vendredi 24 mars 2017

F. ASSELINEAU - Invité du « Grand Oral des Grandes Gueules » sur RMC - 20 mars 2017

F. ASSELINEAU - Invité du « Grand Oral des Grandes Gueules » sur RMC - 20 mars 2017

URL: https://www.crashdebug.fr/actualites-france/13402-f-asselineau-invite-du-grand-oral-des-grandes-gueules-sur-rmc-20-mars-2017

Le “fake journalisme” premier atout de la campagne du FN

Le "fake journalisme" premier atout de la campagne du FN

Comme nous l’avons vu dans le billet d’avant-hier, Les Décodeurs ont inventé une prétendue “Manipulation” de Marine Le Pen sur son graphique sur la production industrielle. Billet qui, en plus, comprenait des erreurs :
decodeurs

Ce qui confirme une chose montrée plusieurs fois ici depuis 2 mois : on constate parfois chez le Décodeurs un réel manque de soin dans le traitement des faits. Et qu’ils sélectionnent leurs faits à fact-checker principalement dans le vivier qui viendra conforter leurs avis et opinions politiques. On ne voit ainsi jamais chez eux une analyse qui montrera que, dans un cas donné, Marine Le Pen ou François Asselineau avaient raison, ou que Rudy Reichtadt avait tort…

Du coup, l’attitude des Décodeurs a été telle que, bien évidement, elle a été très facilement mise en exergue par Marine Le Pen, qui  a ainsi pu montrer à ses électeurs qu’une telle attitude du Monde venait conforter ses analyses sur les médias et les journalistes…

I. La réponse de Marine Le Pen aux Décodeurs

C’est sûr que face à des personnes pareilles, Marine Le Pen joue sur du velours…

Et en effet, elle a soigneusement choisi ses mots, et il n’y a pour moi presque rien à redire sur cette réponse et sa méthodologie.

Dans sa prestation, on pouvait tiquer sur le fait qu’elle avait l’air de tout attribuer à l’euro, ce qui est excessif ; la mondialisation a eu aussi un effet. Mais parler “d’impact significatif” est assez évident.

Bref, “bravo” aux Décodeurs pour avoir ainsi aidé à la campagne de Mme Le Pen…

II. Pour les pas-matheux

Petits rappels, de nouveau. En présentant en base 100, on perd le niveau réel de la production industrielle (la France produit, elle, plus ou moins que l’Allemagne), mais on peut en revanche comparer très justement l’évolution desdites productions (où augmente-t-elle le plus vite ?). L’année de la Base 100 ne change rien au calcul, c’est juste une commodité de présentation, ou bien un zoom qu’on souhaite faire sur une date donnée. Changer d’année revient en gros à “glisser” verticalement des courbes identiques pour le superposer différemment.

Bref, quand on veut comparer l'impact (impact possible, il faut un peu de recul dans l’analyse pour voir s’il y a causalité ou simple corrélation) de l’euro, on doit en effet faire ce graphique en base 2001 :

Si on prend une base 2010, eh bien ça ne change rien à l'analyse, évidement ! (ce sont quasiment les mêmes courbes)

Si ça les amuse, je peux prendre aussi une base 1975 (on passe d’une année à l’autre en multipliant tout par le même chiffre):

Comme il y a trop de courbes, gardons la France et l’Italie, les plus impactées :

Et pour les journalistes, voici la France seule (avec un lissage glissant 3 ans) :

(comme ça semble complexe, je vous ai mis une courbe de tendance polynomiale de degré 6, pour bien représenter la courbe, formule jointe)

Alors autant on peut discuter de la part exacte de l’euro là-dedans, autant ça semble incroyable de refuser le fait que le maximum historique de la production industrielle française ET italienne soit en 2000.

“Post-vérité” qu’ils disaient ?

III. Quand l’Obs manipule vraiment le graphique !

On découvre alors un article de L’Obs-Rue89 sur ce sujet, qui contient de choses très intéressantes. Mais on découvre aussi, hélas, que pour le coup il manipule vraiment le graphique lui ! Le titre de l’article était neutre :

Au prétexte de passer en base 2010 (si ça les amuse…), ils mettent ça :

Et là pour le coup, en coupant l’historique avant 2000, on ne perçoit plus du tout la cassure de l’euro évidement !

Les explications données sont en revanche intéressantes :

mais il précisent bien :

Ben oui : l’Allemagne a entubé ses voisins sans en payer le prix à cause de l’euro…

Après, on a le rêve classique (on pourrait tous êtres gentils ! Et les Allemands pourraient donner de l’argent aux autres…)  :

Tu m'étonnes ! On a vu le progrès de coopération en 18 ans…

IV. Quand Europe 1 déraille

Et alors Europe 1 est parti dans les affabulations, par la plume de la journaliste Amandine Réaux.

Cela faisait suite au passage de Marine Le Pen chez Bourdin qui l’a allumée là-dessus :

 

 

C’est quand même affolant d’en arriver à inventer des trucs pareils !

Ah, un mot sur la journaliste rédactrice, Amandine Réaux (Source) :

On comprend mieux : on a désormais confié notre information à des post-ados de 25 ans, dont 10 % du vocabulaire est constitué des mots : Fake News, Intox, Décodeurs, manipulation, complotisme, fact-checking, post vérité et “bouh on n’aime pas les journalistes”… Et qui se pensent capables de traiter sans problème de n’importe quel sujet sans le connaître.

