mardi 12 juillet 2016

Barroso rejoint Goldman Sachs : encore une mauvaise nouvelle pour l’Europe, par Romaric Godin

Barroso rejoint Goldman Sachs : encore une mauvaise nouvelle pour l'Europe, par Romaric Godin

Un grand succès dans la lutte contre le travail au noir !  🙂

Dire qu’après ça, certains ne comprennent toujours pas la vraie nature de l’UE…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 08/07/2016

José Manuel Barroso rejoint Goldman Sachs comme président non exécutif. (Crédits : Reuters)

José Manuel Barroso rejoint Goldman Sachs comme président non exécutif. (Crédits : Reuters)

L’ancien président de la Commission européenne aidera la banque d'affaires américaine à gérer l’après-Brexit. Un transfert qui envoie un message négatif de plus au débit de l’UE.

Les « portes tournantes » continuent de tourner. L’ancien président de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Durão Barroso, a été recruté par la banque d’affaires étatsunienne Goldman Sachs pour l’aider à gérer les conséquences de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne après le référendum du 23 juin dernier. Il sera ainsi nommé président non exécutif de Goldman Sachs International (GSI) à Londres et, de surcroît, il aura le titre de « conseiller ».

Aider Goldman Sachs à gérer le Brexit

Selon le Financial Times, José Manuel Barroso entend « faire ce qu’il peut pour adoucir les effets négatifs du Brexit ». Les banques d’affaires américaines ont naturellement choisi Londres comme base d’opération pour leurs activités européennes. Mais si le Royaume-Uni perd son accès au marché unique européen, il leur faudra ouvrir de nouvelles filiales dans un pays de l’Espace économique européen. Quel pourrait alors être le rôle de l’ancien président de la Commission ?  Aura-t-il pour charge de faire du lobbying auprès des négociateurs européens qu’il connaît fort bien pour sauvegarder cet accès de la finance londonienne au marché unique (le fameux « passeport » européen) ? Cherchera-t-il à négocier des avantages avec un éventuel « point de chute » ? Pour le moment, il va déménager à Londres et croit que « Londres restera un centre financier mondial très important », indique-t-il au FT.

“José Manuel va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs, et notamment une profonde compréhension de l’Europe. Nous sommes impatients de travailler avec lui alors que nous continuons à aider nos clients à évoluer au sein d’un contexte économique et de marché incertain et délicat”, ont déclaré Michael Sherwood et Richard Gnodde, codirecteurs généraux de Goldman Sachs International.

Le problème de l’indépendance

Évidemment, ce « transfert » pose une question centrale : celle de l’indépendance. Les liens entre Goldman Sachs et d’autres grandes banques et de nombreux fonctionnaires européens ou nationaux posent de véritables problèmes, notamment dans la gestion de la crise financière. Le cas le plus souvent cité est celui de Mario Draghi. L’actuel président de la BCE depuis 2011 a été vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs de 2002 à 2005. Or, Goldman Sachs n’est pas une banque comme les autres. C’est elle qui a aidé le gouvernement grec à détourner la méthode de calcul du déficit public par des produits de « swaps » qui permettaient de reporter à plus tard une partie de ce déficit. Grâce à ce tour de passe-passe, la Grèce était entrée dans la zone euro en 2002. Ce mécanisme avait été utilisé, du reste, par l’Italie, en 1997 pour rejoindre l’union monétaire à une époque où le directeur général du trésor transalpin était un certain… Mario Draghi.

Le comportement de José Manuel Barroso durant la crise

Et pour José Manuel Barroso ? Cette nomination n’est pas neutre. En tant que président de la Commission, cet homme a été un des responsables des erreurs de gestion des années 2010-2013. Partisan d’une austérité forte et d’un ajustement féroce, il a participé à la troïka dans tous les pays touchés par la crise, de la Grèce à l’Irlande. Or, le principe de ces « sauvetages » a été de sauvegarder les intérêts des créanciers des États, principalement les banques. José Manuel Barroso a notamment participé aux pressions contre l’Irlande pour empêcher le gouvernement de ce pays de réduire le fardeau porté par sa populations en faisant participer les créanciers des banques irlandaises. L’ancien président de la Commission, qui n’a jamais vraiment eu à répondre de ces choix devant le parlement européen, a donc géré au mieux les intérêts du secteur financier dans une crise causée à l’origine par des produits vendus à la Grèce par Goldman Sachs qu’il rejoint à présent.

Un combattant contre la « mauvaise finance » ?

Certes, dans son interview au Financial Times, l’ancien premier ministre portugais, chef de file lors de la Révolution des œillets en 1974 du Mouvement révolutionnaire du prolétariat portugais (MRPP, maoïste) avant de rejoindre en 1980 le parti social-démocrate (PSD) de centre-droit, se présente comme celui qui a entamé un « effort global de régulation et de supervision » de la finance. Mais son bilan, de ce point de vue, reste contestable. Le projet Barnier de séparation bancaire, assez timide, a été abandonné. L’union bancaire n’a pas été conclue sous la direction de José Manuel Barroso et montre déjà ses limites en Italie ces derniers jours. Surtout, les lendemains du Brexit montrent clairement que le risque d’une crise financière n’est pas écarté. Qu’une banque aussi fragile que Deutsche Bank puisse continuer à menacer comme une épée de Damoclès sur l’Europe prouve aussi que les efforts de l’ancien président de la Commission ont été pour le moins insuffisant.

Effet désastreux pour l’UE

En réalité, les déclarations de José Manuel Barroso, qui se dit « très impressionné par l’engagement de Goldman Sachs pour les niveaux les plus élevés en termes d’éthique » et par la « culture d’intégrité et de responsabilité » de l’entreprise, sonnent comme les reflets un cynisme parfait. De tels engagements ne peuvent manquer de soulever des questions quant à l’action présente des dirigeants européens. Voir un ancien chef de l’exécutif de l’Union européenne chercher à aider une banque à gérer au mieux le Brexit ne peut manquer de soulever des questions sur l’engagement quant à l’intérêt général européen des dirigeants de l’UE. A l’heure où le successeur de José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker est très contesté et où l’UE peine à tirer les leçons du vote britannique, cette nomination est particulièrement mal venue et pourrait avoir un effet désastreux.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 08/07/2016

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Et voici la saine réaction de Jean Quatremer à ce 14 478e scandale de l’UE, mais évidemment, qui n’est dû pour lui qu’à une personne, pas à la structure…

Jean Quatremer : “Mon billet sur le scandaleux recrutement de José Manuel Durao Barroso par Goldman Sachs est ici. Un cri de colère à l'égard de quelqu'un qui a fait plus de mal à l'Union européenne que personne avant lui. Et il continue.”

Pour ne rien arranger, la réaction de la Commission à cette affaire est désespérante de nullité et montre à quel point certains fonctionnaires sont coupés du monde réel: «Les anciens commissaires ont évidemment le droit de poursuivre leur carrière professionnelle ou politique», a déclaré à l'AFP un porte-parole de la Commission. «C'est légitime que des personnes dotées d'une grande expérience et de qualifications continuent à jouer des rôles de premier plan dans le secteur public ou privé.» Ben voyons. L'éthique, ça leur dit encore quelque chose?

barroso

Barroso chez Goldman Sachs, un bras d’honneur à l’Europe, par Jean Quatremer

L’ancien président de la Commission qui a gravement affaibli l'Europe communautaire et ses institutions se recycle dans une des banques d'affaires les plus controversées de son époque.

José Manuel Durao Barroso chez Goldman Sachs. La nouvelle est tombée vendredi : celui qui a été pendant dix ans, de 2004 à 2014, président de la Commission européenne, va rejoindre le siège londonien de la banque d'affaires – comme président «non exécutif» et conseiller – afin de l'aider à limiter les effets négatifs du «Brexit». Une fin de carrière qui n'a rien d'étonnant quand on connaît l'homme, mais qui n'en reste pas moins choquante, GS étant l'une des banques les plus impliquées dans la crise des subprimes qui a débouché sur la crise financière de 2007, et dans la crise grecque, ayant aidé à dissimuler l'étendue de son déficit avant de spéculer, en 2009-2010, contre la dette grecque dont elle connaissait évidemment l'insoutenabilité… C'est, au pire moment, un symbole désastreux pour l'Union et une aubaine pour les europhobes, un président de Commission étant censé incarner, bien au-delà de son mandat, les valeurs européennes qui ne sont justement pas celles de la finance débridée qu'incarne Goldman Sachs : tous les anciens présidents de Commission, qui bénéficient d'une pension confortable censée les préserver de toute tentation, ont, jusque-là, su éviter un tel mélange des genres.

