Par Claude Robert.
Il est assez consternant qu’Emmanuel Macron déplore « la contestation de toute forme d’autorité, y compris de l’autorité académique et scientifique» (Lâ™Opinion, 22/12/20). La récente flambée protestataire est parfaitement concomitante des démonstrations dâ™autoritarisme de son gouvernement.
Fidèle à ses tours de passe-passe rhétoriques, le président tente un parallèle avec la contestation de lâ™autorité académique et scientifique. Mais cette contestation semble dépendre de causes qui nâ™ont pas grand-chose à voir. Il sâ™agit bien sûr, pour le Président, de faire diversion de ses propres fautes. La présidence dâ™un quasi despote même pas éclairé
La présidence de Macron est une longue et douloureuse succession dâ™atteintes aux libertés individuelles. Tout a commencé dès sa prise de pouvoir par la tentative de choisir les journalistes autorisés à suivre ses déplacements et son actualité présidentielle. Faut-il une solide inculture humaniste pour oser pareil coup, sans même sâ™en cacher ?
La réaction des médias ne sâ™est pas fait attendre, avec une pétition intitulée « Monsieur le Président, il nâ™appartient pas à lâ™Elysée de choisir les journalistes ». Pétition à laquelle, fidèle à ses acrobaties dialectiques, le président a répondu quâ™il sâ™agissait au contraire dâ™une « démarche dâ™ouverture » de sa part (Femmes Actuelles 19/05/17).
Lâ™anachronique limitation à 80 km/h fournit le second exemple patent du dirigisme compulsif de son gouvernement. Cette mesure a été le principal déclencheur dâ™un mouvement de révolte de très grande ampleur, les Gilets jaunes, contre lequel Macron déploiera sans la moindre honte un dispositif dâ™une violence inconsidérée.
Ce qui amènera, excusez du peu, Amnesty International et le Conseil de lâ™Europe à émettre un avertissement, respectivement pour « usage de la violence » et « utilisation abusive des LBD » !
Rien dâ™Ã©tonnant à ce que le mouvement se soit durci et ne poursuive quâ™un seul objectif : obtenir la tête du président. Nâ™est-ce pas une réaction naturelle après les cent-quarante blessés graves parmi lesquels quatorze qui ont perdu un Å“il ? Lâ™arrêt du mouvement nâ™est bien évidemment que temporaire, simplement dû aux contraintes imposées par la pandémie de coronavirus.
La première vague de cette pandémie fournit également une autre preuve de la violence du gouvernement, celui-ci décrétant le plus brutal des confinements du monde libre, tout simplement pour enrayer les conséquences de son inaction. Lâ™obligation dâ™un formulaire de sortie, à remplir comme pendant les heures sombres de lâ™occupation, est révélatrice de cet autoritarisme centralisateur dâ™un autre âge.
Tout aussi malodorante est lâ™incroyable directive émanant du ministère de lâ™Intérieur qui en mars 2020 interdisait aux gendarmes le port du masque, tout simplement parce quâ™aucune commande nâ™avait été passée suffisamment tôt. Cette mesure liberticide et dangereuse a tout naturellement déclenché lâ™ire de plusieurs syndicats de policiers, ceux-ci menaçant le gouvernement de leur « droit de retrait ».
à côté de ces violences gratuites et injustifiées vis-à -vis des Gilets jaunes et des policiers, la clémence dont ont bénéficié les manifestants de Notre-Dame-des- Landes, les Blackblocs ou encore les grévistes de la SNCF (qui ont pourtant pris en otage la population dans son ensemble) sâ™additionne au malaise général.
Tout comme les multiples tentatives pour réglementer les échanges sur Internet et les réseaux sociaux. Elles procèdent de cette même pulsion dirigiste et centralisatrice de nature à soulever lâ™esprit de rébellion parmi les citoyens. Car le gouvernement nâ™apparait plus comme le garant de lâ™Ã‰tat de droit, capable de protéger les libertés individuelles, mais au contraire comme une espèce de Léviathan aussi partial que despotique ! La science et la culture face à lâ™inculture et aux affects
Dans lâ™essai Conditions de lâ™Ã©ducation, M. Gaucher, M.C. Blais et D. Ottavi abordent entre autres sujets le recul de lâ™autorité académique et scientifique. Celui-ci est analysé comme multi-causal. à la baisse lente et progressive du prestige de lâ™enseignant, induite par lâ™affaissement des deux piliers : impératif du savoir et légitimité de lâ™institution, sâ™ajoutent aux excès dâ™autoritarisme scolaire dâ™antan des difficultés plus récentes liées à lâ™Ã©mergence des moyens numériques de connaissance, à la chute du niveau dâ™instruction ainsi quâ™Ã un retour du religieux.
