jeudi 17 novembre 2022

Politique française : les Républicains en position d’arbitres

Les moyens de dissuasion ne sont utiles que tant que l’on ne s’en sert pas. Le vote d’une motion de censure, c’est l’arme de destruction massive de l’Assemblée nationale. On presse le bouton et boum ! Avec ses 62 députés, l’alliance de la droite conduite par les Républicains a entre ses mains l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du gouvernement d’Élizabeth Borne. Dans l’hypothèse d’une dissolution qui suivrait une éventuelle éjection manu militari de l’exécutif, elle détient également le sort des 577 députés de l’actuelle Assemblée. Il suffirait pour cela qu’à l’occasion d’une mention de censure déposée par la gauche et votée mine de rien par le Rassemblement national la droite décide de se joindre au vote pour déclencher une crise politique qui viendrait rebattre toutes les cartes dans le pays. La droite française se retrouve donc bizarrement et malgré elle avec davantage de responsabilité que si elle était au pouvoir ou y participait.   La destruction créatrice Ironiquement, cette situation ambiguë et instable a le mérite de clarifier les choses. Certains élus ont d’ores et déjà choisi de se retirer pour ne pas être embarqués dans l’aventure, comme c’est le cas du maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc. On se souvient par ailleurs de ceux qui avaient anticipé cette situation et avaient grossi les rangs de la coalition de circonstance agglutinée autour du chef de l’État, comme Éric Woerth et plusieurs autres. En même temps (comme si la simultanéité était devenue la marque de l’époque), le sort même du parti Les Républicains est suspendu à la nomination de son prochain président. L’indécision plane au-dessus des résultats des trois candidats, avec en coulisse les agissements des tribus et des barons dont l’existence et l’importance caractérisent la vie politique française depuis Vercingétorix et plus particulièrement la droite, soucieuse de conserver cette tradition bien française. On peut ici citer de nombreux noms : Gérard Larcher, l’indéboulonnable président du Sénat dont on oublie tout le temps qu’il est quand même le second personnage de l’État ; David Lisnard, aux commandes de la silencieuse mais fondamentale Association des maires de France ; les présidents de cinq régions tenues par LR et dont Laurent Wauquiez se démarque après le fiasco de Valérie Pécresse et les pas de danse de Xavier Bertrand ; François-Xavier Bellamy, le chef des députés européens ; sans compter les nombreux maires et principaux opposants de grandes villes, même si les Républicains y ont subi pas mal de défections et de déboires ces derniers temps. Pressés à la fois par le poids de la responsabilité d’avoir le sort du gouvernement entre leurs mains et le besoin pressant de réagir à la dynamique compressive opérée par la majorité présidentielle, les Républicains dans la forme actuelle vont disparaître. Ce n’est ni une prévision ni une spéculation. En fait ils ont déjà disparu et chacun de leurs membres restants a engagé depuis belle lurette l’inventaire que la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy avait étouffé sous un écran de fumée au lendemain de la défaite présidentielle de 2012.   La grande lessive Bruneau Retailleau, François-Xavier Bellamy et Julien Aubert ont ouvert le grand déballage par une tribune parue début octobre dans L’Express et qui est loin d’être passée inaperçue. De nombreux actuels et anciens LR, l’ancien président en tête, ont failli s’étrangler en voyant que l’on osait s’en prendre aux symboles du passé. Ce passé n’est pourtant pas très glorieux. Il a quand même conduit à la situation actuelle dans laquelle se trouvent à la fois le Vieux Grand Parti et le pays. Quitte à dresser un inventaire du passé, autant remonter carrément aux origines. La France n’a pas vu un budget équilibré depuis 1974. Mettons de côté toutes les bonnes et mauvaises excuses : la Cinquième République n’a pas survécu au Général de Gaulle et à son Premier ministre Georges Pompidou. Non seulement la Cinquième République n’y a pas survécu mais la droite française non plus. Depuis la présidence de Valery Giscard d’Estaing, le pays est divisé, en déficit, en pente descendante dans de nombreux domaines : industrie, éducation, sécurité, libertés publiques… miné par un chômage chronique, rincé par des polémiques quotidiennes et bloqué par l’ambiguïté populiste. Bêtement, stupidement, la droite française a cru bon de supporter cette lente descente par le simple argument qu’elle devait assurer ce qu’elle considérait comme étant l’héritage du Général. Il y a fort à parier qu’avec sa gouaille de militaire de carrière le grand Charles aurait dit ce qu’il avait expliqué à un tankiste français en mai 1940 qui venait de se faire par trois fois poivrer par les Allemands et avait à chaque fois rebroussé chemin