Alors que, justement, le GROS problème actuel, ce n’est pas les FAKE NEWS, mais les FAKE JOURNALISTS qui ont évidemment perdu la confiance du public ! Et ce n’est pas près de s’arranger, vu qu’ils continuent à faire exactement les mêmes erreurs que leurs confrères américains avant l’élection de Trump…

V. Quand les Décodeurs en remettent une (mauvaise) couche

Bonne nouvelle, les Décodeurs ont corrigé leur article !

Mauvaise nouvelle, ils n’y ont pas corrigé leurs erreurs (comme on l’a vu plusieurs fois) !

On voit qu’ils ont rajouté une phrase, mais ils n’ont pas corrigé le graphique erroné…

Pas plus qu’ils n’ont corrigé leur phrase sur la croissance après 2002…

Et ils se contentent de rajouter fièrement le passage sur les “réformes en profondeur” (ils ont oublié le classique “nécessaires”), alors que, comme Rue89 l’a rappelé, ça a marché entre autres parce que leur monnaie ne s’est pas appréciée… Donc grâce à l’euro…

N.B. au passage, on voit que, quand ça les arrange, les Décodeurs ne trouvent pas que la base 100 est manipulatoire… (Sources ici et )

VI. Et l’euro dans tout ça ?

Ce sujet “euro” est d’une tristesse intellectuelle… Comment n’aurait-il pas eu un sombre impact puisqu’on a coupé le mécanisme automatique d'ajustement de compétitivités entre notre pays et notre voisin plus productif que nous : la dépréciation monétaire ! Je vous remets au passage l’évolution de différentes monnaies face au mark à partir de 1970 :

mark allemand deutsche

Comment imaginer qu’on va tout figer et qu’il n’y aura pas de conséquences ?

Comment peut-on refuser de tenir compte de tant de grands économistes qui disent que ce projet a échoué et qu’il est désormais dangereux ?

Dès 1993, Paul Krugman prévenait dans cet article qui a fait date, que la Monnaie Unique européenne (EMU) en diminuant les coûts de transaction entre pays, allait fatalement conduire à une spécialisation des pays européens sur le modèle des Etat américains (les entreprises se regroupant en cherchant des économies d'échelle n’ayant plus à gérer les risques de change) :

Je cite de nouveau ces analyses prophétiques de 2006 de Milton Friedman (comme quoi, on balaye large…) : ici et ici – il avait compris que l’économie, c'est d’abord de la politique…

On citera aussi ce papier de 2012 tout en clarté de Martin Feldstein sur la distorsion (à la baisse) des taux d'intérêt pour les pays d'Europe du Sud de 2001 à 2008 par la création de l'euro, entraînant ces derniers à développer les activités qui accompagnent très souvent les booms de crédit (non-exportable, immobilier et services) (N.B. : si des pros ont des références de ce type de grands économistes, merci de les indiquer en commentaire)

Ou encore Joseph Stiglitz

L’article précédent de Rue89 dit aussi :

C’est sûr que ça a été génial pour des crises d’endettement, sans fin, et pour des crises de compétitivité sur les salaires au lieu des monnaies… On économise 10 € de change quand on va en Grèce. Mais il a fallu prêter 250 Md€ à la Grèce… Bien joué !

Pour le dernier point, Généreux me semble moins affirmatif, quand je lis la source indiquée dans l’article Rue89 :

 Il parlait de l’euro ou du rapprochement politique ?

Bref, on voit en conclusion qu’on a des journalistes prêts à tout (quitte à nous sacrifier) pour ne pas admettre les lourdes erreurs lors de la création de l’euro, tous les problèmes ayant été minimisés à l’époque par la presse pour faire voter oui à Maastricht.

Ils se servent pour cela de Marine Le Pen, “bien pratique pour ne pas argumenter” comme dirait Amandine Réaux…

Et donc, dans un style si “années Staline”, on sent tous ces “fake journalists” tout à fait prêts, si Marine le Pen disait que l’eau ça mouille, à la fact-checker pour montrer qu’en fait, l’eau est sèche…

URL: http://www.les-crises.fr/le-fake-journalisme-premier-atout-de-la-campagne-du-fn/

Hôpitaux d’Alep : la sale guerre… par Leslie Varenne

Hôpitaux d'Alep : la sale guerre… par Leslie Varenne

Source : Iveris, Leslie Varenne, 17-03-2017

Pendant toute la durée du conflit à Alep, les hôpitaux de cette ville ont été au cœur de « l'information de guerre ». Les médias occidentaux et les ONG ont déploré tant de bombardements sur les structures de santé situées dans les quartiers Est, que cette partie de la ville aurait pu passer pour la zone la plus médicalisée au monde. Tant de nouvelles, fausses ou approximatives, ont été relayées qu'il a été difficile de démêler l'écheveau. Cependant, après la libération d'Alep, grâce à l'aide de médecins Aleppins rencontrés lors de la mission humanitaire à laquelle l'IVERIS a pu participer, il est désormais possible de dénouer les fils [1].

Une colombe de la paix réalisée par une des sœurs de l'hôpital Saint-Louis d'Alep, avec des balles ramassées dans l'établissement.

Dans la partie nommée « Alep Ouest », restée sous contrôle gouvernemental, les deux hôpitaux publics et les nombreuses cliniques privées ont gardé leurs bâtiments en état fonctionnel tout au long de cette période, même si toutes sortes d'engins explosifs sont tombés dans leurs enceintes. Les problèmes majeurs auxquels ces établissements ont été, et sont toujours confrontés, sont liés à la pénurie de médicaments due aux sanctions imposées par l'Union européenne et les Etats-Unis, à l'afflux de patients, au manque d'eau et d'électricité.

