vendredi 4 septembre 2020

La nouvelle cocaïne du capitalisme: l’écologisme

YSENGRIMUS — Réflexion, pas trop écolo quand même, sur Daniel Cohn-Bendit comme indicateur sociologique et historique… Voici donc que Daniel Cohn-Bendit a pris sa retraite du parlement européen, il y a un petit moment, à 69 ans. Et ainsi les lois de fer de l’histoire seront toujours les lois de fer de l’histoire. En 1920, Lénine écrit un ouvrage intitulé La maladie infantile du communisme: le gauchisme. Il y analyse l’antiparlementarisme de la gauche européenne de l’entre-deux-guerres en expliquant que les partis communistes pro-bolchevistes doivent fermement se positionner entre une ligne doctrinaire trop rigide et un «gauchisme» révolté, trublion et, finalement, trop mou, friable et inutile. Lénine fait comprendre à son lecteur attentif que c’est la rébellion «populaire» et «syndicaliste» qui, de fait, maintient la mouvement des forces sociales progressistes solidement enfermé à la gauche de l’hémicycle parlementaire bourgeois, ce qui perpétue la charpente mentale de ce dernier et paralyse toute possibilité de révolution effective. Être «à la gauche» d’un dispositif politique, c’est se maintenir en son cadre et cela ne le révolutionne pas. Ironisant sur ce titre de Lénine, Daniel Cohn-Bendit écrit, en 1968, un ouvrage intitulé Le gauchisme: remède à la maladie sénile du communisme. Le jeune tribun populaire de Mai 68 cultive alors une analyse inverse de celle de Lénine. Devenus les doctrinaires rigides et hippopotamesques que Lénine avait jadis dénoncés sur sa droite, les «séniles» eurocommunistes, plus précisément ceux du Parti Communiste Français, dirigés, à partir de 1972, par l’insupportable George Marchais (1920-1997), paralysent tous les mouvements trublions, révoltés et réformistes de la gauche libertaire et/ou anarchisante de 1968-1973. La réplique que servit alors Cohn-Bendit à l’eurocommunisme se résume en une phrase remède, un cri primal panacée, jamais écrit, mais souvent prononcé par lui lors des tonitruants débats de Mai: Ta gueule, crétin de stal! Daniel Cohn-Bendit, et la sensibilité libertaire qu’il représente encore, darde, sans complexe et avec la vivace fermeté du cabot assumé, tout communisme institutionnel (incluant naturellement le soviétique, celui des autres pays de l’est du temps, et de la Chine, et du Vietnam, et du PCF, et du PCI et etc…) en le condamnant et le stigmatisant d’une impitoyable monosyllabe: stal (pour stalinien). Incarnant et valorisant haut et fort ce gauchisme tant décrié par Lénine, Daniel Cohn-Bendit combat ouvertement et farouchement le communisme depuis sa toute prime jeunesse politique. (Et, si tu es contre nous, tu es contre la jeunesse, un vieux stal). On analyse classiquement (et un peu superficiellement) Dany le Rouge (en référence exclusive à la couleur… de ses cheveux), cette importante figure historique française, comme un vireur de veste opportuniste, suiviste et un peu incohérent (Dany le Rouge devenu Dany le rose pâle ou l’orange ou le Vert ou même le kaki, lors de son appui à la guerre en Bosnie et comme promoteur tapageur d’un intervention européenne au Mali, etc). Depuis son autre ouvrage symptomatique Nous l’avons tant aimée, la révolution (1992), il aurait changé son fusil d’épaule, retourné sa veste et, tel Jerry Rubin et tant d’autres de la génération des babyboomers, il renierait ses idéaux d’autrefois et se redéfinirait sur le tas et sur le tard. Cette analyse est inexacte en ce sens que ce n’est pas du tout à un changement d’opinion subjectif mais bien à un mouvement sociologique objectif qu’on assiste ici, en Dany et de par Dany. En toute systématicité, Daniel Cohn-Bendit a TOUJOURS combattu le communisme avec acharnement et a cru, dès l’époque de Mai, sans malice ni calcul alors, à la possibilité effective d’une mise en place d’un gauchisme non-communiste. La tourte s’est peut être faisandée dans l’assiette, mais