jeudi 23 juillet 2020

Bien comprendre le libertarianisme, de Hans-Hermann Hoppe

Par Francis Richard. Bien comprendre le libertarianisme, (Getting Libertarianism Right), est un recueil de quatre discours prononcés en 2017 par Hans-Hermann Hoppe à la Property and Freedom Society, dont il est le président. Dans sa préface, Sean Gabb écrit : « Si Rothbard était le leader intellectuel évident du mouvement libertarien, Hoppe était son successeur manifeste et désigné. » Si on veut bien comprendre le libertarianisme, Hans-Hermann Hoppe, qui se considère comme un libertarien de droite – ou si cela peut paraître plus attrayant, un libertarien réaliste –, est donc la bonne personne pour exposer la théorie de la propriété privée sur lequel il repose. Origine de la propriété Dans un monde sans pénurie, il n’y aurait pas de conflits. Pour les éviter, on cherche donc à établir des normes de conduite concernant les ressources en pénurie. La solution est d’attribuer chacune de ces ressources comme propriété exclusive à un individu déterminé de façon que chacun puisse en disposer comme il l’entend. Que faut-il entendre par propriété privée ? * Chaque personne possède son corps physique qu’elle seule et nul autre ne contrôle directement ; * Les ressources en pénurie ne peuvent être contrôlées qu’indirectement, par appropriation : le contrôle exclusif (la propriété) est acquis et attribué à la personne qui s’est appropriée la ressource en question en premier, ou qui l’a acquise par un échange volontaire (sans conflit) avec son propriétaire précédent. La loi naturelle Les règles fondamentales ci-dessus : la propriété de soi, l’appropriation initiale et le transfert contractuel de propriété permettent d’atteindre l’objectif uniquement humain d’interagir pacifiquement et sont données et simplement découvertes comme telles par l’Homme. C’est en cela qu’elles expriment et explicitent la loi naturelle. Cela ne signifie pas que des litiges ne puissent pas survenir. Pour les résoudre, l’erreur – le péché originel – est d’avoir confié la fonction de juge à un monopole tel que l’État qui n’admet pas d’autres juges que lui, a fortiori quand il est partie prenante. Il en résulte que toute propriété privée ne l’est plus vraiment et qu’elle ne l’est que provisoirement. Car les lois et les réglementations étatiques l’érodent par un processus que Hans-Hermann Hoppe qualifie de décivilisation. L’autre erreur, accélérant ce processus, aura été la transformation de l’État en État démocratique, puisque l’accès libre et sans restriction à l’État permet à chacun de céder à l’envie, ce qui se traduit in fine par�la saisie de la propriété légitime d’autrui et par la corruption. L’égalité humaine Ce qui différencie la droite et la gauche, c’est leur désaccord sur l’égalité : * la droite reconnaît comme un fait l’existence des différences et des diversités humaines ; * la gauche nie l’existence de telles différences ou diversités. Le libertarien serait donc plutôt de droite, sauf qu’il ne reconnaît que les inégalités naturelles, c’est-à-dire résultant de l’observation des règles fondamentales de l’interaction humaine pacifique. La vision égalitaire du monde de la gauche – égaliser la position dans la vie de chacun – est déconnectée de la réalité et en conséquence incompatible avec le libertarianisme. La restitution de biens Si des biens ont été injustement acquis, ils doivent être restitués, c’est le cas de la propriété étatique. Dans les autres cas, c’est au plaignant de prouver qu’il a des titres plus anciens sur un bien que le détenteur actuel. Ceux que Hans-Hermann Hoppe appelle les libertariens de gauche remplacent la propriété privée, les droits de propriété et les violations de droits par la notion confuse de « droits civils Â» et de « violation des droits civils Â», ainsi que des droits individuels par des « droits collectifs Â». Victimes et persécuteurs Cette substitution permet de découvrir toujours de nouvelles victimes et d’identifier leurs persécuteurs : Tout le monde et tous les groupes imaginables sont des victimes, sauf cette petite partie de l’humanité composée d’hommes hétérosexuels blancs (y compris d’Asie du Nord) vivant des vies familiales bourgeoises traditionnelles. Or ces persécuteurs présumés ne sont-ils pas à l’origine du modèle économique d’organisation sociale le plus réussi que le monde ait jamais vu ? Leur soi-disant victimes ne devraient-elles pas leur en savoir gré ? Avec ses lois anti-discrimination, l’État divise pour mieux