À lire sur Libération

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Barroso : un silence assourdissant, par Daniel Schneidermann

Barroso peut remercier l’Euro. “Pluie de critiques”, titre Le Monde, après le pantouflage de l’ancien président de la commission européenne chez Goldman Sachs, la banque qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes, avant de spéculer contre la dette grecque. Une pluie, vraiment ? Disons une bruine, un crachin. Un seul ministre français a exprimé sa réprobation (le secrétaire d’Etat au commerce extérieur Matthias Fekl). Dans la “pluie”, on remarque aussi les eurodéputés socialistes français, qui avaient voté contre la reconduction de Barroso et, cohérents, protestent aujourd’hui contre son pantouflage.

Et, s’agissant des responsables politiques, c’est tout. Pas un seul chef de parti. Pas un ministre important. Pas un chef d’Etat européen. Pas un mot de son successeur Juncker. Pour ne pas parler du président ou du premier ministre français, fort occupés, c’est vrai, à faire les agents d’ambiance dans les fanzones. Pas un seul, pour prononcer simplement ces mots : dans les négociations à venir sur le Brexit, et quand Barroso nous appellera pour défendre les intérêts de sa banque, puisque c’est le motif assumé de son embauche, nous ignorerons Barroso. Nous ne le prendrons pas au téléphone. Barroso n’existe plus.

A l’inverse, écoutons les révoltés, les dégoûtés, les furieux. Que disent-ils ? La colère des europhiles est dirigée exclusivement…contre Barroso, que n’ont “jamais étouffé la morale et les convictions”, tonne Jean Quatremer, furieux de ce mauvais coup porté aux “valeurs européennes qui ne sont justement pas celles de la finance débridée qu’incarne Goldman Sachs”. Qu’on se le dise : le Méchant majuscule, c’est Barroso, qui prostitue “les valeurs européennes”, lesquelles, telles qu’incarnées dans les institutions, doivent rester immaculées, au-dessus de tout soupçon.

Tout de même, amis europhiles qui exprimez une sincère colère, avez-vous entendu ce silence assourdissant ? Ne vous dit-il vraiment rien ? Si ce pantouflage ne gêne en rien les silencieux, c’est qu’il est implicitement considéré dans l’ordre des choses. Dans le système mental intime des silencieux, la commission européenne et Goldman Sachs appartiennent à une même entité multiforme, obéissent à une même logique, servent les mêmes intérêts. Rien de choquant, sinon pour la galerie, à ce que l’on passe de l’une à l’autre. Ainsi semblent-ils étrangement partager les constructions mentales complotistes europhobes, en même temps qu’ils les nourrissent, et les confirment. Barroso n’est rien. Seule existe la construction politico-technocratique qui l’a sélectionné, produit, nommé et qui, encore aujourd’hui, le couvre de son silence.

Source : @si

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Ben du coup :

electrochoc

C’est fait, un bon électrochoc à 200 000 volt, ça va régler le problème…

P.S. vous noterez la manipulation du type, qui pose avec un Airbus à la main, entreprise créée en 1966, réussite des pays européens – et dont les règles de l’UE interdiraient aujourd’hui l’existence (essayez de créer une entreprise concurrentielle avec des subsides publics maintenant…)

Banques : les Français abonnés au découvert...

Banques : les Français abonnés au découvert...

Petit rappel qui peut être utile, vous pouvez être 29 jours sur 30 en découvert, du moment que pendant cette période votre compte est positif pendant au moins 24/48h la banque ne vous embettras pas, eh oui toujours le miracle de l'argent dette...

Les comptes dans le rouge sont une bonne affaire pour les banques. (LP/JEAN-BAPTISTE QUENTIN)

FAIT DU JOUR. Selon le comparateur en ligne Panorabanques.com, près de sept Français sur dix souhaitent une autorisation de découvert. Les banques se frottent les mains.

Tous accros au découvert ! C'est ce qui ressort d'une étude du comparateur de banques en ligne Panorabanques.com que notre journal dévoile en exclusivité. Selon cette enquête*, pas moins de 68 % des personnes interrogées — y compris les plus aisées — souhaitent disposer d'une autorisation de découvert, c'est-à-dire de la possibilité de se servir de son compte même s'il n'y a pas assez d'argent dessus pour régler les paiements en cours ou à venir. Mieux, 42 % des sondés souhaitent une telle permission de leur banque quand bien même ils ne sont jamais en situation de découvert. Des chiffres en droite ligne avec ceux de la Banque de France qui, à la fin du premier trimestre 2016, estimait à 7,6 Mds€ l'encours des découverts, le record — 7,65 Mds€ — ayant été atteint à l'été 2015. Des sommets jamais vus depuis 1993.
 
A l'inverse, le recours au fameux crédit renouvelable (réutilisable au fur et à mesure du remboursement afin de financer des achats non prévus) est de moins en moins prononcé. Bref, le découvert semble être perçu comme la solution numéro un pour faire face à un imprévu. Les problèmes de trésorerie passagers sont d'ailleurs la première raison invoquée dans l'étude de Panorabanques.com par les sondés : un tiers d'entre eux disposent d'un découvert autorisé jusqu'à 500 €.

Un coût de 59,80€ par an et par client sans compter les agios

Le second motif mis en avant est tout bêtement la mauvaise gestion de leur compte. Près de la moitié des personnes interrogées admettent ne pas prévenir leur banque quand elles sont dans le rouge. Pas étonnant que le coût soit de plus en plus important : 59,80 EUR par an et par client en moyenne rien qu'en commissions d'intervention (en cas de découvert non autorisé, sans compter les taux d'intérêt, de 10 % en moyenne). Une sacrée bonne affaire pour les banques, qui se rémunèrent grassement.
 
* Réalisée en mai et avril 2016 auprès de 69 336 personnes âgées de 18 à 50 ans et complétée par un sondage en ligne mené en juin auprès d'un échantillon représentatif de 737 personnes.

 

Source(s) : Le Parisien.fr via la Revue de presse de notre Contributeur anonyme

Informations complémentaires :

 

Le « ras-le-bol fiscal » toujours bien présent

Le « ras-le-bol fiscal » toujours bien présent

Depuis des années, on a beau passer des dizaines de fois les mêmes vidéos, les mêmes liens, pointer les mêmes faits, les Français(es) ne veulent toujours rien comprendre. Les deux points névralgiques ce sont l’arnaque de la dette (voir vidéo ci-dessous) et l’évasion fiscale, et leur point commun c’est l’EUROPE, si vous n’êtes pas capable de comprendre cela… Eh bien..., payez…

Il faudra beaucoup de force de conviction à François Hollande pour persuader les Français que leurs impôts baissent. Alors que le gouvernement prépare pour le Budget 2017 une quatrième mesure d'allègement de l'impôt sur le revenu, 3 Français sur 4 pensent que leurs impôts ont augmenté au cours des 12 dernier mois, d'après un sondage Elabe pour « Les Echos », « Radio classique » et « l'Institut Montaigne ». Le sentiment de « ras-le-bol fiscal » ne s'est donc pas estompé depuis l'été 2013, lorsque l'expression avait été maladroitement lâchée par Pierre Moscovici. A l'époque, les sondages montraient que plus de 70 % des Français trouvaient leurs impôts trop élevés. « Les Français avaient les nerfs à vif. Ce sentiment reste très fort aujourd'hui, même si on en parle moins », constate Yves-Marie Cann, directeur des études politiques chez Elabe.

Manque de visibilité

Il faut dire que les baisses d'impôts sur le revenu votées par le gouvernement ne sont pas assez massives pour compenser les hausses des années précédentes. La part des prélèvements obligatoires des particuliers dans le PIB a continué d'augmenter, d'après les calculs de la rapporteure du Budget, Valérie Rabault (PS). D'autres taxes ont en effet pesé sur le budget des ménages, en particulier la fiscalité locale et la fiscalité écologique dont le poids a augmenté de 40  % en dix ans. « La difficulté vient du manque de lisibilité de la politique fiscale. Les baisses d'impôts sur le revenu votées par l'exécutif peuvent être annulées par des hausses de taxes votées à l'échelon local », souligne Yves-Marie Cann. Sans compter que quelques couacs sont venus brouiller le message de « pause fiscale » du gouvernement. L'épisode des retraités modestes, soudainement assujettis à la taxe d'habitation à cause de l'extinction de la demi-part des veuves, a sans doute laissé des traces. L'exaspération d'une majorité de Français trouve aussi son explication dans le fait que les baisses d'impôts n'ont pas nécessairement concerné ceux pour qui ils avaient le plus augmenté. Les allégements ont eu lieu à chaque fois au niveau du seuil d'imposition alors que les trois quarts des hausses d'impôts ont été supportées par les 10 % les plus aisés.