elle ne s’est pas retournée… Cohn-Bendit a cheminé sur son rail en conformité avec ses axiomes de départ. Ce faisant, sa trajectoire politique s’est déployée, avec une implacable cohérence, comme la confirmation de l’analyse, faite jadis par Lénine, du sort socio-historique (et parlementaire) du gauchisme. Cohn-Bendit n’est, en fait, jamais sorti de l’hémicycle… Il y est resté cerné, s’y est hyperspécialisé, et y a circulé, rouage flottant vif et matois, comme un gros rat dans quelque vaste et labyrinthique cage. Mais, systématique toujours, dans sont rejet des dispositif nationaleux frileux traditionnels, son hémicycle s’élève, lévite, flotte, se sanctifie. Ce n’est pas un parlement étroitement national mais le parlement européen, qu’il habite et hante comme le plus crédible des bi-patrides. Cohn-Bendit est donc, tout naturellement, toujours installé dans l’espace supérieur, avancé, progressiste, éclairé, qui est celui d’une saine cause à défendre, à vendre: l’Europe (Et, si tu es contre nous, tu es contre l’Europe, un euro-sceptique). Il est important, capital même, de ne surtout pas analyser Daniel Cohn-Bendit comme un renégat, un tourneur de veste, un vire capot, comme on dit au Québec. Ce serait lui imputer un éclectisme de vision qu’il n’a pas, occulter une sourde sincérité qu’il a, et minimiser son importance comme indicateur sociologique. Bille de Ouija historique, c’est en toute systématicité intellectuelle et sociale que Cohn-Bendit suit sa courbe évolutive, son arabesque déterminative, et roule tout doucement vers l’autre bord de l’hémicycle. Il vit, incarne et maximalise la logique d’évolution naturelle des gauchismes. À ce moment-ci de son parcours, Dany est désormais le centre-droite vendable. Sa trajectoire «�libertaire Â» et anti-communiste se poursuit logiquement, comme mécaniquement. Les slogans, la faconde, la bonhomie de Mai continuent de se mettre en scène en lui, toujours sans risque révolutionnaire réel. Ses ardeurs de jadis l’animent toujours, pour la galerie mais aussi pour le coeur, et il continue de donner à ses toutes cryptiques questionculaes de président de groupe euro-parlementaire, l’ampleur tonitruante des grandes causes. La différence d’avec l’époque de Mai, c’est que maintenant, il devient graduellement le BHL de l’euro-parlementarisme et, ce faisant, il se crispe plus souvent, s’énerve, panique, calcule, compose. Quand les régimes de l’est, déjà bien putréfiés en dedans, jetèrent bas leurs ultimes obligations socialistes et basculèrent bel et bien, eux, fleur au fusil, dans l’explicite des vireurs de vestes virulents, décryptocapitalisés, les chutes du mur, «révolution» de velours, «révolution» orange et autres fleurirent et Cohn-Bendit fit modestement sa part, devant le gros comédon «stal» de cette société dans la société que fut si longtemps le mouvement communiste français institutionnel… Maintenant, évidemment, le Dany actuel doit vivre avec cela et c’est moins facile et jubilatoire à porter qu’en un certain novembre 1989 (chute du mur de Berlin)… Pendant ce temps, justement, se mettent graduellement en place les changements «générationnels» que Cohn-Bendit rend perceptibles et ce, à travers et par delà le brouillard des modes politiciennes et des scandales de salissages mesquins à l’américaine. Cohn-Bendit percole lumineusement, comme le durable phare sociologique qu’il est, fut et reste, depuis quarante ans. Le mouvement vert miroite et se reflète en lui. Les ententes écolo-capitalistes s’esquissent déjà solidement… Tant et tant qu’on pourrait en écrire un nouveau, de pamphlet lénino-cohn-benditien. Il s’intitulerait: La maladie dépressive de l’écologisme: le capitalisme. L’écologisme, c’est de plus en plus patent, n’est plus un monopole à gauche. Alors là, il s’en faut de beaucoup. Dany n’en est pas le champion pour rien… C’est désormais un mouvement adaptatif, à cause circonscrite. Il est solidement