Hôpital al-Kindi

L'hôpital al-Kindi a un statut particulier puisqu'il se trouvait au Nord-Est d'Alep, dans une zone temporairement occupée par les djihadistes. C'était le plus grand établissement public de cette ville, il disposait de 800 lits et du plateau technique le plus performant du Moyen-Orient. Il a été entièrement détruit en janvier en 2013 lors d'une attaque au camion suicide, revendiquée par trois groupes djihadistes : Jabha al- Islamiya, al-Nosra et Fair al-Sham Islamiya. Cet attentat a été filmé et posté sur la plateforme Youtube [2].

 

Dans la partie, appelée « Alep Est », contrôlée pendant tout le conflit, de juillet 2012 à décembre 2016, par les divers groupes armés comme : l’ASL, l’Organisation de l'Etat Islamique (EI) et al-Nosra, la situation a été des plus confuses.

Avant-guerre, dans ces quartiers de la ville, il y avait trois hôpitaux publics et sept cliniques privées, nommées également « hôpital ». Les trois établissements publics : ophtalmologique, pédiatrique et Watani ont été occupés par les djihadistes dès le début des combats [3]. Dès lors, ces trois hôpitaux ont cessé de fonctionner. Le premier a été transformé en quartier général d'al-Nosra, le second en prison et le troisième en siège du tribunal islamique. Ces trois établissements étaient situés sur un même campus. Ils ont été détruits partiellement ou totalement par des raids aériens durant le conflit.

Hôpital Sakhour/ M10

Quant aux cliniques privées, leur situation a été rendue inextricable car les ONG, qui les soutenaient, les ont parfois rebaptisées en leur attribuant des noms de code. – Le gouvernement syrien n'a pas accordé aux ONG le droit de travailler sur son territoire. Seule la Croix Rouge internationale (CICR) a obtenu cette autorisation. Les autres organisations humanitaires, comme Médecins sans Frontières (MSF), Médecins du Monde (MDM) ou la Syrian American Medical Society (SAMS) œuvrent donc en territoire occupés par les divers groupes armés. Elles soutiennent les structures de santé en leur prodiguant des médicaments, du matériel, des fonds pour les salaires et du cash. – Ainsi l'hôpital Sakhour a été appelé M10 pendant toute la guerre. Les Syriens, eux-mêmes, ne savaient pas à quelle structure M10 faisait référence et pourtant son histoire a été la plus médiatisée et la plus extravagante. Le 3 octobre 2016, une dépêche AFP annonce sa destruction par des bombardements des armées syrienne et/ou russe [4]. Ce communiqué crée un tsunami médiatique et diplomatique. Dès le lendemain, Washington dénonce les raids contre « le plus grand hôpital d'Alep », et rompt les pourparlers de paix en cours avec Moscou [5]. De son côté, l'ONU évoque « la plus grave catastrophe humanitaire jamais vue en Syrie » [6]. La France condamne les « crimes de guerre » [7]. En réalité, l'hôpital est toujours là ! L'établissement, n'est certes pas en bon état, mais il n'a pas subi de raids aériens. En outre, cette clinique, spécialisée en traumatologie disposait de 31 lits, ce n'était donc pas « le plus grand hôpital d'Alep Est ». Enfin, sans entrer dans un décompte macabre, un mort est toujours un mort de trop, pendant les six années de guerre, les Syriens ont vu des « catastrophes humanitaires plus graves ». La source qui a donné l'information à l'AFP selon laquelle « l’hôpital a été visé directement par des raids aériens » est l'Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une organisation connue pour ses liens avec l'opposition. Ces faits ont ensuite été validés par la Syrian American Medical Society (SAMS), qui soutenait l'Hôpital Sakhour/M10. En décembre 2016, Adham Sahloul, un membre de cette organisation humanitaire levait le secret en déclarant dans un article « M10 était le nom de guerre de l'hôpital Sakhour » [8]. Pierre Le Corf, un Français, installé à Alep depuis plus d'un an, a visité les lieux très récemment. Il a découvert qu’al-Nosra avait établi un de ses sièges dans la ville à quelques mètres de cet établissement, un fait que SAMS ne pouvait pas ignorer. Le jeune homme a tourné une vidéo de cet étrange « campus »  où se cotoient, le groupe terroriste, les célèbres Casques Blancs et cette organisation humanitaire basée aux Etats-Unis [9]. Par ailleurs, ce film confirme l'impressionnant stocks de médicaments dont bénéficiaient ces structures, ce qui laisserait à penser que contrairement à « Alep Ouest », « Alep Est » n'a pas été soumise à l'embargo.

Hôpital Omar bin Abdel Aziz

L'hôpital privé Omar bin Abdel Aziz, soutenu par Médecins du Monde, a, lui, été détruit par les forces syrienne et/ou russe [10]. Il a été endommagé une première fois en juin 2016 par une frappe aérienne visant un immeuble voisin, mais a néanmoins continué à soigner des patients jusqu'en novembre 2016 [11]. A cette date, il a subi d'autres dommages, attaques à l'explosif, bombardements, sur ce point les dépêches divergent. Il a été signalé comme « le dernier » ou « l'un des derniers » hôpital d'Alep. Reste que cet établissement a bien été dévasté.

