Par Paul Touboul.
Voilà plus de quatre mois que nous sommes entrés dans un univers qui pourrait bien figurer dans un quelconque film d’anticipation. Du jour au lendemain le cadre de vie s’est transformé, des règles nouvelles sont apparues pour guider notre existence, nous nous sommes sentis menacés à tout moment et en tout lieu par un mal invisible et pourtant terriblement présent capable de frapper à sa guise et de régir notre sort sur cette Terre, un avant-goût de fin du monde s’est instillé en chacun. Obéir aux consignes
Il devenait urgent d’obéir aux injonctions des gouvernants nous sommant de rester isolés chez nous, de n’en sortir que pour des raisons impérieuses et munis de documents justificatifs, d’éviter tout contact interpersonnel, de maintenir entre personnes une distance réglementaire d’un mètre au moins, portée ensuite à 1 m 50 puis deux mètres.
Il nous a été inculqué avec force messages l’intérêt de nous laver soigneusement les mains en toute occasion, d’éternuer ou de tousser en se protégeant du coude ou dans un mouchoir en papier à jeter ensuite.
L’usage de masques ? Certes, il paraissait tomber sous le sens mais l’intérêt pourtant en était débattu. Nous sommes devenus en un rien de temps une armée de bons élèves à l’écoute d’autorités imbues de l’immense pouvoir de protéger un pays entier contre un fléau mortel. Déluge d’informations
Et l’évènement a vu son retentissement démultiplié par l’entrée en jeu des médias, au premier rang desquels la télévision, qui depuis ne parle pratiquement que de cela, faisant que tout autre évènement survenant sur notre planète perdait toute consistance.
Déluge d’informations avec ses redondances, débats à n’en plus finir, appel aux experts avec la caution de la science, paroles des politiques cachant ignorance et indécision derrière des formules travaillées, théâtralisation des faits digne de dramaturgies antiques, et au bout du compte, dans ce concert de voix venant de toutes parts une immense cacophonie.
Et pourquoi ? Parce qu’un pandémie virale venue de Chine envahissait notre pays. Que devait-on craindre ? L’irruption d’un ange de la mort, foudroyant et impitoyable ? Le ravage d’un pays sans défense avec des millions de morts ? Une dévastation dont on mettrait des générations à se remettre ? Réaliser que nous avons pu en arriver à ce degré de confusion, de désarroi et de panique, mérite que l’on s’arrête un instant sur l’historique et que l’on revisite les faits. Retour sur la pandémie
Au départ une virose apparue à Wuhan, une ville chinoise, mégapole d’une dizaine de millions d’habitants. La nouvelle n’a pas fait à l’époque la Une des journaux. Nous étions en novembre dernier. Il était question d’un virus nouveau, donc non encore répertorié. Certes une diffusion aux pays voisins (Corée du Sud, Singapour, Taïwan) était enregistrée sans pour autant déclencher d’alerte générale.
Cependant, avec le temps nous parvenaient de plus en plus d’images de l’épidémie avec son cortège de malades et aussi de décès dans une ville qui paraissait en état de siège. À un moment donné, et sous l’impulsion des messages alarmistes émanant de l’OMS, l’inquiétude a gagné nos contrées.
Il y a eu ce formidable accélérateur qu’a été en janvier l’explosion de l’épidémie en Italie. La virose a frappé de plein fouet un pays au début désarmé face au cataclysme meurtrier, puis rapidement les mesures sanitaires appropriées ont été mises en route.
Un tremblement d’effroi a alors gagné notre pays sans que soit pour autant déclenché de plan d’urgence. Il est vrai que nous paraissions épargnés.
Dans le même temps des nouvelles inquiétantes nous parvenaient de l’Espagne toute proche. Et le 14 mars dernier le président français a finalement annoncé l’état de guerre et instauré le confinement.
L’épidémie a depuis fait son chemin. Le nombre de formes respiratoires graves a dépassé dans les régions les plus touchées (Est, Île de France) les capacités de prise en charge des services de réanimation obligeant à des transferts inter-régions voire vers des pays limitrophes.
Au plus fort de l’épidémie (fin mars-début avril 2020), le système sanitaire français a paru au bord de la rupture. Et il est vrai que le bilan actuel est lourd, de l’ordre de 30 000 morts, signe de la violence de l’attaque.
Pourtant, au vu du nombre de contaminations répertoriées, contagiosité et dangerosité du virus apparaissent limitées. La létalité dans notre pays parait tourner autour de 0,5 %, elle semble même descendre à 0,02 % chez les moins de 20 ans. Par contre elle pourrait atteindre 8 % à 80 ans et plus. Ce pic de gravité dans le grand âge semble attesté partout. Quelle prise en charge médicale ?
Et là se pose bien sûr la question de la prise en charge, laquelle dans notre pays a fait l’objet de débats houleux et dont nous ne sommes toujours pas sortis.
Quid de l’association chloroquine-azithromycine prônée dès le début par le professeur Raoult à Marseille sur la base d’informations provenant de Chine et issues de données provenant d’études limitées ? D’autres antiviraux semblent avoir fait l’objet d’essais non contrôlés finalement abandonnés en raison d’effets secondaires marqués. Quant à l’azithromycine, antibiotique généralement prescrit contre les infections respiratoires, une action antivirale du produit a été invoquée, à moins que ne soit ciblée dans certaines cas une bactérie opportuniste.
