mercredi 11 décembre 2013

Mariage Homosexuel : C'est Dur d'Être Aimé par des Cons de Socialistes...



L’utilisation du concept de “Mariage pour tous” a privé les pro-mariage d’un discours anthropologique crédible.


 Il serait très intéressant de rechercher comment le mariage homosexuel est de venu à force de glissements sémantiques le fameux “mariage pour tous” dont la terminologie s’est imposée médiatiquement.

On suspecte fortement quelque agence de communication politique d’avoir voulu former le champ politique de la discussion afin de “corneriser” les opposants.

Comme souvent depuis quelques années (référendum de 2005), ces méthodes n’ont pas marché et bien au contraire suscité une crispation.



Le concept de “mariage pour tous ” a polarisé le débat en sa défaveur



En s’enfermant dans le strict débat politico-juridique, les partisans du mariage pour tous ont donc tracé une grande ligne de partage entre égalité et discrimination.

Cette frontière a induit une relecture historique radicale de l’histoire des règles du mariage et de la conquête des droits des gays, relecture qui a marginalisé les partisans du mariage pour tous, victimes du syndrome dit “de Jack Lang” celui du passage de l’ombre à la lumière.


Comme le disait une personne anonyme invitée à la fête de la mairie du 4ème arrondissement organisée par le PS et interrogée par “Libération,” je cite: “nous vivions dans un apartheid qui ne disait pas son nom”

Cet homme a résumé à lui tout seul en le formulant tout haut ce dont était porteur silencieusement le concept de “mariage pour tous” : une vision manichéenne des évolutions historiques qui redécoupait le présent débat sur le modèle des glorieuses victoires progressistes du passé.



Un Serge Kaganski des inrockuptibles pouvait aussi écrire que les opposants au mariage gay auraient soutenu Pétain en 1940, et Pierre Bergé d’expliquer que les manifestants étaient sans doute aussi antisémites, tous ces gens oubliant, au passage, que les premiers résistants furent des lycéens catholiques bon teint et le premier Waffen SS français un ancien de la LICA.

L’histoire n’est pas toujours aussi simple que certains veulent la dépeindre.

Les comparaisons historiques douteuses n’ont jamais cessé de fleurir et je suis toujours étonné que ceux qui les formulent ne se rendent jamais compte combien elles insultent ceux qui ont vécu les terribles situations évoquées au regard de nos interrogations contemporaines, plus feutrées.

 On a également évoqué la ségrégation raciale dans les états du sud des USA.


A leur décharge, la vindicte avec laquelle certains élus et certaines personnalités de droite ont attaqué les militants homosexuels durant cette campagne n’était pas sans rappeler les déchaînements des “dixiecrats” lors de la fin des lois Jim Crow.

Parions néanmoins que personne n’aura en France à se marier sous protection policière alors qu’une foule déchaînée et hostile soutenue par les autorités locales jettera des pierres.

Prenons le pari que nous reviendrons à un certain apaisement quotidien.

La France n’est pas l’ Alabama, et Frigide Barjot aussi peu sympathique et républicaine (au sens français) soit-elle passera difficilement pour un grand sorcier du KKK.

Les comparaisons historiques, géographiques et le paradigme du racisme ne rendent pas compte de la réalité et cette lecture manichéenne des évènements n’est pas passée dans l’opinion.



On peut être ainsi un partisan résolu du mariage homosexuel et défendre l’idée que la France n’était pas avant hier, même sans cette mesure, un régime de type discriminatoire où les gais et lesbiennes étaient persécutés ou maltraités par un Etat injuste et dictatorial et un ordre patriarcal hétérosexuel bourgeois.

Ils étaient au contraire protégés et c’est heureux, par des dispositifs de libertés publiques qui s’étendent désormais aux questions d’orientation sexuelle et dont on souhaiterait que tous les pays se dotent.



Il faut également rappeler que la question du mariage homo est à l’échelle historique extraordinairement récente, qu’elle n’a jamais fait l’objet de telles demandes dans des sociétés où l’homosexualité était très tolérée voire encouragée, y compris dans l’antiquité, et qu’il s’agit donc d’une invention moderne à travers laquelle on ne peut relire l’histoire de l’homosexualité et des revendications de dignité des homosexuels.