Toutes ces raisons se cumulent. Il en résulte une société qui semble se détourner de lâ™esprit scientifique, des raisonnements logiques, en un mot, de lâ™esprit des Lumières. Une évolution que lâ™on pourrait qualifier de régressive, la secondarité dâ™une société nourrie dâ™objectivité scientifique et de culture humaniste cédant progressivement le pas à la primarité, câ™est-à -dire aux instincts, aux impressions purement subjectives et émotionnelles, tout ce qui hélas la rapproche des sociétés dites primitives.
Or, de ces tendances constatées dans de nombreuses régions du monde, seule la chute du prestige des institutions scolaires et universitaires semble commune à la contestation du pouvoir politique que dénonce Macron. Le reste apparaît bien spécifique à la France, et particulièrement lié à la tournure de démocrature violente quâ™a subitement imprimé sur notre pays lâ™actuel président socialiste !
Le plus triste dans cette histoire est quâ™il déplore lui-même les conséquences de ses propres dérapages. Tel un pompier pyromane, il sâ™Ã©tonne ou feint de sâ™Ã©tonner de lâ™incendie. Et comme sâ™il sâ™adressait à un peuple de demeurés, il fait miroiter un « monde dâ™après » tout en imposant au pays une régression autoritariste digne dâ™une autre époque.
Tout cela en dit long sur ses penchants totalitaires, et sur les révoltes quâ™il est en train dâ™alimenter malgré lui contre lâ™Ã‰tat et ses institutions les plus représentatives. Institutions parmi lesquelles lâ™ENA, la matrice infernale capable dâ™enfanter des diplômés dénués du respect démocratique, la matrice à lâ™origine de la démocrature quâ™est devenu notre pays.
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dimanche 27 décembre 2020
Métropoles : inutiles et onéreuses
Par Aymeric Belaud.
Un article de l’Iref-Europe
Le 15 décembre dernier, la Cour des comptes a présenté son rapport annuel sur les finances publiques locales. Dans le fascicule numéro 3, consacré à l’examen de la mise en place des métropoles, elle rend un verdict qui n’est hélas guère étonnant.
Selon la loi de modernisation de l’action publique territorialeet d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014, la création de métropoles devait permettre une gouvernance plus efficiente, une meilleure coordination des fonctions sociales, économiques, urbanistiques et environnementales, la mutualisation et la mise en commun de services et d’équipements.
Tout cela entraînant, en principe, de substantielles économies soulageant tant les budgets et finances des communes de ces métropoles, que le porte-monnaie des contribuables locaux.
Or, à l’arrivée: rien. La Cour des comptes juge que « la mise en place des métropoles nâ™a pas eu les effets bénéfiques attendus et quâ™aucun des objectifs ayant motivé leur création nâ™a été pleinement atteint. » Un échec, encore⦠Des métropoles inutiles
Une métropole, câ™est une intercommunalité (une association de communes) qui concerne des territoires fortement urbanisés. Sa création fait suite à la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 (RCT), dont le statut a été remanié par la loi MAPTAM de 2014 et la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) de 2015.
On dénombre 22 métropoles en France dont 19 de droit commun, deux à statut particulier (Grand Paris et Aix-Marseille) et Lyon, qui est une collectivité territoriale à statut particulier et non une intercommunalité.
Dès 2017, la Cour des comptes alertait sur le fait que les métropoles se multipliaient sans jouer pleinement le rôle qui devait être le leur. Le rapport 2020, premier bilan dâ™Ã©tape, confirme cette crainte : les métropoles actuelles ne répondent pas aux objectifs qui devaient être les leurs. On peut donc affirmer quâ™elles sont inutiles.
Preuve de cette faiblesse, la Cour affirme que le périmètre dâ™intervention des métropoles est flou et quâ™elles nâ™arrivent pas à définir clairement ce qui relève de lâ™intérêt « métropolitain ».
De même, leurs compétences et le système de gouvernance interne sont inadaptés par rapport aux ambitions ayant motivé leur création. Ces nouveaux établissements publics devaient renforcer la « compétitivité » et la cohésion sociale, en mettant fin aux divergences des intérêts entre communes dâ™un même territoire urbain. Cet objectif est passé à la trappe.