Hôpital al-Quds

L'histoire de l'hôpital al-Quds, soutenu par Médecins sans Frontières (MSF), a également donné lieu à un véritable embrouillamini. Le 28 avril 2016, MSF publie une dépêche dans laquelle, il signale que « d'après le personnel soignant sur place, l'hôpital a été détruit par au moins un bombardement aérien qui a directement frappé le bâtiment, le réduisant en ruines.» [12] Comme pour M10, ce communiqué déclenche les foudres de l'ONU, de la France, des médias et des autres ONG [13]. Pourtant cet établissement est, lui aussi, encore debout. L'analyse de la photo montre que toutes les fenêtres ont été soufflées et que cette structure de santé, qui disposait de 34 lits, n'est pas en ruine ; par conséquent, elle n'a pas été visée directement par des bombardements mais a subi les dommages collatéraux de frappes aériennes dans la zone. Selon le témoignage d'un des médecins rencontrés pendant la mission, il y aurait eu un dépôt de munitions d'al-Nosra dans un immeuble contigu. Cette information ne paraît pas absurde, car en temps de guerre, il est fréquent que les groupes armés sécurisent leurs matériels stratégiques près des immeubles réputés « intouchables ». Quelques jours plus tard, le plateau technique d'al-Quds a déménagé 500 mètres plus loin et a pu continuer de fonctionner jusqu'à la fin des combats.

C'est ce que confirme MSF qui le 3 mai 2016, soit cinq jours après son premier communiqué, publiait une mise à jour : « Les frappes aériennes ont d’abord touché les bâtiments voisins, puis l'hôpital Al Quds, principale structure pédiatrique de référence de la ville d’Alep, où des blessés avaient commencé à être transférés. – Il faudra au moins deux semaines avant que l’hôpital ne soit en mesure de rouvrir ; les efforts sont portés sur la réparation et la remise en état de ce qui peut l'être.» [14] Avec ces précisions, l'organisation humanitaire admet, d'une certaine manière, qu'al-Quds n'a pas été totalement détruit. Mais, comme toujours en de telles circonstances, c'est la première dépêche qui est reprise en boucle dans les médias et les mises à jour sont passées sous silence. [14]

De gauche à droite, les cliniques de Zarzour, Zahraa, Machhsad, Daqqaq

Les quatre autres cliniques privées, Zarzour, Machhsad, Daqqaq, Zahraa ont pu continuer à travailler pendant tout le conflit, malgré les conditions extrêmement difficiles comme partout dans Alep, que ce soit à l'Ouest ou à l'Est.

Il n'y a donc pas eu de « dernier hôpital à Alep Est » comme la presse l'a si souvent rapporté, et le « plus grand hôpital d'Alep Est » al-Kindi avait déjà été détruit bien avant de faire la Une des journaux. Un seul hôpital a été touché par un bombardement, tous les autres ont subi les dommages collatéraux liés au conflit. Aux horreurs de la guerre urbaine, où les civils payent toujours un lourd tribut, s'est ajoutée une sale guerre de l'information. En dénonçant dans l'urgence médiatique et en s'empressant de prendre des décisions politiques lourdes de conséquences sans avoir vérifié les faits, les Etats et les Nations Unies font preuve d'un aveuglement volontaire. Dès lors, ils font porter aux ONG et aux agences de presse qui diffusent ces informations une responsabilité immense, elles deviennent, de fait, des acteurs du conflit.

 

Leslie Varenne
Directrice de l’IVERIS

[1] L’auteur de ces lignes, s’est rendue à Alep pour accompagner une mission humanitaire composée de quatre chirurgiens en cardiologie : Victor Fallouh, Antoine Salloum, Daniel Roux et le député Gérard Bapt, qui était présent en tant que cardiologue et non en tant que parlementaire.
Voir également la note de voyage publiée au retour de cette mission https://www.iveris.eu/list/notes_de_voyage/249-alep_la_douleur_et_la_honte

[2] https://www.youtube.com/watch?v=oHOCfJP3wAM

[3] Pour être très précis, l'hôpital ophtalmologique a continuer à fonctionner pendant deux mois après l’occupation des groupes armés, avant de servir de QG à d’al-Nosra. Par ailleurs, le Front al-Nosra, filiale d’al-Quaeda, a  changé de nom, il se fait appeller désormais Fatah el Chaam. Pour ne pas prêter à confusion et comme c’était sous cette appellation qu’il a combattu pendant la guerre à Alep, l’IVERIS continue d’utiliser son ancien nom.

[4] http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20161003.AFP8835/syrie-le-plus-grand-hopital-d-alep-est-detruit-par-des-raids.html

[5] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/806673/suspension-pourparlers-etats-unis-russie-syrie-alep-onu-bombardement-hopital

[6] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/806673/suspension-pourparlers-etats-unis-russie-syrie-alep-onu-bombardement-hopital

[7]http://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/jean-marc-ayrault-condamne-fermement-le-bombardement-d-un-hopital-a-alep_1851185.html

[8] http://time.com/4599498/aleppo-hospital-obituary/

[9] https://gaideclin.blogspot.fr/

[10] http://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/syria/events/article/syria-bombing-of-the-omar-bin-abdulaziz-

[11] http://www.la-croix.com/Monde/Un-nouvel-hopital-Syrie-detruit-bombardement-2016-06-15-1300768968

[12] http://www.msf.fr/presse/communiques/syrie-destruction-hopital-al-quds-alep-bombardements-aeriens