Jugement sans appel

Cela dit, le « ras-le-bol fiscal » reste répandu aussi bien chez les ouvriers que les classes moyennes et supérieures, et presque autant chez les partisans de droite et de gauche. Leur jugement sur la politique fiscale du gouvernement est sans appel : 83  % des sondés pensent qu'elle n'est efficace ni pour relancer la compétitivité des entreprises, ni pour réduire les déficits. Les Français sont 84 % à penser que cette politique n'est pas conforme aux engagements de François Hollande, tandis que 86 % trouvent qu'elle n'est pas juste.

Source : Les Echos.fr

Informations complémentaires :

 

 

 

Entraide Vidéo Propagande anti-Brexit

Entraide Vidéo Propagande anti-Brexit

Bonjour

J’aimerais que soit créée cet été une longue vidéo documentaire sur le traitement du Brexit par nos médias.

Pour cela, il faudrait donc :

  • des personnes ayant du temps et un esprit critique pour analyser des vidéos à la recherche des moments piquants ;
  • un ou des monteurs vidéos avec du bon matériel ;
  • une personne capable de créer des infographies animées ;
  • une personne avec une belle voix pour la voix-off.

 

Le tout en étant réellement motivé par cet important projet, et ayant un peu de temps à y consacrer…

Me contacter ici – merci d’avance

Olivier Berruyer

Pourquoi la fermeté de Bruxelles contre l’Espagne et le Portugal est une erreur majeure, par Romaric Godin

Pourquoi la fermeté de Bruxelles contre l'Espagne et le Portugal est une erreur majeure, par Romaric Godin

Ils sont for-mi-da-bles !

Des génies de la politique…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 07/07/2016

La Commission européenne entame des procédures de sanctions contre le Portugal et l'Espagne. (Crédits : Reuters)

La Commission européenne entame des procédures de sanctions contre le Portugal et l’Espagne. (Crédits : Reuters)

La Commission européenne a lancé la procédure de sanctions contre la politique budgétaire de l’Espagne et du Portugal. Une décision prise sous la menace de l’Allemagne qui est lourde de risques pour l’UE et la zone euro.

Que cette décision fut difficile à prendre ! Prévu mardi 5 juillet, l’avis de la Commission européenne sur la trajectoire budgétaire de l’Espagne et du Portugal a finalement été publié deux jours plus tard. Preuve des tourments incroyables qu’a dû endurer l’exécutif européen pris entre le marteau et l’enclume. Le marteau, c’est l’Allemagne qui, depuis plusieurs jours n’hésite plus à faire passer le message de son agacement vis-à-vis d’une Commission jugée trop laxiste et qui, par son ministre des Finances Wolfgang Schäuble n’hésite plus à proposer de « court-circuiter » Bruxelles pour imposer le « respect des règles ». L’enclume, c’est le risque de contraindre le Portugal et l’Espagne à effectuer un nouveau tour de vis budgétaire alors même que, après le Brexit, l’heure est au renouveau du risque financier et économique et que l’on évoque un « renouvellement » de l’intégration européenne avec plus de solidarité.

En route vers les sanctions

Pendant deux jours, les informations les plus contradictoires ont circulé. La presse portugaise assurait que Bruxelles se montrerait magnanime, la presse espagnole parlait de l’ouverture d’une procédure de sanctions. Là encore, c’est le reflet de discussions très intenses et sans doute tendues entre les partisans de la « ligne ferme » et ceux du pragmatisme. Mais entre le réalisme économique et sa propre survie en tant qu’institution, la Commission a finalement choisi la deuxième option. Pour apaiser Berlin et les pays du nord, elle a opté pour la fermeté, estimant que le Portugal et l’Espagne n’avaient pas pris suffisamment de mesures pour corriger leur trajectoire budgétaire.

Cette décision est essentielle : elle est le premier pas pour entamer des sanctions contre les deux pays qui peuvent s’élever jusqu’à 0,2 % du PIB. Certes, il n’est pas question dans l’immédiat de sanctions. Le conseil des ministres des Finances (Ecofin) doit confirmer l’appréciation de la Commission pour lancer officiellement la procédure. Il sera ensuite demandé ensuite de “nouveaux efforts” aux pays. Mais in fine, dans le cadre des directives Two-Pack et Six-Pack, la Commission peut demander des sanctions et il faudra une « majorité inversée » pour bloquer cette décision, autrement dit, il faudra que deux tiers des voix pondérés du conseil européen contre les sanctions pour qu’elles soient abandonnées. Surtout, c’est bien un message envoyé à Madrid et Lisbonne : corrigez vos trajectoires ou vous serez sanctionnés. C’est donc bien une invitation à l’austérité.

Ceux qui, en mai, lorsque la Commission avait reporté sa décision de deux mois, après les élections espagnoles du 26 juin, avaient proclamé la « mort du pacte de stabilité et de croissance » se sont donc trompés. Bruxelles vient confirmer bel et bien que la zone euro dispose d’une politique économique fondée sur l’austérité et l’obéissance aveugle à des règles « métaphysiques » prises hors de toute réalité économique concrète. Cette obéissance aux règles est une des structures fondatrices de la pensée ordo-libérale allemande qui a enregistré ce 7 juillet une victoire importante.

Urgence à frapper ?

Certes, fin 2015, les déficits portugais et espagnols étaient respectivement à 4,4 % et 5,1 % du PIB, soit au-dessus des 3 % du PIB autorisés, mais il faut rappeler que la zone euro lutte à la fois contre une croissance et une inflation faible et que son déficit public cumulé est de 2,4 % du PIB, alors qu’elle affiche un excédent courant de 3 % du PIB. Il n’y a donc pas de problème « global » de déficit : les « déviations » portugaises et espagnoles ne mettent pas en danger la stabilité de la zone euro. Elles interviennent alors que ces deux pays ont été les victimes de violentes politiques d’austérité qui les ont entraînés dans des récessions importantes. Au final, l’ajustement unilatéral des finances publiques n’a pas permis de réduire les déficits et la dette. C’est une stratégie qui a échoué. Et dans laquelle la Commission s’entête. Sa décision de ce 7 juillet pourrait cependant être une erreur lourde de conséquence, à plus d’un titre.

Réponse inadaptée

D’abord, parce qu’elle place les deux pays dans des situations économiques difficiles. L’Espagne a certes connu depuis 2013 une croissance vigoureuse, mais cette dernière s’explique en grande partie par la fin de l’austérité et la baisse du prix de l’énergie. Le cycle de cette dernière est quasiment terminé. Si le pays doit se lancer dans un ajustement budgétaire de grande ampleur comme le veut la Commission, la croissance pourrait s’en ressentir très fortement. Au Portugal, l’austérité n’a guère permis de faire revenir une croissance forte, elle est restée inférieure à 2 % depuis 2013. Les deux pays ont vu l’émigration accélérer, les inégalités exploser et ont des taux d’inflation très bas. La cure que propose la Commission ne saurait soigner ces maux causés en grande partie par la même médication. Elle menace d’affaiblir la croissance et d’augmenter encore la dette et les déficits.

Rajouter du risque déflationniste au risque déflationniste

Du reste, en frappant fort sur les budgets espagnols et portugais, la Commission envoie un message au reste de la zone euro : le respect des règles est la seule « aiguille dans sa boussole ». Elle tire donc clairement en sens inverse de la BCE. Sans doute, une telle rigueur aurait un sens si elle s’accompagnait d’une solidarité européenne réelle permettant de soutenir l’activité de ces deux pays. Mais comme cette solidarité est réduite au fantomatique plan Juncker, l’effet risque d’être très négatif : la Commission exige en effet une politique déflationniste quand la BCE tente de raviver l’inflation à coup de centaines de milliards d’euros. Bruxelles fait donc tout pour isoler encore davantage la banque centrale et rendre sa politique inopérante.

On aurait pu imaginer que la Commission prenne acte du refus de Berlin de faire jouer ses marges de manœuvre budgétaires en laissant les pays en déficit aller leur train compte tenu des taux d’inflation faibles qui compliquent leurs tâches. Mais non, la Commission continue de ne penser qu’en termes d’ajustement unilatéral. Dès lors, ce ne sont pas seulement les Portugais ou les Espagnols qui sont visés : Français, Italiens ou Belges doivent s’attendre aussi à un tour de vis. La conséquence de cette décision est donc d’encourager les agents économiques à la prudence et à l’épargne. Exactement ce qu’il ne faut pas encourager alors que les tensions renaissent à la suite du Brexit. Pierre Moscovici, le Commissaire aux Affaires économiques, peut prétendre qu’il applique des “règles intelligentes”, cette décision est une ineptie économique dans la situation actuelle.