Or, nos médias ont donc renvoyé une nouvelle fois bien à tort à la société française une image d’intolérance et d’étroitesse esprit, le fameux “enclos” cher à notre ami Sylvain Bourmeau, qui reflète d’autant moins la réalité que ce sont les classes populaires qui soutenaient le plus cette mesure.

On a ressuscité dans les médias la figure du beauf raciste et homophobe qui n’était précisément pas l’opposant type au mariage pour tous.

On devrait d’ailleurs s’interroger sur l’absence de Marine Le Pen à ces manifestations et plutôt que d’y voir un complot d’un entourage gay, s’interroger sur la manière dont elle appréhende son coeur de cible comprenant qu’elle n’avait pas grand chose à gagner électoralement à un engagement forcené.



Le “mariage pour tous” ne pouvait déboucher en posant la question à travers des problématiques de liberté et d’égalité que sur un débat exacerbé puisque le concept transformait la ligne de partage politique en une ligne morale d’où l’on séparait le bien et le mal.

Toute une zone grise de gens qui étaient plutôt favorables à la mesure se sont alors sentis repoussés vers une opposition qui doit aussi être vue comme un refus de la collusion entre politique et “moraline” pour reprendre l’expression de Camus, et le sentiment qu’un habituel conglomérat politico-médiatique qui décide de la bienséance lui indiquait une nouvelle fois ce qu’était “le bon choix” On avait déjà éprouvé l’efficacité de la méthode lors des référendums européens.



Le principe du “mariage pour tous ” s’est alors refermé sur lui-même tournant en rond autour de la question de la discrimination et du progrès de l’histoire sans pouvoir apporter de réponse aux autres critiques qui lui étaient adressés.

Il est devenu un principe rhétorique vide de contenu mais qui visait simplement à figer des positions qui, loin d’ouvrir le débat ne visaient qu’à l’occulter d’avance.

A signaler parmi les rares positions fortes, intéressantes et pertinentes, celle de Catherine Kintzler, mettant l’accent sur le fait que l’accès des homosexuels au mariage rendait ce dernier authentiquement laïque.

On ne peut suspecter Catherine Kintzler de différentialisme mais dans son argumentaire, elle était bien obligée de partir du fait que le fait que des homosexuels puissent se marier introduisait de la différence, une situation différente qui conférait sa valeur supplémentaire au mariage civil sur le mariage religieux.

Une sorte de nouvelle ère du mariage laïque aurait pu commencer comme modèle alternatif au modèle religieux dont il s’affranchissait. C’était tracer une perspective très intéressante qui dépassait totalement le clivage républicain-communautaire.

Catherine Kintzler avait réussi à concilier ces deux aspects en passant par le détour des situations concrètes pour revenir à la question de la citoyenneté.

Pour autant, elle n’a pas oublié de penser le mariage comme institution anthropologique en partant des modifications qu’induit dans l’institution la situation différente et nouvelle de couples de même sexe et cela, sans confondre l’ordre politique de la citoyenneté avec celui anthropologique du mariage et de la filiation.

Le parent et l’époux sont aussi mais pas exclusivement, des citoyens et doivent donc être pensés à travers des catégories non exclusivement politiques, leçon que devront méditer nos dirigeants de toutes obédiences qui confondent sans cesse positionnements stratégiques et convictions philosophiques sur toutes ces questions.


Le mariage pour tous était en fait -stupeur- un mariage gay.




Je demeure donc persuadé que ce n’est pas le débat qui a suscité le renversement de l’opinion mais les termes dans lesquels il s’est trouvé enfermé.


En jouant la théorisation et la moralisation , on a aliéné toute une catégorie de gens qui connaissent des gais et des lesbiennes dans leur entourage ou leur famille , qui constatent quotidiennement que ces couples fonctionnent et durent, que les épreuves des années SIDA ont créé, comme le rappelait Irène Théry un nouveau regard sur ces couples en raison des drames vécus et des témoignages de soutien indéfectibles que les conjoints se sont apportés durant ces années sombres.

C’est d’ailleurs sur cette période que se fonde la montée des revendications d’une conjugalité homosexuelle.



Si l’on avait plaidé non pas mièvrement avec des trémolos dans la voix, mais de manière politiquement responsable pour accorder un droit à une catégorie de la population qui a fait un long chemin de reconnaissance après des années d’exclusion et de mise au ban, on aurait recueilli ce large assentiment qui préexistait au débat.



