Source : Judicial Power Project, Richard Ekins
Dans sa cinquième et dernière conférence, Jonathan Sumption conclut ses réflexions sur « le déclin de la politique et la montée du droit pour combler le vide ». La conférence nous encourage à résister aux appels à une constitution écrite, appels qui, selon Sumption, « marquent le point extrême » de « notre habitude persistante de chercher des solutions juridiques à des problèmes qui sont vraiment politiques ». Il défend plutôt les mérites de notre constitution historique et les efforts pour consolider les fondements politiques de notre démocratie.
Sumption fait remarquer qu’une constitution écrite élargirait presque certainement le rôle constitutionnel des juges et que le but de tout projet en ce sens a été de réduire le pouvoir législatif. Il réitère son scepticisme « à l’égard des affirmations selon lesquelles notre système de gouvernement peut être amélioré en y injectant un élément juridique plus large ». Je partage ce scepticisme. Bien sûr, les changements juridiques ne sont pas tous égaux.
Les accords de décentralisation, dont le conférencier fait ensuite l’éloge, impliquent une modification du droit constitutionnel et élargissent la compétence des tribunaux de façon importante, mais ne transforment pas l’équilibre constitutionnel entre les autorités politiques et juridiques. La question essentielle, comme le laisse entendre Sumption, est de savoir si les changements juridiques neutralisent ou diluent le pouvoir législatif et la démocratie parlementaire.
La constitution britannique est centrée sur « la souveraineté du Parlement », dont Sumption dit à juste titre qu’elle « est le fondement de notre démocratie ». Le Parlement est limité non par la loi mais par des conventions, qui « tirent leur force d’un sentiment politique partagé ». Le gouvernement occupe une place centrale au sein du Parlement, qui « n’est pas seulement un organe législatif ou délibératif, mais un instrument de gouvernement ».
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dimanche 30 août 2020
Stopcovid : les trois erreurs qui plombent l’application
Par Rubin Sfadj.
Un article de Telos
Approuvée par l’Assemblée nationale, l’application StopCovid était disponible dès le 2 juin. Mais chaque jour s’alimente la chronique d’un fiasco annoncé, et il y a fort à parier que bien peu de Français, au départ favorables à l’initiative, installeront StopCovid sur leur smartphone — pour autant que l’application fonctionne…
Comment un projet au départ tout à fait louable — armer la stratégie de déconfinement «test and trace » dâ™un bras numérique â” sâ™est-il, en quelques semaines seulement, écrasé en rase campagne alors que tous les feux étaient au vert et que, chez nos voisins, des applications similaires ont été déployées sans difficulté ?
Retour sur les trois erreurs majeures qui plombent StopCovid. Première erreur de Stopcovid : le « design par comité »
Si vous voulez offrir un enterrement de première classe à un projet, confiez son pilotage à un comité suffisamment étendu, et la nature humaine fera le reste. Câ™est la première erreur, en forme de péché originel :
« Officiellement, le gouvernement avance sur un projet piloté par lâ™institut de recherche publique Inria, en lien avec le comité Care nommé par lâ™Ã‰lysée pour faire face à lâ™Ã©pidémie. La Direction interministérielle du numérique (Dinum) et lâ™Agence nationale de sécurité informatique (Anssi) sâ™attellent au codage et à la protection de la future application, parfois en écoutant quelques start-up. Par exemple, Unspread (une émanation de lâ™agence Fabernovel) a fait des propositions sur le design de lâ™application. »
à cette ribambelle dâ™instituts, de comités, de commissions et dâ™agences sâ™ajoutent les inévitables usual suspects chargés dâ™apporter leurs bras et leur expertise au développement de StopCovid : Orange, CapGemini, Dassault Systems, Sopra-Steria et Sia Partners.
Un couple constitué dâ™une seule de ces émanations de lâ™Ã‰tat et dâ™un acteur privé unique aurait sans doute pu « sortir » un projet dâ™application en quelques semaines voire quelques jours.
Mais, pour des raisons quâ™on imagine davantage politiques que techniques, on a préféré embarquer tout le monde, ou presque. Cela fait beaucoup de participants autour de la table pour un projet assez limité et surtout très urgent.
Outre la lenteur quâ™elle induit dans les prises de décision, les risques de cette approche, caricaturée sous le nom de « design par comité », sont bien connus : choix techniques contre-productifs, déresponsabilisation à tous les étages et quasi-impossibilité de changer son fusil dâ™Ã©paule en cas de pépin, façon Titanic à lâ™approche de lâ™iceberg.
