mardi 5 juillet 2016

Le véritable clivage du Brexit (billet invité)

Le véritable clivage du Brexit (billet invité)

Billet invité de Marc Rameaux, auteur de « L'homme moderne »


Le souffle de l'apocalypse tant annoncée par les thuriféraires de l'UE étant retombé en une semaine, et le résultat étant ce qu'il est malgré les menaces dignes du « Parrain » de la part du président de la commission, beaucoup de commentateurs ont cherché à comprendre quelles lignes sociales le Brexit avait tracées.

Gaspard Koenig en a entrepris une première « analyse » dans le Figaro Vox, dont la tonalité confine bien davantage au mépris et à la haine profonde qu'à la volonté de comprendre. 
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/06/24/31001-20160624ARTFIG00316-brexit-le-coup-de-gueule-de-gaspard-koenig.php

Vu selon son prisme, les partisans du Brexit sont nécessairement des brutes sous-éduquées, l'attachement à un état nation la pierre angulaire de tous les fascismes et de toutes les guerres, jusqu'à réclamer que Londres fasse sécession du reste du Royaume-Uni, tout en dénonçant les « fictions de romancier » de ses adversaires...

Gaspard Koenig ne semble pas le moins du monde gêné par ses propres méthodes d'argumentation, qui outrepassent ce qu'il reproche aux plus arriérés de ses adversaires : mépris, appel à la haine, essentialisation de celui qui est en désaccord avec lui, considéré comme un être inférieur.
 
Il y a finalement plus arriéré et plus haineux qu'une bande de skinheads abordant leur quatrième tournée de bière : un européiste sentant que sa précieuse carrière est menacée parvient à les dépasser en hystérie. L'opportuniste qui se sent perçu comme un imposteur inutile et non le fer de lance de la civilisation défendra sa précieuse position sociale avec la même agressivité que s'il s'agissait de sa vie.
La drogue de l'arrivisme social engendre des comportements pathologiques d'autant plus remarquables que celui qui est sous son emprise voit son hystérie comme l'expression même du libre arbitre et de la « souveraineté sur soi-même ».
Gaspard Koenig est tout comme l'ivrogne de Spinoza qui se sent libre comme jamais au moment même où sa passion dévorante est la plus forte. Il n'est définitivement pas possible de titrer le narcissisme, qui dépasse par ses effets la plus forte des vodkas…

Il paraît que ce monsieur est philosophe. Il est vrai que l'on affuble de ce titre une catégorie de « penseurs » qui se ressemblent tous. Sans doute est-ce notre époque post-moderne qui veut cela. Ils s'arrêtent tous précisément au point où la réflexion devrait démarrer. Penser un concept nécessite en premier lieu d'identifier les forces contradictoires en présence : identité / ouverture, liberté / bien commun, réalisation de soi / sens du collectif, etc. ce qu'ils font généralement.

Or c'est à ce commencement de la compréhension que nos « philosophes » si interchangeables se livrent à un jeu primaire : la tension créatrice qui doit alimenter la réflexion est sectionnée en deux parties bien binaires, l'une représentant le bien, l'autre le mal. Tout débat et toute analyse se retrouvent ainsi aplatis et asséchés avant que d'avoir commencé. Les tenants de cette belle méthode de pensée ne réfléchissent plus : ils s'érigent en justiciers, tout occupés à l'admiration de leur propre image qu'ils confondent avec une libre décision.

Le Brexit aurait pu être une opportunité de repenser la difficile conciliation entre histoire des nations et ouverture au monde, qui ne se résout certainement pas en balayant brutalement l'un des termes au détriment de l'autre.

Gaspard Koenig se dit kantien. Très bien, rappelons-nous donc cette remarque du maître de la raison critique : " On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter". Je crains fort que la capacité de résistance de Gaspard Koenig dans ce domaine ne soit que de quelques secondes, tant le maintien d'une aporie intéressante cède bien vite le pas à son équarrissage manichéen. Accordons-lui que la tentation est grande, cette activité lui permettant de poursuivre la sculpture de lui-même, qu'il prend pour du libre arbitre. « L'ego est en raison inverse de la personnalité » nous disait Jankélévitch. Je crains que Gaspard Koenig n'ait un très fort ego.