La Cour des comptes dénonce également un système électif qui, hormis pour la métropole de Lyon, rend les élus métropolitains moins légitimes que les conseillers municipaux élus au suffrage universel direct. Des métropoles à tout-va
Les sages financiers notent que la France est le pays européen qui a le nombre le plus élevé de métropoles, et que ce statut a été attribué trop facilement à des collectivités qui en ont fait un label de promotion du territoire plus que lâ™outil efficient dâ™une meilleure gestion.
La loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à lâ™aménagement métropolitain rend possible la création de métropole à toutes les intercommunalités de plus de 400 000 habitants, à celles qui sont des centres dâ™une zone dâ™emplois de plus de 400 000 habitants, et à celles de plus de 250 000 habitants ou comprenant dans leur périmètre le chef-lieu de région, centres dâ™une zone dâ™emplois de plus de 500 000 habitants.
Ces critères, sans cesse revus à la baisse au fil du temps, posent question. En effet, est-ce que des villes comme Brest, Clermont, Metz, Nancy, Orléans, Dijon et Tours, avec une population de moins de 300 000 habitants, peuvent être considérées comme des métropoles ? De même, quel est lâ™intérêt que Saint-Étienne soit une métropole alors que Lyon, ville dâ™envergure européenne, est à 60 km ? Et cela coûte cherâ¦
La Cour des comptes exprime donc à demi-mot ses réticences. En revanche, elle note la bonne santé financière de ces nouvelles intercommunalités⦠mais qui se fait au détriment des finances du contribuable urbain.
Les recettes de fonctionnement ne font quâ™augmenter, + 18,2 % entre 2015 et 2019 pour lâ™ensemble des métropoles françaises ; soit annuellement, 4,3 %. Lâ™argent du contribuable coule à flot pour financer ce qui sâ™apparente à un gadget inutile.
Avec la revalorisation des bases des impôts locaux, sur la période 2015-2019 les métropoles ont bénéficié dâ™une augmentationde 4,9 % du produit de la taxe dâ™habitation, des taxes foncières, ainsi que de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Pour sa part, la taxe dâ™enlèvement des ordures ménagères (TEOM) a progressé de 8,8 % entre 2014 et 2018. Des compétences floues mais bien financéesâ¦
Comme pour la fusion des régions, les résultats et les objectifs visés ne sont pas au rendez-vous. Une fois de plus, une réforme territoriale crée des mastodontes peu efficaces mais onéreux et financés par des hausses dâ™impôts.
Il serait temps que la France propose une réforme territoriale ambitieuse, qui supprime divers échelons de compétences. Communes, intercommunalités, départements, régions, tant de divisions qui ne font que multiplier le nombre dâ™Ã©lus et dâ™impôts. Câ™est lâ™ensemble de ce modèle quâ™il convient de revoir.
Sources :
https://www.ccomptes.fr/system/file â¦
https://www.courrierdesmaires.fr/92 â¦
https://www.vie-publique.fr/fiches/ â¦
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Néolibéralisme, le libéralisme autoritaire ?
Par Vilfredo Burgess.
Le terme de «libéralisme autoritaire » nâ™est pas neuf1, mais jouit dâ™une nouvelle actualité avec la parution dâ™un ouvrage traduit et présenté par Grégoire Chamayou aux éditions Zones intitulé Du libéralisme autoritaire, qui met face à face les textes de deux juristes de la République de Weimar, Carl Schmitt et Hermann Heller.
Grégoire Chamayou considère que ces deux auteurs que tout oppose, lâ™un fasciste, lâ™autre antifasciste, lâ™un catholique et raciste, lâ™autre juif et antiraciste, pourraient éclairer la genèse du néolibéralisme, quâ™il nomme « libéralisme autoritaire ».
Un terme qui peut sembler oxymorique, car on sâ™est habitué, peut-être à tort, à identifier le libéralisme avec une réduction de la taille et du domaine dâ™intervention de lâ™Ã‰tat.
Grégoire Chamayou souligne pourtant que cette réduction de la taille de lâ™Ã‰tat nâ™est pas incompatible avec une société répressive, qui dépolitise la société (par exemple en luttant contre les mouvements de grève et les syndicats) pour repolitiser lâ™Ã‰tat, réduit à ses fonctions régaliennes, et il croit en voir le modèle dans lâ™Å“uvre de Carl Schmitt, un modèle que personne, sauf la Nouvelle Droite et lâ™ultra-gauche, ne voudrait assumer.