installé dans le tiraillement bien tempéré de la hautement compétitive dynamique de promotion cyclique, qui n’est rien d’autre que celle d’un type spécifique de publicité culpabilisatrice. L’écologisme, aujourd’hui mainstream jusqu’au trognon, fonde le fameux paradoxe des éoliennes qui veut que, désormais, le projet de société fondamental, crucial, cardinal consiste à aspirer à remplacer les fournaises au mazout surannées et salissantes de nos grosses cabanes de petits bourgeois par des fournaises alimentées par des éoliennes propres mais panoramiquement laides et susceptibles de causer des malaises électrostatiques encore mal élucidés. La pulsion politique écolo est déjà bien fragilisée, fragmentée et poussive (s’il reste des «verts» anticapitalistes, pas de problème. Dany les déboulonnera en douce. Ta gueule, crétin d’anticapitaliste. Si tu es contre nous, tu es un pollueur, ou mieux, encore plus simple, un minable…). Le mouvement écologiste est atteint d’une maladie dépressive qui le ronge et le dégauchise inexorablement: le capitalisme aux abois, en mal de pérennité et de recyclage (de soi). Qu’on soit fourgueur de la crasse des sables bitumineux ou de l’inquiétante houille blanche d’Éole, il va sans dire qu’on vend son jus en faisant son beurre et qu’on enrichit des groupes privés en baratinant les masses sur les vertus quasi-mystiques et bien auto-sanctifiantes d’une alternative énergétique ou d’une autre. L’axiome marchand ne bouge pas d’un pouce, sous la chambranlante charpente du derrick écolo. L’écologisme n’est pas un anticapitalisme. Ce n’est même pas un programme social effectif, malgré le lot clinquant de ses généralités autoproclamées et les divers grigris de ses affectations doctrinales sur le sociétal, l’immigration, l’impôt, etc… La dépression capitaliste pend donc inexorablement au cou du mouvement écologiste comme une meule fatale tirant ce dernier directement au fond du cloaque fétide. Puis, pour le coup, l’antifataliste et anticonformiste Dany ne se laissant pas bastonner comme ça sans réagir, et l’encrier des Danaïdes ne se vidant jamais vraiment, on pourrait y aller encore d’une quatrième brochure, promotionnelle et crypto-électorale celle là. Converse logique de la précédente, elle s’intitulerait: La nouvelle cocaïne du capitalisme: l’écologisme. C’est bel et bien que le capitalisme en faillite, qui ne cessera vraiment jamais de vouloir nous vendre ce que nous avons envie d’acheter et absolument rien d’autre, gagnera (peut-être…) momentanément une seconde vigueur artificielle, boostée, tétanisé, stimulée par l’écologisme. La nouvelle cocaïne du capitalisme: l’écologisme. C’est une brochure que la grande bourgeoisie industrielle lirait d’ailleurs avec attention. Elle la lit déjà fort scrupuleusement, en fait. Entre Gavroche et Vaclav Havel, Daniel Cohn-Bendit, est un anti-communiste non-primaire, un pro-américain non-atlantiste, un crypto-libéral non-passéiste, que la droite s’amuse de plus en plus à taper sur les cuisse, comme on le ferait avec un solide copain un peu foufou du bon vieux temps, dans le bac à sable de toutes nos collusions. Il est, de facto, un compagnon de route fondamentalement néo-réac, doucement monté en graine et de moins en moins discret. Roublard, charmant, direct, novateur dans les formes communicatives sinon dans le fond programmatique, Dany, et ceux qu’il fait toujours un peu rêver, perpétuent, chantent et re-jouent la chute du mur de Berlin et les différentes «révolutions» oranges et de velours de notre temps. Sa tonitruante virulence anti-chinoise n’est rien d’autre que la version de son Ta gueule, crétin de stal! (Si tu es contre nous, c’est que tu lorgnes vers les immense Marchés chinois en négligeant l’Homme chinois) pour un siècle nouveau, en toute cohérence et systématicité, dans la tradition pure et directe du si superficiel, si auto-sanctifiant et si chaleureux gauchisme non-révolutionnaire de Mai.
