mercredi 12 février 2014

Le dollar américain détrôné par le Yuan : un scénario passé de l' invraisemblable à l' inéluctable



En décembre 2013, la monnaie chinoise a ravi à l’euro la deuxième place du podium des devises les plus utilisées dans les contrats commerciaux, la surprise a été de taille. 

Pour le yuan, ou renminbi (monnaie du peuple), la nouvelle a constitué une forme de consécration. Depuis, certains observateurs extrapolent, et imaginent déjà un scénario qui aurait été jugé, il y a peu, totalement invraisemblable : le dollar américain détrôné en tant que devise mondiale. La tendance paraît inéluctable. Le renminbi va non seulement devenir une devise de règlement dans les échanges commerciaux et une devise de facturation, mais également la principale monnaie de réserve des grandes banques centrales du monde. 

Les trois fonctions principales d’une monnaie mondiale, que le dollar américain (qui représente à lui seul un peu plus de 60 % des réserves de change mondiales) assure sans partage depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après avoir supplanté la livre sterling. L’histoire économique et monétaire le prouve : la domination mondiale d’une monnaie va de pair avec le leadership économique, financier, voire culturel du pays qui l’émet. Avant le règne du sterling de l’Empire britannique au XIXe siècle, le peso portugais, la piastre espagnole ou encore le franc français ont eu, eux aussi, leur heure de gloire. 

Les prédictions assurant qu’un passage de témoin entre le dollar et le yuan interviendra tôt ou tard sont d’autant plus réalistes que Pékin ne cache pas ses ambitions en la matière. En octobre dernier, l’un des chroniqueurs de l’agence de presse officielle chinoise Xinhua, Liu Chang, avait appelé explicitement dans un point de vue à une « dés-américanisation » de l’économie mondiale. Fustigeant la politique de Washington, Liu Chang y militait pour l’instauration d’une nouvelle devise de réserve, amenée à remplacer le dollar dominant afin que « la communauté internationale puisse, de manière permanente, rester à l’écart de la contagion de la crise politique intérieure s’intensifiant aux Etats-Unis ». 

Une référence aux bras de fer permanents entre la Maison-Blanche et le Congrès sur les questions budgétaires. Le fait que la Réserve fédérale américaine monétise sa dette publique à tout-va ne laisse pas non plus d’inquiéter les autorités chinoises, à la tête de 5.000 milliards de dollars de réserves investies essentiellement sur le marché obligataireaméricain.


Une question de temps

L’économiste Nouriel Roubini annonce ainsi l’inéluctable : « L’Empire britannique a décliné - et la livre a perdu son statut de principale monnaie de réserve mondiale - lorsque la Grande-Bretagne est devenue un débiteur net et un emprunteur net durant la Seconde Guerre mondiale. Les Etats-Unis sont aujourd’hui dans une situation similaire. 

Ils accumulent d’énormes déficits commerciaux et budgétaires, et comptent sur la bienveillance continuelle de créanciers étrangers qui commencent à se sentir mal à l’aise à l’idée d’accumuler toujours plus d’actifs libellés en dollars. La chute du dollar pourrait n’être qu’une question de temps », avertit-il. Président d’AB Marchés et ex-chef économiste d’HSBC France, Antoine Brunet va plus loin, en analysant les résultats du dernier plénum du comité central du Parti communiste chinois, en novembre. Ce dernier a décidé la création de la zone de libre-échange de Shanghai, où le yuan sera convertible et le mouvement des capitaux libres. « C’est une nouvelle offensive. La Chine, patiemment, ne cesse de prendre des initiatives et de marquer des points pour mettre en cause le statut privilégié du dollar et pour substituer in fine le yuan monnaie du monde au dollar monnaie du monde. » 

Il est vrai que, depuis plusieurs années, Pékin ne ménage pas ses efforts pour développer l’usage du yuan à l’international. Accords de swaps entre la banque centrale chinoise et la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon notamment ; création d’un marché obligataire privé (les obligations Dim Sum) à Hong Kong, pour offrir de nouvelles opportunités d’investissement en yuan ; possibilité offerte aux banques et aux entreprises étrangères d’emprunter en yuan par l’intermédiaire des places financières de Hong Kong, Singapour et Londres ; accord sino-britannique pour renforcer le rôle de la City dans le négoce offshore du yuan, un marché convoité aussi par la place financière de Paris… 

Des tentatives ont aussi lieu au niveau des instances internationales. Lorsque la crise économique et financière de 2007-2008 a atteint son paroxysme, plusieurs leaders, dont le président français de l’époque Nicolas Sarkozy, ont appelé à une réforme du système monétaire international, et à une moindre dépendance vis-à-vis du dollar. Dans le cadre du G20, certains avancent l’idée d’introduire de nouvelles monnaies au sein du panier des droits de tirages spéciaux (DTS), cette unité de compte utilisée par le Fonds monétaire international. Sans succès jusque-là. Washington veille au salut du dollar et à ses « privilèges exorbitants », dénoncés par bon nombre d’économistes. « On le voit, globalement, la puissance géo-économique des Etats-Unis équilibre encore celle de la Chine. 