Pourtant, il nous paraît que ce rapprochement fait état dâ™une mécompréhension des conceptions divergentes de lâ™Ã‰tat dans la philosophie et plus encore dans le cadre de pensée intellectuel du néolibéralisme. Un terme vague, mais dont on croit comprendre quâ™il se réfère au renouveau libéral qui a traversé les années 1970 et 1980 dans le contexte de lâ™Ã¨re Reagan-Thatcher, que lâ™on entend également parfois désignée sous le nom de « révolution conservatrice », ce qui ne fait quâ™ajouter au flou conceptuel qui entoure la caractérisation politique de cette période récente en la rapprochant de lâ™autre période désignée généralement sous ce nom, à savoir les mouvements intellectuels de droite réactionnaire sous la république de Weimar (Oswald Spengler, Arthur Moeller van den Bruck, Ludwig Klages, Ernst Jünger et Carl Schmitt).
Rappelons brièvement qui est Carl Schmitt. Nous renvoyons le lecteur à lâ™Ã©dition française de La Notion de politique, son ouvrage séminal, et à la préface quâ™en a fait Julien Freund, pour une présentation plus exhaustive2.
Carl Schmitt est, comme le rappelle du reste Grégoire Chamayou, un des plus importants juristes allemands du XXe siècle. Il est impliqué dans des débats politiques autour de la question de la sécularisation : en 1921, il défend dans Théologie politique que les concepts politiques sont tous des concepts théologiques sécularisés, et revendique une conception décisionniste de la souveraineté (« Est souverain celui qui décide en situation exceptionnelle. ») qui le sépare nettement de la tradition libérale quâ™il nâ™aura de cesse dâ™attaquer.
Le politique (défini comme une « substance » qui innerve l♠« instance » de lâ™Ã‰tat) prend racine dans une situation extrême de conflit entre des « amis » et des « ennemis » qui a une valeur existentielle et qui prend forme dans la guerre.
Lâ™Ã‰tat libéral, note Schmitt, est un État pour lequel plus personne nâ™est prêt à mourir. Inspiré par lâ™anarcho-syndicaliste admirateur du léninisme Georges Sorel et ses Réflexions sur la violence, il voit dans ce phénomène la disparition du « mythe » de lâ™Ã‰tat3 dans une conception libérale, dépassionnée de lâ™Ã‰tat, envahi, selon lui, par dâ™autres dimensions secondaires (à commencer par lâ™Ã©conomie).
Ce désengagement de lâ™Ã‰tat de sa fonction mythique et existentielle se traduit par lâ™invasion de la morale dans la politique, par « la » politique en tant que pratique parlementaire, par opposition à la substance « du » politique. Cette perte du politique sâ™identifie pour Schmitt à la transformation du droit à la lumière des guerres du XXe siècle, la moralisation de la guerre par le pacte Briand-Kellogg et lâ™invention du concept de « crime contre lâ™humanité » après la Seconde Guerre mondiale, quâ™il vilipende dans Le Nomos de la Terre comme des tentatives antipolitiques : il ne peut y avoir dâ™ennemi de lâ™humanité car lâ™humanité nâ™est pas un concept politique (elle ne saurait avoir dâ™ennemis hors dâ™elle-même). Les droits de lâ™Homme et le « droit-de-lâ™hommisme » sont la quintessence de cette tendance.
Grégoire Chamayou reconnaît que lâ™Ã‰tat libéral fait une distinction entre État et société alors que lâ™Â« État total » prôné par Schmitt repose sur la fusion des deux. Lâ™Â« État total » sâ™oppose radicalement à lâ™Ã‰tat de droit, qui considère des individus là où lâ™Ã‰tat total ne voit que des groupes, des unités organiques, le Volk.
Lâ™Ã‰tat de droit fonctionne à partir de règles abstraites. Il est fondé sur un type de pensée juridique articulé à la conception décisionniste schmittienne, et quâ™il appelle la « pensée de lâ™ordre concret », dénoncée par Hayek comme une forme de constructivisme irrationnel dans Droit, législation et liberté4. Lâ™Ã‰tat de droit, en résumé, garantit la séparation et la protection des attributions respectives des domaines de lâ™Ã‰tat et de la société civile.
Cette distinction maintenue suppose aussi quâ™on sépare ce qui est légal (et relève du droit positif) de ce qui est légitime (qui relève du droit naturel), selon un rapport des gouvernants au gouverné qui est régi par le consentement et plonge ses racines dans lâ™Å“uvre de Locke plutôt que de Hobbes.
