dimanche 13 septembre 2020

Alan Turing, père de l’informatique – Les Héros du progrès (34)

Par Alexander Hammond. Voici le trente-quatrième épisode d’une série d’articles intitulée «�Les Héros du progrès Â». Cette rubrique est une courte présentation des héros qui ont apporté une contribution extraordinaire au bien-être de l’humanité. Notre héros de la semaine est Alan Turing, un mathématicien, informaticien et cryptologue anglais célèbre pour ses contributions au domaine de l’informatique et pour avoir développé une machine qui a cassé le code Enigma des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. La machine Enigma était un appareil de chiffrement que les nazis ont beaucoup utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale pour envoyer des messages de façon sécurisée. Les travaux d’Alan Turing, qui ont mené à la création d’une machine capable de casser les messages codés des Allemands, ont conféré aux forces alliées un avantage énorme. Des historiens ont estimé que grâce à cela, la Seconde Guerre mondiale a été raccourcie d’au moins deux ou trois ans. En abrégeant la guerre, les travaux de Turing ont probablement sauvé des millions de vies. Alan Turing est né le 23 juin 1912 à Londres. Très jeune, il fait preuve d’une grande intelligence. Après son inscription à la Sherborne School à l’âge de 13 ans, il se prend de passion pour les mathématiques et la science. En 1931, il est admis à l’université de Cambridge et trois ans plus tard obtient son diplôme de mathématiques avec mention très bien. L’université de Cambridge est tellement impressionnée par son travail qu’il est élu membre du King’s College. Il a tout juste 22 ans. En 1936, il publie un article précurseur intitulé « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem » (problème de décision). Il y présente l’idée d’une machine universelle, baptisée par la suite machine de Turing, capable d’effectuer des calculs complexes. Beaucoup considèrent son article comme fondamental dans le domaine de l’informatique et de l’intelligence artificielle car il préfigurait comment un calculateur numérique moderne pouvait fonctionner. La même année, il part pour le New Jersey pour préparer un doctorat en mathématiques à l’université de Princeton. Il l’obtient en à peine deux ans et  retourne à Cambridge en 1938. Quelques mois plus tard, on lui demande de rejoindre la Government Code and Cypher School (GCCS) – une organisation britannique dédiée au déchiffrage de code. Quand la guerre éclate en septembre 1939, il s’installe au siège de la GCCS à Bletchley Park, dans le Buckinghamshire. Enigma-Photo by Mauro Sbicego on Unsplash Quelques semaines avant que la Grande-Bretagne ne déclare la guerre à l’Allemagne, l’État polonais lui fournit les détails sur ce qui avait été accompli pour décrypter la machine Enigma des Allemands. Alors que les services secrets polonais avaient rencontré quelque succès pour casser le code Enigma au début de la guerre, les Nazis ont amélioré la sécurité de la machine et se sont mis à en modifier le cryptage quotidiennement. Turing et son équipe n’avaient donc que 24 heures pour casser ce code et traduire le contenu des messages avant que le cryptage ne soit à nouveau changé. Turing a joué un rôle essentiel dans la création d’une machine baptisée la Bombe (NdT : en français dans le texte). Elle a permis de réduire fortement les efforts nécessaires pour décrypter le code Enigma ; et vers la mi-1940, les communications de la Luftwaffe étaient lues à Bletchley Park. Une fois déchiffrés les échanges de l’armée de l’air allemande, il s’attaque à ceux de la marine, beaucoup plus complexes. Cette tâche était de la plus haute importance car les sous-marins allemands coulaient beaucoup de cargos transportant de l’approvisionnement essentiel d’Amérique du Nord à la Grande-Bretagne. Tant de navires de ravitaillement avaient été détruits que les analystes de Churchill avaient calculé que la Grande-Bretagne n’allait pas tarder à mourir de faim. Fort heureusement, en 1941, Turing déchiffre lui-même l’autre forme de code Enigma utilisée par les sous-marins allemands. Ceux-ci révélant leur position via leurs communications les uns avec les autres, les cargos alliés de la « meute de loups » pouvaient être détournés des sous-marins nazis. Après la guerre, Churchill a admis : « La seule chose qui m’ait jamais vraiment effrayé pendant la guerre était le