En somme, pour rester néanmoins un peu théorique, je crois que le paradigme de la reconnaissance des couples homosexuels aurait été le plus juste, le plus favorable et le plus apaisé pour gagner à cette cause une large majorité de la population et je reste persuadé que de nombreuses personnes auraient su se laisser convaincre si on leur avait expliqué, non pas qu’ils vivaient dans l’erreur et qu’ils étaient les héritiers d’années de persécution et d’une diabolique société hétéronormée, qu’ils devaient abjurer , mais que le monde avait changé et que l’on pouvait adopter une nouvelle mentalité et un nouveau regard quelle que soit sa vision passée.

On a d’ailleurs en outre finalement pas mal mis à l’écart les homosexuels et ce qu’ils vivent au quotidien dans ce débat et on a laissé les opposants se nourrir de fantasmes et de caricatures parce qu’on a tenu un discours juridicisé et normatif qui a fonctionné comme un voile d’ignorance.

La société française est prise aujourd’hui dans une contradiction que ce débat a encore souligné, entre une aspiration grandissante à l’individualisme exacerbé et sa passion historique de l’égalité, entre l’indifférence que nous éprouvons les uns envers les autres et notre souci d’égaliser nos conditions.

Dans le panel des arguments on a donc sans cesse oscillé entre revendication hédoniste et libertaire et sacralisation de l’institution étatique du mariage, entre culte du moi et volonté d’ignorer les différences .

On a donc développé un raisonnement qui se fondait sur deux idées contradictoires et polarisantes: liberté et égalité.

On a finalement oublié ce troisième terme sans lequel les deux autres ne peuvent que mener à une société de défiance généralisée et d’injonctions contradictoires, celui de fraternité.



Obama n’avait pas eu peur d’un certain lyrisme en évoquant la situation de nos “frères et soeurs gais et lesbiennes” Je ne suis pas sans savoir qu’un tel discours est difficilement transposable dans notre pays en raison de son caractère un peu emphatique et de ses connotations spiritualistes.

Cependant, outre le fait qu’un tel discours n’aurait pas été plus ridicule que bien des interventions, il a le grand mérite de rappeler que l’accès aux droits de quelques uns ne nuit pas à la jouissance du plus grand nombre qui bénéficient de ces mêmes droits. il permet de poser cet aboutissement comme un pas de plus vers une société plus fraternelle et réconciliée, d’évoquer le parcours des droits civiques et des discriminations subies sans céder à la passion française triste de rechercher des coupables et des responsables.



En outre, la gauche américaine est plus apte à porter une rhétorique que la gauche française qui ne sait concilier sa compréhensible, mais datée, appréhension des revendications familialistes marquées à droite (Vichy, toujours, encore) et la revendication des droits des homosexuels.

Elle ne s’est jamais sortie de cette contradiction interne résumée par le slogan “maintenant, j’ai le droit de ne pas me marier” Si la gauche avait su développer un discours de renforcement du mariage susceptible de convaincre au centre-droit, elle se serait évitée de perdre la confiance de ces électeurs catholiques sociaux  qui l’ont choisie contre Sarkozy en 2012 sur la question du rejet des accents xénophobes de l’ancien président et de la justice sociale et qui , pour une part, se sont aussi retrouvés à défiler.

Son logiciel ancestral n’était en fait pas programmé pour que ces idées se télescopent sans donner naissance à d’incroyables contorsions. Elle n’était pas apte finalement à vanter les mérites “conservateurs” du mariage gay, ce qui apaise outre-atlantique les républicains les plus raisonnables et finit même par convaincre les conservateurs comme Cameron en Grande-Bretagne de bâtir de larges majorités d’idées.



Enfin, il fallait donc tout simplement faire de ce mariage pour tous ce qu’il était : un mariage gay, un mariage homo, un événement qui permettait de tourner la page de la déconsidération des homosexuels et d’inaugurer un nouveau pacte civil sur cette question des moeurs et non pas un avatar supplémentaire de nos déchirements entre communautarisme honteux et républicanisme essoufflé, catholicisme déclinant, et laïcité tantôt brocardée ou tantôt  instrumentalisée selon l’usage que l’on veut en faire.


Le bureau des sabotages :: Le blog de Frédéric Lowenfeld

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