Dans les faits, les préconisations chinoises semblent avoir été assez largement suivies notamment dans les pays du sud-est asiatique, lesquels, entre parenthèses, ont résisté plutôt bien à l’épidémie.
Fallait-il donc traiter chez nous tout sujet contaminé dès le début de la maladie ? Contre cette idée a fait front une opposition tranchée coalisant nombre de praticiens hospitalo-universitaires, virologues et infectiologues notamment, et ce au nom de l’exigence scientifique de vérité puisque la proposition chinoise relayée par le professeur Raoult n’était pas validée par des études contrôlées.
Or, entamer des essais où les produits testés sont évalués par comparaison avec une population témoin identique laissée sans traitement requiert du temps, lequel risque d’outrepasser celui de l’épidémie. Cela n’a pourtant pas empêché nos experts de choisir cette voie et de continuer à s’opposer à l’autre.
Force est de constater qu’il n’en est pour l’instant rien sorti, alors que l’épidémie semble entamer actuellement sa décroissance. Certes la prescription signée Raoult a continué d’être appliquée, semble-t-il plus qu’il n’y parait, et en premier lieu à Marseille avec des résultats probants, mais jamais sur une base générale.
La seule concession faite officiellement a été d’en recommander l’usage dans les seuls hôpitaux et pour le traitement des formes sévères.
Alors, que l’on s’inquiète d’un déversement de médicaments dans une situation nouvelle où faute d’expérience on peut craindre légitimement des effets secondaires graves minant un potentiel bénéfice, une telle prudence va de soi et est au fondement de l’éthique médicale. Mais était-ce le cas ici ?
Les données tirées de l’expérience chinoise méritaient à tout le moins d’être prises en considération. Les résultats, certes parcellaires, offraient matière à réflexion. Et puis les médicaments incriminés sont archi-connus, la chloroquine est depuis des décennies prescrite à grande échelle dans la prévention du paludisme et continue chez nous d’être d’un usage courant dans les pathologies auto-immunes comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde. A-t-on jamais entendu parler de complications sévères en limitant l’usage ? Certes, non. Entrave des médecins, mesures aléatoires
Alors pourquoi tant de réticence et même d’opposition au nom d’exigences scientifiques inapplicables dans l’urgence ? Et de quel droit entraver la pratique des médecins en la matière ? Qu’ils aient la liberté de prescrire des produits qu’ils connaissent bien et dont en situation d’incertitude, comme ici, ils aient à en reconnaitre ou non l’intérêt, quoi de plus banal dans ce métier où les faits de ce genre abondent !
Et l’on a été jusqu’à dire, pour justifier l’abstention, que dans 90 % des cas la contamination est bénigne et ne nécessite aucun traitement. C’est là, je trouve, faire bien peu de cas des 30 000 morts, un bilan qu’aurait peut-être allégé une prise en charge active des malades. Il semble qu’à l’étranger ce débat n’ait pas donné lieu comme chez nous à une crise de nerfs pleine de sous-entendus malveillants.
Autre élément de surprise pour le médecin que je suis, l’adhésion comme allant de soi aux mesures de confinement. Après tout, se protéger du virus en se calfeutrant, se conçoit bien. Mais en est-on si sûr ?
Une telle mesure appliquée dans la plupart des pays concernés à différents degrés a-t-elle eu un impact décisif sur le mode d’expansion et l’ampleur de l’épidémie ? On aimerait l’affirmer, mais, avouons-le, en dehors de professions de foi, toute certitude fait défaut.
Il a été montré, calculs théoriques à l’appui, que depuis le confinement l’ampleur du développement de la virose avait été entamé entrainant un abaissement du pic des contaminations. Est-ce bien sûr ? Les courbes reflétant le suivi de l’épidémie en France ressemblent bien à celles de toute virose avec un aspect en cloche caractéristique.
Que l’invasion du covid-19 ait été quelque peu contenue, empêchant l’explosion des capacités hospitalières, cela semblerait le cas, mais encore une fois, une telle présomption n’est pas vérité.
Et puis fera-t-on jamais le décompte des dégâts collatéraux du confinements (conflits de personnes exacerbés en vase-clos, violences, malades se négligeant ou laissés à leur sort, vieux coupés des leurs, troubles psychiques décompensés, perte de travail et explosion du chômage, faillites multiples, misère sociale) lesquels pourraient bien à terme compromettre le soi-disant bénéfice sanitaire ? Catastrophisme ambiant et peur d’une «�deuxième vague »
Pourquoi fallait-il aussi que sous prétexte de nouveauté, ce virus se distingue des agents de son espèce vus dans le passé, soit l’objet des craintes les plus folles à tonalité parfois apocalyptique, ait vocation à nous surprendre et même à nous désemparer, devienne un ennemi public chaque jour plus terrifiant ?
Le catastrophisme ambiant s’en est donné à cœur joie. Chaque jour a amené son lot de soupçons, de craintes, d’informations faisant craindre le pire, de nouveaux maux attachés à ce virus démoniaque, le tout balayé ou non par les informations du lendemain.
Et comme si on n’en avait pas fini avec son machiavélisme, voilà que l’épidémie finissante est maintenant soupçonnée de n’avoir pas dit son dernier mot et de nous préparer une surprise de taille : une deuxième vague. Pourquoi ? Sur quels arguments ?