danger posé par les sous-marins. » Beaucoup d’historiens s’accordent à dire que si Turing n’avait pas décrypté le code Enigma de la marine allemande, l’invasion alliée en Europe, c’est-à-dire le débarquement du jour J, aurait probablement été différée au moins d’une année. Tout retard dans l’invasion de l’Europe continentale aurait permis aux Allemands de renforcer leurs défenses côtières et aurait rallongé le temps mis par les Alliés pour atteindre Berlin. Après la guerre, en 1945, Turing a été décoré de l’OBE (Order of the British Empire) pour ses services rendus au pays puis il est parti pour Londres afin de travailler pour le National Physical Laboratory. Pendant son séjour, il a dirigé les travaux de conception de l’Automatic Computing Engine, le tout premier ordinateur à programme enregistré. Bien que la version complète de la machine de Turing n’ait jamais été construite, l’adaptation qui en a été faite a influencé de façon significative la conception du DUECE de English Electric DUECE et du Bendix G-15 américain — les tout premiers ordinateurs personnels. En 1952, il est poursuivi pour homosexualité, après que la police découvre qu’il avait eu une relation sexuelle avec un homme. Pour éviter la prison, il accepte de se soumettre à une castration chimique par une série d’injections d’œstrogènes de synthèse. Du fait de sa condamnation, son habilitation de sécurité est révoquée et il lui est interdit de poursuivre ses travaux de cryptographie à la GCCS, devenue Government Communications Headquarters (GCHQ) en 1946. Désespéré d’être écarté du domaine qu’il a révolutionné, il se suicide en 1954, à 41 ans. L’immense héritage de sa vie n’est totalement apparu qu’à partir des années 1970 quand les travaux secrets de Bletchley Park ont été déclassifiés. Son impact sur l’informatique est célébré tous les ans par le « Turing Award Â», la plus haute distinction dans ce domaine. En 1999, Time magazine l’a désigné comme l’une des « 100 plus importantes personnes du XXe siècle ». En décembre 2013, la reine Elizabeth II l’a formellement réhabilité. En janvier 2017, l’État britannique a promulgué une Loi Turing qui, de façon posthume, réhabilitait des milliers d’homosexuels et bisexuels condamnés par la loi. On considère souvent Turing comme le père de l’informatique pour son Å“uvre de conceptualisation du premier ordinateur personnel. Si cela ne suffisait pas, on estime que sa contribution au décryptage du code Enigma des Allemands à Bletchley Park a permis d’abréger la Seconde Guerre mondiale de plusieurs années, ce qui a sauvé des millions de vies. Pour ces raisons, Alan Turing mérite amplement d’être notre trente-quatrième héros du progrès. — Traduction par Joel Sagnes pour Contrepoints de Heroes of Progress, Pt. 34: Alan Turing Les Héros du progrès, c’est aussi : * Hitchings et Elion, une nouvelle conception des médicaments * Benjamin Rubin, l’aiguille bifurquée contre la variole * Willem Kolff, organes artificiels et dialyse * John Harington invente la chasse d’eau * Alessandro Volta invente la pile électrique * Lucy Wills contre l’anémie macrocytaire * Kate Sheppard, première suffragette * Wilhelm Röntgen, les rayons X * Tu Youyou, l’artémisinine contre le palu * Banting et Best traitent le diabète * Willis Haviland Carrier invente la climatisation * Virginia Apgar sauve la vie des nouveau-nés * Alfred Sommer, la vitamine A * David Nalin, la réhydratation par voie orale * Louis Pasteur, père de la microbiologie * Paul Hermann Müller, les propriétés insecticides du DDT * Malcom McLean, les conteneurs de transport * Abel Wolman et Linn Enslow, la purification de l’eau * Pearl Kendrick & Grace Eldering vaccinent contre la coqueluche * Gutenberg, la diffusion du savoir * James Watt, la vapeur, moteur du progrès * Joseph Lister, stérilisation et asepsie * Maurice Hilleman, des vaccins vitaux * Françoise Barré-Sinoussi, la découverte du VIH * Richard Cobden, héros du libre-échange * William Wilberforce : une vie contre l’esclavage * Ronald Ross : la transmission du paludisme * Alexander Fleming et la pénicilline * Jonas Salk et le vaccin contre la polio * Landsteiner et Lewisohn, l’art de la transfusion * Edward Jenner, pionnier du vaccin contre la variole * Fritz Haber et Carl Bosch, le rendement des cultures * Norman Borlaug, père de la révolution verte Ces articles pourraient vous intéresser: Pour protéger nos données, devenons cypherpunks Le service numérique pour l’éducation : un concept sans stratégie, un déploiement inachevé Big Data : comment fonctionne l’écosystème Hadoop ? 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Covid : anecdote d’un petit entrepreneur dans la restauration