régner en incitant les victimes à se plaindre de leurs oppresseurs. Immigration et propriété Dans le même esprit anti-discrimination, l’immigration devrait être libre et sans restriction. Or nul n’a le droit de s’installer dans un lieu déjà occupé par quelqu’un d’autre, à moins d’y avoir été invité par l’occupant actuel. Hans-Hermann Hoppe distingue en effet deux cas : * toutes les places sont occupées : toute migration est une migration sur invitation seulement ; * le pays est vierge et la frontière ouverte : le droit à l’immigration libre existe. Pour ce qui concerne la propriété dite publique, l’État devrait agir en tant qu’administrateur de la propriété publique des contribuables-propriétaires, et avoir pour ligne directrice le principe du coût total, c’est-à-dire faire payer à l’immigrant ou au résident qui l’invite le coût total de l’utilisation par l’immigrant de tous les biens ou installations publics pendant sa présence. Hans-Hermann Hoppe distingue alors deux cas de pression migratoire : * elle est faible : les migrants devraient payer pour leur utilisation un prix plus élevé que les résidents-propriétaires qui ont financé la propriété commune et payer un droit d’entrée s’ils veulent devenir résidents ; * elle est élevée : des mesures plus restrictives devraient être prises pour protéger la propriété privée et commune des propriétaires-résidents. Stratégie libertarienne pour le changement social Il faut identifier les ennemis. Ce sont : * les élites dirigeantes ; * les intellectuels, les éducateurs, les « Ã©ducrates Â» ; * les journalistes. Qui sont leurs victimes ? * les contribuables par opposition aux consommateurs d’impôts ; * les persécuteurs présumés et leur institution du noyau familial avec un père, une mère et leurs enfants. Comme il ne faut pas s’attendre à ce que les ennemis ne le soient plus, toute stratégie libertarienne de changement doit être une stratégie populiste : Autrement dit, les libertariens doivent court-circuiter les élites intellectuelles dominantes et s’adresser aux masses directement pour susciter leur indignation et leur mépris des élites dirigeantes. Les dix points d’une stratégie populiste Hans-Hermann Hoppe énonce et développe cette stratégie populiste en dix points : * Faire cesser l’immigration de masse. * Cesser d’attaquer, tuer ou bombarder des gens dans des pays étrangers. * Couper le financement des élites dirigeantes et de leurs chiens de garde intellectuels. * Supprimer la Fed et les banques centrales. * Abolir toutes les lois et réglementations de discrimination de masse et de non-discrimination. * Réprimer la pègre antifasciste. * Réprimer les criminels de rue et les gangs. * Se débarrasser de tous les parasites de l’aide sociale et des fainéants. * Désétatiser l’enseignement. * Ne pas mettre sa confiance dans la politique ni dans les partis. Dans sa préface, Sean Gabb cite ce genre de déclarations de Hans-Hermann Hoppe et dit qu’elles sont controversées au sein du mouvement libertarien. Il ajoute : Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que presque tout le monde dans le mouvement, depuis 2000 environ, s’est défini par ce qu’il pense de Hoppe. Certains le considèrent comme le plus grand libertarien vivant, d’autres comme le diable. Le seul point d’accord est qu’il est un penseur ne pouvant être ignoré. Hans-Hermann Hoppe, Bien comprendre le libertarianisme, 100 pages, Éditions Résurgence, 2020 (traduction par Léa Sentenac, Stéphane Geyres et Daivy Merlijs). — Sur le web Ces articles pourraient vous intéresser: Éloge du libéralisme Démocratie, le dieu qui a échoué : l’impossible État minimal Hayek sur l’État et l’évolution sociale Contre la propriété intellectuelle : un essai éclairant (2)
http://dlvr.it/RcB9T8

Vos infos, news ( et autres ) du 23 juillet 2020

POLITIQUE/SOCIÉTÉ Macron remanie (aussi) son équipe à l’Élysée. En plus des départs de son conseiller spécial Philippe Grangeon et de son conseiller en communication Joseph Zimet, s’ajoutent des changements liés au remaniement. La sémantique de Macron suscite un tollé. En parlant d’«incivilités» à propos de crimes récents dont l’atrocité a ému le pays, il a provoqué la stupeur des forces […]
http://dlvr.it/RcB9T3

L’effondrement des sociétés complexes, de Joseph Tainter