Risque pour le Portugal

D’autant qu’elle pose un grave danger sur le Portugal, en particulier. La dette de ce pays n’est maintenue dans l’assouplissement quantitatif (« QE ») de la BCE, son programme de rachat de titres publics, que par le fait que l’agence de notation canadienne DBRS lui attribue encore une note « d’investissement ». Avec cette décision de la Commission, l’agence sera sous pression pour abaisser la note portugaise. Or, si elle le fait, le Portugal sera immédiatement exclu du QE. Le taux de sa dette risque d’exploser. D’autant plus en ces temps de « fuite vers la qualité ». Le QE de la BCE agit comme une sorte d’assurance pour les investisseurs. Vient-il à disparaître, le Portugal risque de devoir faire face à une crise de la dette. Il devra alors accepter un nouveau « programme d’ajustement » pour bénéficier soit du QE avec une dérogation, soit du programme OMT de rachats illimités d’une dette souveraine par la BCE. Le pays risque alors de s’enfoncer dans une nouvelle récession. La décision de la Commission est grave parce qu’en pleine tourmente post-Brexit, elle prend le risque d’une nouvelle crise financière.

Décision politique

Le gouvernement portugais, dirigée par le PS avec l’appui de deux partis de gauche radicale, ne saurait survivre à une telle crise. Le président de la république conservateur ne manquera pas l’occasion de dissoudre l’assemblée pour ramener la droite au pouvoir. La décision de la Commission, imposée par Berlin, est éminemment politique, mais elle est fort dangereuse, car elle peut alimenter le courant eurosceptique. Le Bloc de Gauche et le Parti Communiste portugais ne manqueront pas alors de faire campagne contre l’UE. Ils auront d’autant plus d’arguments que, ce 7 juillet, la Commission a sanctionné l’action du gouvernement conservateur précédent sans laisser aucune chance à l’actuel gouvernement, en place depuis fin novembre 2015…

En Espagne, la Commission impose au prochain gouvernement des coupes dans les dépenses alors même que le PP de Mariano Rajoy peine à construire une coalition et que, lui-même a promis de ne pas avoir recours à de nouvelles baisses de dépenses, promettant même des baisses d’impôts. Avec cette décision, Mariano Rajoy risque d’avoir encore plus de mal à construire une majorité : qui acceptera de gouverner pour rétablir l’austérité ? De plus, ces mesures risquent de frapper de plein fouet les communautés autonomes (régions) espagnoles, dont la Catalogne. Ce sera une raison de plus pour les Indépendantistes de cette région, qui se déchirent précisément sur la question budgétaire, de retrouver leur unité contre un Etat espagnol qui sape les bases de l’Etat-providence. Politiquement, la décision de la Commission est aussi absurde qu’économiquement.

Réponse inadaptée au Brexit

Elle l’est d’autant plus qu’elle semble devoir fermer la discussion sur l’avenir de la zone euro après la terrible gifle du vote britannique sur le Brexit. Deux jours après ce vote, les ministres français et allemands des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier avaient proposé d’en finir avec les « ajustements unilatéraux », les jugeant « politiquement dangereux ». La leçon n’a pas été retenue par la Commission qui cherche clairement désormais à ressembler à cette « instance indépendante » chargée d’appliquer les règles sans aucune autre considération dont rêve Wolfgang Schäuble. En suivant cette voie, Bruxelles aura bien du mal, demain, de venir prétendre défendre davantage de solidarité au sein de la zone euro. La proposition Ayrault/Steinmeier semble déjà morte et enterrée. Pas besoin d’attendre le sommet de Bratislava du mois de septembre pour le savoir : il n’y aura pas de « saut qualitatif » de la zone euro avec plus de solidarité.

Ce 7 juillet 2016 marque la victoire de Wolfgang Schäuble dans la zone euro. Les règles sont certes respectées, mais ceux qui croient que ce respect sauvera la zone euro pourraient bien faire erreur. Car les déficits ne sont que le reflet des déséquilibres internes à la zone euro. Refuser de régler ces déséquilibres, de voir l’impact de l’inflation faible sur les comptes publics, de prendre en compte les effets désastreux de l’inflation passée sur le capital productif des pays touchés et de comprendre que la zone euro ne peut survivre avec un excédent courant allemand de 8 % du PIB, c’est refuser de vouloir vraiment « réformer » la zone euro. C’est s’aveugler sur une doctrine qui a fait la preuve de ses échecs. C’est pourtant le comportement de la Commission. La réponse au Brexit sera donc faible et inadaptée. Les Eurosceptiques de tous poils peuvent se frotter les mains : l’incapacité de réforme de l’UE a, aujourd’hui, été prouvée avec éclat.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 07/07/2016

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Ben ils ont confirmé !

ue-derapages

On parle encore d'euro, de Portugal et d' Espagne mais cette fois, il n'est pas question de football. Les deux pays de la péninsule ibérique vont être déclarés mardi en dérapage budgétaire, une situation inédite. « Les membres de la zone euro vont soutenir la recommandation de la Commission européenne » en ce sens, a annoncé ce lundi Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, à l'issue d'une réunion des grands argentiers de la monnaie unique, à Bruxelles.

Il faut dire qu'en 2015, le déficit public espagnol a atteint 5 % du produit intérieur brut (PIB), bien au-delà du seuil du pacte de stabilité (3 % du PIB) et des objectifs que lui avait fixés la Commission, à 4,2 %. Il devrait aussi déraper en 2016, alors que l'Espagne, qui a déjà réalisé des efforts budgétaires considérables, n'est pas encore parvenue à former un gouvernement après les élections législatives du 26 juin, précédées de six mois de blocage politique.

Quant au Portugal, il avait affiché un déficit public de 4,4 % du PIB l'an passé alors que l'objectif fixé était de repasser sous les 3 %. En 2016, il devrait toutefois rentrer dans les clous.

Des sanctions financières à définir

Quelles sont les conséquences de la situation de dérapage budgétaire ? Essentiellement financières. Dès que les ministres auront pris leur décision, s'ouvrira « une période de 20 jours » pendant laquelle la Commission européenne évaluera les sanctions possibles à l'encontre des deux pays, a précisé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici.

Les amendes possibles sont « au maximum de 0,2 % » du Produit Intérieur Brut (PIB) et au « minimum zéro ».

Dans le cadre de cette échéance de vingt jours, l'exécutif européen pourrait aussi proposer de couper une partie de la manne des fonds structurels européens à partir de 2017. Selon une source européenne, les fonds concernés pour l'an prochain s'élèvent pour l'Espagne à 1,3 milliard d'euros et pour le Portugal à 500 millions d'euros.

Source: 20 minutes

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Alors du coup, il y en a qui ont de la chance…

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Elle n’était pas favorable au Brexit mais ne s’opposera pas à sa mise en oeuvre. Celle que l'on appelle désormais la dame de fer à cause de son caractère bien trempé est… catégorique. Theresa May, désormais seule candidate au poste de Premier ministre après le retrait de sa rivale Andrea Leadsom, a en effet affirmé lundi qu’elle ne tenterait pas de rester dans l’Union européenne, contrairement aux espoirs de certains, soulignant que les Britanniques avaient voté pour sortir de l’Union.

«Je ne saurais être plus claire: «»», a déclaré Mme May en lançant sa campagne pour succéder à David Cameron. «Il n’y aura pas de tentative de revenir par la porte dérobée». «Brexit signifie Brexit» et «nous en ferons un succès», a dit Mme May, l’une des deux candidates pour prendre la tête du Parti conservateur et du gouvernement. Mme Mays’est adressée en particulier aux «leaders économiques (du pays) qui n’ont pas préparé la possibilité d’une sortie».

Pas de nouveau référendum

Un millier d’avocats ont également écrit à David Cameron pour lui demander de peser les «avantages et les risques» d’enclencher l’article 50 du traité de Lisbonne et donc le divorce officiel avec l’UE, tandis qu’une pétition réclame l’organisation d’un nouveau référendum. Samedi, le gouvernement a exclu cette option, soulignant qu’il fallait «préparer le processus de sortie de l’UE».

Interrogée sur la manière dont elle comptait négocier un accès au marché commun européen, Mme May a affirmé que le pays avait besoin «d’avoir le meilleur contrat commercial, pour les biens et les services». «Il est clair aussi que le vote pour le Brexit était un message appelant à un contrôle de la libre circulation des personnes. Cela ne peut pas continuer comme aujourd’hui», a-t-elle dit.