Hobbes est le modèle de Schmitt. Il lui a consacré un ouvrage en 1938, car il admire dans lâ™Å“uvre du philosophe anglais la résolution de cette dichotomie dans le décisionnisme dont fait preuve le souverain dans le Léviathan : aucune loi ne peut être injuste, tout ce quâ™exprime le Léviathan fait droit.
Cela ne revient pourtant pas à dire que Hobbes renie toute place au droit naturel : il maintient lâ™existence dâ™un droit de résistance individuelle, et lâ™analyse offerte entre autres par Yves Charles Zarka du processus de représentation dans Hobbes, où le souverain incarne la volonté du corps politique qui lâ™institue par le contrat comme un acteur dit un texte dont il nâ™est pas lâ™auteur, relativise grandement la lecture schmittienne.
Mais Schmitt, qui nâ™est pas homme à sâ™embarrasser des subtilités du système de Hobbes, ayant érigé lâ™universalisme, le normativisme et le libéralisme en « fourberies de lâ™esprit juif »5, est tout à fait prêt à oblitérer tous les aspects individuels et libéraux de lâ™Å“uvre de Hobbes, certes contradictoire et parfois mal comprise ou lue sans attention, et toute possibilité de désobéissance civile, de résistance à lâ™oppression, qui sont des caractéristiques propres à lâ™Ã‰tat de droit, des mécanismes propres à le sauver de ses propres dérives6.
Quand on a lu les auteurs libéraux et quâ™on en vient à la critique violente (et parfois mensongère, au sujet de Hobbes) quâ™en fait Schmitt, on ne comprend donc vraiment pas comment celui-ci peut avoir inspiré les penseurs du néolibéralisme.
Dans Le Libéralisme conservateur. Trois essais sur Schmitt, Hayek et Hegel (éd. Kimé, 1993), Renato Cristi avait déjà fait un rapprochement qui va peut-être nous permettre dâ™y voir plus clair. Il y fournit une curieuse interprétation de Hayek : dans la mesure où les lois doivent être « abstraites et générales », elles ne sont pas incompatibles avec la coercition, pourvu que les individus soient informés des lois en vigueur. Dans lâ™abstraction de la norme peuvent se nicher toutes les inégalités (on voit venir les inégalités économiques) concrètes : elles ne touchent pas au droit.
Câ™est assez cocasse de lire une telle critique de lâ™abstraction de la philosophie de Hayek comme la porte ouverte à toutes les fenêtres coercitives, car câ™est exactement celle que fournit Rothbard dans Lâ™Ã‰thique de la liberté7.
Câ™est pourtant mal comprendre lâ™Å“uvre de Hayek, qui entend abstraction comme la propriété émergente dâ™un processus évolutionniste de complexification de la société, dans laquelle la dispersion de lâ™information rend tout interventionnisme direct inefficace et illégitime. Inefficace parce que lâ™information est trop dispersée pour être centralisée, illégitime parce que la majorité ne peut donner son consentement, faire consensus, que sur des règles très abstraites et générales et non sur des commandements particuliers (on retrouve presque là , de façon très ironique, un argument de Rousseau).
Faire de Hayek un défenseur des travaux publics et de la réduction de la société en esclavage sous couvert de règles abstraites est donc un contresens que les libertariens comme Rothbard et Hoppe sont les premiers à faire, mais quâ™on nâ™attendait certes pas de la gauche, plus habituée à dénoncer le gouffre entre la garantie des libertés formelles (abstraites) et réelles, les premières permettant dâ™Ã©viter de garantir les secondes, dâ™où la compatibilité possible entre un État libéral en principe et un État autoritaire dans les faits.
Le tour de passe-passe est élégant mais il nâ™est pas fidèle aux textes et à la pensée des auteurs contre lesquels il est dirigé. Câ™est précisément la tentative dâ™imposer une égalité concrète qui serait autoritaire et coercitive8.
Dans son ouvrage, Renato Cristi rapproche Schmitt et Hayek dans leur dénonciation du positivisme juridique. Selon lui, la cible principale de Schmitt nâ™est pas le libéralisme, mais la démocratie, et les critiques libérales de la démocratie formulée par Hayek ne serait que le miroir, et non le contraire, de la critique schmittienne. Nul doute que Grégoire Chamayou a mis ses pieds dans les chaussons dâ™une telle analyse. Le problème de la démocratie, selon Schmitt, est dâ™avoir politisé la société, dâ™avoir dépris lâ™Ã‰tat de son monopole de la politique, concentrée dans le domaine régalien.