Par Charles Castet. Selon Joseph Tainter, la complexité se juge au degré de différenciation/spécialisation horizontale et à la hiérarchisation verticale et se mesure en termes relatifs à l’époque et à la zone géographique analysée. Cette thèse s’applique aussi bien à l’Empire romain qu’aux Mayas, ou bien aux Anasazis qui vivaient dans le canyon de Chaco. Par extension elle s’appliquerait également aux régimes politiques contemporains. Critique du processus d’effondrement Dans le premier et le second chapitre, Tainter ne donne pas de définition absolue du processus d’effondrement. Il décrit cette chute par un ensemble de symptômes : une diminution de la stratification sociale, une moindre spécialisation économique, un contrôle de l’État de plus en plus lâche, moins des épiphénomènes tels que l’architecture monumentale, la réduction de la taille géographique des territoires contrôlés par des entités politiques. L’auteur critique les précédentes théories de l’effondrement comme trop centrées sur les faits plutôt sur l’analyse de la logique de leur enchaînement. Il présente onze théories qu’il réfute une par une. Sans citer les onze réfutations, en voici trois : — La raréfaction des ressources naturelles� Le problème de cette thèse est qu’elle postule qu’une société complexe peut contempler, par exemple, une déforestation massive sans réaction collective (comme sur l’île de Pâques), sans prendre d’action corrective. Or, les sociétés complexes, dotées de structures administratives ou non-étatiques qui permettent l’expression d’une action collective, sont conçues pour régler des problèmes tels que la diminution des ressources (la phase Hohokam et Civano dans le Sud-Ouest des États-Unis). La dégradation de l’environnement a renforcé la complexité de la société locale.  — Les conflits avec d’autres sociétés complexes  Tainter la réfute car les preuves factuelles sont contradictoires et n’expliquent pas la chute de l’Empire romain, vaincu militairement par des sociétés beaucoup moins complexes ; encore une fois la complexité est une notion relative à l’époque et aux sociétés avoisinantes, il ne s’agit pas d’un absolu. — Les théories mystiques  Tainter voit trois principaux problèmes dans ces théories : l’utilisation d’analogies tirées des cycles biologiques (croissance et déréliction), la dépendance envers les jugements de valeurs, les explications par la référence à des intangibles. En liminaire, les théories mystiques qui sont le mieux exprimées dans les Å“uvres de Toynbee et de Spengler, si elles sont séduisantes d’un point de vue littéraire, n’ont pas de valeur scientifique et empirique. La théorie des rendements décroissants Le principe économique utilisé par Tainter pour sa théorie générale de l’effondrement est celui des rendements décroissants, il écrit que « complexity as a strategy becomes increasingly costly and yields decreasing marginal benefits ». Cet axiome est ensuite dérivé en quatre théorèmes : * Les sociétés humaines sont des organisations servant de cadre à la résolution des problèmes. * Les systèmes socio-politiques ont besoin d’énergie pour leur maintenance. * L’augmentation de la complexité apporte avec elle une augmentation des coûts par habitant, entendus comme coûts de prestations, maintenance. * L’investissement dans la complexité comme moyen de résolution des problèmes finit toujours par atteindre où les rendements sont décroissants. Comment reconnaître le moment où l’on atteint le cas décrit au théorème 4 ?  * L’augmentation de la taille et la spécialisation des bureaucraties. * Le coût cumulatif des solutions pour résoudre les problèmes posés par 1) * L’augmentation du coût du maintien de l’ordre et de la paix sociale. * L’augmentation de la pression fiscale pour payer le 2) ainsi que le 3)  * Agrandissements des investissements de l’autorité centrale dans des activités ayant pour fonction de confirmer la légitimité du gouvernement (travaux publics, santés, pains et cirques) pour combattre l’impopularité due au 4) Tainter discute l’interaction de ces 4 théorèmes à travers plusieurs exemples de sociétés complexes dans des domaines aussi variés que l’agriculture, la santé, l’éducation et le contrôle socio-politique à l’aide de nombreux ensembles de données. Particulièrement troublante est sa théorie des rendements décroissants dans l’éducation : celle-ci ne crée pas de la richesse, c’est en réalité l’inverse.  L’inconvénient de ces ensembles de données (outre qu’ils commencent à être datés) est de manquer de commentaires, ce qui empêche le lecteur de juger de la pertinence de la théorie générale de l’auteur et de la solidité des quatre théorèmes développés.  