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La véritable limite de la production capitaliste

Julius DICKMANN / Septembre 1933 / pp. 108-113. La critique sociale 13 octobre 2012 par raum Selon une conception largement répandue, et que Marx et Engels ont soutenue d’une manière particulièrement catégorique, les forces de production modernes, forces sur lesquelles repose le développement de la société capitaliste, sont capables par elles-mêmes, contrairement aux forces de production de l’antiquité et du moyen âge féodal et corporatif, de s’élargir d’une manière pratiquement illimitée�; et leur croissance ne serait actuellement entravée que par le régime économique établi par la propriété privée des moyens de production. Le capitalisme, qui a développé ces forces productives dans sa période ascendante, serait à présent devenu un obstacle à leur extension progressive ; ou, comme Marx l’a exprimé dans une célèbre formule du Capital : « La véritable limite de la production capitaliste est le capital lui-même… Les limites entre lesquelles peut se mouvoir la reproduction et la mise en valeur du capital, qui repose sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs, ces limites entrent constamment en contradiction avec des méthodes de production, qui… conduisent à un élargissement illimité de la production, au développement   des forces productives du travail collectif. Â» Au premier abord, cette manière de voir semble très persuasive. On pense aux gigantesques sources d’énergie et de matières premières qui gisent encore inutilisées dans de lointaines régions ou même plus près de nous ; on tient compte des merveilles sans cesse renouvelées de la technique ; on admire le génie inventif et créateur de l’humanité, qui est sans aucun doute illimité. Comment peut-on, alors qu’est prouvée d’une manière aussi éclatante la possibilité d’utiliser, à l’échelle mondiale, nos conditions de vie naturelles, se représenter qu’il puisse exister réellement une limite objective assignée par la nature à cette « extension indéfinie Â», limite que nous aurions vraisemblablement atteinte ? Mais si l’on entend dire que tel ou tel plan techniquement réalisable n’est pas exécuté parce qu’il ne paraît pas devoir procurer un profit, on est alors amené tout naturellement à se plaindre du régime établi, c’est-à-dire du capitalisme ; ce serait lui qui ferait obstacle à l’extension illimitée de nos possibilités d’existence, parce qu’il ne se laisse conduire que par l’attrait du profit au lieu d’avoir égard à un intérêt social que l’on ne définit pas d’une manière plus précise… Cette conception, si répandue, si enracinée qu’elle soit, ne peut pourtant résister à un examen plus attentif. D’abord, il faut se rappeler que le profit constitue, comme chacun sait, une partie intégrante de la valeur ; et s’il est exact que la valeur exprime la quantité de travail qui est incorporée à un produit, le fait qu’une entreprise techniquement réalisable ne donne pas de perspectives de profit signifierait que la valeur-travail du produit créée par cette entreprise serait moindre que la somme des valeurs ou des quantités de travail nécessaires à la production. Une telle entreprise doit donc être écartée dans n’importe quel ordre social. On doit considérer chaque entreprise du point de vue de la reproduction sociale ; c’est-à-dire qu’il faut se demander si l’entreprise est capable de restituer sans cesse au moins l’équivalent des éléments du processus de production dont elle est issue ; sans quoi elle prendrait à la société plus de produits qu’elle ne lui en rendrait ! Ainsi ce que l’on considère aujourd’hui comme non profitable serait rejeté sous un régime socialiste comme non productif ; car le produit réalisé par le travail ne constituerait au meilleur des cas que l’équivalent des moyens d’existence représentés par les salaires actuels. La forme de la société ne changerait absolument rien au jugement porté sur l’utilité d’une semblable entreprise [1]. C’est précisément parce que l’on néglige le point de vue de la reproduction que l’on se trompe complètement dans l’appréciation des possibilités de croissance des forces productives. Si l’on annonce, par exemple, une nouvelle invention dans l’industrie textile, invention qui permette de réduire le travail d’un tiers dans cette branche de l’industrie, on est aussitôt porté à estimer la portée économique de cette invention à la mesure de son efficacité technique. Par malheur, on néglige seulement le fait que cette réduction éventuelle du temps de travail dans une branche déterminée de l’industrie serait, au préalable, compensée et plus que compensée, dans l’ensemble de la société, par un accroissement du travail. Car les nouvelles machines sont, en règle générale, plus compliquées et plus vastes que les anciennes ; la production de ces machines exige plus