Comme on va le voir, sâ™agissant de StopCovid, ils se sont tous réalisés. Deuxième erreur : lâ™entêtement dans un mauvais choix dâ™architecture
Dans une déclaration surprenante, le secrétaire dâ™Ã‰tat chargé du numérique, Cédric O, a révélé la deuxième erreur, celle qui plombe certainement le plus StopCovid :
« Apple aurait pu nous aider à faire en sorte que cela marche encore mieux sur les iPhones. Ils nâ™ont pas souhaité le faire, pour une raison dâ™ailleurs que je ne mâ™explique guère, a commenté le ministre. Quâ™une grande entreprise qui ne sâ™est jamais aussi bien portée en termes économiques nâ™aide pas un gouvernement à lutter contre la crise, il faudra sâ™en souvenir le moment venu. »
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut revenir un instant aux fondamentaux de lâ™informatique. Tout système dâ™information, quâ™il sâ™agisse du réseau informatique dâ™une PME, dâ™une application mobile ou dâ™un traitement massif de données de santé, repose sur ce que lâ™on appelle une architecture.
Ce terme nâ™est pas emprunté par hasard au monde de la construction : comme pour la conception dâ™un édifice, le premier et le plus important des choix à effectuer est celui de lâ™ossature du système.
En matière informatique, deux grands modes dâ™organisation sont envisageables : une architecture centralisée, dans laquelle les données transitent par un serveur central, qui réalise lui-même les traitements ; ou bien une architecture décentralisée, câ™est-à -dire sans serveur central, dans laquelle les données sont directement traitées sur les terminaux des utilisateurs (ici, nos téléphones mobiles).
Chaque type dâ™architecture présente des avantages et des inconvénients. Parce que les données sont stockées sur un serveur « maître », une architecture centralisée permet théoriquement de réaliser des traitements plus riches quâ™une architecture décentralisée.
Mais, pour la même raison, les architectures décentralisées sont considérées comme plus sûres que les architectures centralisées : lorsque les données ne sont pas réunies en un même lieu mais dispersées sur des milliers voire des millions de terminaux, même le plus chevronné des pirates aura du mal à mettre la main sur la base tout entière.
Dans le cas de StopCovid, Cédric O a annoncé que la France privilégierait une architecture centralisée, mieux adaptée selon lui aux finalités du contact tracing et aux impératifs de la souveraineté numérique française.
Ce choix sâ™est rapidement révélé catastrophique : dâ™une part parce quâ™il a placé la France en ultra-minorité parmi ses partenaires européens, écartant ainsi toute perspective dâ™interopérabilité ; dâ™autre part et surtout parce quâ™il ne correspond pas à lâ™option prise par Apple et Google, qui ont joint leurs forces pour fournir gratuitement aux États un kit de contact tracing « clés en main » (une « API » dans le jargon informatique) reposant, pour les raisons de sécurité exposées plus haut, sur une architecture⦠décentralisée.
à ce stade de la compétition, la France aurait pu faire œuvre de pragmatisme, abandonner ses plans centralistes, et rentrer dans le rang européen. StopCovid serait opérationnelle depuis au moins une semaine, et tous les doutes auraient été levés sur son niveau de sécurité.
Mais, peut-être parce que les parties prenantes étaient trop nombreuses et que personne nâ™avait franchement envie de réviser sa copie (cf. première erreur) ; peut-être aussi, et câ™est moins avouable encore, par un soupçon de chauvinisme (cf. troisième erreur, nous y reviendrons), la France sâ™est arcboutée sur sa position, fustigeant Apple (mais pas Google, bizarrement) pour son refus dâ™aménager, pour lâ™Ã‰tat français et lui seul, une voie royale et unique au monde vers le contenu intime des iPhones. Troisième erreur : une communication dâ™un autre temps
Quand bien même StopCovid devait sortir de lâ™ornière, de moins en moins de Français risquent de lâ™installer sur leur mobile. La troisième erreur relève de la communication : « En fait, il nâ™y a même pas de données : personne nâ™aura accès à qui est contaminé, et personne ne sera capable de retracer qui a contaminé qui. »
Deux ans presque jour pour jour après lâ™entrée en vigueur du RGPD, experts et régulateurs débattent encore des qualités et des défauts du fameux règlement européen sur la protection des données personnelles : est-il trop ou pas assez contraignant ? facile ou difficile à interpréter ? bien ou mal adapté aux futurs défis de lâ™intelligence artificielle, etc. Il y a un point, en revanche, sur lequel tous sâ™accordent : le RGPD a consacré la protection des données personnelles comme enjeu de société.
En Europe, aux États-Unis et même en Asie, les piratages de données personnelles, les failles de sécurité ou encore les pratiques peu recommandables de certaines plateformes ne passent plus comme des lettres à la poste. Les citoyens ont pris conscience que leurs données font partie de leur patrimoine, quâ™elles ont une valeur, et ils demandent des garanties quant à leur protection.