Le degré de contamination de la population ayant été modeste, le virus resterait sur sa faim et prêt à de nouvelles conquêtes. Des conjectures, encore des conjectures, qui pourtant ont fini par s’imposer et dessiner le nouvel horizon de la maladie. La fabrication de l’opinion
Mais revenons à la télévision. Elle a contribué à faire d’une virose, dont il fallait certes se défendre, un évènement grandiose, planétaire. Le contact avec la réalité telle qu’elle était et finalement cernable a été perdu et remplacé par la vision d’une fantasmagorie terrifiante dépourvue de repères.
Le visage de l’épidémie a été recomposé, c’est un produit de novo qui a émergé, ouvert à toutes les conjectures et aux hypothèses les plus débridées.
Dans ce sillage a pris forme un courant de pensée dominant surfant sur cette version hard de l’épidémie alors que tout autre discours devenait inaudible (cf. Raoult). Cette fabrication de l’opinion est à méditer, elle ne manque pas de susciter question dans une société comme la nôtre pourtant ouverte.
Comme quoi, en réplique à la peur, peuvent naître des courants d’idées univoques, à vocation autoritaire, qui occultent le libre débat démocratique. Et on en a eu un aperçu ici.
En fin de compte, que s’est-il passé réellement ? Un beau jour a émergé et s’est répandu partout un nouveau germe appartenant à cette famille de virus respiratoires appelés coronavirus. Tout était à craindre puisque son comportement ainsi que les moyens de le combattre restaient à découvrir. Et les dégâts causés ont impressionné.
On semblait curieusement avoir oublié que dans le passé certaines épidémies de grippe avaient aussi frappé avec violence, s’en prenant surtout comme le coronavirus aux sujets âgés et fragilisés. Cependant, à l’époque, il n’en était pas fait état journellement à la télévision et aucun décompte des décès, de l’ordre de 20 000 morts l’hiver 2017, n’était tenu, comme aujourd’hui, à l’unité près.
Peu à peu, et au-delà de l’enflure manifeste apportée à l’information, les données acquises sur la maladie ont dessiné un profil plus conforme. Et l’épidémie semble suivre un décours connu par ailleurs.
Alors fin de partie ? Non, car en raison du récit développé à propos de la virose, la gestion du déconfinement est entachée de mille craintes donnant l’impression que nous marchons à reculons, la peur au ventre. Le monstre reste tapi dans la conscience collective et le pire est toujours à craindre. Formatage des esprits, retour au Moyen-Âge
À l’encontre de ce que les épidémies nous ont appris depuis l’aube des temps quant à leur mode d’extinction, l’on persiste à forger d’autres scenarios dont celui de voir renaître de l’hydre une nouvelle tête. Notre humanité est moins malade du virus lui-même que de son existence fantasmée, laquelle continue de nous poursuivre.
Peur, peur, quand tu nous tiens ! Habitants de pays modernes, développés, nous avons fait le retour aux grandes peurs du Moyen-Âge et y avons sombré, aidés en cela par la technologie audio-visuelle qui a donné aux messages délivrés une écoute planétaire.
Et les montagnes de données chiffrées actualisées au jour le jour ont pris place dans un récit qui s’est structuré faisant de l’épidémie un évènement tragique unique en son genre. Oubliées les références antérieures, lesquelles auraient pu aider à recadrer la crise présente et à déciller le regard. C’est la vision d’une terra incognita qui l’a emporté véhiculant dans son sillage les projections les plus folles.
Et quel n’est pas mon malaise de voir, en cette phase de déconfinement, circuler des gens masqués, qui s’efforcent, comme on nous en a rebattu les oreilles, de maintenir avec l’autre le plus de distance possible, s’en prennent parfois hargneusement, dans les files d’attente des magasins, à ceux qui ne portent pas le sacro-saint masque, exhalent une peur devenue un credo fermé à toute argumentation.
Ce formatage des esprits, je ne m’en cache pas, me fait peur. Je ne peux m’empêcher de faire retour aux heures sombres de notre histoire où la propagande tendait à harmoniser les comportements au profit d’idées-force qui se voulaient vérité. On peut tout demander à un peuple sous emprise.
Il est certes des motifs honorables, le coronavirus en est un, et d’autres moins, pareille distinction pouvant cependant fluctuer selon les époques. Cette malléabilité du corps social acquiert une ampleur inédite à l’ère de médias d’information omniprésents, intrusifs, et à rayonnement planétaire. Elle offre plus que jamais matière à réflexion.
Loin de moi ici l’idée de minimiser ce qui s’est passé et d’amoindrir la gravité de cette épidémie dont le bilan est sans conteste lourd. Simplement, en tant que professeur de médecine, je me suis senti tout au long de cette affaire en décalage avec l’histoire qui m’était proposée, n’ayant de cesse de la mettre en perspective et de l’inscrire dans le passé millénaire des épidémies.
C’est cet oubli du passé et de ses enseignements qui m’a surpris de la part d’un monde contemporain en effervescence entré dans un combat considéré comme unique en son genre et sans équivalent.
J’ai vu aussi dans cette aventure croître et embellir, au-delà des motifs scientifiques, les querelles d’ego entre leaders de la médecine, des querelles qui, même feutrées, ont été impitoyables, avec en arrière-plan le lobbying de grands groupes pharmaceutiques. En fera-t-on jamais le bilan dans l’avenir ?
Quant à nos gouvernants, Ils ont eu la tâche difficile de définir un cap face au bouillonnement d’un univers en ébullition. Force est cependant, à leur encontre, de devoir déplorer l’absence de boussole, des stratégies de gestion de l’épidémie brillant par leur vacuité, sans compter les mensonges d’État sur les réserves sanitaires.
Et que dire des incohérences d’un ministre de la Santé qui prive les officines et donc les médecins de l’usage de la chloroquine, prend prétexte d’un article du Lancet, pour signifier l’interdiction d’usage du médicament, et puis revient sur sa décision après que l’éditeur de la revue anglaise ait pris lui-même ses distances avec l’article en question ? La peur du « virus qui circule toujours »
Je pensais clore ces considérations en même temps que sonnait le glas de l’épidémie. Or l’été n’a pas mis fin à la saga. Avec quelque retard, et l’épidémie finissante, les tests de dépistage sont entrés en action.
Le combat continue, tel est le nouveau slogan. Le virus circule toujours. Des cas de contamination découverts ici ou là raniment la fièvre. Attention ! Petits clusters deviendront grands un jour, tel est le message à peine voilé que sous-tend chaque décompte.
On se prend pourtant à penser que l’invasion virale initiale ait pu traîner derrière elle des restes disséminés qui essaiment tardivement, contaminations qui sont d’ailleurs le plus souvent inapparentes. Ceci, lors de toute virose, est peut-être plus banal qu’il n’y parait.
Que je sache, on ne pratique jamais de dépistage à grande échelle au décours d’épidémies de grippe saisonnière. Qui sait si n’apparaitraient pas là aussi des clusters ignorés.
Plus que jamais le masque est de rigueur alors même, il faut le rappeler, qu’une telle injonction n’était pas de mise en pleine phase épidémique. On en vient même à réprimer les manquements à l’aide d’amendes, ou plus si récidive.
Une telle restriction de liberté, qui en d’autres temps aurait scandalisé, est désormais acceptée au nom de la sacro-sainte santé. Plus que jamais, les médias s’en donnent à cœur joie, le danger n’est pas écarté, la bête immonde nous guette. Refleurissent les chiffres de contaminés chez nous et ailleurs, la globalisation des informations en renforçant le potentiel anxiogène.
La peur gagne du terrain et infiltre les comportements. Et nous voilà entrés, par l’entremise d’un virus respiratoire, au fond banal, déguisé en entité diabolique, dans une ère de désordre planétaire car, évènement inouï, la grande majorité des États et leurs gouvernants se sont donné le mot, ont réagi comme un seul homme à la menace, chacun reproduisant ce qui se fait chez les autres.
« Ce virus qui rend fou », tel est le titre du récent livre de Bernard Henri Lévy sur l’épidémie. La formulation est on ne peut plus appropriée. Oui, il y a de la folie dans le tohu-bohu actuel. Et l’on est forcé de s’interroger sur les facteurs qui la sous-tendent. La peur, la guerre et la disparition des libertés
De prime abord la peur, telle que nous l’avons déjà évoquée, entretenue par l’imagerie d’un fléau qui, invisible, est d’autant plus redoutable, décime aveuglément les populations rencontrées, se joue des stratégies d’évitement, semble renaître de ses cendres quand on le croit moribond, continue, des mois après l’agression, de laisser des traces de son existence. Telle est la présentation, disons officielle, de l’ennemi.
Le terme de guerre a été employé en son temps et l’on tremble à l’idée de ce qu’il adviendrait de nous, les humains, en cas de défaite. Curieusement cette dramatisation a résisté aux bonnes nouvelles qui nous parvenaient sur le comportement du virus et sa dangerosité limitée avec prédilection aux sujets très âgés ou malades.
Le débat démocratique, source vive d’une nation, a été lors de ces évènements mis à mal, évoluant de plus en plus vers un concert à une seule voix. Et dans ce sillage l’exercice des libertés publiques a été allègrement perverti au nom d’un objectif littéralement sacralisé, la santé.
Big Brother a été à nos portes. Il y a eu comme un avant-goût d’ordre imposé et d’embrigadement des esprits. Et chacun de courber l’échine. Le slogan certes était imparable : sauvons des vies.
Verrons-nous dans l’avenir apparaitre dans les manuels scolaires, parmi les conflits qui parsèment l’histoire humaine, cette guerre livrée au coronavirus comme préfigurant nos combats de demain ? Tout, dans ce qui vient de se passer, le laisse augurer. Ces articles pourraient vous intéresser:
http://dlvr.it/Rg6Xlg
lundi 7 septembre 2020
Dupond-Moretti, un « coup marketing » ?
Par Nathalie MP Meyer.
C’était en mai 2019. Célèbre pour ses coups de gueule et les nombreux acquittements qui jalonnent sa carrière, 145 à ce jour, l’avocat Éric Dupond-Moretti sortait tout juste du procès de Patrick Balkany pour fraude fiscale sans avoir réussi à adoucir les sévères réquisitions du procureur à l’encontre de son client, réquisitions qu’il jugeait sans commune mesure avec la jurisprudence en vigueur. Dupond-Moretti : je suis libre
Voici ce qu’il disait alors dans un entretien accordé pour l’occasion à la Radio télévision suisse (RTS) :
Journaliste : Il y a un côté, chez vous, «�je vous emmerde » ?
Dupond-Moretti : Non, il y a un côté « je suis libre ». Mais la liberté, ça emmerde souvent, ouais. Parce qu’on est souvent dans le formatage. On est dans le politiquement correct, on est dans une pensée unique. C’est ça, l’histoire des nuances dont je parlais (NdA : le fait que toutes les polémiques se fassent en noir et blanc, sans entre-deux).
Et de fait, à suivre année après année le fil de ses déclarations tonitruantes, on ne peut nier qu’il prenne une sorte de malin plaisir à jeter d’énormes pavés dans des mares d’apparence trop calme et trop conformiste à son goût.
Peu lui importe par exemple de s’attirer les protestations conventionnellement outragées des écologistes radicaux (août 2020), des féministes schiappatisées (mars 2018) ou des antiracistes de combat (juin 2020).
Pour le grand amateur de viande, de chasse et de corrida qu’il est, il existe une certaine écologie conduite par des « ayatollahs » qui veulent « nous culpabiliser d’être ce que nous sommes ». Mais attention, nuances ! – ces fameuses nuances qu’il voit disparaître partout. Ce sont les ayatollahs de l’écologie qu’il pourfend, pas l’écologie elle-même.
De la même façon, rien n’est plus justifié à ses yeux que la lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, un « vrai combat » selon lui. Mais ne lui parlez pas de la loi contre le harcèlement de rue qui a fixé à 90 euros l’amende infligée à « un type qui siffle une fille dans la rue » car c’est une « vraie connerie » (vidéo, 51″) :
Et pour ce qui est des statues vandalisées parce qu’elles représentent des personnalités de notre Histoire ayant des liens avec l’esclavage, il considère purement et simplement qu’on vit « une époque de dingue » (vidéo, à partir de 9′ 30″) :
« Moi, je préfère me balader avec un enfant, lui montrer une statue et lui expliquer qu’à une époque nous avons accepté l’esclavagisme. […] Ceux qui balayent le passé et qui veulent l’effacer sont des gens qui se comportent comme des totalitaires. »
Quant à l’affaire Balkany que j’évoquais plus haut, il n’hésite pas une seconde à en profiter pour stigmatiser la « lâcheté » des juges « pour obtenir une légion d’honneur, un mérite, un poste » et à parler d’une « justice rendue au pied du mur de l’exemple » par des magistrats transformés en justiciers au nom d’une nouvelle morale qui a tout du « règlement de compte sociétal ».
Toujours lors de l’entretien à RTS de mai 2019 :
Journaliste : Vous sortez d’une bataille judiciaire très âpre. Dans quel état d’esprit ?
Dupond-Moretti : C’était vraiment très compliqué, Balkany. Surtout en France. […] La fraude fiscale est sur le podium des infractions les plus graves. […] On règle à la fois des comptes avec la fraude fiscale et avec la Sarkozie. Voilà la difficulté de ce dossier. […] Notre époque nous amène maintenant vers des procès qui sont des procès « symboles ». Ça n’a plus grand-chose à voir avec la justice.
Des propos non sans justesse qui ont le don d’irriter au plus haut point les ligues actuelles de la bien-pensance et qui ne sont pas plus appréciés du côté de la magistrature, comme vous vous en doutez.
L’avocat ayant été nommé début juillet ministre de la Justice dans le gouvernement Castex, inutile de dire que toute l’institution judiciaire s’inquiète de ce qu’elle pourrait devenir aux mains d’un homme qui expliquait en outre (en 2018) qu’il n’était absolument pas taillé pour cette mission (« ce serait un bordel ! »), que personne ne pourrait jamais avoir une idée aussi « sotte » et que de toute façon, il refuserait car ce n’était pas son métier.
« Vous voulez que je vous le signe ? » ajoutait-t-il crânement à l’adresse de la journaliste qui l’interrogeait (video du tweet, 46″) :
#DupondMoretti par #DupondMoretti : lui ministre? Jamais. pic.twitter.com/r8cS2ONcFS
— David Dufresne (@davduf) July 7, 2020
Il faut croire qu’en cet été compliqué où Emmanuel Macron cherche partout d’habiles martingales pour relancer son mandat présidentiel en vue de 2022, l’idée ne lui a plus semblé aussi sotte… Retour sur son passé…
Né en 1961 à Maubeuge dans une famille modeste, Éric Dupond-Moretti perd son père alors qu’il n’a que 4 ans et est élevé par sa mère, femme de ménage d’origine italienne. Après le baccalauréat, il se tourne vers le droit, poussé par son opposition à la peine de mort et par un fort sentiment d’injustice. La mort suspecte de son oncle maternel n’a en effet jamais intéressé le système judiciaire malgré la plainte déposée par son grand-père.
Devenu avocat en 1984, il entre dans un cabinet lillois où on lui confie surtout des affaires prud’homales. Et le soir, mettant à profit une grande capacité de travail, il commence une seconde journée :
« Le soir, je prenais des commissions d’office à tour de bras. J’ai commencé à faire de la procédure, ce qu’à Lille personne ne faisait à l’époque. J’ai obtenu quelques relaxes et acquittements spectaculaires. » (Libération, 2006)
C’est ainsi qu’il obtient son premier acquittement en 1987. De nombreux autres suivent, notamment dans l’affaire VA-OM en 1993, dans celle d’Outreau en 2004 et dans l’assassinat du préfet Érignac en 2006, ce qui lui vaut rapidement le surnom d’Acquittator.
Il répète volontiers qu’il pourrait très bien défendre l’homme Hitler, ou l’homme Faurisson, sans pour autant défendre la doctrine nazie du premier ou le négationnisme des chambres à gaz du second. Pour lui, le rôle d’un avocat consiste à défendre tout le monde « mais pas les causes ». C’est ainsi qu’en 2017, il a accepté de prendre la défense du frère du terroriste islamiste Mohamed Merah, allant jusqu’à déclarer sur France Inter que c’était un « honneur » pour lui.
Incompréhension et tollé immédiat dans le public. Si j’ai du mal à absoudre Dupond-Moretti d’un choix de mot au mieux malheureux mais plus probablement destiné volontairement à choquer et créer le buzz, je l’acquitte néanmoins de toute collusion avec la cause djihadiste.
Je crois en effet qu’il faut comprendre l’honneur de défendre Abdelkader Merah1 comme l’honneur de vivre dans un État de droit où la défense d’un accusé, même le plus détesté de France, est assurée et bien assurée. Dupond-Moretti, « libre », mais pas pour la liberté ?
En revanche, force est de constater que son côté « Je suis libre », qu’il revendique haut et fort dans un choc continu de déclarations médiatiques, manque nettement de tolérance dès lors qu’il s’agit d’accorder la même liberté à des personnes ou des comportements qui ne lui conviennent pas.
Difficile de passer sous silence qu’il a voulu faire interdire le Rassemblement national quand celui-ci s’appelait Front national et qu’il aimerait aussi interdire l’utilisation des pseudos sur les réseaux sociaux qui sont devenus « une poubelle à ciel ouvert pour frustrés haineux toujours anonymes ». Mais où est donc passé son sens aigu des nuances ?
Plus embarrassant encore, difficile d’oublier que dès sa nomination au gouvernement, il a eu soudain beaucoup moins de choses à dire contre le Parquet national financier (PNF), institution qui avait pourtant déchaîné sa colère contre la « République des juges » lorsqu’il avait appris quelques jours auparavant via un article de l’hebdomadaire Le Point qu’elle l’avait placé sous surveillance dans le cadre d’une enquête visant à déterminer qui avait informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes. « On ne fait pas ça en Corée » avait-il dit. N’empêche qu’il a immédiatement retiré sa plainte. Quelle justice ?
Mais surtout, il y a lieu de se demander quel ministre de la Justice il sera alors que les Français persistent à placer la lutte contre la délinquance dans le trio de tête de leurs préoccupations pour les mois à venir.
Sa passe d’armes avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur le terme « ensauvagement » que ce dernier a employé et que lui, Dupond-Moretti, réprouve, n’est pas de très bon augure.
Assez logiquement compte tenu de sa sympathie de toujours pour le Parti socialiste en général et pour Martine Aubry en particulier, le nouveau garde des Sceaux remet en effet sur le devant de la scène le fameux « sentiment d’insécurité », qui a permis à la gauche de ne surtout pas prendre au sérieux la demande insistante des Français concernant la sécurité des biens et des personnes.
Et si M. Dupond-Moretti avait parfaitement raison lorsqu’il expliquait avec le choc des mots qui le caractérise que son éventuelle nomination à la tête du ministère de la Justice résulterait en un énorme « bordel » ? Encore un coup marketing à la Macron qui pourrait bien n’être qu’une « idée sotte » de plus. Ça promet.
—
Sur le web
* Après le rejet de son pourvoi en cassation en avril 2020, Abdelkader Merah a finalement été condamné définitivement à 30 ans de réclusion pour « complicité d’assassinats et de tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs à caractère terroriste ». ↩
Ces articles pourraient vous intéresser: L’État de droit existe-t-il dans les bas-fonds du palais de justice de Paris ? Dupond-Moretti : le faux trublion de la place Vendôme Jean Castex, l’homme des « territoires » au secours de Jupiter Remaniement : la confirmation de Bruno Le Maire est une prime à l’incompétence
http://dlvr.it/Rg6XlX
http://dlvr.it/Rg6XlX
Neuralink d’Elon Musk : la technologie au service de l’humain ?
Par Jonathan Frickert.
On ne présente plus Elon Musk. Ce touche-à-tout de 49 ans fort d’une fortune de 82,4 milliards de dollars qui, après des études de physique et d’économie, est devenu ingénieur, entrepreneur voire même acteur après être apparu dans le deuxième opus des aventures d’IronMan dont le réalisateur Jon Favreau dira qu’il fût la principale inspiration du traitement du personnage campé 11 années durant par Robert Downey Jr.
Star des réseaux sociaux, Elon Musk pousse l’art du buzz jusqu’au prénom de ses enfants, ce qui ne l’empêche pas d’avoir été un des conseillers de Donald Trump jusqu’à ce que ce dernier ne quitte l’accord de Paris, et de s’être récemment posé en farouche opposant au confinement pratiqué par l’État de Californie en menaçant même de délocaliser ses entreprises hors du Golden State.
Une politique du buzz faisant rapidement oublier les nombreux déboires du milliardaire avec la SEC, l’autorité américaine des marchés financiers, ainsi que la fierté régulièrement affichée de faire payer ses ambitions par le contribuable américain.
Une politique du buzz qu’il a une nouvelle fois expérimentée fin août en dévoilant Neuralink, un implant cérébral destiné à révolutionner le traitement de certaines pathologies motrices et psychiques et qui interroge sur les dangers que ce type d’implants pourraient faire courir à nos libertés. Extension du domaine de l’occiput
Le 28 août dernier s’est déroulée une de ces grandes conférences auxquelles nous a habitués le secteur de la tech et retransmise en direct sur Youtube. Une conférence un peu particulière, quoique tout aussi spectaculaire.
Le monde a ainsi découvert Gertrude, un cochon-cobaye que l’on voit nourri avant d’être amené sur un tapis roulant et doté d’un gros boulon guère plus large qu’une pièce d’un euro, Neuralink.
Un appareil qui ne permet pour l’instant que de visualiser les différentes parties du corps de l’animal, mais qui devrait, à terme, permettre aux paralytiques de marcher en réparant les terminaisons nerveuses endommagées et reconnectant le cerveau et les zones du corps. La technologie utilisée semble donc à première vue rudimentaire, mais relève en réalité de la prouesse technique.
Installé à l’arrière du crâne par un robot dans une opération ne laissant qu’une petite cicatrice, l’implant utilise la technologie bluetooth et se recharge durant la nuit par un système d’induction reliant la puce à un appareil présent dans l’oreiller de l’utilisateur.
Dans un second temps, cette technologie devrait permettre aux personnes atteintes de surdité et de cécité d’entendre et de voir, toujours en utilisant cette même technique à laquelle Amazon s’intéresse de près et que Facebook souhaite appliquer dans le traitement de l’aphasie.
L’expérimentation suit d’un peu plus d’un an celle faite sur un autre de nos proches cousins où la start-up avait permis à des singes de contrôler un ordinateur par la pensée et permet à cette start up d’une petite centaine de salariés cofondée par le milliardaire en 2016 de démarrer sa cinquième année d’existence forte de 158 millions de dollars de financements dont les deux tiers auraient été apportés par Elon Musk lui-même. Elon Musk, maître dans l’art du buzz
La forme de cette présentation ne doit rien au hasard tant ce 28 août semble avoir été une gigantesque opération marketing visant deux types de populations, à l’exception de la communauté scientifique qui, à la manière du chargé de recherche à l’Inserm Lyon Jérémie Mattout, a une tendance au scepticisme jugée fâcheuse en marketing.
En revanche, la présentation de Neuralink vise naturellement les investisseurs ainsi que les ingénieurs de la tech. Elon Musk veut faire croître son entreprise, et pour ce faire a besoin de financements, mais également d’une main-d’œuvre qualifiée alors que les emplois liés aux nouvelles technologies sont actuellement en tension.
Or, Neuralink souhaite multiplier ses effectifs par 100 dans les mois et années qui viennent.
À la manière de son projet de colonisation martienne dont les avancées se font attendre, Elon Musk est un maître de l’art du buzz et l’a une nouvelle fois montré, mais cela ne rend pas les questions que pose Neuralink moins intéressantes. Une domestication anticipée de l’IA
Les objectifs de Neuralink ne s’arrêtent pas au traitement de problèmes mécaniques, touchants les sens ou la motricité du corps. Elon Musk souhaite également permettre le traitement de troubles psychiatriques tels que la dépression et les addictions, au besoin par une modification voire une suppression des souvenirs. Le milliardaire est ainsi allé jusqu’à évoquer la sauvegarde et le téléchargement de ces derniers sur des interfaces robotiques.
Les amateurs de la série d’anticipation Black Mirror auront déjà fait le rapprochement entre la conférence de Neuralink et la première saison de la série britannique, entre référence porcine et enregistrement de souvenirs. Si l’association peut paraitre grossière, la référence, elle, est totalement assumée par le principal intéressé qui estime que les créateurs de la série « sont assez bons pour prédire [l’avenir] ».
Une référence bien étrange lorsqu’on connaît le rapport particulier du fondateur de Tesla à l’intelligence artificielle et en particulier à l’intelligence artificielle forte, celle que nous connaissons actuellement avec les assistants Google ou Amazon relevant de l’intelligence artificielle faible.
Elon Musk fait en effet partie des personnalités qui, à la manière de Bill Gates et de feu Stephen Hawkings, voient dans l’IA une menace pour l’Humanité, allant jusqu’à appeler le gouvernement américain à réglementer rapidement le secteur.
Cette crainte repose sur un concept bien connu en futurologie : la singularité théorisée par l’auteur de science-fiction Vernor Vinge en 1993 en extrapolant les lois de Moore sur le doublement de la puissance de calcul des ordinateurs tous les 18 mois. Cela amène Vinge à estimer que l’intelligence artificielle arrivera dans les prochaines décennies à une croissance exponentielle, voire infinie, d’où le terme de singularité.
Dans le même temps, comme le rappellent Adrien Marck et Jean-François Toussaint de l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance (INSEP), l’espèce humaine est en train d’atteindre progressivement ses limites biologiques. Un plafond se dessine donc au moment même où l’IA prend de plus en plus de place dans notre vie et s’approche de cette fameuse singularité.
Si la référence d’un phobique de l’IA comme Elon Musk à la série Black Mirror peut sembler étrange, ce que le projet Neuralink révèle de ses intentions l’est beaucoup moins. Le cofondateur de PayPal voit en effet dans l’implant un moyen de fusionner l’Homme avec l’IA permettant une symbiose mutuellement bénéfique, aboutissant à la définition même du cyborg. En d’autres termes : Neuralink semble tout simplement avoir pour objectif de domestiquer l’intelligence artificielle avant que celle-ci ne nous asservisse. Transcender la condition humaine
L’implant Neuralink repose en effet la question de l’objectif de la technologie : est-elle un outil au service de l’amélioration de l’Homme ou bien une arme menant petit à petit à sa disparition en tant qu’espèce biologique consciente ?