[13] https://www.un.org/press/fr/2016/cs12347.doc.htm

[14] En septembre 2016, MSF a publié un rapport sur l’hôpital al-Quds

Source : Iveris, Leslie Varenne, 17-03-2017

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J’en profite pour signaler que j’ai exercé mon Droit de Réponse – comme je le ferai désormais systématiquement – sur l’article des Décodeurs du Monde sur ce sujet :

 

URL: http://www.les-crises.fr/hopitaux-dalep-la-sale-guerre-par-leslie-varenne/

Pays-Bas : la vraie leçon des élections, par Romaric Godin

Pays-Bas : la vraie leçon des élections, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin,  

Mark Rutte, premier ministre néerlandais est en tête mais sa coalition a subi une déroute. (Crédits : MICHAEL KOOREN)

L’extrême-droite n’a pas réalisé de percée notable aux Pays-Bas lors du scrutin législatif de ce 15 mars. En revanche, la coalition sortante est fortement sanctionnée, notamment les Sociaux-démocrates qui perdent les trois quarts de leurs sièges.

La leçon n’était peut-être pas celle que l’on croyait. L’extrême-droite néerlandaise n’a finalement réalisé qu’un score décevant lors des élections des 150 sièges de la Seconde Chambre des Etats-Généraux, la chambre basse du parlement du Royaume, de ce 15 mars 2017. Le Parti pour la Liberté (PVV) de Geert Wilders, allié inconditionnel du Front national français, islamophobe et europhobe, n’obtiendrait, selon les sondages sortis des urnes que 20 sièges et 13,1 % des voix, soit 5 sièges et 3 points de plus qu’en 2012. Une hausse modeste qui ne lui permet pas d’égaler son score de 2010 (15,7 % des voix) et encore moins de lutter pour la première place, occupée par les Libéraux du VVD du premier ministre sortant Mark Rutte, donné à 21,3 % et 33 sièges.

Un PVV sans ressort

Les sondages de ces derniers jours témoignaient clairement d’une baisse notable du PVV qui avait déjà été surestimé en 2012 et en 2014. Pour autant, tous les médias, surtout étrangers, avaient continué à souligner le « risque » d’une « victoire » de l’extrême-droite. Ce risque était d’autant moins probable que, même en tête, le PVV eût été incapable de gouverner compte tenu du « cordon sanitaire » des autres partis et de l’émiettement de l’électorat renforcé par le système de proportionnelle intégrale des Pays-Bas. Le danger du PVV n’était donc pas réel. Mais il a été agité, oubliant à bon compte le fait véritable, avéré ce 15 mars, de ces élections néerlandaises de 2017 : la déroute de la coalition sortante, une des plus orthodoxes de l’histoire néerlandaise sur le plan budgétaire et qui a mené une politique d’austérité qui a coûté très cher à la société néerlandaise.

Coalition sanctionnée

Cette défaite est évidente : le VVD perd cinq points et 8 sièges 5,5 points et les travaillistes sociaux-démocrates du PvdA, le parti du président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem perdent, eux, 19 points, passant de 24,8 % à 5,7 %. Jamais ce parti n’avait été aussi bas dans une élection aux Pays-Bas. Les travaillistes devront se contenter de 9 sièges sur les 38 qu’ils avaient obtenus en 2012. Ce n’est plus une sanction, c’est une gifle. En tout, la coalition sortante perd 24 points, près de la moitié de son score de 2012 ! C’est là le seul fait évident de ce scrutin, beaucoup plus que la montée du PVV. Or, cette déroute trouve évidemment son origine dans le rejet de la politique de la coalition, mitigé dans le cas de la VVD par la position de Mark Rutte qui a profité de la crise avec la Turquie. Mais le fond de la politique de cette coalition peut se résumer en un mot : le retour à l’équilibre budgétaire.

Bilan économique

En se concentrant sur la montée du PVV, on évitait d’évoquer cette réalité.  Ceci donnait lieu à une pseudo « explication culturelle » à la montée des populismes dans « un pays qui se porte bien économiquement ». Mais la réalité est que le peuple néerlandais a rejeté la politique économique de la coalition, qu’il l’a sanctionnée et que, partant, le pays ne se porte pas si « bien » que le laisse croire un taux de croissance gonflé par les réexportations depuis Rotterdam et les effets liés aux avantages fiscaux accordés aux multinationales. Le chômage est revenu à son niveau de 2012, un niveau bien plus élevé que dans la décennie précédente et il a beaucoup augmenté jusqu’en 2014. Le travail à temps partiel atteint des records, les inégalités se sont creusées et le risque de pauvreté a augmenté. Le problème de beaucoup de Néerlandais n’est pas l’Islam ou l’immigration, c’est bien leur niveau de vie. C’est ce qu’ils ont exprimé dans les urnes ce 15 mars.

Déroute social-démocrate

 

Lire la suite sur : La Tribune, Romaric Godin,  

URL: http://www.les-crises.fr/pays-bas-la-vraie-lecon-des-elections-par-romaric-godin/

« Le cycle néolibéral touche à sa fin », entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, par l’Arène nue

« Le cycle néolibéral touche à sa fin », entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, par l'Arène nue

14-03-2017
 

Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économique et essayiste. Il est notamment l’auteur de Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l’économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014) et de Alstom, scandale d’Etat – dernière liquidation de l’industrie française (Fayard, en septembre 2015). ll est membre du Comité Orwell présidé par Natacha Polony.

Dans une vidéo parue sur Xerfi canal, vous expliquez que nous sommes en train de changer de cycle et que le néolibéralisme a atteint ses limites. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Est-ce l’élection de Trump aux États-Unis ? Le Brexit en Europe ?