De la part de Cédric O, dire « il nâ™y aura même pas de données » est une erreur de communication majeure, non seulement parce que câ™est faux, mais surtout parce que personne, pas seulement les spécialistes, ne peut y croire une seconde.
Bien sûr quâ™il « y aura des données », et câ™est tout à fait normal ; la question est de savoir lesquelles, et comment elles seront protégées. Et là : « On a demandé à des communautés de hackers dâ™attaquer pour tester la robustesse. Personne nâ™a réussi à cracker le système. »
En plus de créer de la défiance, cette stratégie de communication, appliquée ci-dessus par Stéphane Richard, sonne comme un défi lancé à une population qui ne vit que de cela : les pirates informatiques. Ce nâ™est pas la meilleure idée lorsquâ™on a fait le choix dâ™une architecture centralisée et donc plus perméable, par définition, aux piratages.
Conclusion : non seulement les doutes subsistent sur la sécurité des choix techniques opérés et sur lâ™utilisation qui sera faite des données, mais personne nâ™est capable de dire si et comment StopCovid fonctionnera sur nos smartphones. Pas étonnant que de moins en moins de Français envisagent de lâ™utiliserâ¦
Considérée individuellement, chacune de ces trois erreurs â” design par comité, entêtement dans des choix intenables, communication ratée â” sâ™explique, se justifie et aurait même pu être surmontée. Mais prises ensemble, elles ont toutes les chances dâ™expédier StopCovid au cimetière des fiascos technologiques français. Quel gâchis !
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Benjamin Rubin, l’aiguille bifurquée contre la variole – Les Héros du progrès (32)
Par Alexander C. R. Hammond.
Un article de HumanProgress
Voici le trente-deuxième épisode d’une série d’articles intitulée «Les Héros du progrès ». Cette rubrique est une courte présentation des héros qui ont apporté une contribution extraordinaire au bien-être de lâ™humanité.
Notre héros de la semaine est Benjamin Rubin, le microbiologiste américain qui a inventé lâ™aiguille bifurquée. Elle a été déterminante dans la campagne de 1980 de lâ™OMS qui a mené à lâ™Ã©radication complète de la variole, la seule maladie infectieuse à pouvoir sâ™en prévaloir.
Au milieu des années 1970, cette aiguille a permis dâ™administrer plus de 200 millions de vaccins chaque année. On estime que grâce à elle, plus de cent millions de vies ont été sauvées et des centaines de millions de personnes nâ™ont pas contracté la variole.
Benjamin Rubin est né à New York le 27 septembre 1917. Enfant, il était fasciné par la science. En 1934, il sâ™inscrit au City College de New York pour étudier la biochimie. Il décroche son diplôme scientifique en 1937. En 1938, il obtient sa maîtrise en biologie à Virginia Tech.
Après avoir occupé différents postes de laboratoire, il sâ™installe à lâ™université de Yale en 1944 pour y travailler comme assistant de recherche et étudier en vue de son doctorat.
En 1947, lâ™université de Yale lui décerne son doctorat en microbiologie et il commence à travailler dans différents laboratoires et universités. En 1954, il devient professeur en santé publique et médecine préventive à lâ™université Baylor. En 1960, il occupe un poste aux laboratoires Wyeth en Pennsylvanie et câ™est là quâ™il élabore son invention qui allait changer le monde.
Dans les années 1960, la variole tuait plus de deux millions de personnes chaque année. Aucun remède nâ™existant, on ne pouvait pas traiter une personne atteinte de cette maladie. Avant lâ™aiguille bifurquée de Rubin, on utilisait, pour les campagnes de vaccination, un pistolet injecteur spécifique. Mais lâ™entretien de ces appareils était onéreux, il fallait une formation spéciale pour les utiliser et ils manquaient souvent de fiabilité. De ce fait, des centaines de millions de personnes, la plupart vivant dans dans zones pauvres et peu peuplées, restaient vulnérables à la variole.
Il a créé son aiguille bifurquée en modifiant le chas dâ™une aiguille de machine à coudre. Il lâ™a rogné jusquâ™Ã le rendre fourchu, câ™est-à -dire avec deux dents. Ainsi, cette aiguille est une mince tige dâ™acier dâ™environ 6 cm de long avec deux dents à son extrémité. Smallpox vaccine injection-credit James Gathany Content Provider-CDC-Public Domain-Wikipedia
Quand sa partie fourchue est trempée dans un flacon de vaccin antivariolique lyophilisé, câ™est la juste quantité de vaccin qui se retrouve entre les deux dents.