Par Jacques Henry. Un de mes amis français, à vrai dire le seul ami que je vois régulièrement ici (l’auteur réside en Espagne, NDLR), est un chef cuisinier de très grande qualité. Je l’ai suivi depuis dix ans au cours de ses changements d’employeur car les Canariens le traitent comme un sous-homme puisqu’il n’est pas Espagnol et encore moins Canarien. J’apprécie en effet sa cuisine. Bref, sans travail depuis le début du confinement il y a quelques jours il est venu me demander s’il pouvait utiliser le four du logement dont je suis locataire pour confectionner des tartes tatin et des quiches pour des clients à qui il livre les somptueux résultats de son art (au noir, mais il ne faut pas le dire). Tout cela pour qu’il puisse encore survivre quelques semaines dans l’attente d’un très hypothétique travail. Il m’a raconté l’histoire d’un ami également cuisinier qui s’était spécialisé dans les repas pour communion ou mariage à domicile, et disposant de tout un staff dans sa cuisine, surtout des Philippins car ils acceptent de travailler à n’importe quel prix. Il a reçu une commande de 60 couverts prévue ce samedi 5 septembre pour une communion, tout cela se passant dans une grande propriété privée. À 35 euros le couvert hors boissons il rentrait largement dans ses frais, une fois n’est plus coutume depuis le début de l’épidémie coronavirale. Pour faire face au surcroît de travail il a embauché pour l’occasion un deuxième chef (100 euros + les charges sociales, à peu près 100 euros également). Tout était plié pour ce samedi. Mais, car il y a un très gros « mais ». En effet, cette assemblée dépassait largement le nombre limité par la loi à dix personnes pour toute réunion, quelle que soit sa nature et sa localisation. Il a donc été contraint de fournir 120 masques, deux par convive y compris les enfants, cinq bouteilles de gel hydro-alcoolique ainsi que deux employés d’une entreprise privée de sécurité mandatée par le gouvernement provincial pour faire respecter le port du masque et la distanciation durant toute la fête familiale ; chacun devait être rémunéré 150 euros + charges sociales. Vous imaginez la scène… Deux jours avant, c’est-à-dire hier jeudi 3 septembre, la mort dans l’âme, il s’est décommandé en exposant ses arguments. Ce petit entrepreneur espérait survivre quelques jours en attendant une autre commande hypothétique. Il a décidé de baisser le rideau ! Voilà comment des règlementations totalement stupides, portant atteinte aux libertés individuelles basiques (comme introduire des employés d’une entreprise de sécurité dans un domicile privé) détruisent habilement le petit tissu artisanal qui fait vivre des dizaines de millions de personnes dans toute l’Europe afin qu’il s’effondre jour après jour. Ce ne sont pas les grosses entreprises qui réduiront le chômage, elles ont tendance à dégraisser pour satisfaire les exigences de leurs actionnaires, ce sont ces petits artisans employant trois, quatre ou cinq personnes qui créent des emplois. Allez expliquer ça aux technocrates qui gouvernent les pays européens et encore moins aux fonctionnaires de Bruxelles, ils sont incapables de comprendre ce qui se passe dans la vraie vie. On est en droit de se poser une question importante : quelle est la finalité de ces décisions de politiciens, ici en Espagne, mais également dans bien d’autres pays européens ? Vous voulez une autre anecdote ? Cet après-midi j’étais dans la rue, mon masque obligatoire sur le menton pour pouvoir respirer librement et deux policiers m’ont interpellé pour port du masque défectueux. Je leur ai expliqué dans mon espagnol approximatif (je parle l’espagnol comme un basque le français) que j’étais français mais que je connaissais la loi : dans la rue on n’est pas tenu de porter un masque sauf si les circonstances vous obligent à respecter la distanciation qui est de 1,5 mètre entre deux personnes. Ils n’ont pas insisté mais c’est très énervant. Avec tous ces gros et petits détails la tension sociale va certainement exploser très prochainement, et ce sera vraiment très violent… — Sur le web Ces articles pourraient vous intéresser: Nos sociétés doivent retrouver le goût de la prise de risque Renault Sandouville, Amazon, le Covid et… la justice ? Cotisation foncière : pour une année blanche des PME Retour à l’école le 11 mai : faire confiance et prendre le risque