Il semble que son premier remugle ait provoqué chez lui quelques regrets. Afin de ne pas paraître trop élitiste – sculpture du moi oblige – il entreprit de se « rattraper » en signant un second article dans « Les échos ». Comme à l'accoutumée, à l'exemple de celui qui a tenu un propos raciste, la tentative de rattrapage ne fait que l'enfoncer un peu plus :
Ainsi le véritable clivage du Brexit ne serait pas celui des classes sociales, mais celui des tenants de la « société ouverte » contre ceux d'une société fermée. Passons encore une fois sur la finesse de l'analyse – la binarité semblant être le seul mode de réflexion de l'auteur – ainsi que sur le manque patent d'ouverture aux autres que d'accaparer pour soi la « société ouverte » : un paradoxe inhérent à cette notion, piège que notre auteur n'évite pas plus que les autres. L'appropriation pour soi de la morale est l'inverse de la morale.

Gaspard Koenig a cependant raison de quitter l'explication par les classes sociales. Celle-ci n'est effectivement pas la véritable charnière entre le Brexit et le Bremain. Statistiquement, il existe une corrélation entre classes plus défavorisées et vote pour le Brexit. Mais ce dernier attire également des votes de personnes bénéficiant d'un niveau très élevé d'éducation, suffisamment pour qu'il faille aller chercher ailleurs l'explication pertinente.

L'économiste David Graeber nous met sur la piste. Sa pensée stimulante et iconoclaste a fait ressortir un fait saillant du monde de l'entreprise post-moderne : la multiplication des « bullshit jobs », activités aux titres ronflants mais ne produisant en pratique rien de concret ni d'utile, parasitant au contraire ceux qui produisent un véritable travail.
Au premier chef des « bullshit jobs » figure bien entendu l'activité de consultant en stratégie, celle de prestigieux cabinets tels que le BCG ou Mc Kinsey, dont n'importe quel bon professionnel en entreprise vous confirmera qu'ils provoquent l'hilarité et la moquerie que méritent la vacuité et la superficialité.

Nous proposons donc le clivage alternatif suivant : sont partisans du Bremain ceux qui exercent un « Bullshit job » et sont partisans du Brexit ceux qui exercent un travail réel et connaissent la vraie vie. Ceci d'ailleurs, quel que soit le niveau social du poste exercé, aussi bien pour les « bullshit jobs » que pour les vrais métiers.
Cette explication a l'avantage de bien mieux rendre compte de la situation. En premier lieu, la séparation selon la classe sociale ne devient plus le facteur prépondérant – l'on trouve des partisans du Brexit d'un niveau social très élevé – mais sa corrélation avec le vote demeure expliquée.
En effet et comme le note malicieusement David Graeber, les postes les plus élevés de la société post-moderne sont des « bullshit jobs », expliquant corrélativement « l'élite » superficielle, narcissique et totalement incompétente qui tient actuellement les commandes du monde politique et économique.
Si les « bullshit jobs » ont toujours existé, le propre de la société post-moderne est de leur avoir donné le pouvoir, créant une caste d'illusionnistes vivant dans un monde artificiel et irréel.

Le nouveau clivage social a souvent été décrit comme l'opposition du centre à la périphérie. Il n'a pas été remarqué le fait inverse, que ceux qui se trouvent à la périphérie géographique sont bien souvent au cœur du monde, tandis que ceux qui croient l'être ne résident que dans une caisse de résonnance, et non là où le monde s'élabore.
Parce que l'essentiel du pouvoir politique, économique et financier est concentré dans les « cités monde », certains pensent naïvement que c'est dans ce point que le futur se construit. Les grandes métropoles sont maintenant surtout celles où le taux de concentration de « bullshit jobs » est le plus élevé.
Les leviers du pouvoir y résident certainement, mais là est précisément l'erreur. Ceux qui voient dans les « cités monde » le cœur des choses sont fascinés par l'apparat, le prestige, qui leur fait confondre les cercles du pouvoir avec ceux de l'excellence. Ils peuvent être brillants mais restent superficiels, leur addiction pour le climat des hautes sphères ayant raison des intelligences les plus aiguisées.