Neuralink s’inscrit dans les avancées des dernières années, où l’assistance technologique se rapproche de plus en plus du corps humain, jusqu’à y entrer physiquement. À votre téléphone dans votre poche succède la montre à votre poignet puis les lunettes sur votre nez, toujours sous forme d’objets connectés et intelligents : smartphone, smartwatch, smartglasses…
Il n’est donc guère étonnant de voir émerger des implants se logeant derrière votre oreille, directement dans votre boite crânienne. Cette évolution n’est pas une simple vue de l’esprit, Elon Musk évoquant lui-même Neuralink comme étant une montre connectée implantée dans votre cerveau.
Neuralink repose donc la question du transhumanisme, théorisé en 1957 comme « un homme qui reste homme, mais qui se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine » selon les mots du biologiste Julian Huxley, frère de l’auteur du Meilleur des Mondes, demi-frère d’un prix Nobel de médecine récompensé pour ses travaux sur les liaisons nerveuses et petit-fils de Thomas Henry Huxley, surnommé le bulldog de Darwin et fondateur de l’agnosticisme.
Le transhumanisme d’Huxley s’inscrit dans une synthèse de ce que son nom évoque. Reprenant l’évolutionnisme darwinien qu’il consolidera, Julian Huxley souhaite transformer la sélection naturelle en une sélection consciente faisant de l’espèce humaine non plus un matériau de la nature, mais son propre artisan.
Eugéniste, Julian Huxley ne voyait pas forcément comme une dystopie ce que son frère décrivait dans son roman phare de 1932, défendant une série de mesures destinées à limiter la reproduction des classes populaires allant de l’accès réduit aux hôpitaux à la stérilisation pure et simple. Des mesures que ce pourfendeur de l’idée de race justifiait par la prétendue infériorité des classes laborieuses.
Le transhumanisme est également au cœur de la culture cyberpunk et notamment du manga Ghost in the Shell dont l’adaptation sur grand écran a été largement décriée, mais dont le manga original – reconnu encore aujourd’hui comme un chef-d’œuvre du genre – a su magnifier cette thématique en renvoyant notamment à la question de l’identité.
Toutefois, la grande différence de l’implant Neuralink tient au fait que l’objet de transformation cybernétique n’est plus le corps, mais bien l’esprit, ou, pour les croyants, l’âme, et donc ce que nous sommes. L’interconnexion contre la liberté ?
Historiquement, toute avancée technologique a comporté son lot de risques, qu’il s’agisse d’individus mal intentionnés tels que des groupes terroristes ou évidemment des gouvernements eux-mêmes.
Difficile alors de ne pas penser aux risques en termes de cybersécurité lorsqu’on se souvient des inquiétudes provoquées par les voitures connectées. L’automobile ayant la particularité d’être à la fois le moyen de transport le plus populaire et une redoutable arme de destruction, l’émergence des voitures connectées et davantage encore des voitures autonomes a inquiété de nombreux experts. Une voiture connectée à Internet, liée au réseau, devient naturellement la cible des virus et autres pirates avec des conséquences glaçantes.
Imaginez donc un instant les implications que pourraient avoir des opérations de piratage d’un implant Neuralink que vous auriez programmé pour traiter votre dépression ou tout autre problème psychique, voire psychiatrique, tel que la schizophrénie, agissant par exemple sur votre perception ou vos souvenirs.
Ce danger est également bien présent lorsqu’on envisage l’utilisation faite par un gouvernement tel que celui de Pékin connu pour son usage des nouvelles technologies aux fins de domination de sa population, à la manière du contrôle social rappelant une nouvelle fois la série Black Mirror. Rester libre, rester soi
Si Elon Musk est une des figures majeures de la Silicon Valley, ce berceau des nouvelles technologies en plein cœur de la Californie est devenu en quelques décennies une terre de bouillonnements intellectuels autant que technologiques et économiques. La vallée de silicium constitue un humus pour les cyberlibertariens, ces libertariens voyant dans Internet et la tech les moyens de réaliser l’ambition anarchiste.
Une noble ambition qui se heurte toutefois aux difficultés inhérentes à tout progrès, car être libre signifie avant tout pouvoir être soi, en disposant de sa conscience, de son libre arbitre et surtout d’un plein exercice de ses facultés, qu’elles soient décuplées technologiquement ou non.
Si Julian Huxley était loin d’être un gendre idéal, sa définition du transhumanisme aura eu le mérite de poser clairement l’enjeu de cette pensée : si l’Homme peut se transcender, il doit avant tout rester Homme, c’est-à-dire conserver sa personnalité, sans quoi l’amélioration devient destruction.
L’aliénation, même ponctuelle, de nos esprits par l’usage d’une technologie encore balbutiante impose donc autant d’euphorie que de méfiance.
Une recommandation dont celui qui a inspiré le personnage de Tony Stark sur grand écran ferait donc bien de se souvenir s’il souhaite réellement que l’intelligence artificielle des prochaines décennies ressemble davantage à Jarvis qu’à Ultron.
� Ces articles pourraient vous intéresser: Le libre-arbitre sera-t-il condamné par l’intelligence artificielle ? Elon Musk et Neuralink : vers une interface cerveau-machine Les robots vont-ils devenir nos nouveaux doudous ? Dans le monde des machines à quoi sert l’homme, à part nourrir le chien ?
http://dlvr.it/Rg6Xjt
http://dlvr.it/Rg6Xjt