dimanche 6 avril 2014

François Hollande, le président français, est-il sur une pente comparable à celle de Jose Luis Rodriguez Zapatero?



France : crise du système politique, ou crise de la gauche ?


Par Michel Wieviorka La Vanguardia

François Hollande, le président français, est-il sur une pente comparable à celle de Jose Luis Rodriguez Zapatero, réélu à la Présidence du gouvernement espagnol en 2008 et sombrant dans les sondages pour se retrouver totalement discrédité avant même la fin de son mandat ? Les résultats des élections municipales donnent quelque vigueur à cette hypothèse.

C’est en effet de désastre pour la gauche française, et au sommet pour le chef d’Etat, que parlent tous les commentaires, sans concession ni nuance. Les socialistes contrôlaient jusqu’ici presque tous les pouvoirs en France : la Présidence de la République, les deux Assemblées, 21 Régions sur 22, une grande majorité de grandes villes, les départements, ils viennent de perdre plus de 150 communes importantes, les élections européennes seront vraisemblablement la confirmation de leur échec, et les élections régionales de 2015 aboutiront certainement à de lourdes déconvenues pour la gauche.

Il est fréquent, aujourd’hui, de parler d’une crise générale des systèmes politiques, et même d’une crise de la représentation politique. Il est vrai qu’en Espagne, une telle analyse fait sens, il suffit de considérer la place du PP et du PSOE dans les sondages d’opinion pour le constater : ils sont tous deux déconsidérés.

Appliquée à la France, cette idée d’une crise de tout le système politique est validée si l’on considère le chiffre des abstentions, qui a atteint près de 40% cette fois-ci, en hausse par rapport à des consultations ultérieures. L’abstention n’est pas seulement le fait de personnes marginales, sans éducation, voire analphabètes, mais celui aussi de citoyens dégoutés par la politique, en général, et qui considèrent que rien dans l’offre politique ne peut justifier qu’ils s’expriment dans les urnes.

Mais considérons les résultats des récentes élections municipales. Les prévisions avaient annoncé un succès du Front national : celui-ci est réel, mais ce n’est pas un triomphe. Le FN, si l’on considère les chiffres, n’a que peu progressé en termes de nombre d’électeurs. Il a échoué dans quelques villes où il comptait bien l’emporter. Il dirige désormais une dizaine de ville, un quartier important de Marseille, il compte quelque 1200 conseillers municipaux. Ce parti se présente comme respectable, mais il continue à capitaliser les pulsions racistes et xénophobes, et dans son appareil, il n’est pas rare que cela s’exprime ouvertement malgré les consignes de sa direction.

Qui a voté pour le FN ? Son électorat classique, certes. Mais aussi en grand nombre des déçus de la gauche, alimentant ce que le politologue Pascal Perrineau appelle le « gaucho-lepénisme », le vote par des anciens électeurs de gauche pour le parti dirigé par Marine Le Pen aujourd’hui, et son père Jean-Marie hier. Le Front national s’adresse aux « oubliés » et aux « invisibles », ces ouvriers, ces chômeurs qui se vivent comme abandonnés par la gauche, orphelins du communisme et délaissés par le parti socialiste. Une conclusion que l’on peut tirer de ce constat est que la représentation politique en elle-même n’est pas totalement en crise, puisque le FN vient collecter des votes, et même se présenter comme un parti de gouvernement, capable de gérer, aujourd’hui des villes, demain, croit-il, le pays, alors qu’il se dit « antisystème ». La crise, c’est bien d’abord celle de la gauche, et de son leadership.

Ce point de vue est renforcé si l’on considère les résultats de la droite classique aux mêmes élections. Cette droite a connu une défaite historique en 2012, quand le président sortant, Nicolas Sarkozy, a été battu à l’élection présidentielle, et qu’elle a dans la foulée perdu la majorité à l’assemblée nationale. Jean-François Copé et François Fillion, les deux principaux leaders de son parti, l’UMP, se sont affrontés d’une façon qui a largement délégitimé leur éventuel leadership. Jean-François Copé est de surcroît pointé dans les médias pour des soupçons d’affairisme. Par ailleurs, un proche conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, avait enregistré à son insu leurs échanges, les plus confidentiels, et les enregistrements ont commencé à apparaître dans la presse. Nicolas Sarkozy, de plus, a été mis sur écoute par la justice, et là aussi, des fuites ont rendu publiques ses conversations téléphoniques, dont le contenu est à bien des égards consternant.

Tout ceci aurait dû affaiblir massivement la droite. Or il n’en a rien été, et plus encore que le Front national, c’est elle la grande triomphatrice des récentes élections municipales.

Ce qui vient de chuter à gauche, en France, c’est un modèle politique complexe, qui conjuguait centralisme jacobin, avec un pouvoir exécutif concentré dans les mains du président de la République, et une structuration sur l’ensemble du territoire, les élus locaux et régionaux assurant au profit du parti socialiste une sorte de maillage, un contrôle dense du pays – les politologues parlent ici d’un socialisme municipal. Le Parti socialiste vient de perdre quelque 150 villes (une commune, en France, est considérée comme une ville à partir de 9 ou 10 000 habitants), le socialisme municipal s’est effondré. En même temps, le pouvoir central, et d’abord le chef de l’Etat, sont apparus comme décrédibilisés, incapables de définir une politique ferme et de proposer une vision à long terme, articulant justice sociale, développement durable et efficacité économique.

En changeant de premier ministre, et en remplaçant Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls, et alors même qu’il n’y a plus de ministre « vert », le président de la République déplace le centre de gravité du pouvoir vers le centre. Il perd une partie de la confiance dont lui témoignaient d’une part la « gauche de la gauche » et d’autre part les écologistes, il ancre son action du côté de la rigueur, voire de l’austérité. Il devient tout à fait artificiel de parler ici de social-démocratie.

Le communisme est depuis longtemps en déclin, les références à la social-démocratie ne sont plus crédibles, le socialisme municipal vient de connaître un lourd échec, et aussi bien le développement durable prôné par les écologistes que les mesures de justice sociale demandée par la gauche de la gauche ne sont plus représentées au gouvernement : c’est bien d’une crise profonde de la gauche qu’il s’agit en France aujourd’hui.

Tribune de Michel Wieviorka, dans La Vanguardia, avril 2014.

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