En Ukraine, le fascisme a relevé la tête. Il a un nom et un visage : celui du parti Svoboda et de l’organisation paramilitaire Secteur droit (Pravyï Sektor). Quand un homme goûte au sang de sa propre espèce, qu’il bannisse et qu’il tue, il n’est plus un homme mais un loup, dit Platon dans La République.
Cette terrible transformation s’est produite en Ukraine. D’abord à la place Maidan, quand des nazillons russophobes sont passés à l’acte, tirant sur les policiers non armés et sur la foule, pour chasser le président légitime Ianoukovitch et prendre le pouvoir. Ensuite, dans l’Ukraine orientale et en particulier à Odessa, le 2 mai, quand les mêmes ont lancé la chasse contre ceux qu’ils appellent « doryphores », provoquant l’incendie de la Maison des syndicats où ont péri, brûlés vifs ou tués par balle, une quarantaine de militants pro-russes qui s’y retrouvaient piégés.
Cet appel à la transgression avait déjà été entendu en 2004 dans le discours du chef de Svoboda et désormais vice-premier ministre d’Ukraine, Oleh Tyahnybok, sur le tombeau des combattants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) fondée en 1929 par Stepan Bandera, collaborateur des nazis : les combattants de l’UPA « n’avaient pas peur, avait-il dit. Nous ne devons pas avoir peur non plus. Ils ont pris leur fusil et sont allés dans les bois. Ils se sont tenus prêts et ont combattu contre les sales Russes, Allemands, Juifs et autres ordures qui voulaient reprendre notre Etat ukrainien ! Et il faut rendre l’Ukraine aux Ukrainiens ! »
A l’origine de cet ultranationalisme qui a pris corps dans l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) de Bandera, dont l’UPA était la branche armée, l’idéologie de pureté ethnique et le social-darwinisme radical de Dmytro Dontsov (1883-1973). Dans Nationalisme (1926), celui-ci définit une nation comme une espèce biologique et écrit que « même deux d’entre elles ne peuvent s’installer dans la même parcelle de terre sous le Soleil... ». Puis il explique que « la quête pour la vie et le pouvoir se transforme en quête pour la guerre (...) La guerre existe entre les espèces, et donc entre les peuples, les nations, etc. » Il ajoute ce terrible appel : « Soyez agresseurs et occupants, avant de devenir chefs d’Etat ou possédants. Aucune vérité commune humaine n’existe. » Selon le chercheur anglais Andrew Wilson, Dontsov avait concocté sa propre variété d’ultranationalisme avec des emprunts à Nietzsche, Fichte, Pareto, Sorel, mais aussi au nationalisme « intégral » de Maurras. Il plaida pour une Ukraine débarrassée de toute influence juive, polonaise et surtout russe.
Dans les années 1930, les fascistes ukrainiens ont été instrumentalisés par les renseignements britanniques et allemands, le MI6 et l’Abwehr. Winston Churchill imagina d’inclure l’Ukraine dans son Intermarium, une confédération rassemblant les peuples de la Baltique aux mers Egée, Adriatique et Noire, et dans la Ligue prométhéenne des minorités ethniques au sein de l’URSS.
Après la Seconde Guerre mondiale, les fascistes ukrainiens n’ont pas été condamnés et c’est tout naturellement que leurs inspirateurs de jadis, le MI6, la CIA et la BND les ont récupérés, pour les utiliser dans leurs opérations contre l’URSS, au sein du réseau Gladio, l’organisation clandestine de l’OTAN après la guerre. Parmi eux, Bandera, Mykola Lebed, mais aussi Iaroslav Stetsko, Premier ministre d’Ukraine en 1941 sous un gouvernement OUN. Stetsko fut récupéré par le MI6, qui l’installa à Munich, d’où il mena des opérations en Ukraine jusqu’en 1954.
Secteur droit est né en novembre 2013, créé directement par ces groupes. Il a trois composantes : le Trident de Bandera (Trizub), le Patriote ukrainien et l’Assemblée nationale ukrainienne-groupe d’autodéfense (UNA-UNSO). A l’indépendance de l’Ukraine en 1991, Slava Stesko, la veuve de Iaroslav, quitta Munich pour rejoindre l’Ukraine, où elle fonda en 1993 Trizub, lié au Congrès des nationalistes ukrainiens. Vasyl Yvanyshin en fut l’animateur jusqu’à sa mort en 2007, où il fut remplacé par Dmytro Iarosh, l’actuel chef du Secteur droit.
Le 13 juillet 2013, bien avant le Maidan, Iarosh prononçait un discours aux accents « prophétiques » : « Les temps arrivent où nous n’allons pas seulement parler et faire de la propagande (...) Nous devons montrer (…) dans les actes que la cause de Bandera n’est pas celle du passé, mais qu’elle est le présent et le futur. » En filiation directe avec ceux qui ont été battus il y a 69 ans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire