jeudi 6 août 2020

Vers une disparition furtive des espèces en France ?

Par Francis Richard. Dans un rapport sur L’accès du public aux espèces – Actualisation de l’état des lieux à fin 2019, daté de juillet de cette année, la Banque de France constate : « À la fin 2019, la France métropolitaine compte 50 316 distributeurs de billets en activité, contre 52 451 un an auparavant, soit une baisse de 4,1 %. » En principe, il n’y a pas de quoi s’alarmer, ne serait-ce que parce que ce n’est pas un phénomène propre à la France. La Banque de France se veut rassurante « Cette actualisation confirme le maintien d’une très bonne accessibilité aux espèces sur le territoire, par le biais du réseau d’automates et des points de distribution d’espèces privatifs (relais commerçants et assimilés, ouverts aux clients d’un seul réseau). » En effet, si le nombre de distributeurs de billets a diminué, le maillage du territoire resterait globalement inchangé : « Près de 99 % de la population métropolitaine réside soit dans une commune équipée d’au moins un automate, soit dans une commune située à moins de quinze minutes en voiture de la commune équipée la plus proche. » Certes, mais les banques françaises encouragent de plus en plus leurs clients à prendre leur carte (bancaire et payante) et à effectuer leurs paiements avec ou sans contact, surtout depuis la crise sanitaire de la Covid-19. Ce n’est cependant pas le vandalisme dont sont l’objet les distributeurs de billets qui motivent les banques pour en diminuer le nombre : « Selon les déclarations des groupes bancaires, [seuls] 79 DAB ont été complètement détruits ou arrachés et 243 très fortement dégradés. » C’est bien la diminution des retraits d’espèces qui permet aux banques persuasives de réduire progressivement le nombre de leurs distributeurs de billets, ce qui ne peut réjouir l’État. L’État français n’aime pas les paiements en espèces Car l’État, en France tout particulièrement, n’aime pas les paiements en espèces pour la simple raison qu’ils échappent à son contrôle, alors que, comme le rappelle Banque Info : « L’administration fiscale a un droit général de communication dans la comptabilité des banques. Le droit de communication permet aux inspecteurs du fisc de consulter dans la banque tous les comptes (relevés de comptes, bordereaux de remise de chèques ou d’effets, copies de chèques) d’un contribuable et des membres de sa famille sur une durée de six ans. Ils peuvent en prendre photocopie.» Les prétextes invoqués pour cette inquisition qui s’opère sans que ledit contribuable soit obligatoirement averti sont la lutte contre la fraude, le blanchiment d’argent ou le grand banditisme. En réalité, c’est une atteinte impure et simple à la sphère privée. Pour réduire les paiements en espèces, l’État les a d’ailleurs réglementés par le passé. Exemples : * le paiement en espèces d’un particulier à un professionnel ou entre professionnels n’est autorisé que jusqu’à 1000 euros ; * le paiement d’un salaire ne peut être effectué en espèces que jusqu’à 1500 euros ; * pour un paiement en espèces entre particuliers, un écrit est nécessaire au-delà de 1500 euros. Mais évidemment, c’est beaucoup mieux si de lui-même le particulier ou le professionnel renonce aux espèces. Ainsi, même s’il n’a rien à se reprocher, l’administration fiscale, avec son droit de communication, pourra-t-elle lui demander de se justifier quel que soit le montant en question et de se souvenir de toutes les dépenses qu’il a faites ou des sommes qu’il a reçues pendant six ans. — Sur le web Ces articles pourraient vous intéresser: La disparition du cash, c’est à terme la disparition de la liberté Pourquoi cette guerre pour le contrôle des monnaies numériques ? Plafonnement des paiements en espèces : les entreprises françaises en péril Pouvez-vous vous fier au bitcoin ?
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Intelligence artificielle : évitons son utilisation politique

Par Gaël Campan et Alexandre Massaux1. Un article de l’Institut économique de Montréal Une technologie n’est pas bonne ou mauvaise en soi, c’est son utilisation qui l’est. L’intelligence artificielle n’échappe pas à cette règle. Elle est un outil prometteur en termes d’aide à la décision en permettant de simplifier le traitement des données et des informations. Toutefois, l’IA est parfois vue comme un moyen de révolutionner le système politique et de promouvoir un monde où la décision pourrait être un produit des algorithmes de l’IA. Cette approche se révèle plus que problématique compte tenu des dérives qu’elle engendrerait. En effet, si nous ne faisons pas attention, l’IA peut être un outil de contrôle et de centralisation très efficace qui, entre des mains mal intentionnées, aurait des effets dévastateurs. Le contrôle des données et des informations�: un nouvel enjeu majeur Les algorithmes sont capables d’identifier les tendances politiques des individus grâce aux regroupements de leurs goûts ou achats sur internet. Comme le mentionne une étude du Future of Humanity Institute de l’université d’Oxford : Une personne qui n’achète que des aliments végans est statistiquement plus susceptible de soutenir les politiques d’égalité des sexes. Un acteur qui dispose de données sur les achats pourrait alors faire une affirmation probabiliste sur l’inclination politique de cette personne. S’il dispose également d’informations indiquant que la personne s’est trouvée à proximité géographique de l’endroit où se trouve des événements politiques, il peut alors déduire avec une forte probabilité que la personne a de telles opinions. Cet exemple démontre que même des données non politiques peuvent être utilisées afin de déterminer le profil politique d’une personne. Dès lors, si l’acteur qui possède ces informations est animé d’intentions politiques, il lui sera facile de détecter ses partisans mais surtout ses adversaires. Et si l’acteur en question est un État, il lui est aisé d’utiliser ces algorithmes pour discriminer et détecter quelle personne est susceptible de lui causer du tort avant même qu’elle agisse. L’étude citée met en avant que cette stratégie permet à un régime de réprimer de manière plus ciblée et discrète : il est possible d’éviter la propagation d’une opposition en l’étouffant avant qu’elle ne prenne de l’ampleur. La tentation de la centralisation doit être repoussée : l’exemple chinois Si cette situation donne l’impression qu’il s’agit d’un scénario d’une Å“uvre de science-fiction ou d’une dystopie, elle existe pourtant déjà en Chine. Le système de crédit social développé par les autorités chinoises offre un exemple de l’utilisation de l’IA à des fins autoritaires. Si l’application de ce système est pour l’instant dirigée au niveau local par les provinces et municipalités, il démontre déjà une situation inquiétante pour les libertés quotidiennes des citoyens. En effet, en fonction du comportement du citoyen chinois, ce dernier gagne (par exemple en donnant son sang) ou perd (en promenant son chien sans laisse à Shanghai) des points de crédit social. Un score faible amène des restrictions comme l’interdiction de voyager en avion. La multiplication de caméras de surveillance et la volonté du gouvernement chinois de centraliser ce système font craindre une accentuation de ce phénomène. Dans ce système, les autorités qui contrôlent ces algorithmes peuvent décider qui est un bon ou un mauvais citoyen à travers des comportements qui ne sont pas illégaux. Un risque de contagion dans les démocraties Enfin, il ne faut pas croire qu’une telle stratégie ne pourrait pas percer à terme dans le monde occidental. Rappelons que la surveillance de masse existe déjà dans nos pays : les révélations d’Edward Snowden en 2013, ont montré que la NSA collecte massivement des données personnelles des citoyens américains et étrangers. De plus, ces derniers mois ont montré une gouvernance très paternaliste. Et des restrictions, qui auraient semblé impensables à mettre en Å“uvre quelques mois avant, ont été mises en place. Le gouvernement chinois a défendu ce modèle de crédit social en le présentant comme un moyen d’assurer la confiance entre les membres de la société et le bien-être du pays. Les grandes causes politiques ou les motifs légitimes sont souvent utilisés comme prétextes pour faire passer des mesures liberticides. Il s’agit dès lors d’être vigilant de toute utilisation de l’IA par un acteur en mesure d’avoir de l’autorité sur les individus. * Gaël Campan et Alexandre Massaux sont respectivement économiste sénior et chercheur à l’Institut économique de Montréal ↩ Ces articles pourraient vous intéresser: Coronavirus : 8 nouvelles technologies qui nous aident à le combattre Armes autonomes : un résumé du débat Drones : la chasse aux robots tueurs est ouverte L’intelligence artificielle va transformer notre gestuelle
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Guerre de 1870 : une défaite inéluctable ?

Par Gérard-Michel Thermeau. Édouard Detaille, La Charge des cuirassiers — cc-by-2.0 Le 6 août 1870, la bataille de Woerth ou de Froeschwiller est restée dans l’histoire de la guerre de 1870, et même dans l’imagerie d’Épinal, avec sa « charge de Reichshoffen ». En fait, il y eut deux charges, dont aucune à Reichshoffen, mais qu’importe. Charge de Woerth sonnait sans doute moins bien. L’image est forte et illustre l’opposition entre des Français courageux mais stupides, on se croirait dans un film hollywoodien, et des Allemands supérieurement organisés et utilisant un armement moderne. C’est beau, c’est simple et c’est faux. La guerre de 1870 ne ressemble guère à l’idée que l’on s’en fait souvent. Une bataille improvisée Tout avait très mal commencé. Le 4 août à Wissembourg, les Français, en infériorité numérique, sont surpris et culbutés. L’armée d’Alsace sous la conduite de Mac-Mahon se rassemble à Froeschwiller le lendemain soir. Les Alsaciens accueillent avec sympathie mais aussi un peu d’inquiétude ces soldats si indisciplinés. Les généraux ne leur inspirent pas plus de confiance. Faute de cartes topographiques de la région, ils se rabattent sur des cartes scolaires ou les plans du cadastre�! Mac-Mahon passe la nuit au château de Reichshoffen prêt à se replier sur les Vosges devant l’avancée de forces allemandes trop puissantes pour ses effectifs. Il apprend au matin que la bataille a commencé. Ni lui ni son adversaire, le Kronprinz, n’ont donné le moindre ordre en ce sens. Les Bavarois ont pris l’initiative d’attaquer les troupes d’Afrique à l’aile gauche française. C’est une suite de combats confus et incertains qui vont se généraliser en bataille d’ensemble. Les charges des cuirassiers français Les Français attendent en vain les renforts demandés. Pour dégager son infanterie, Mac-Mahon lance une brigade de cuirassiers en direction de Morsbronn. Les cavaliers de Michel se font hacher par l’artillerie prussienne. Les survivants sont abattus dans la grande rue du village par des tireurs embusqués. Le Kronprinz, ayant appris le déclenchement d’une grande bataille, engage ses réserves. Vers 15 heures, les Français commencent à fléchir sous les coups de l’artillerie allemande. Mac-Mahon décide la retraite sur Reichshoffen et fait donner une autre brigade de cuirassiers. La charge de Bonnemain, qui s’empêtre dans les vignes et les houblonnières, est aussi inutile que la précédente. L’artillerie s’en donne à cÅ“ur joie sur ces espaces découverts. Un survivant note : « En dix minutes, nous avons perdu quatorze officiers sur trente-cinq, cent vingt hommes et cent quarante chevaux sur cinq cents. Â» À 17 heures, Froeschwiller tombe. C’est la débandade française. Une défaite inéluctable ? Pourtant, les chassepots avaient fait merveille, infligeant de lourdes pertes aux Allemands. Mais le manque de coordination des Français a empêché l’envoi de renforts alors que les réserves allemandes faisaient la différence. Surtout, l’artillerie de campagne judicieusement disposée, a non seulement brisé la cavalerie française mais désorganisé l’infanterie. Le même jour, l’armée de Lorraine subissait une cuisante défaite à Spicheren. Là aussi l’affrontement n’avait été voulu par aucun des commandants en chef. Là aussi, les pertes sont lourdes de part et d’autre. Mais la route de Metz est désormais ouverte au moment où l’armée de Mac-Mahon évacue l’Alsace. Dès le 8 août, le Times titre sur « la victoire prussienne Â». Certes, après coup, il est facile de croire que la victoire « prussienne Â» était inéluctable. Nos ennemis étaient trop nombreux, trop bien équipés et trop bien commandés. Tel est souvent le jugement porté sur la défaite de l’armée impériale. Confusion à tous les niveaux En réalité, les défaites françaises, comme celles de Froeschwiller, ne peuvent s’expliquer aussi simplement. En 1870, nous sommes toujours dans l’univers de la guerre napoléonienne. Des vidéos Youtube nous montrent corps et divisions avec de jolis drapeaux se déplaçant magiquement au gré des conceptions géniales des généraux. Sur le terrain c’est une autre histoire. Il n’y a, de fait, aucune vision globale mais un ensemble de combats isolés. La confusion la plus totale règne à tous les niveaux. L’improvisation est la règle. Les commandants en chef ont beaucoup de mal à imposer leur autorité sur leurs subordonnés. Le cas de Froeschwiller n’a rien d’exceptionnel. Quelques années plus tôt lors de la Guerre civile américaine, la bataille de Gettysburg, tournant décisif du conflit, est déclenchée contre la volonté des deux commandants en chef. Ils n’ont choisi ni le terrain ni le moment de l’affrontement, résultat de l’initiative de subordonnés agressifs. Rien de plus étonnant que le spectacle des armées de la guerre de 1870 errant au hasard à la recherche incertaine de l’adversaire sur un terrain mal connu. La guerre de 1870 et la létalité du feu En revanche, ce qui a radicalement changé depuis le premier Empire, c’est la létalité du feu. Les attaques en masse de l’infanterie n’étaient en rien suicidaires à une époque où la précision du tir et l’efficacité des projectiles étaient toutes relatives. Le choc frontal était d’ailleurs rare, sauf au cinéma, une des deux lignes rompant généralement avant le choc. Il n’en va plus de même dans la guerre de 1870. Le fusil à culasse au canon rayé, le chassepot français, permet un tir précis à distance. On ne tire plus deux à trois coups à la minute mais autour d’une dizaine. On peut également tirer couché ce qui accroit sensiblement l’efficacité du tir. L’artillerie a connu la même évolution : chargement par la culasse et canon rayé. Les canons prussiens ont désormais une portée de 3000 mètres. Au boulet qui se contentait de faucher succède l’obus qui explose au sol. Or, autant le chassepot français est supérieur au fusil prussien, autant les canons Krupp surclassent les canons de l’armée impériale. La cavalerie lourde était désormais condamnée : les charges permettant d’écraser l’infanterie n’étaient plus possibles. L’artillerie était en mesure de les briser à distance. Deux types de généraux dans la guerre de 1870 Si on met l’accent sur les deux charges suicidaires, devenues « la » charge « de Reichshoffen », on parle moins des attaques frontales de l’infanterie allemande brisées pareillement par les Français ce même jour. Dans le corps à corps, le fantassin français, notamment dans les troupes coloniales, est particulièrement redoutable : ainsi l’aile gauche a-t-elle tenu bon à Froeschwiller. Toutes les caractéristiques de l’affrontement jusqu’à Sedan sont présentes en ce 6 août. Le comportement des généraux fait la différence. Pusillanimité et manque d’entente côté français, agressivité et solidarité côté allemand. Les officiers allemands sont d’ailleurs peu soucieux d’économiser la vie de leurs hommes ce qui explique en partie leurs pertes très élevées. Ne voyons pas là une différence de courage personnel. Les généraux français ne sont pas des lâches : en un mois, du début des combats à Sedan, 16 généraux sont tués et 45 blessés. Mac-Mahon blessé à Sedan n’est pas une exception. Ils sont courageux mais incompétents. Avoir les bonnes cartes dans la guerre de 1870 Dans toutes les batailles de la phase impériale de la guerre de 1870, les généraux français vont adopter des dispositifs défensifs. Les généraux allemands, de leur côté, n’hésitent pas à prendre l’initiative de l’attaque, persuadés qu’ils bénéficieront de l’appui de leurs collègues. Les Allemands ont eu beaucoup de chance. Ou plus exactement, ils ont su exploiter toutes les occasions qui se sont présentées. En revanche, les Français ont laissé passer toutes les opportunités offertes par les erreurs et l’excès de confiance de leurs adversaires. Il est vrai que l’armée française manquait aussi cruellement d’un État-major comme l’illustre l’anecdote des cartes introuvables. Les Allemands ont, eux, des cartes et une logistique nettement supérieure pour acheminer matériel, munitions et équipements. Le génie de Moltke a été enfin favorisé par des adversaires prenant des décisions aberrantes. Bazaine, après avoir eu la possibilité de battre ses ennemis, s’enferme dans Metz. Mac-Mahon, obéissant à des ordres ineptes, se lance dans une marche absurde vers Sedan. Nous y reviendrons. À lire : * François Roth, La guerre de 70, Fayard 1990, 774 p. Ces articles pourraient vous intéresser: La guerre de 1870, il y a 150 ans : une guerre oubliée Racisme, esclavage, colonies : et si on revenait à la vérité historique ? 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