Mais la dynamique est en faveur de la Chine », martèle Antoine Brunet. John Mauldin, de Mauldin Economics, se veut, lui, plus mesuré. « La question n’est pas de savoir si le yuan va devenir la principale monnaie de réserve mondiale à la place du dollar, mais s’il va devenir une monnaie de réserve. » Et sa réponse est simple : oui, le renminbi en deviendra une. Ce n’est qu’une question de temps. Selon son analyse, la Chine va d’abord l’imposer au niveau commercial. Il est impératif d’alimenter le monde avec sa propre monnaie. Les Etats-Unis l’ont fait pendant plus de vingt ans grâce à leur déficit commercial avec les pays de l’Opep et d’Asie. « Ces dollars qui ont terminé dans les coffres des banques centrales de ces nations sont revenus financer le déficit budgétaire américain par des achats de titres du Trésor », rappelle-t-il. 

Mais, ce schéma va prendre fin. Depuis le début de la crise, les Etats-Unis ont fortement réduit le déficit de leur balance courante (- 58 %) grâce au gaz de schiste et à la renaissance de leur industrie. « A terme, la balance courante américaine pourrait redevenir positive. La quantité de dollars offshore va donc se réduire significativement. Ce qui induit un effondrement de la liquidité dollar au niveau mondial puisque la devise américaine est présente dans 87 % des transactions de change globales. Face à cette évolution prévisible, une seule monnaie pourra suppléer le billet vert : le yuan. » En seulement deux ans, la Chine est d’ailleurs parvenue à faire passer de 0 à 18 % la facturation en yuan de ses exportations. « Il y a seulement deux ans, le yuan était une nondevise. Personne ne la négociait, personne ne la détenait. »



Considérations géopolitiques

Aujourd’hui, le yuan est devenu la neuvième devise négociée au monde, selon l’étude publiée ce mois-ci par l’European Centre for International Political Economy. Et cette internationalisation va se poursuivre. Pour que la Chine devienne un exportateur de poids de ses propres produits, il lui faut offrir des financements à ses consommateurs ultimes que sont l’Indonésie, le Vietnam et le reste de l’Asie. « Si un pays effectue 20 % de son commerce avec la Chine, il est normal que le yuan soit la monnaie de référence des contrats commerciaux », explique John Mauldin. L’étude récente de la Development Bank of Singapour (DBS) abonde dans ce sens. L’internationalisation du yuan est cruciale pour la Chine. Pékin veut éviter la répétition du scénario de 2008. « Quand Lehman Brothers est tombé, le monde entier s’est effondré instantanément et simultanément. L’Asie est tombée aussi vite, voire plus vite, que les Etats-Unis, non pas faute de demande de l’économie réelle, mais en raison d’un choc financier, un gel des financements en dollar du commerce international de l’Asie. » 

L’une des solutions est d’ancrer le commerce asiatique au yuan. A cela s’ajoutent des considérations géopolitiques de prestige. « Il serait irréel, alors que la Chine est devenue la nation la plus commerçante au monde, que son commerce soit encore mesuré en dollar à la fin de la décennie », relève DBS. Dans un rapport commandité par le World Gold Council, en janvier 2013, l’Official Monetary and Financial Institutions Forum (Omfif) partage cet avis : « Pour des raisons géopolitiques, de fierté nationale et de prestige, la Chine veut voir sa monnaie jouer un plus grand rôle dans le système capitaliste international. 

Mais il faudra un grand nombre d’années avant que le yuan ne soit un challenger crédible du dollar. Les Chinois préféreront d’abord asseoir le rôle du yuan comme devise commerciale et d’investissements. » D’autant que détrôner le dollar comme monnaie mondiale ne dépend pas du seul bon vouloir de Pékin. La Chine peut de manière indépendante promouvoir l’internationalisation de sa devise en libéralisant un peu plus les mouvements de capitaux, en réformant le taux de change fixe entre yuan et dollar, conditions essentielles pour prétendre à un statut de devise de réserve… « Mais il faudra surtout que la communauté financière mondiale accepte que le yuan devienne la deuxième devise de réserve mondiale », constate l’Omfif. Et sur ce plan, les Etats-Unis disposent d’un atout considérable. Celui d’être une démocratie s’appuyant sur des règles de droit intangibles. « Il n’est pas assuré aujourd’hui qu’un investisseur puisse récupérer en totalité un éventuel investissement en yuan. 

L’environnement juridique chinois n’est pas comparable à celui des Etats-Unis », avertit un économiste. Jean-Pierre Patat, conseiller au Cépii, ne s’attend pas non plus à un bouleversement du paysage actuel. « Il faudra des dizaines d’années pour que le yuan soit en mesure de concurrencer sérieusement le dollar. A moins d’un séisme majeur comme la Seconde Guerre mondiale, qui a couronné le dollar au détriment du sterling. La Chine ne dispose pas encore d’un marché de dette publique aussi profond, diversifié et liquide que celui des Etats-Unis. » La bataille entre le yuan et le dollar pour la première place du podium s’apparente donc plus à une « Longue Marche », parsemée d’embûches, qu’à un « Grand Bond en avant ».


Source
http://www.lesechos.fr

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