La preuve par l’exemple Après avoir détaillé sa théorie générale sur certains aspects de la société issue de la révolution industrielle, Tainter décrit l’effondrement de trois sociétés anciennes : l’Empire romain, les Mayas, et la société du canyon de Chacoa situé dans le sud-ouest des États-Unis. À travers ces cas, il fait les observations suivantes : l’augmentation des coûts arrive suffisamment relativement tardivement et précède l’effondrement. Elle est supportée par une population de plus en plus restreinte et déjà affaiblie par des rendements décroissants, et les peuples situés à la périphérie deviennent prédominants suite à l’effondrement des sociétés anciennes et plus complexes. Sous sa forme monarchique, républicaine puis impériale Rome aura vécu plus de mille ans. Cependant le déclin démarre à partir de la mort de Marc-Aurèle et sur une période d’environ 140 années. Comment Tainter décrit ce processus ? Durant ces 140 ans, l’Empire romain a dû faire face à la nécessité de faire fonctionner son organisation par sa propre production, sans compter sur de nouvelles conquêtes qui finançaient jusqu’alors le renforcement de sa complexification (administration, réseau routier). Lorsqu’il n’a pu continuer à financer sa complexification par de nouvelles conquêtes, il a dû augmenter sa pression fiscale pour maintenir le même niveau d’organisation et assurer la sécurité de territoires vastes à complexifier, empêchant ainsi l’émergence de cette nécessaire production intérieure. Plus la pression était forte et l’hétérogénéité de population importante, plus il a dû faire face à des comportements asociaux et à une dégradation du civisme. Pour la compenser, il a dû renforcer son appareil administratif, son armée, augmentant les coûts. C’est une boucle de rétroaction négative. L’effondrement n’est pas un chaos Selon Tainter la rapide expansion de Rome a été facilitée par des boucles de rétroactions positives (conquête => infusion de ressources) qui deviennent par la suite négatives, lorsque le quatrième théorème exposé plus haut commence à s’appliquer. L’organisation devient coercitive et toute puissante. Le transfert de la communauté de proximité au marché, puis du marché à l’État, est une tendance lourde d’une société en voie de complexification. Mais aujourd’hui comme dans le passé les mêmes causes produisent les mêmes effets. Lorsque les charges et taxes augmentent et que l’État, en contrepartie, ne peut plus fournir le même niveau de prestation, l’incivilité augmente aussi et les coûts de fonctionnement de l’État en sont encore augmentés, ce qui rétroagit sur tout le reste (on en revient aux 4 théorèmes) : maîtrise des frontières, lutte contre le crime organisé, délinquance, efforts pour échapper à l’impôt, baisse du niveau de l’enseignement, dégradation des compétences. À partir de l’application de sa théorie des rendements décroissants et de ses implications, Tainter écrit que l’effondrement n’est pas une chute dans un chaos primordial mais un retour à une complexité moindre. Une manière naturelle des sociétés humaines de se débarrasser de complexités injustifiées, « un processus d’économie ». Donc pour ces sociétés tombant sous le poids de leur complexité, l’effondrement peut être la réponse la plus appropriée. Dans les cinq derniers siècles, des grandes puissances sont apparues puis ont disparu mais la civilisation européenne a continué sans interruption. Car l’effondrement se déroule dans une vacance du pouvoir, si les États voisins sont plus ou moins égaux en puissance, mais pas forcément en complexité, à l’État sous pression, celui-ci sera annexé. Le régime changera, mais le système survivra sous une autre forme.  On peut appliquer ce raisonnement aux aspects significatifs des sociales-démocraties occidentales, à savoir la Sécurité sociale, l’État-providence ; contestés sur leurs coûts et leurs principes, mais dont on oublie qu’ils sont voués à être historiquement réversibles. Cette réversibilité serait positive, car leur effondrement pourrait laisser la place à une fragmentation du pouvoir régalien et une dispersion par une dévolution du pouvoir fiscal à des entités beaucoup plus petites auxquelles la société civile peut plus facilement demander des comptes. Joseph Tainter, L’effondrement des sociétés complexes, Le retour aux sources, 2013. Ces articles pourraient vous intéresser: « Le procès du cochon Â» d’Oscar Coop-Phane Vie de Machiavel, de Roberto Ridolfi Un été avec Homère, de Sylvain Tesson Quand le socialisme a asservi le peuple russe
http://dlvr.it/RcB9Ry