à appliquer son programme malgré toute sa bonne volonté : la conjoncture, l'Europe, la crise des subprimes, etc. 

Certes, l'impression de rouleau compresseur, de systématicité infernale dans l'alignement sur le patronat rendait le quinquennat de Hollande particulièrement pénible et, d'une certaine manière, encore plus violent que le précédent, mais enfin, la méthode langagière était la même : le déni en dépit du bon sens. On se souvient, par exemple, de la  phrase de Cahuzac à un Mélenchon éberlué : « La réforme fiscale est terminée. » C'était encore l'époque de la trahison tranquille. 

La « provocation» (comme il l'a qualifiée lui-même) de Michel Sapin, déclarant que, tout compte fait, «notre amie, c'est la finance », nous fait basculer dans une autre dimension. Ce n'est pas seulement que ce cynisme goguenard nous dégoûte. Après tout, il y a une forme de panache dans ce crachat à la gueule des électeurs. (Panache entaché toutefois par la précision que Sapin a cru bon d'apporter, ajoutant le ridicule à l'abjection : la « bonne finance» évoquant irrésistiblement le sketch des Inconnus sur le bon et le mauvais chasseur.) Mais c'est, d'une certaine manière, une déclaration de guerre. Le message ne peut pas être plus clair : les mots ne veulent rien dire, ils sont réversibles comme des gants, ne nous écoutez jamais, ne croyez jamais ce qu'on vous dit, on vous a entubés jusqu'à la garde, abandonnez toute espérance, après nous le déluge. Et Hollande qui ne cessait de répéter, pendant la campagne, qu'il voulait installer la gauche au pouvoir dans la durée... 

L'Histoire se souviendra de ces hommes comme de la cinquième colonne du Medef, je crois que la cause est entendue. L'explication n'est sans doute pas à cher-cher très loin: ni soumission ni incompétence mais complicité de classe, tout simplement. Il restera quand même ce mystère : quelle ivresse, quelle étrange perversité les aura conduits à exhiber, à mettre en scène de façon aussi spectaculaire leur duplicité ? Plaisir de trahir, joie de décevoir. «La gauche peut mourir», dit l'assassin. Mais non, la gauche ne mourra pas. C'est elle ou vous, et ce sera vous, parce que les idées de justice sociale aux-quelles vous avez tourné le dos sont éternelles, tandis que vous êtes déjà oubliés. Ce masque que Michel Sapin a laissé tomber dans son geste de folle théâtralité, il y aura toujours des gens pour le ramasser et, l'Histoire nous a aussi appris ces choses-là, certains parmi eux qui seront dignes de le porter. ■ 

LE NOUVEL OBSERVATEUR 10 JUILLET 2014-

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