de travail ; elle rend nécessaires en général des investissements nouveaux et plus importants, investissements qui ne sont possibles – dans une économie socialiste aussi bien que dans une économie capitaliste â€“ que si une partie plus grande du travail productif total est soustraite à la production des objets de consommation immédiate. Que la nouvelle invention se répande très rapidement, et cela peut signifier une perte pour la reproduction sociale ; à savoir si la quantité de travail incorporée aux moyens de production des entreprises qui fabriquaient l’ancien outillage, et qui sont devenues sans valeur, dépasse la quantité de travail épargnée à la société par les machines nouvelles pour le temps pendant lequel les vieux investissements et les vieux moyens de production auraient pu être utilisés. Plus on part d’une technique avancée, autrement dit plus les investissements consacrés à la production des machines de l’ancien type sont importants, et plus il faut de temps, bien entendu, avant que le fonctionnement plus économique du nouvel outillage puisse, une fois compensée la perte causée par l’introduction de cet outillage, être considéré comme un gain pour l’ensemble de la production. Et si, dans l’intervalle, on fait une nouvelle invention qui remplace le type de machine nouvellement introduit par un autre encore plus productif, alors la première invention n’arrive même jamais à jouer son rôle en épargnant du travail pour l’ensemble de la société. Le résultat général d’un progrès technique qui procéderait de la sorte, d’un « développement inconditionné des forces productives Â» tel que celui que Marx regrette de voir entravé par le capitalisme, ce résultat peut donc dans certaines conditions signifier une diminution de la reproduction sociale. C’est précisément dans une économie socialiste qu’il faudra accueillir les inventions nouvelles en tenant compte de l’ensemble de la reproduction, et avec bien plus de prudence que dans le système capitaliste, où chaque entrepreneur juge seulement d’après les succès économiques de son entreprise ou de sa branche d’industrie particulière. Ces remarques seront en tous cas bonnes à rafraîchir quelque peu l’enthousiasme que l’on éprouve en général pour le progrès technique. Nous voyons que ce progrès ne signifie pas par lui-même un progrès économique et ne conduit pas nécessairement à une extension de nos possibilités d’existence. Bien au contraire ! Ce qui caractérise le régime capitaliste dans sa phase actuelle, ce n’est en aucune manière les entraves qu’il mettrait, par son existence même, au développement des forces productives ; c’est bien plutôt le fait qu’en élargissant les forces productives d’une manière irréfléchie, sans tenir compte des conditions de leur reproduction permanente, il a effectivement amoindri les conditions d’existence du genre humain. Qu’on évite l’erreur de croire que les entreprises créées, les mines ouvertes dans la dernière période d’essor du capitalisme, dans la campagne manquée pour la rationalisation, pourront subsister malgré la crise dans leur structure matérielle et pourront être, comme il semblerait, entièrement exploitées pourvu que nous en transférions la propriété à une « société Â» ambiguë et établissions un plan qui permette de tout utiliser. Si nous pouvions demain établir une économie socialiste planée, les chefs de cette économie seraient tout aussi incapables que les chefs actuels de l’économie capitaliste de faire fonctionner à plein rendement et de reproduire l’appareil de production démesuré légué par le capitalisme. Nous en apprendrons bientôt la raison. Bien que la thèse des possibilités indéfinies d’extension des forces productives modernes soit surtout due à Marx, c’est aussi Marx, à qui nous sommes, en revanche, redevables de la méthode grâce à laquelle nous pouvons nous libérer de cette erreur et percer à jour l’inconsistance des espérances trompeuses. C’est lui qui nous apprend à ne pas considérer les forces de production en naturalistes, comme un ensemble de sources d’énergie, de matières premières, etc., mais seulement comme des points d’appui matériels pour la coopération productive des groupements humains. Il nous a montré, en outre, que l’accroissement des forces productives conduit à une augmentation continue du capital constant par rapport au capital variable ; ou, pour exprimer abstraitement la chose par rapport à la société, conduit à une participation croissante du travail passé dans le processus de la production, relativement au travail vivant ; et cette utilisation croissante du travail passé exige que l’on renonce dans une proportion croissante à la consommation immédiate des fruits du travail présent. Si nous possédons solidement ces notions, le caractère illimité des ressources naturelles dont nous disposons et de leur utilisation purement technique ne nous fera pas illusion, et nous verrons combien limitée est en fait l’utilisation socialement productive d’une ressource naturelle quelconque. Il faut seulement tirer les conséquences concrètes qui découlent des notions abstraites du marxisme. Considérons la reproduction sociale à trois degrés différents de composition organique du capital, avec des différences correspondantes dans la répartition du produit social. Le taux de la plus-value est d’abord de 100 %, puis s’accroît, tandis que la moitié de la plus-value doit être toujours consacrée à l’accumulation. Nous appellerons taux d’élargissement de la reproduction le rapport de la plus-value nouvellement accumulée à l’ensemble du capital déjà investi, et nous déterminerons ce taux pour chaque degré. On a alors : Premier degré : 20 c + 40 v + 40 pl = 100. On a une accumulation de 20 pl ; le taux d’élargissement de la reproduction est 20/60, c’est-à-dire plus de 33 % ; Deuxième degré : 50 c + 20 v + 30 pl = 100. On a une accumulation de 15 pl ; le taux d’élargissement de la reproduction est 15/70, c’est-à-dire moins de 22 % ; Troisième degré : 70 c + 10 v + 20 pl = 100. On a une accumulation de 10 pl ; le taux d’élargissement de la reproduction est 10/80, c’est-à-dire 12,5 %. Dans l’ensemble, lorsque la composition organique du capital s’élève, lorsque, par suite, la productivité du travail social croît, la source qui doit fournir les moyens d’un développement plus large des forces productives va sans cesse en s’épuisant. La masse de la plus-value, considérée absolument, s’accroît bien, mais elle ne suffit pas à rendre possible un accroissement uniforme du capital. Si l’on suppose que la totalité de la plus-value accumulée soit transformée en capital constant (parce qu’une quantité plus grande de travailleurs pourra, grâce à l’abaissement du coût de la vie, être entretenue avec la même quantité de capital variable), en ce cas l’accumulation permet, dans la première phase, de doubler le capital constant ; dans la seconde, de l’augmenter seulement d’environ un tiers, et dans la troisième seulement d’un septième. Certes, le même processus rendra moins coûteuse la production des éléments du capital constant ; mais l’efficacité des nouvelles inventions propres à économiser le travail ne joue d’abord que par l’intermédiaire du travail vivant, et ce n’est qu’après un long détour qu’elle atteint la reproduction du capital constant ; de sorte que cette efficacité apparaît d’une manière sans cesse plus faible, dans la mesure même où la part du travail vivant dans l’ensemble du produit diminue. Si la production consistait simplement en une dépense de travail vivant, la portée économique de chaque invention propre à économiser du travail, c’est-à-dire l’économie qu’elle permettrait de réaliser au cours de la reproduction sociale, serait exactement égale à la quantité relative de travail épargné. Mais comme, en fait, dans la production, la valeur des moyens nécessaires à la production passe également dans le nouveau produit, autrement dit comme il faut tenir compte du travail passé qui permet la réalisation du produit, la portée économique de chaque invention de ce genre est toujours plus faible que sa portée technique ; et la différence devient sans cesse plus grande à mesure que croît la part relative du capital constant dans la valeur du produit. Afin de rendre cette relation évidente, évaluons l’efficacité d’une innovation technique pour chacun des trois degrés de la composition du capital que nous avons pris en exemple ; nous supposerons toujours que l’innovation technique diminue de moitié le temps de travail, et ne demande en revanche, à chaque fois, qu’un accroissement du capital constant de 10 unités. (C’est là la supposition la plus favorable possible au progrès technique ; car, en réalité, cet accroissement du capital constant devient, lui aussi, relativement de plus en plus important à mesure une la composition organique du capital s’élève). Nous obtenons alors : Premier degré : 30 c + 20 v + 20 pl = 70. L’efficacité économique d’une invention qui économise 50 % du travail se mesure encore, au degré le plus bas, par 30 %. Le produit est devenu meilleur marché au cours de cette phase et cela peut, par la suite, avoir immédiatement un effet considérable sur la production du capital constant ; Deuxième degré : 60 c + 10 v + 15 pl = 85. L’efficacité économique se mesure encore par 15 %, pour la même diminution du travail. L’effet de l’invention sur la reproduction du capital constant sera à présent considérablement plus faible ; Troisième degré : 80 c + 5 v + 10 pl = 95. L’efficacité économique ne se mesure plus que par 5 %, toujours pour la même diminution du travail. Pour la reproduction du capital constant, pour la diminution de la dépense sociale nécessaire au renouvellement de ce capital, l’introduction du nouveau procédé technique demeurera à peu près sans effet. Plus on part d’une haute composition organique du capital et d’une production mécanisée, plus faible est la portée économique d’une invention nouvelle, plus étroite la marge nécessaire à l’introduction et à l’utilisation productive de cette découverte. Après ce premier aperçu préalable, il y a lieu de considérer avec beaucoup de scepticisme la possibilité d’un accroissement continu de la productivité du travail. Car il est clair que le socialisme non plus ne pourrait absolument rien changer à ces réalités. Dans le rapport entre le capital constant et le capital variable s’expriment seulement les relations « Ã©ternelles Â» et indépendantes des formes historiques de l’économie qui existent entre le travail passé et le travail vivant. Si le premier croit régulièrement par rapport au second, il se produit, même dans un système de production socialiste, une diminution correspondante des sources qui permettent le développement de nouvelles forces productives ; et la possibilité d’une réduction de la dépense en travail pour la reproduction des forces productives anciennes diminue de la même manière. Mais le premier tableau de ce développement, tableau que nous venons de présenter, est encore trop optimiste ; car l’on n’a pas encore tenu compte du fait que le capital constant se divise en deux parties différentes, à savoir le capital circulant et le capital fixe. Cette dernière partie du capital n’entre dans le processus de la création de la valeur que par parcelles, à mesure que s’usent ses éléments matériels ; mais dans le processus de production, il faut faire entrer en ligne de compte son volume total ; de sorte que le taux de l’élargissement de la reproduction doit être rapporté à la masse totale du capital qui fonctionne. Comme il est notoire que la masse du capital fixe augmente à pas de géant avec le progrès technique, la courbe du taux d’élargissement de la reproduction descend en réalité bien plus rapidement que notre premier calcul ne le laissait supposer. D’autant plus important est le fait que, face à cette faible croissance, un autre facteur a nécessairement pour effet de diminuer de plus en plus l’étendue de la reproduction. Nous savons que la capacité de production du capital ne dépend pas seulement de sa masse absolue, mais aussi de la durée de la rotation. Une rotation accélérée a le même effet sur la production qu’un accroissement correspondant du capital ; une rotation plus lente au contraire équivaut quant à ses conséquences à une réduction du capital productif. La reproduction ininterrompue à une échelle de plus en plus élevée signifie, étant donné l’accroissement rapide de la partie fixe du capital par rapport à l’ensemble du capital social, un accroissement continuel de la durée moyenne de la rotation, ce qui équivaut, quant aux conséquences, à une diminution de la masse du capital. Cette masse peut bien augmenter absolument parlant grâce à l’accumulation de la plus-value ; mais comme l’accroissement qui vient de cette source devient sans cesse de moins en moins considérable, alors que la capacité de production du capital existant diminue progressivement à cause du ralentissement de la rotation, un moment doit arriver où la diminution de la productivité du capital total l’emportera sur l’accroissement apporté à la masse du capital par l’accumulation. Du conflit entre ces deux tendances résultera alors un rétrécissement de la reproduction sociale. Si l’on considère la disproportion croissante entre l’ampleur du capital en fonction, et surtout de sa partie fixe, et la masse accumulable de plus-value, prise habituellement comme source principale de l’accumulation, on ne pourra que se demander avec étonnement : comment la production capitaliste à ses débuts a-t-elle pu se développer aussi rapidement, presque en progression géométrique ? Voici la réponse : une seconde base existait pour cet élargissement de la production, source bien plus abondante parce qu’accumulée au cours des siècles précédents ; nous voulons parler de la quantité gigantesque de capitaux maintenue, parce qu’indispensable, dans le processus de circulation, avant la grande révolution technique, et libérée par les forces productives modernes à mesure que celles-ci furent utilisées. Ainsi rendus disponibles pour être immobilisés sous forme de capital fixe, ces capitaux permirent tout d’abord une utilisation élargie des nouvelles forces productives, puis, conséquence plus lointaine, une libération encore plus étendue du capital en circulation. Il sembla ainsi que l’extension en spirale de la production capitaliste dût se continuer indéfiniment. À la naissance du capitalisme, le commerce mondial était extrêmement arriéré et la rotation du capital-marchandise durait très longtemps, à cause de la lenteur des transports. Le