en abandonnant son char d’assaut détruit pour en reprendre un autre : « Et maintenant, qu’est-ce que vous attendez pour y retourner ? »   Le vrai et le faux conservatisme Il y a deux définitions du conservatisme : l’une est de droite, l’autre est de gauche. Celle de gauche est que les conservateurs sont réactionnaires et veulent à tout prix empêcher le progrès et conserver le passé ou tout du moins les choses telles qu’elles sont. Cette position finit bien souvent avec des paradoxes totalement ridicules comme celui de défendre l’école publique laïque et républicaine ou de célébrer la Révolution française sous prétexte que ces sujets contre lesquels la droite de l’époque s’est furieusement élevée et même violemment battue font dorénavant partie du passé et donc de l’héritage de la Nation. Celle de droite consiste à dire que la conservation des choses, via la propriété, est le fondement des sociétés occidentales selon une longue tradition légaliste datant d’avant l’Empire romain et qui a bon gré mal gré traversé les âges. Selon cette définition, le conservatisme consiste à défendre cette organisation de la société et à la faire évoluer pour plus de liberté et d’épanouissement des individus. Le problème c’est que dire en 2022 que la Révolution française a été une catastrophe pour le pays, ce n’est pas être à droite selon les critères moraux actuels du politiquement correct ; c’est être tellement à droite que l’on sort carrément du spectre politique pour se retrouver en dehors de l’orbite terrestre, voire en dehors du système solaire.   Une droite plus communiste que les communistes La droite française a fini par coopter tout une série de choses contraires à ses principes, à la fois par conformisme historique et par opportunisme électoral. Ainsi, le « meilleur système que le monde entier nous envie » imposé par les communistes à la libération et accepté en se bouchant le nez par de Gaulle afin d’éviter une guerre civile et également de négocier le soutien ou la neutralité de Moscou à son statut de grande puissance, est-il devenu un fleuron national défendu bec et ongles par la droite. La question n’est pas de savoir si la droite française survivra : elle survivra ne serait-ce que parce qu’aucun système politique n’est jamais consensuel, ce qui est au passage un très sérieux argument mettant à mal cette vision angélique de la Nation, avec son identité unique, sa culture commune, son intérêt général et tout le reste. La question est de savoir si la droite française conservatrice au premier sens énoncé (le conservatisme expliqué par la gauche) saura sortir du piège ontologique dans lequel elle a été ou s’est enfermée elle-même et que l’on verra apparaître une droite française conservatrice au sens du conservatisme d’Edmond Burke et d’Alexis de Tocqueville.   Un sacré nettoyage en perspective Pour tourner la page de 40 ans de post-gaullisme et disons le tout net de socialisme de droite, la droite a un sacré chantier devant elle. Il faut tout d’abord qu’elle explique gentiment aux nostalgiques de l’Empire (et plus particulièrement à ceux de l’Algérie française) qu’ils se sont vraiment fait mettre minable une première fois en 1942 et une seconde fois en 1962 et qu’il est temps de passer à autre chose. Le but de la Cinquième était de rompre avec le républicanisme gauchiste de la Troisième et de la Quatrième République, pas de devenir une caisse de résonnance de revanchards toujours obsédés par l’idée de casser du bronzé et du Yankee 60 ans après les accords d’Alger et 80 ans après le débarquement des GI à Alger et à Oran. Le gros problème est qu’à force de cultiver l’ambiguïté avec le nationalisme et le socialisme (les deux étant les deux faces de la même pièce), il va être très difficile de clarifier les choses et d’expliquer que la France a mieux à faire que de mener des combats d’arrière-garde. Mais enfin ! Pensez-vous vraiment que c’est en ajoutant le beyaz peynir et le labneh à la liste des 248 fromages que l’on va rendre ce pays ingouvernable ? Pensez-vous vraiment que le programme du Front Populaire, rebaptisé programme du Comité national de rassemblement populaire en 1935 ; puis programme du Comité d’action socialiste en janvier 1943 ; puis programme du Comité français de libération nationale en juillet 1943 ; puis programme de la CGT en septembre 1943 ; puis programme du Comité national des Études en novembre 1943 ; puis programme du Front National en janvier 1944 ; puis enfin programme d’action de la Résistance en mars 1944 et finalement programme du Conseil national de la Résistance à la libération, soit vraiment un programme politique de droite ? Pour se faire de nouveau entendre, la droite doit impérativement cesser d’être la caisse de résonnance de tous ces déçus du socialisme qui réclament encore plus de socialisme pour sauver le socialisme.
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