Oui. Le néolibéralisme est entré dans un processus de reflux, après son apogée que je situe en 2007-2008, avec la grande crise : crise des subprimes aux États-Unis, puis crise des « dettes souveraines » et de l’euro, par ricochet, en Europe.

Ce cycle néolibéral avait commencé le 15 août 1971, avec l’abandon de la convertibilité du dollar en or, autrement dit avec la fin du système de Bretton Woods. Une fin décidée unilatéralement par Nixon alors que les Américains avaient besoin de créer beaucoup de monnaie pour financer tout à la fois la guerre du Vietnam et la guerre des étoiles. En 1971, on bascule donc dans un système de changes flexibles. Dans le même temps, l’école de Chicago [une école de pensée néolibérale dont la figure emblématique est Milton Friedman] entreprend un travail théorique visant à bâtir un corps de doctrine en rupture avec le keynésianisme. Cette école théorise le « trop d'État, trop de syndicats, trop de conglomérats et de monopoles ». Elle plaide pour la dérégulation et la casse du système pour le rendre plus dynamique.

Puis Reagan arrive au pouvoir aux États-Unis (Thatcher l’a précédé en Grande-Bretagne, de la même façon que le Brexit a précédé Trump de quelques mois) pour appliquer ce programme. Il est d’ailleurs amusant de rappeler qu’il se fait élire sur le slogan « Make America great again ». Car à la fin des années 70, l’Amérique est en proie au doute. On se situe juste après le Watergate, l’impeachment de Nixon, la défaite au Vietnam, la prise d’otage à l’ambassade d’Iran. Par ailleurs, c’est l’époque où se posent les premiers problèmes de désindustrialisation. Les États-Unis se heurtent à l’ambition japonaise, tout comme ils se heurtent aujourd’hui à l’offensive chinoise. Pendant la première moitié de la décennie 80, ils organisent donc la contre-offensive. L’affaire se solde par les accords monétaires du Plaza de septembre 1985. Le Japon est mis à genoux et obligé de réévaluer sa monnaie de 100 % en un an. Au passage, l’Allemagne doit réévaluer elle aussi.

Vous voulez dire en somme que le début de la présidence Reagan correspondait à l’entrée dans un cycle, comme celui dans la présidence Trump signale qu’on est en train d’en sortir ?

Oui. Avec des différences mais avec des similitudes également. A l’époque – c’est une différence -Reagan commence par casser les monopoles : dans les télécoms, dans le transport aérien, etc. Puis il dérégule, libéralise progressivement les mouvements de capitaux. Enfin, il se tourne vers les Européens et leur demande de procéder de même, au nom de la réciprocité. Mais par ailleurs – ça, ce sont plutôt des similitudes – Reagan donne un coup de pouce fiscal aux entreprises d’une part, et entreprend de gros travaux d’infrastructure d’autre part. Sur ce, au début des années 90, le communisme s’effondre.

C’est une nouvelle étape du cycle…

Tout à fait. Une étape décisive. On considère que le système américain a gagné, puisqu’il est le seul à subsister. Il a gagné parce qu'il a produit plus de richesses en Occident et les a mieux redistribuées que le communisme. Puisqu'il a gagné on va donc appliquer ses règles – libre échange, privatisations, dérégulation, démocratie à l'occidentale –  aux quatre coins du monde. Et l’on se met à théoriser la globalisation.

Politiquement, les États-Unis entrent dans l’ère Clinton. C’est un tournant. Alors que les Républicains étaient l’un sans être l’autre, pour la première fois arrivent aux commandes, avec les Démocrates, des gens qui sont à la fois très néolibéraux en économie et très « diversitaires » sur le plan culturel. Dès lors, on voit monter en puissance la glorification des minorités et la sacralisation des différences.

Au non d’une certaine idée de « l’ouverture » ?

Et au nom de l’idée que puisqu’on a gagné, c’est qu’on a le meilleur modèle. Qu’il n’y a pas de prospérité possible sans l’application de ce modèle. C’est ce que les Américains vont tenter d’expliquer aux Chinois et aux Russes.

Concernant les Russes, on envisage avant tout d’en faire des fournisseurs de matières premières. Mais d’abord on les punit en démantelant l’édifice dont ils sont le pivot. La Russie passe à 140 millions alors que l’URSS en comptait 300 millions. Et Brzezinski – l’auteur très écouté du « Grand échiquier » et qui a longuement plaidé pour une séparation irrémédiable de la Russie et de l’Ukraine – voulait aller plus loin encore.

Quant à la Chine, elle est perçue comme un eldorado où les multinationales américaines vont pouvoir massivement délocaliser, dans l’espoir de s’emparer à terme du marché chinois. Les États-Unis envisagent d’installer toute l’industrie en Chine et de se spécialiser sur la finance, les services, la Défense, l’entertainment (Hollywood, les produits culturels…). Il est également prévu que l’on compense le déficit commercial ainsi généré grâce aux excédents  sur les services les revenus des brevets, des capitaux, et les  achats de dette américaine par les pays qui accumulent les excédents commerciaux. Lawrence Summers (économiste et secrétaire au Trésor de Bill Clinton en 1999-2001) a d’ailleurs théorisé la chose en expliquant qu’il fallait délocaliser toute l’industrie polluante dans les pays émergents, et ne conserver sur le sol américain que les activités « nobles » et de conception.