Source : Le Parisien, 11/07/2016

La fin de l’européisme, par Jacques Sapir

La fin de l'européisme, par Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 30-06-2016

Le « Brexit » jette une lumière particulièrement crue sur la stratégie de « fédéralisme furtif » adoptée par les dirigeants européens depuis le traité de Maastricht et en conséquence sur l'idéologie européiste qui sous-tend cette stratégie. C'est en réalité cette stratégie, et son instrument privilégié, l'Euro, qui ont provoqué cette réaction des électeurs britanniques, les poussant à quitter non pas « l'Europe » comme certains le prétendent mais une institution particulière, l'Union européenne. Les choix des électeurs britanniques a été largement expliqué[1]. Le fait que des personnalités du gouvernement britannique, comme le ministre de la justice Michael Gove, aient appelé à voter pour la sortie de l'UE est significatif.

Le Brexit remet donc en cause ce qui constitue aujourd'hui la colonne vertébrale de la politique qualifiée d'européiste, que ce soit celle de François Hollande ou celle d'Angela Merkel. Le choc va donc bien plus loin que celui de la sortie de l'UE d'un pays, la Grande-Bretagne, dont l'appartenance à cette dite UE était en fait des plus lâches. Cette crise de la stratégie européiste est un point de rupture. Ce n'est qu'en nous débarrassant de l'aporie européiste que nous pourrons réellement penser la construction de l'Europe.

Les bases idéologiques du fédéralisme furtif

Il convient en premier lieu de comprendre la démarche dite de « fédéralisme furtif » qui a été adoptée à partir du traité de Maastricht et qui s'incarne dans l'Euro. Cette stratégie se fonde sur un rejet des Nations, que ce rejet soit lié à une méfiance ou qu'il soit lié à une véritable haine des dites Nations. C'est pourquoi ont communié dans cette démarche à la fois des libéraux conservateurs, qui considèrent que la Nation moderne implique la Démocratie et qui restent fidèles à cette méfiance profonde envers le peuple de la pensée conservatrice, des anciens « gauchistes » (et Cohn-Bendit en est l'un des exemples) qui haïssent en la Nation cette accumulation de médiations ancrées dans l'Histoire qu'ils perçoivent comme un obstacle à leur vision millénariste et apocalyptique d'une « fin » de l'Histoire[2], ou que ce soit des sociaux-démocrates qui cherchent à transposer vers un niveau étatique supérieur ce que la mollesse de leurs politiques les empêchent de réussir dans le cadre national. Ces différents rejets de la nation s'articulent eux-mêmes de manières spécifiques compte tenu de la culture politique de chaque pays.

En France, c'est la combinaison de la démission d'une grande partie de l'élite politique en 1940 qui vient s'associer à un sentiment issu du traumatisme des guerres coloniales. En Allemagne, c'est le poids de la culpabilité collective issue du Nazisme, aggravée par le traumatisme de la division en deux de 1945 à 1990 qui explique cette montée de l'européisme dans les élites. L'Allemagne, pays objectivement dominant de l'UE ne s'autorise pas à penser sa propre souveraineté et ne peut la vivre qu'en contrebande, dans la mesure où elle prend la forme d'une souveraineté « européenne ». On ne peut comprendre autrement les fautes politiques commises tant vis-à-vis de la Grèce que sur la question des réfugiés, fautes qui aujourd'hui viennent hanter Angela Merkel. En Italie, c'est là encore la combinaison de l'épisode Mussolinien et des « années de plomb » qui ont convaincu une grande partie de la classe politique que l'Union européenne était la seule issue à la Nation italienne. Et l'on peut multiplier les exemples, en y incluant des pays qui s'aiment mal (Espagne, Portugal) ou qui se savent irrémédiablement divisés (la Belgique).

Mais, et c'est une évidence, un projet politique issu d'une haine de soi ou d'un mal-être ne peut avoir d'avenir. Telle était la première faille de l'européisme et du fédéralisme furtif. Car, engendré par une vision essentiellement négative, il ne peut être porteur d'avenir.

Le rôle politique de l'Euro

Ce projet s'est incarné essentiellement dans l'Euro. La précipitation qui vit les politiques accepter l'idée de monnaie unique, alors que les conditions nécessaires à sa réussite n'étaient nullement réunies, et qu'il eut été bien plus logique de s'en tenir à une monnaie commune, soit une monnaie venant coiffer mais non remplacer les monnaies nationales, ne peut s'expliquer que par des motifs politiques et psychologiques impérieux[3]. Ici encore, ils furent différents suivant les pays, mais ils ont tous convergé dans cette idée qu'une fois la monnaie unique réalisée, les pays de la zone Euro n'auraient d'autres choix que le fédéralisme. Ce qui avait été négligé cependant dans ce processus c'était le fait que le fédéralisme n'est pas un objectif unifiant. Il peut y avoir diverses formes de fédéralisme. Or, faute d'un débat public, débat contradictoire avec une stratégie imposant la furtivité et la dissimulation, il ne pouvait y avoir d'instance à même de trancher entre ces différentes formes de fédéralisme. Ainsi l'Allemagne conçoit le fédéralisme comme un système qui lui donne un droit de regard sur la politique des autres pays mais sans devoir en payer le prix budgétaire. C'est le fédéralisme mesquin. La France, elle, voit dans les structures fédérales la poursuite de l'histoire de sa propre construction étatique et entend imposer un fédéralisme donnant naissance à un nouvel Etat-Nation. Mais, c'est faire fi justement des spécificités de l'Histoire, et du fait que la Nation et le Peuple se sont construits en parallèle (et avec de multiples interactions) sur près de 8 siècles. De ce point de vue, seule l'Histoire de la Grande-Bretagne est pleinement comparable. L'idée implicite était de réaliser par la ruse ce que l'Empire napoléonien n'avait pu par la force. Cette idée se fondait sur les illusions de l'universalisme français qui confond des valeurs avec des principes. C'est cette énorme erreur, qui a engagé les dirigeants français, de gauche comme de droite, dans une voie sans issue.

Car, ce qui bloque dans l'option fédéraliste est à la fois une notion politique, quel serait donc le « souverain » et une question économique, celle des transferts. On sait, et on l'a dit à de nombreuses reprises, que ces transferts exigeraient le versement d'environ 10% (entre 8% et 12% selon les études) du PIB allemand au « budget fédéral »[4]. Il n'est donc pas surprenant que les Allemands ne veuillent pas car, en réalité, ils ne peuvent pas. Le refus de l'Allemagne de réviser les règles pour permettre à l'Italie de faire face à se crise bancaire montre toutes les limites de la notion de solidarité qui est essentielle dans une fédération. Or, si cette solidarité n'est pas réalisée, comment convaincre les peuples de se fondre démocratiquement dans un grand ensemble ? Et l'on retrouve ici la question politique du souverain[5].

Le « fédéralisme » est donc condamné soit à ne pas être soit à n'exister que sous la forme du fédéralisme mesquin soit un droit de regard asymétrique de l'Allemagne sur la politique des autres pays. C'est le constat que tire Joseph Stiglitz dans son dernier livre[6], dont une traduction française sortira cet été. Soit nous mettons fin à l'Euro, soit nous avançons vers un fédéralisme inclusif dont ni les Allemands ni les Néerlandais ne veulent, soit l'Euro sera la mort de l'UE mais aussi et c'est bien plu grave de l'idée de coopération en Europe.

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La responsabilité des européistes

D'ores et déjà, les dégâts provoqués par l'Euro sont importants. Conçu pour rapprocher et unir l'Europe, l'Euro a fait effectivement le contraire: après une décennie sans croissance, l'unité a été remplacée par la dissidence et l'agrandissement par le risque de sorties. La stagnation de l'économie européenne et les sombres perspectives actuelles sont donc le résultat direct des défauts fondamentaux inhérents au projet de l'Euro – l'intégration économique prenant le pas sur l'intégration politique avec une structure qui favorise activement la divergence plutôt que convergence.

Mais, le plus important ont été ses conséquences politiques[7]. L'UE (et non la seule zone Euro) s'est engagée dans un processus politique où la démocratie a été progressivement retirée aux peuples. Le cas du traité « Merkozy », ou TSCG, voté par la France en septembre 2012, a été exemplaire à cet égard. Et le soulèvement démocratique de la Grande-Bretagne peut être lu comme une réaction à ce fédéralisme mesquin qui se met peu à peu en place, sous la volonté du gouvernement allemand et avec la passivité du gouvernement français.

Il est donc clair aujourd'hui qu'il faut liquider l'européisme et ses instruments si nous ne voulons pas nous retrouver d'ici quelques années, voire quelques mois, dans une situation où les conflits entre Nations, parce qu'ils auront été trop longtemps niés, ne trouveront plus d'espace où un compromis sera possible entre des intérêts divergents.