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« Réindustrialiser, c’est possible ! » de Matthieu Courtecuisse

Par Johan Rivalland. À l’instar du constat de l’implacable recul de l’industrialisation française depuis quarante ans, régulièrement analysé par Claude Sicard ici, le patron de Sia Partners Matthieu Courtecuisse s’appuie sur l’état de sidération des Français à la suite de la crise pandémique pour dresser à son tour un diagnostic accablant de l’échec de l’État stratège et sur l’état de désorganisation incroyable de notre industrie. Une industrie qui ne représente plus que 10 % de notre PIB, contre le double en Allemagne et plus de 14 % en Italie. Établir le bon diagnostic Matthieu Courtecuisse analyse donc ce qui serait en mesure de sauver ou de permettre la relocalisation de nos industriels français, en essayant de limiter les destructions inéluctables à venir du fait de la crise. Pour cela, il convient d’établir le bon diagnostic, écrit-il, puis de disposer d’une importante capacité d’adaptation et d’une véritable vision stratégique, d’innover. Et certainement pas en reconduisant les logiques du passé. Pas non plus en ayant des gouvernements qui pratiquent des politiques de stimulation de la demande, mais plutôt de l’offre. Pas davantage en défendant un souverainisme aveugle, synonyme de repli sur soi et de normes inutiles, là où ce sont l’échange, les alliances, et l’esprit de conquête, qui doivent prévaloir. Toutes les formes de protectionnisme, hélas à la mode, doivent être évitées. L’histoire montre qu’elles mènent à la paupérisation, la bureaucratie, l’étatisation. La mondialisation, au contraire, a profondément changé depuis vingt ans et il est vain notamment d’imaginer pouvoir composer sans les Chinois et leur maîtrise des terres rares. Relocaliser, oui mais quoi�? Et surtout comment ? Relocaliser certaines activités ne pourra se faire en se basant sur de bonnes intentions. Coopération, proximité et compétitivité sont indispensables pour réussir. Et il faudra bien sûr du temps, l’autonomie ne s’acquérant pas du jour au lendemain, surtout face aux risques de cybersécurité qu’il évoque et auxquels l’Europe est mal préparée. Sans oublier aussi les coûts engendrés et la baisse de pouvoir d’achat que cela peut induire. Mais ce n’est évidemment pas tout. La fiscalité, la formation, les infrastructures, les charges sociales et le coût du travail, ainsi que le cadre légal du travail, nombreux sont les paramètres à prendre en compte. La baisse des impôts de production (tout juste amorcée) est par exemple indispensable, dans la mesure où il s’agit d’un impôt sur le chiffre d’affaires (et non le résultat) et qu’elle grève donc les efforts d’investissement. Les prélèvements sur les entreprises de manière générale et leur écart avec les autres pays (10 points de valeur ajoutée par rapport à l’Allemagne, par exemple) constitue un véritable handicap. Il convient ensuite de bien réfléchir à ce qui est vraiment relocalisable. Pas des filières comme la sidérurgie, par exemple, où la concurrence féroce des producteurs à bas coûts entraînerait une hausse des prix insoutenable pour les filières consommatrices d’acier. Mais plutôt l’agroalimentaire et les filières d’excellence (luxe, aéronautique, automobile, énergie, construction, pharmaceutique), nous dit Matthieu Courtecuisse. L’investissement dans les technologies, le numérique, l’automatisation, l’intelligence artificielle, le télétravail (avec quelques réserves et précautions), sont les passages obligés si on entend retrouver la compétitivité nécessaire au maintien ou au retour de certaines activités sur notre territoire, quoi qu’on en dise, souligne l’auteur. En effet, le monde évolue, se transforme, et c’est inéluctable. * Matthieu Courtecuisse, Réindustrialiser, C’est possible !, Éditions de l’Observatoire, juillet 2020, 27 pages. Ces articles pourraient vous intéresser: Alimentation : prêts à payer plus cher vos repas ? Profiter de la crise sanitaire pour réindustrialiser la France Relocalisation : pourquoi pas, mais comment ? L’échec face à une rupture : le cas de General Motors dans les années 70
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