Ce nâ™est pas du tout la critique de Hayek. En passant, il est comique de vouloir faire de Hayek un partisan dâ™un État strictement régalien et autoritaire à la Schmitt alors que le mérite des critiques libertariennes est au moins de nous avoir pourvus dâ™une liste de tous les domaines non-régaliens dans lesquels Hayek croyait que lâ™intervention de lâ™Ã‰tat était légitime.
La critique que Hayek fait de la démocratie, telle quâ™elle est exprimée dans son Å“uvre la plus achevée, Droit, législation et liberté, est que « le pouvoir illimité est la conséquence fatale de la forme établie de démocratie » (Hayek 2007 : 620), qui résulte dâ™une forme de démocratie où règne la dictature des partis et où la politique devient un marché de droits-créances toujours plus invasifs pour lâ™individu, dans la mesure où chaque parti courtise minorité après minorité pour constituer son électorat et les arrose dâ™argent public une fois parvenu au pouvoir, au mépris des diverses procédures de limitations du pouvoir qui entravent cette course socialisante, laquelle bafoue lâ™intérêt public en faveur de son électorat, créant une « incitation » à la déresponsabilisation et à lâ™interventionnisme.
Lâ™analyse, grandement influencée par sa formation dâ™Ã©conomiste, que Hayek fait de lâ™Ã‰tat, est plus voisine de lâ™Ã©cole du Public Choice qui propose dâ™analyser lâ™Ã‰tat comme un acteur économique ayant ses préférences et ses « incitations » (nous traduisons le terme du vocabulaire économique incentive) comme un consommateur, et des ouvrages de James M. Buchanan, que de lâ™analyse irrationnelle, « mythique », « existentielle » de Schmitt. Dans son esprit comme dans sa lettre.
Lâ™irrespect de la suprématie du droit et de la limitation du pouvoir gouvernemental (la tradition de la rule of law) ont donc mené à une « démocratie totalitaire » (terme que lâ™on retrouve également sous la plume de Bertrand de Jouvenel), une forme de « dictature plébiscitaire » que Hayek dénonce comme une tyrannie des minorités alors que câ™est cette dissolution de lâ™Ã©quilibre des pouvoirs parlementaires quâ™appellent de leurs vÅ“ux Schmitt et ses thuriféraires de droite et de gauche. Quitte à trouver à Schmitt un autre ennemi que le libéralisme, il sâ™agit moins de la démocratie que du parlementarisme.
Les universitaires, chercheurs, théoriciens qui cherchent à plaquer Schmitt sur Hayek commettent une confusion sur le sens de « démocratie », car ce qui est dénoncé dans la « démocratie » par les libéraux nâ™est pas le cache-sexe dâ™une défense de lâ™autoritarisme : au contraire, câ™est bien parce que la démocratie se pervertit dans une forme de dictature de la masse que les libéraux la regardent avec une suspicion justifiée.
La démocratie est moins considérée comme un processus de représentation que comme une procédure de sélection non-violente des gouvernants : Hayek nâ™a pas inventé cette idée, il la reprend à ses compatriotes Mises et Popper9, respectivement dans Lâ™Action humaine et La Société ouverte et ses ennemis. Hayek souligne que ce danger de la démocratie était assurément bien compris des pères fondateurs américains et des auteurs des Catoâ™s Letters, qui ne sauraient être ni affiliés aux « néolibéraux » ni à une quelconque forme dâ™autoritarisme sans tomber dans le ridicule argumentatif complet.
Cette crainte des pères fondateurs a encore récemment été analysée par Randall Holcombe dans Liberty in Peril et câ™est un contresens sur le libéralisme, sur la démocratie et sur ce que Arendt appelle lâ™Â« esprit des lois américain » que dâ™y voir le cheval de Troie de lâ™autoritarisme. Il sâ™agit au contraire de protéger lâ™individu de la volonté générale, de lui faire sa place dans la vie de la société, au lieu de le dissoudre dans des collectifs.
Nous serions donc bien surpris de voir comment lâ™individualisme de Hayek peut se réconcilier avec le holisme schmittien. On ne pourrait pas mieux dire que Hayek lui-même : « Ce nâ™est pas la démocratie, ni le gouvernement représentatif proprement dits, qui sont nécessairement corrompus ; ils sont rendus tels par lâ™institution que nous avons choisie, dâ™une â˜législatureâ™ unique et omnipotente. » (Hayek 2007 : 636).