Il convient donc de dire ici quelle est la responsabilité historique des européistes, de leur idéologie de haine des Nations, et de leur instrument, l'Euro. Dans la crise que nous traversons aujourd'hui, et dont la sortie de l'UE par le Royaume-Uni n'est qu'un aspect, la crise bancaire italienne qui vient en constituant un autre, la responsabilité des européistes, et de tous ceux qui les ont laissé faire, est centrale ; elle est fondamentale.

La rupture avec l'idéologie européiste est donc un acte de salubrité public. Non qu'il soit en lui-même suffisant. Rejeter cette idéologie, tourner le dos au fédéralisme furtif, reconnaître le cadre de la Nation comme étant celui au sein duquel vit et se nourrit la démocratie, ne produira pas immédiatement de solution. Mais, cela rendra possible la recherche d'une solution, tant au niveau de la France qu'à celui de l'Europe. C'est donc une condition certes non suffisante mais absolument nécessaire. Cette solution, on l'a déjà évoquée avec cette idée de Communautés des Nations Européennes. Elle devra être certainement précisée et peut-être amendée, mais du moins est-ce dans cette direction qu'il nous faut aller.

Notes

[1] Sapir J., Brexit (et champagne)https://russeurope.hypotheses.org/5052

[2] Voir https://russeurope.hypotheses.org/5059

[3] Sapir J., Faut-il sortir de l'euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[4] Sapir J., Macron et le fantôme du fédéralisme en zone Euro

http://russeurope.hypotheses.org/4291 et Fédéralisme?https://russeurope.hypotheses.org/4347

[5] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

[6] Stiglitz J., The Euro – How a common currncy threatens the future of Europe, Pinguin, Londres, mai 2016

[7] http://www.bloomberg.com/news/features/2016-06-30/after-brexit-here-s-what-s-next-for-europe

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 30-06-2016

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De la haine de la démocratie dans l'UE

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 01-07-2016

Les principaux responsables de l'Union européenne se déchaînent contre la pratique des référenda, considérée comme non démocratique. Ceci peut se comprendre à la suite du référendum britannique, mais ne constitue en réalité qu'une argutie qui vise à renforcer la déclaration de Jean-Claude Juncker de janvier 2015 où il déclarait « qu'il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». En fait, si l'on regarde l'histoire des référenda depuis le traité de Maastricht, elle est effectivement édifiante :

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On constate que sur 8 référenda, seuls 2 ont été respectés. La pratique de l'Union européenne, et des gouvernements dans le cadre de cette Union européenne, se révèle donc largement anti-démocratique puisque remettant en cause dans 75% des cas un vote démocratiquement exprimé.

De la pratique à la théorie…

Cette position n'est pas seulement une pratique. Elle a été théorisée dans une critique qui s'avère parfaitement convergente avec le discours tenu par l'Union Européenne. Il convient de s'y arrêter un instant pour chercher à comprendre de quoi il retourne en la matière. Jakab, après une analyse comparée des diverses interprétations de la souveraineté, avance pour le cas français que : « La souveraineté populaire pure fut compromise par un abus extensif de referenda sous le règne de Napoléon Ier et de Napoléon III, la souveraineté nationale pure ayant été perçue comme insuffisante du point de vue de sa légitimation[1] »

C'est soutenir qu'un abus pervertirait le principe ainsi abusé. Mais il ne peut en être ainsi que si l'abus démontre une incomplétude du principe et non de sa mise en œuvre. Viendrait-il à l'esprit des contemporains de détruire les chemins de fer au nom de leur utilisation par le Nazis dans la destruction génocidaire des Juifs et des Tziganes ? Or, ceci est bien le fond du raisonnement tenu par Jakab. Pourtant, il est loin d'être évident dans l'usage politique fait du plébiscite que cet usage soit le seul possible. Si un plébiscite est bien un instrument non-démocratique, tout référendum n'est pas à l'évidence un plébiscite.

La confusion établie par l'auteur entre les deux notions est très dangereuse et pour tout dire malhonnête. La pratique qui consiste à assimiler référendum et plébiscite, car c'est de cela dont il est question dans le texte, est une erreur logique. La discussion se poursuit sur la portée qu'il faut attribuer à la décision du Conseil Constitutionnel concernant la Nouvelle Calédonie où il est dit que « la loi votée… n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution »[2]. Ici encore, on pratique de manière volontaire la stratégie de la confusion. Ce que reconnaît le Conseil Constitutionnel, en l'occurrence, c'est la supériorité logique de la Constitution sur la Loi. Ce n'est nullement, comme le prétend à tort Jakab l'enchaînement de la souveraineté. En fait, dire que le processus législatif doit être encadré par une Constitution ne fait que répéter le Contrat Social de Rousseau[3]. Ce qui est en cause est bien le parti pris de cet auteur est de refuser ou de chercher à limiter le concept de Souveraineté.

Le positivisme juridique

Pour pouvoir ainsi limiter le principe de souveraineté, il est fait appel aux travaux de Hans Kelsen[4]. On sait que, pour ce dernier, le droit d'un État est subordonné au droit international, ce dernier existant de manière implicite à travers un système de « lois naturelles » qui seraient propre à la condition humaine, servant alors de normes pour le droit des États. C'est le principe de la norme hypothétique fondamentale, dite aussi la Grundnorm (Grund désignant le fondement). On est ici en présence d'une norme de nature logico-transcendantale[5]. Kelsen est fortement influencé par la logique du néo-Kantisme et la Grundnorm apparaît au sommet de la pyramide des différents niveaux de lois. Mais, les thèses de Kelsen sont loin de faire l'unanimité. Il lui est reproché, et non sans raison, un positivisme juridique[6] qui aboutit à un aplatissement des principes du droit.

Les études de cas proposées dans l'ouvrage de David Dyzenhaus, The Constitution of Law, aboutissent à mettre en évidence une critique de ce positivisme. Elle permet de comprendre comment l'obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte tourne bien souvent à l'avantage des politiques gouvernementales quelles qu'elles soient. À quelques reprises, l'auteur évoque ses propres analyses des perversions du système légal de l'Apartheid[7] en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu'à leur « positivisme»[8]. Dans son principe, ce positivisme représente une tentative pour dépasser le dualisme de la norme et de l'exception. Mais on voit bien que c'est une tentative insuffisante et superficielle. En tant que via del mezzo, le positivisme échoue car il ne prend pas l'exception assez au sérieux.

Quelle norme ?

Néanmoins, on peut aussi soutenir que la Grundnorm est une norme hypothétique, un choix épistémologique qui permet de comprendre la juridicité de la Constitution et donc de l'ensemble de l'ordre juridique. En tant que norme supposée, elle ne disposerait d'aucun contenu. La démarche kelsénienne se situerait donc, en réalité, aux antipodes de la recherche jusnaturaliste des fondements d'un droit basé sur des normes morales[9]. Mais, sur ce point, il est difficile de distinguer les différentes étapes de l'évolution de Kelsen, mais surtout de distinguer entre Kelsen et ses épigones et ses héritiers. La critique en jusnaturalisme semble ici bien pertinente à propos de l'héritage de Kelsen.

À l'inverse, on peut considérer que le Droit International découle au contraire du Droit de chaque État, qu'il est un Droit de coordination[10]. C'est la logique développée par Simone Goyard-Fabre[11]. De plus, la notion de « loi naturelle » pose un vrai problème en ceci qu'elle prétend établir une spécificité radicale de l'action humaine, un schéma dans lequel il n'est que trop facile de voir une représentation chrétienne (la « créature » à l'image de son « créateur »). Accepter ceci sans discussion reviendrait à établir le Christianisme comme norme supérieure pour la totalité des hommes, et par là même à nier l'hétérogénéité religieuse avec toutes les conséquences dramatiques que cela impliquerait.

Centralité de la souveraineté

Andras Jakab se voit alors obligé de reconnaître que : « malheureusement, du point de vue de la définition de la notion, la souveraineté comme telle n'est définie dans aucun traité international (peut-être parce qu'un accord sur cette question serait impossible »[12]. Il ajoute quelques lignes plus loin : « Mais l'acceptation totale du premier droit du souverain, c'est-à-dire l'exclusivité, n'est pas satisfaisante vu les défis nouveaux, notamment la mondialisation »[13]. Ce faisant il glisse, dans le même mouvement, d'une position de principe à une position déterminée par l'interprétation qu'il fait – et que l'on peut réfuter – d'un contexte. Cette démarche a été critiquée en son temps par Simone Goyard-Fabre : « Que l'exercice de la souveraineté ne puisse se faire qu'au moyen d'organes différenciés, aux compétences spécifiques et travaillant indépendamment les uns des autres, n'implique rien quant à la nature de la puissance souveraine de l'État. Le pluralisme organique (…) ne divise pas l'essence ou la forme de l'État; la souveraineté est une et indivisible« [14]. L'argument prétendant fonder sur la limitation pratique de la souveraineté une limitation du principe de celle-ci est, quant au fond, d'une grande faiblesse. Les États n'ont pas prétendu pouvoir tout contrôler matériellement, même et y compris sur le territoire qui est le leur. Le despote le plus puissant et le plus absolu était sans effet devant l'orage ou la sécheresse. Il ne faut pas confondre les limites liées au domaine de la nature et la question des limites de la compétence du Souverain.