à lâ™aide de cette aiguille la peau du haut du bras du patient sera percée quinze fois dans une petite zone circulaire.
à lâ™inverse du pistolet injecteur, lâ™aiguille de Rubin ne coûtait presque rien, moins de 5 dollars le millier dâ™aiguilles. De plus, une fois stérilisée avec de lâ™eau bouillante ou en la passant sur une flamme, elle pouvait être réutilisée sans fin.
Par ailleurs, il nâ™Ã©tait pas nécessaire de désinfecter au préalable la peau du patient. Et enfin, lâ™aiguille utilisait nettement moins de sérum.
Alors quâ™avec un pistolet injecteur on pouvait faire 25 vaccinations par flacon, lâ™aiguille bifurquée permettait dâ™en faire une centaine. On pouvait également former nâ™importe qui à son utilisation, en quelques minutes à peine, au lieu de faire appel à un soignant spécialement formé.
Tout cela a abouti à une adoption rapide de lâ™aiguille comme alternative économique aux pistolets injecteurs difficiles à utiliser, coûteux et souvent peu fiables.
Elle a été le principal outil de lâ™OMS pour éradiquer la variole lors de la campagne menée de 1966 à 1977. Dans les dernières années, on a estimé que les aiguilles ont servi à administrer plus de 200 millions de vaccins par an.
En 1980, lâ™OMS a déclaré que la variole était vaincue : pour la première fois dans lâ™histoire de lâ™humanité, on avait réussi à éradiquer une maladie mortelle. Le forum économique mondial a estimé que depuis son invention en 1961, cette aiguille avait permis de sauver plus de 130 millions de vies.
En 1984, Rubin devient professeur au Philadelphia College for Osteopathic Medicine. Il prend sa retraite en 1995 après avoir contribué à plus de 150 publications scientifiques au cours de sa carrière.
Durant sa vie, il a reçu à juste titre de nombreuses récompenses académiques. En 1992, il a été intronisé au National Inventors Hall of Fame.
Il meurt le 10 mars 2010, Ã 93 ans.
Grâce en partie aux travaux de Benjamin Rubin, la variole, une maladie qui a hanté lâ™humanité pendant des millénaires a finalement disparu. Pour avoir sauvé les vies de plus de cent millions de personnes et rendu le monde fondamentalement meilleur, Benjamin Rubin mérite bien sa place comme notre trente-deuxième héros du progrès.
Les Héros du progrès, câ™est aussi :
* Willem Kolff, organes artificiels et dialyse
* John Harington invente la chasse dâ™eau
* Alessandro Volta invente la pile électrique
* Lucy Wills contre lâ™anémie macrocytaire
* Kate Sheppard, première suffragette
* Wilhelm Röntgen, les rayons X
* Tu Youyou, lâ™artémisinine contre le palu
* Banting et Best traitent le diabète
* Willis Haviland Carrier invente la climatisation
* Virginia Apgar sauve la vie des nouveau-nés
* Alfred Sommer, la vitamine A
* David Nalin, la réhydratation par voie orale
* Louis Pasteur, père de la microbiologie
* Paul Hermann Müller, les propriétés insecticides du DDT
* Malcom McLean, les conteneurs de transport
* Abel Wolman et Linn Enslow, la purification de lâ™eau
* Pearl Kendrick & Grace Eldering vaccinent contre la coqueluche
* Gutenberg, la diffusion du savoir
* James Watt, la vapeur, moteur du progrès
* Joseph Lister, stérilisation et asepsie
* Maurice Hilleman, des vaccins vitaux
* Françoise Barré-Sinoussi, la découverte du VIH
* Richard Cobden, héros du libre-échange
* William Wilberforce : une vie contre lâ™esclavage
* Ronald Ross : la transmission du paludisme
* Alexander Fleming et la pénicilline
* Jonas Salk et le vaccin contre la polio
* Landsteiner et Lewisohn, lâ™art de la transfusion
* Edward Jenner, pionnier du vaccin contre la variole
* Fritz Haber et Carl Bosch, le rendement des cultures
* Norman Borlaug, père de la révolution verte
â”
Traduction par Joel Sagnes de Heroes of Progress, Pt. 32: Benjamin Rubin Ces articles pourraient vous intéresser: Louis Pasteur, père de la microbiologie ⓠLes Héros du progrès (19) Pearl Kendrick & Grace Eldering vaccinent contre la coqueluche ⓠLes Héros du progrès (15) Maurice Hilleman, des vaccins vitaux ⓠLes Héros du progrès (11) Jonas Salk et le vaccin contre la polio ⓠLes Héros du Progrès (5)
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