Mais aujourd'hui, on change de cap…

A vrai dire, c’est Obama qui aurait dû opérer ce virage. Il a été élu précisément pour cela. Lors de la primaire démocrate, il avait été choisi contre Clinton, à la surprise générale. Sachant que les Clinton incarnent à eux deux tout le processus de déréglementation économique (suppression du Glass Stiegel act qui séparait les banques de dépôt et celles d’investissement, par exemple), le vote Obama représentait déjà une tentative de sortir de ce piège.

Le problème c’est qu’Obama a énormément déçu. Il voulait agir, pourtant. Mais il a capitulé devant tous les lobbies et le  bilan de son Obamacare est très mitigé. En revanche il a sauvé General Motors et mené à bien une révolution énergétique qui a permis au pays de devenir autosuffisant dans le but de diminuer le déficit de la balance commerciale. Ça, ce n’est pas rien.

Revenons sur Trump. Que peut-il faire à présent ?

Trump a une obsession, c’est le déficit de la balance des comptes courants. Et il a raison. Lorsqu’on regarde les chiffres de ce déficit, on s’aperçoit que rien n’a changé sous Obama. Les avantages tirés de la politique énergétique volontariste sont effacés. L’an dernier, le déficit commercial s’est élevé à 750 milliards de dollars. Certes, avec 250 milliards de bénéfices sur les services et la finance, le déficit des comptes courants n’est « que » de 500 milliards. Mais cela fait dix ans que ça dure ! C’est colossal ! Car bien sûr, tout cela se traduit par de l’endettement. Sous Obama, la dette publique a doublé. Elle est passé de 10 000 à 20 000 milliards de dollars. Quant à la dette privée, celle des entreprises et des ménages, elle repart actuellement à la hausse. L’épargne est négative aux États-Unis.

Ce que Trump veut, c’est combler ces déficits colossaux. Il s’est donc fixé pour objectif de récupérer de l’industrie manufacturière et de la matière fiscale. C’est aussi la raison pour laquelle il s’est empressé de cibler les pays ayant des excédents sur l’Amérique. Ces pays sont la Chine, l’Allemagne, le Mexique et le Japon. Le tout dernier est une pièce maîtresse du dispositif géostratégique américain dans le Pacifique, donc il est relativement épargné. Mais les trois autres sont pilonnés par l’administration Trump.

D’où l’idée invraisemblable du mur à la frontière mexicaine, par exemple ?

Oui, cette annonce est très symbolique. Mon hypothèse est que Trump a fait le choix, parce que c’est dans son tempérament et parce qu’il a constaté l'échec d’Obama, de « casser la baraque », y compris en se montrant très provocateur. Il part du principe qu’avec l’establishment, la manière douce est inopérante. Donc il y va au chalumeau. Par exemple, il brutalise les journalistes et se passe des médias : il twitte. Et c’est loin d’être sans effet ! Regardez les grandes entreprises. Ce qui compte, pour elles, c’est évidemment leur valeur boursière. Et si le Président fait un tweet expliquant que Ford est un mauvais Américain parce qu’il veut délocaliser 1000 emplois, immédiatement, l’action chute en bourse.

La contrepartie c’est que Trump s’est constitué un pool d’ennemis irréductibles qui feront tout pour se débarrasser de lui. Parmi ceux-ci figurent les agences de renseignement, qui sont nombreuses et emploient plus de 800 000 personnes. Depuis le 11 septembre 2001, elles ont pris une importance considérable et constituent un véritable État dans l'État. Parmi les ennemis de Trump figure également l’administration, tout aussi jalouse de ses prérogatives qu’elle peut l’être en France. Vient ensuite l’establishment médiatique, qu’il n’a pas flatté dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire. Autres ennemis enfin, les « GAFA » (les géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon). Ils fascinaient Obama, qui leur a tout passé, n’a rien su réguler, n’est jamais parvenu à leur faire rapatrier les profits accumulés à l’étranger. Trump, lui, les a ignorés. Il a gagné l’élection en faisant sciemment l’impasse sur les côte Est et Ouest, et en ne faisant quasiment campagne que dans les dix swing states. Dans ces swing states, il a par ailleurs utilisé pour sa campagne un logiciel fabriqué par une entreprise appartenant à Peter Thiel, le seul magnat de la Silicon  Valley à l’avoir soutenu et aujourd’hui son conseiller technologique. Cet outil permet un ciblage marketing extrêmement fin qui a permis aux organisateurs de la campagne d’identifier les électeurs qui, dans les États concernés, étaient capables de faire pencher la balance en faveur du candidat. C’est sur ceux-ci qu’on a fait porter l’effort maximal.

Mais Trump a été élu dans des conditions improbables, à l’arrachée. S’il n’a en plus que des ennemis, avec qui peut-il gouverner  ?

Avec la moitié des Américains tout de même, c’est-à-dire avec ceux qui l’ont élu ! Trump a également de son côté une bonne partie des syndicats, notamment ceux du transport routier, du secteur pétrolier, du BTP. Forcément, avec 1 300 milliards d’investissements annoncés dans les infrastructures…

Il a aussi quelques banquiers… et c’est paradoxal. Vouloir acter la fin du cycle néolibéral en s’entourant d’anciens de chez Goldman Sachs… on a le droit d’être dubitatif ? 