La démarche de Jakab a pour objet, consciemment ou inconsciemment, de nous présenter le contexte comme déterminant par rapport aux principes. La confusion entre les niveaux d'analyse atteint alors son comble. Cette confusion a naturellement pour objet de faire passer pour logique ce qui ne l'est pas : la subordination de la Souveraineté. Or, cette subordination est contraire aux principes du droit. Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que l'article de Jakab ait reçu tant de distinctions des institutions de l'Union Européennes. On comprend mieux aussi pourquoi il va, dans une autre partie de son article parler de « l'ignorance [des Etats membres] par rapport au défi constitutionnel de l'appartenance à l'UE ». Cela revient à dire que la Souveraineté pourrait être mise à mal par l'existence de liens contractuels entre les États. On retrouve ici l'idée que les traités doivent s'imposer sur les choix démocratiques, autrement dit que le suffrage universel n'est plus l'expression de la souveraineté. Nous en sommes là dans la dérive que connaît aujourd'hui l'Union européenne et ses thuriféraires.

Notes

[1] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l'argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l'intégration européenne », in Jus Politicum, n°1, p.4, URL : http://www.juspoliticum.com/La-neutralisation-de-la-question,28.html

[2] Décision 85-197 DC 23 Août 1985, Voir : Jacques Ziller, « Sovereignty in France: Getting Rid of the Mal de Bodin », in Sovereignty in Transition. éd. Neil Walker, Oxford, Hart, 2003.

[3] Rousseau J-J., Du Contrat Social, Flammarion, Paris, 2001.

[4] Kelsen H., «La méthode et la notion fondamentale de la théorie pure du droit »Revue de Métaphysique et de Morale, T. 41, No. 2 (Avril 1934), pp. 183-204.

[5] Kelsen H., Théorie générale des normes, (traduction d'Olivier Beaud) PUF, 1996, Paris.

[6] A. Hold-Ferneck, H. Kelsen, Lo Stato come Superuomo, un dibattito a Vienna, édité par A. Scalone, Il Mulino, Turin, 2002

[7] Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.

[8] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, op.cit., p. 22.

[9] Troper M., La philosophie du droit, Paris, PUF, 2003,

[10] Dupuy R.J., Le Droit International, PUF, Paris, 1963

[11] Goyard-Fabre S., « Y-a-t-il une crise de la souveraineté? », in Revue Internationale de Philosophie, Vol. 45, n°4/1991, pp. 459-498.

[12] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l'argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l'intégration européenne », op.cit., p. 11.

[13] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l'argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l'intégration européenne », op.cit., p. 12.

[14] S. Goyard-Fabre, « Y-a-t-il une crise de la souveraineté? », op.cit., p. 480-1.

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 01-07-2016

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La gauche, le Brexit et la souveraineté

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 04-07-2016

Le « Brexit » relance question de savoir s'il y aurait une « souveraineté » de gauche et une de droite, et plus généralement montre l'extrême difficulté qu'ont nombre de militants de gauche avec la notion même de souveraineté. Pourtant, une étude réalisée par un politologue en Grande-Bretagne montre que près de 70% des circonscriptions ayant élu un député travailliste ont voté « leave »[1]et ce alors que le parti travailliste faisait quant à lui campagne pour le « remain ». Cela illustre bien la contradiction qui existe entre l'opinion défendue par les cadres d'un parti et le ressenti du militant ou du sympathisant de base. La contradiction est d'autant plus forte que l'on pouvait penser que le meurtre de la député travailliste, Jo Cox, une semaine avant l'élection, allait provoquer un mouvement de sympathie pour le « remain ». Or, si ce sentiment a pu exister, il faut insuffisant pour inverser la tendance des opinions. Ceci nous renvoie aux termes comme « Brexit de gauche » ou de « Lexit », qui est utilisé pour décrire ce que serait une sortie « de gauche » de l'Euro. En réalité, ces différents termes ne font que traduire la confusion qui s'est emparée des esprits dès lors que domine l'esprit sectaire, ou « esprit de parti » sur la question du « bien commun ».

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Origines de la souveraineté

De fait, la souveraineté doit être dégagée des débats actuels – débats qui ont bien entendu leur importance mais qui ne situent pas au même niveau. La souveraineté n'est assurément pas un concept de droite car il y a souveraineté dès qu'il y a société. En réalité, la notion de souveraineté renvoie au plus ancien des êtres pensants. L'analyse des primates évolués, nos proches cousins comme les Chimpanzés et les Bonobos montre que la société, avec ses hiérarchies, ses procédures d'inclusions et d'exclusions, de conflit mais aussi de réconciliation, précède l'humanité au lieu d'en découler[2]. L'homme s'est ainsi humanisé de par sa vie en société[3].

Dans toute société, se pose alors la question de savoir qui commande, que ce soit à l'instant donné ou de manière permanente, et au nom de quoi commande-t-il: le pouvoir de celui qui l'exerce est-il seulement lié à la personnalité de celui qui l'exerce ? Cela s'observe dans des microsociétés, qui se défont d'ailleurs lorsque le détenteur du pouvoir disparaît. D'où la nécessité de détacher le pouvoir de celui qui l'exerce. La dépersonnalisation du pouvoir est une nécessité de son plein exercice. Mais, dans le même temps, les hommes ont toujours eu besoin d'identifier le détenteur du pouvoir. D'où cette contradiction qui fait qu'une excessive personnalisation tout comme une dépersonnalisation absolue rendent impossible le plein exercice du pouvoir. Il faut donc réconcilier ces deux pôles ce qui conduit à la solution où le pouvoir d'un (ou d'une) ne devient possible que par la délégation par tous de cette faculté à exercer le pouvoir et dans cette délégation nous avons la légitimité. Mais, le fait que « tous », et que ce tous ne concerne que quelques dizaines ou des millions d'individus implique que ce tous est souverain, détient la souveraineté. Il y a cependant une autre manière de comprendre ce problème : à partir du moment où le pouvoir peut aller jusqu'à la mise à mort d'autrui, jusqu'à exiger le sacrifice d'autrui dans le cas d'un conflit de territoire, qu'est-ce qui donne le droit d'exiger d'un homme qu'il mette à mort un ennemi au péril de sa propre vie ? On comprend qu'il y ait eu dès lors le besoin, à un moment donné, de faire référence à une dimension surnaturelle. Mais une autre lecture est possible et même nécessaire, qui consiste à dire ceci : le pouvoir distinct de celui qui l'exerce, le pouvoir d'exiger des êtres humains des actes qui ne sont pas naturels comme la mise à mort, trouve son fondement dans le bien commun – autrement dit, la survie du groupe. Cela nécessite une construction longue et pénible de cette notion de bien commun. Pendant cette construction, le surnaturel a offert un raccourci pour définir ce bien commun. Il est donc nécessaire à la fois de comprendre les raisons d'être de ce raccourci, de les admettre comme des contraintes matérielles, et de ne pas en être dupe, de ne pas les fétichiser.