La critique de Renato Cristi sâ™appliquerait sans doute mieux à certains conservateurs comme Erik von Kuehnelt-Leddihn et son Liberty or Equality. The Challenge of Our Time (The Caxton Printers, 1952) et peut-être à la dérive droitière de Hans-Hermann Hoppe (From Aristocracy to Monarchy to Democracy, Mises Institute, 2014) mais certainement pas à Hayek, qui a toujours, et à raison, renié cette étiquette.
Peut-être serait-il, dans le même esprit, grand temps de rappeler la parenté bien plus grande de Pinochet, et même de Thatcher, avec le conservatisme, quâ™avec le libéralisme, afin de mettre un terme à cette confusion.
Renato Cristi (1993 : 73) critique la critique hayékienne de Schmitt, qui rapproche la « pensée de lâ™ordre concret » du positivisme juridique, alors que câ™est ce positivisme que Schmitt critique. Il y voit un contresens.
Pourtant, Hayek voit très bien dans Schmitt un travers commun à la « pensée de lâ™ordre concret » et au normativisme positiviste quâ™il critique, à savoir la tentation identique dâ™imposer le primat du droit positif. Et il faut bien reconnaître que ce qui rapproche Kelsen et Schmitt est leur rejet, certes antithétique, du droit naturel.
La critique de Hayek est donc parfaitement fondée, et prend place dans une critique plus large des perversions de la raison qui sort de son ordre en voulant prescrire ses lois à une société quâ™elle ne peut comprendre (au sens étymologique) et qui mène, ultimement, à une forme dâ™irrationalisme parfaitement incarné par le « mysticisme » schmittien et son culte de lâ™Etat.
Et nous citons encore cet auteur que personne ne semble lire correctement : « Câ™est ainsi que le constructivisme rationaliste, en cherchant à tout soumettre au contrôle de la raison, en donnant la préférence au concret et en refusant de se plier à la discipline des règles abstraites, se trouve marcher main dans la main avec lâ™irrationalisme. » (Hayek 2007 : 117-118). Voilà Schmitt et Kelsen contestés dans une seule phrase très claire.
Dire ensuite, comme le fait Renato Cristi, que Hayek et Schmitt partagent une vision dépolitisée de la société, jouer sur des nuances de la pensée de Schmitt qui aurait cessé dâ™Ãªtre décisionniste en 1933 (le moment où il publie un article intitulé « Le Fûhrer protège le droit », drôle de façon de sâ™Ã©loigner du décisionnisme), consiste donc à sortir les textes de leur contexte et à lancer la signification des mots si haut dans les airs quâ™on ne voit même plus de quoi on parle.
Prétendre par exemple que Schmitt et Hayek partagent une vision purement négative du rôle de lâ™Ã‰tat est faux. Faux pour Hayek qui nâ™est pas un libertarien (contrairement à la vision biaisée que les intellectuels français en ont qui consiste à voir dans tout anticommuniste un libertarien et à mélanger dans cette appellation minarchistes et anarcho-capitalistes sous le terme fourre-tout et péjoratif « ultralibéral »), faux pour Schmitt, dont les passages les plus enflammés célèbrent lâ™Ã‰tat fort qui a le pouvoir de faire mourir pour lui les jeunes hommes dans la guerre, ce qui, on nous lâ™accordera, ne cadre pas parfaitement avec lâ™image dâ™un État nâ™intervenant pas dans la vie des individus.
On veut faire de Schmitt un défenseur du pouvoir qui « laisse vivre » (selon la distinction de Foucault) des monarques, contre le pouvoir « biopolitique » qui sâ™immisce dans la vie sociale, méconnaissant la cohérence profonde de son engagement philosophique conservateur (et absolument pas libéral) et de son engagement politique nazi. Quant à savoir sâ™il sâ™agit de dénazifier Schmitt ou de nazifier Hayek, cela nâ™est pas très clair.
Les élucubrations de Grégoire Chamayou prolongent, avec beaucoup moins de brio, les mêmes confusions et les mêmes sophismes. On continue allègrement de mélanger la critique hayékienne à la critique schmittienne de la démocratie et de faire innocemment comme si le terme de « politique » avait le même sens chez les deux auteurs.