On a le droit. Mais je pense surtout que Trump a compris qu’on ne pouvait pas avoir trop d’ennemis en même temps. Donc il ménage Wall Street. Il n’y a qu’à voir la bourse américaine, qui était supposée souffrir et qui bat en réalité record sur record. En plus, c’est habile. Parce que les GAFA, qui sont souvent surcotées en bourse, ont davantage besoin de Wall Street que l’inverse. Si l’on se fâche avec les unes, il est important de ménager l’autre.

Une partie du patronat, enfin, soutient Trump. Certains patrons ont bien compris qu’un changement de cycle était déjà amorcé. Le principal signe en est que le commerce mondial progresse désormais moins vite que le PIB mondial… alors même que celui-ci augmente moins vite. Depuis deux ou trois ans, les grandes entreprises, sans aller jusqu’à relocaliser, commencent à réorganiser leur chaîne de valeur. Les investissements ont déjà commencé à être réorientés avant l’accession de Trump à la présidence. La difficulté à ce stade, c’est que ces choses-là ne s’opèrent pas en un claquement de doigts. Une décision d’investissement relocalisé peut demander des années d’étude et de travail. A noter également : les créations d’usine relocalisées aux États-Unis poussent très loin la robotisation, et ne créent pas forcément tant d’emplois que cela. C’est d’ailleurs là le vrai sujet du nouveau cycle économique qui s’ouvre, et pas seulement aux États-Unis : où crée-t-on de l’emploi ?

Le problème est d’autant plus saillant que personne n’a vraiment anticipé le changement de cycle. Tout le monde – jusqu’à Pascal Lamy – est d’accord pour dire que la globalisation a été trop loin. Et qu’il faut instaurer des régulations et des freins. Quelles régulations toutefois ? Et quels freins ?….

Sommes-nous entrés dans une phase de démondialisation ?

Tout à fait. Ou de reterritorialisation, même si ses modalités restent à définir. La notion de « frontière » est en cours de réhabilitation…..

Et l’Europe dans tout ça ? Trump n’a de cesse de vilipender les gros pays créanciers, c’est-à-dire la Chine et l’Allemagne. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l’Allemagne, donc sur l’Europe ?

N’allons pas trop vite. Le principal problème pour lui est la Chine, non l’Allemagne. Les États-Unis restent très dépendants de Pékin. Et même si Trump a été très offensif au début en appelant la Présidente de Taïwan – c’était peut-être une gaffe d’ailleurs – il a tout de même fait une fleur substantielle aux Chinois en renonçant au TTP (le traité de libre-échange trans-Pacifique) qui était explicitement dirigé contre eux.

Vient ensuite la question de la mer de Chine. Les Chinois considèrent que c’est leur mer intérieure et que les Américains n’ont rien à y faire. Inversement, les Américains refusent depuis toujours l’idée qu’une puissance du Pacifique possède une flotte capable de venir frôler leurs côtes. A vrai dire, ils se considèrent comme une île et pour eux – comme pour les Anglais autrefois – le contrôle des mers est essentiel. Dès lors, lorsque les Chinois affichent, comme c’est le cas, une volonté de constituer une flotte de guerre avec des porte-avions, il s’agit pour les États-Unis d’un casus belli. En somme, il y a sans doute, entre les deux puissances, un compromis à négocier. Il pourrait consister à laisser intégralement la main aux Chinois en mer de Chine, et à leur demander, en contrepartie, un strict respect de la doctrine Monroe (« l’Amérique aux Américains ») énoncée au début du XIX° siècle mais toujours prégnante.

Est-ce que ce « donnant-donnant » pourrait valoir aussi avec les Russes ? 

La Russie, pour les Américains, n’est pas un enjeu de même ampleur que la Chine. La Russie est une vraie puissance militaire. C’est d’ailleurs là une brillante réussite de Poutine, qui a redonné de la fierté à son pays en utilisant l’armée et avec peu de moyens. En revanche, sur le plan économique, la Russie n’existe pas. Son PIB c’est celui de l’Espagne, guère plus. Elle est poursuivie par cette malédiction des pays pétroliers qui vivent de la rente et ne parviennent pas à accéder au stade suivant du développement économique.

Donc au bout du compte, si Trump veut normaliser les relations entre les États-Unis et la Russie, c’est parce qu’il n’y a pas spécialement de danger de ce côté-là…

Non, la Russie n’est en aucune façon un créancier des États-Unis. De plus, les Américains n’ont aucun intérêt à ce que se forme une alliance trop étroite entre la Russie et la Chine.

Et pour en revenir à l’Allemagne ?

Que veut l’Allemagne ?… C’est une question à laquelle je serais bien en peine de répondre à ce stade. Attendons déjà de voir si le prochain chancelier sera Merkel ou Schulz. Le SPD, en effet, est traditionnellement bien plus pro-russe que la CDU. Il suffit de se rappeler l’époque Schröder, et la manière dont l’axe Paris-Berlin-Moscou s’est opposé à Bush au moment où il lançait sa guerre en Irak.

Peut-on recréer cet axe ? Pour moi, le véritable enjeu de l’Europe est celui-ci. Soit l’Allemagne joue le jeu de « l’Europe européenne », pour reprendre une expression gaullienne, et normalise à cette fin sa relation avec Moscou. Soit elle demeure atlantiste et refuse d’envisager la dimension stratégique de son rapport au monde. Elle restera alors le pays exclusivement mercantiliste qu’elle est actuellement, soucieuse uniquement de se tailler la part du lion dans le commerce mondial en usant et abusant à cette fin d’une monnaie qui l’arrange, l’euro. Mais il n’est pas certain que la construction européenne puisse survivre longtemps à la seconde option.

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