Souveraineté, société et altérité

Deux problèmes se posent. Le premier : est-ce que l'individu peut exister sans liens avec d'autres individus ? C'est cela une des définitions les plus communes de l'état de nature, qui peut cependant être aussi pris comme une métaphore comme nous le verrons tout à l'heure, mais qui n'existe pas réellement. Les premiers grands primates pré-humains fonctionnaient déjà en société parce que l'une des caractéristiques des grands primates – et de l'homme – c'est qu'ils sont facilement adaptables mais qu'ils ne sont supérieurs en rien, sauf l'intellect. Les grands primates et les humains n'auraient donc pas pu survivre s'ils avaient été isolés[4]. On ne peut donc pas penser l'individu puis la société, sur le modèle des briques et du mur, comme le font certains économistes, ou sociologues : l'individu fait d'emblée partie de la société. Il faut donc faire une critique radicale des « Robinsonnades » qui posent toutes un homme isolé. Il est stupéfiant que Böhm-Bawerk, et avec lui l'école marginaliste en économie, ait usé de cette métaphore. Et l'on a tendance à oublier un peu trop souvent que Robinson Crusoë n'est pas une œuvre scientifique mais un « roman d'éducation » écrit par un des grands pamphlétaires religieux anglais, Daniel Defoe. L'idée religieuse est d'ailleurs très présente dans l'ouvrage. Si Robinson est devenu le paradigme de départ de la littérature économique marginaliste comme de certains théoriciens du politique[5], cela pose en vérité un véritable problème de logique. Si Robinson ne retourne pas à l'animalité, c'est qu'il envisage toujours sa position dans la perspective de son intégration à une collectivité, que ce soit son retour possible à la civilisation ou sa position vis-à-vis de la communauté des croyants à laquelle il appartient et qu'il espère rejoindre après son trépas. Robinson, bien avant que Vendredi ne fasse son apparition, n'est jamais seul, et l'importance de sa Bible le montre bien. C'est d'ailleurs, symboliquement, la première chose qu'il sauve du naufrage. On a là un bel exemple d'une aporie religieuse dans les sciences sociales. Or, la souveraineté doit se penser dans les termes des sciences sociales.

Se pose alors le second problème : que se passe-t-il quand deux sociétés de pré-humains ou d'humains se rencontrent ? Si nous avons une seule société existant sur un espace donné, cette société n'a pas à se poser le problème de sa souveraineté parce que, d'une certaine manière, ce groupe ne possède rien et possède tout. Mais quand ce groupe rentre en contact avec d'autres groupes, le problème va se poser. Or nous savons que ces contacts apparaissent immédiatement, sans pour autant être permanents. Nous savons aussi que tout groupe procède à des expulsions d'individus comme forme de punition – ce qui veut bien dire l'importance du groupe pour la survie. Et nous avons enfin que dans le contact entre les clans, les tribus, il s'agit de savoir ce qui est aux uns et ce qui est aux autres. Il y a de la souveraineté quand il y a de l'altérité et nous voyons apparaître un principe de communauté et un principe de distinction entre différentes communautés. On peut même dire que la souveraineté découle de l'altérité. De ce point de vue, quand j'entends des collègues qui veulent me faire une critique de la souveraineté en me disant que celle-ci implique l'homogénéité, j'avoue que je suis sidéré par ce contre-sens. Si il y a ce besoin de souveraineté, c'est justement parce que nous devons vivre avec nos différences. Si nous étions une communauté d'individus entièrement homogènes, la souveraineté ne serait pas nécessaire car nous penserions spontanément les mêmes solutions aux problèmes que nous rencontrons. Dès lors, l'action de chaque individu serait la même que l'action collective, et le conflit aurait disparu. La nécessité de trouver une solution, ne serait-ce que provisoire, au conflit n'existerait plus. Il n'y aurait donc plus ni institution ni formes de médiation. Dans cet univers on peut effectivement se défaire du concept de souveraineté.

Nécessaires médiations et souveraineté

Il faut donc revenir sur la médiation des intérêts divergents au sein d'une société, d'un Etat, d'une nation. Une manière de voir les choses consiste à dire que c'est le marché qui fait cette médiation entre les intérêts. Mais, l'affirmation de la traduction socialement harmonieuse des désirs privés n'est en réalité rien d'autre chez Adam Smith qu'un postulat métaphysique qui n'ose pas dire son nom. Il reprend, en en modifiant le sens, les thèses des jansénistes dont il tire, par un long cheminement des sources que décrypte admirablement Jean-Claude Perrot[6], une métaphysique de l'ordre harmonieux. Ainsi, l'image de Dieu perdure pour hanter certains hommes. L'économie politique classique se révèle comme une construction profondément métaphysique à la fois quant à la nature humaine et quant aux modes d'interaction. Cette image de Dieu prend alors deux formes distinctes dans la pensée économique : elle induit le modèle déterministe et mécaniste de l'École de Lausanne (Walras et Pareto) et sa forme moderne du modèle Arrow-Debreu. Les édits divins nous sont ainsi proclamés lisibles par les succès ou les échecs des acteurs. Cette lisibilité justifie alors l'hypothèse d'information parfaite et complète. On mesure les fondements métaphysiques de la pensée libérale, ou du moins néo-classique, fondement d'autant plus redoutables qu'ils ne se donnent pas comme tels et qu'il prétendent se présenter comme autant de vérités « objectives ».

Au contraire, nous devons penser non pas la traduction harmonieuse de ces intérêts mais le conflit, la revendication, la lutte gréviste, qui conduisent à des formes particulières de médiation. Il faut donc reprendre la question de la construction des institutions, et l'on va y retrouver la souveraineté. En effet, l'extension des domaines de souveraineté a été la forme prise par les luttes sociales qui, au fil du temps, ont construit les institutions. Telle est la leçon qu'il faut tirer de l'ouvrage classique de François Guizot sur la « civilisation européenne »[7]. Ses implications n'en n'ont pas été d'ailleurs pas toujours pleinement comprises. Ce que Guizot affirme, c'est non seulement la nécessité de la lutte comme principe d'engendrement des institutions, mais aussi un lien circulaire, ou plus précisément en spirale, où l'on repasse régulièrement au même point mais pas à la même hauteur, entre une institution de souveraineté, la commune bourgeoise par exemple, et le principe de la lutte des classes. En d'autres termes, il n'est de possibilité d'expression de ses intérêts quepar la conquête d'espaces de souveraineté. Mais, celle-ci implique alors l'action collective. C'est pourquoi les différentes formes d'organisations, ligues, associations, syndicats, sont non seulement légitimes mais encore absolument nécessaires au fonctionnement d'une société hétérogène. L'existence d'un intérêt commun n'efface pas ces conflits, mais doit s'enraciner dans la compatibilité de leurs modes de gestion. Cependant, une fois ces espaces acquis, ils ont tendance à influencer largement sur les représentations de ceux qui y vivent.

La « gauche » et la souveraineté

On constate ainsi que la notion se souveraineté ne se laisse pas enfermer dans les catégories de « gauche » ou de « droite ». Non que ces catégories ne soient nécessaires au débat. Mais elles recouvrent justement des appréciations divergentes sur ce qu'est le « bien commun », appréciations qui ne sont possibles que dans une société, une Nation, un Etat, souverain. Dès lors, on comprend pourquoi l'idée d'une souveraineté « de gauche » ou d'une sortie « de gauche » de l'Euro sont de dangereuses fadaises. Une porte est ouverte ou fermée et, en un sens, peu importe quelle main se pose sur la porte pour l'ouvrir ou la fermer. Par contre, une fois la porte ouverte, la question de la direction que l'on prendra se pose, et c'est là que les différences entre « gauche » et « droite » reprendront tout leur sens. Cela a déjà été dit : s'enfermer au nom d'une pureté imaginaire dans un discours sur un éventuel « Brexit de gauche » ou une « sortie de l'Euro de gauche » n'a de sens que si, en réalité, on se refuse à l'un ou à l'autre. C'est un choix que l'on peut faire, mais il implique alors d'avoir la cohérence d'en accepter les conséquences. C'est ce que j'ai dit en 2013 dans une interview au « Canard Forgeron »[8]. L'incohérence se paye toujours au prix fort. Le dirigeant du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, est en train d'en faire l'amère expérience.

[1] Chris Hanretty, Most Labour MPs represent a constituency that voted Leave

https://medium.com/@chrishanretty/most-labour-mps-represent-a-constituency-that-voted-leave-36f13210f5c6#.c4e2o8bnl

[2] Godelier, M., « Quelles cultures pour quels primates, définition faible ou définition forte de la culture ? », in Ducros A., Ducros J. & F. Joulian, La culture est-elle naturelle ? Histoire, épistémologie etapplications récentes du concept de culture, Paris, Errance, 1998, p. 217-222.

[3] Picq P., « L'humain à l'aube de l'humanité » in Serres, M. P. Picq, J-D. Vincent, Qu'est-ce que l'Humain, op.cit., p. 64.

[4] M. Godelier, Métamorphoses de la Parenté, Paris, Fayard, 2004.

[5] Grapard U. et Hewitson G., ‪Robinson Crusoe's Economic Man: A Construction and Deconstruction , Londres, Routledge, 2012.

[6] J-C Perrot, « La Main invisible et le Dieu caché » in J-C Galley, ed., Différences, valeurs, hiérachie. Textes offerts à Louis Dumont, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1984, pp. 157-181.

[7] F. Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, rééd. du texte de 1828 avec une présentation de P. Rosanvallon, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1985, p. 182-184.

[8] On trouvera la vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=mMD5CZSE6JA

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 04-07-2016