Mais lâ™objectif est plus clair : en ralliant Schmitt et Hayek sous la bannière des opposants à lâ™Ã‰tat-providence, remplacé par un « État total » super-régalien, Grégoire Chamayou transforme ses adversaires en nazis.
Lâ™argumentation qui consiste à dire quâ™un État trop étendu fonctionne mal, ce qui nâ™est pas plus schmittien ou novateur que « lâ™eau mouille », est immédiatement nazifié, de même quâ™il devient suspect dâ™Ã©couter Rammstein le jour où lâ™on apprend quâ™un criminel célèbre adorait ses chansons.
Câ™est le procédé classique de la reductio ad hitlerum, saupoudré de respectabilité intellectuelle par des intellectuels toujours si rétifs au libéralisme quâ™ils nâ™ont même pas la décence de lire et de citer les auteurs quâ™ils critiquent (en lâ™occurrence Hayek, car les atomes crochus de lâ™ultra-gauche avec Schmitt sont plus quâ™Ã©vidents).
Câ™est pourtant un fait économique et historique quâ™un État trop étendu fonctionne mal et détruit la société quâ™il régit. Son extension10 croît en proportion de son inefficacité à intervenir partout, lâ™Ã©lévation du fardeau fiscal augmente la pression sur la classe productive, fait obstacle à la production de richesses, diminue en retour le revenu fiscal de lâ™Ã‰tat (selon lâ™effet Laffer que les lecteurs du contributeur Philippe Lacoude connaissent bien11) et incite à une production déchaînée de lois et de règlements pour donner une illusion de contrôle et de puissance (toute ressemblance avec une situation et des événements actuels est pure coïncidence).
Les divergences économiques entre Hayek et Schmitt crèvent les yeux : le libéralisme nazi est un contresens complet, il sâ™agit dâ™un capitalisme dâ™Ã‰tat que défend Schmitt (et que Hayek, dans La Route de la servitude, renvoie justement dos à dos avec le capitalisme dâ™Ã‰tat soviétique), un monopole de la production laissé aux industriels.
Autant dire que Mussolini était libéral parce que les squadristes brisaient les grèves, exactement comme Margaret Thatcher, nâ™est-il pas vrai ? Comme le dit lâ™universitaire Eddy Malou, « mais oui, câ™est clair ». Et comme ajoutait Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « je vous lâ™avais bien dit ».
Le texte de Grégoire Chamayou est dâ™autant plus troublant quâ™il retranscrit fidèlement lâ™antilibéralisme de Schmitt, écrivant par exemple avec justesse au sujet de la critique schmittienne de la démocratie : « Mais que reste-t-il alors au concept dâ™une démocratie authentique, non adultérée par le libéralisme ? Eh bien la dictature, avec Mussolini pour modèle. »
Et il cite Schmitt écrivant que renoncer aux élections nâ™est pas anti-démocratique mais antilibéral, ce qui est en opposition complète avec la définition hayékienne de la démocratie comme mode de sélection pacifique des gouvernants.
Grégoire Chamayou continue en montrant comment Schmitt refuse la tradition du « laissez-faire » en économie (lâ™Ã©conomie doit aussi être soumise à la décision souveraine). On ne peut sâ™empêcher dâ™opiner du chef en lisant cette paraphrase, mais quâ™est-ce que ça peut bien avoir à faire avec Hayek ? Grégoire Chamayou effectue un lien entre cette remise en cause du libéralisme classique et les racines de lâ™ordolibéralisme allemand.
Pour ne rien arranger à la macédoine conceptuelle, il les appelle néolibéraux allemands. Ça commence à devenir nâ™importe quoi. Puis son analyse de la crise de 1929 nous précipite dans le décor : ainsi donc les néolibéraux allemands des années 1930 ont analysé la crise de 1929 comme lâ™effet dâ™une intervention de lâ™Ã‰tat dans lâ™Ã©conomie.
Ils ne sont pas les seuls, a-t-on envie dâ™ajouter : câ™est en fait lâ™analyse fournie par tous les économistes libéraux de la planète, quâ™ils soient allemands ou américains, des années 1930 à aujourdâ™hui, et qui plus est, cette analyse sâ™applique tout aussi bien à la crise de 2008.
Grégoire Chamayou écrit que cette analyse revient à parler dâ™une cause non-économique de la crise économique, comme si lâ™Ã‰tat nâ™Ã©tait pas une entité économique, comme si les monopoles étaient des aliens dans la théorie économique. Et..
http://dlvr.it/RpQRlB
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