voyage à la voile d’Angleterre en Amérique du Nord demandait des mois ; un navire qui transportait le coton de Liverpool à Shanghai, avant l’ouverture du canal de Suez, n’était de retour à son port d’attache que quelque deux années plus tard. Dans ces conditions, chaque entreprise devait avoir partout de vastes entrepôts pour y stocker des produits de toutes sortes, afin de pouvoir satisfaire d’une manière régulière sa clientèle lointaine ; d’un autre côté, il lui fallait aussi conserver dans des entrepôts un choix considérable des matières premières et des instruments nécessaires à sa production, afin de pouvoir produire d’une manière ininterrompue. A cela venait s’ajouter la nécessité de payer des salaires qui, absolument parlant, étaient assez élevés à l’époque ; or les salaires constituaient, avant l’âge de la machine, la plus grosse part des frais de l’entreprise et devaient être versés bien des mois à l’avance, pour ne revenir qu’après un long espace de temps entre les mains de l’entrepreneur sous forme d’argent liquide. On peut imaginer ainsi quelles quantités formidables de capital étaient alors engagées dans la circulation ; en comparaison, le capital fixe investi dans un faible outillage et dans de petits ateliers apparaît comme négligeable ; de plus, la durée pendant laquelle ce capital restait en fonction était souvent courte en comparaison de la durée de la rotation du capital circulant. Quand, par la construction des chemins de fer, par l’utilisation des bateaux à vapeur, par le percement du canal de Suez, percement qui vint raccourcir les trajets maritimes vers l’Orient, le trafic mondial eut subi une révolution impossible à prévoir, quand les transports cessèrent de durer de longs mois pour ne prendre que quelques semaines ou quelques jours, alors des masses formidables de capital circulant, accumulées depuis des siècles dans le commerce mondial, furent libérées à un rythme accéléré ; le stockage put être considérablement réduit ; les salaires avancés purent être récupérés à bref délai ; et les conséquences de cette accélération de la rotation furent les mêmes que si la masse absolue du capital social s’était accrue. Ainsi, on eut immédiatement une large base pour l’utilisation des moyens techniques nouvellement inventés, aussi bien dans la production que dans les transports ; et comme ce processus, une fois commencé, allait en s’accélérant, on put réaliser un élargissement considérable de la section de la reproduction qui comporte le renouvellement des moyens de production, sans retrancher sur les capitaux nécessaires au développement de la section des moyens de consommation. Là se trouve l’explication du développement extraordinairement rapide des forces productives sous le régime capitaliste, forces que le capitalisme a pu accroître à ce moment-là d’une manière démesurée sans restreindre la consommation. Si la production grossit à la manière d’une avalanche, ce ne fut donc pas l’œuvre directe des forces productives modernes – car la croissance de ces forces conduit à la diminution de la plus-value accumulable ! â€“ mais les nouvelles forces productives ont cependant rendu indirectement possible l’élargissement rapide de la reproduction ; en effet, dans la mesure où on les utilisait, de larges masses de capital commercial, accumulées bien avant l’apparition de ces forces nouvelles et sans leur participation, furent libérées et mobilisées pour être mises en valeur dans le processus de production ; et de plus la diminution du temps de rotation permit d’utiliser ce capital d’une manière bien plus intense qu’on ne faisait auparavant. Si l’on admet que l’expansion capitaliste et l’augmentation de la productivité reposent sur cette base particulière, on verra tout de suite clairement que cette expansion et cette augmentation ne peuvent se poursuivre indéfiniment, même si on tient les possibilités techniques pour illimitées. Le passage de la diligence au chemin de fer, du bateau à voiles au bateau à vapeur, a abrégé la durée des transports de semaines et même de mois entiers ; une amélioration ultérieure des transports ne peut plus réaliser, après cette première révolution, qu’une économie de quelques jours ou de quelques heures, et cela quand même elle semblerait avoir une très..
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« L’Europe va-t-elle sombrer dans la déflation ? » L’édito de Charles SANNAT

Partagez ! Volti ****** Par Charles Sannat pour Insolentiae Mes chères impertinentes, mes chers impertinents, «�Le spectre de la déflation menace l’Europe Â» c’est le titre de cet article du Figaro qui revient sur les derniers chiffres de l’inflation en Europe, des chiffres qui ne sont pas bons, des chiffres qui sont inquiétants et qui montrent plutôt une inflation négative que […]
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