Manuel Valls commit cette erreur en déclamant son fameux « I love Business ! » en plein cœur de la city de Londres, particulièrement au sein de ses places financières. Il n'y a aucun lieu dont le véritable esprit d'entreprise a davantage disparu que dans une place boursière.
Pour être pertinent, Manuel Valls aurait dû déclamer sa profession de foi dans une usine, un bureau d'études et d'ingénierie, au milieu des équipes de marketing qui ont changé le modèle de ventes de « La redoute » pour la redresser miraculeusement, dans une succursale de produits industriels ou de services. C'est-à-dire dans ces lieux où conçoivent et agissent des équipes entrainées à piloter chaque jour des milliers de tâches de façon coordonnée, aboutissant à l'intégration d'un produit ou d'un service complexe.
Ceux qui pensent que les cercles de privilégiés des cités-monde sont le creuset de la véritable valeur économique ont une vue fort superficielle : ces cénacles ne produisent que des guerres territoriales puériles, des présentations powerpoint aussi ronflantes que creuses, entre cocktails, « think tanks », séminaires et jetons de présence.


Ils n'ont jamais été dans la situation du véritable entrepreneur et de ses équipes, avec ses enjeux concrets et son savoir-faire permettant de livrer en temps et en heure, au bon niveau de qualité. Dans des périodes moins dépravées que la nôtre, ce sont les hommes qui ont su faire preuve de ces qualités d'engagement, de conception et d'exécution réelle qui exerçaient par la suite les responsabilités suprêmes. De nos jours, ce sont quelques usurpateurs incompétents et superficiels qui tiennent les rênes, et entretiennent l'illusion que leur « activité » est celle qui met le monde en marche.
L'ensemble ne fonctionne que parce que les véritables officiers courageux du monde économique, que l'on ne voit généralement pas, pilotent véritablement ce qui produit de la valeur, tandis qu'un état-major de généraux impotents est tout occupé à capter et récupérer cette richesse à laquelle ils n'ont pris nulle part.
Il y a ainsi chez tout mondialiste post-moderne une incapacité à être authentique, une imposture qui rend son action non seulement irréelle et détachée, mais plus encore parfaitement illégitime.

Lorsque les partisans du Brexit sont cultivés, ils le sont à un niveau incomparablement plus profond que celui des partisans du Bremain. Parce qu'ils allient culture, puissance de réflexion et épreuve du feu dans des productions réelles, ils font généralement le lien entre des savoirs très anciens et des notions très modernes, ne voyant aucune contradiction entre la reconnaissance de leur lignée d'origine et l'ouverture au monde.
C'est aussi la raison pour laquelle les « nouveaux réactionnaires » bénéficient du succès et de la faveur du plus grand nombre, ce qui a le don de rendre folles de rage nos « élites » mondialisées : il ne leur est pas venu à l'idée que ces modernes mousquetaires pensent plus profondément et plus fort qu'eux, obsédés par leur position sociale, incapables de faire jouer la belle dualité des racines et des ailes.

Le clivage entre Brexit et Bremain est donc bien celui de l'élite vis-à-vis de la médiocrité. Mais dans le sens inverse du fantasme des petits marquis déjà sous extase de ce qui brille. C'est au sein du Brexit que l'on trouve les hommes de fond et d'engagement, qui seraient dignes d'être « master and commander », parce qu'ils ont l'habitude des rudes navigations, non de ceux qui se contentent de décharger la cale en restant au port.

La semaine de haine et d'hystérie à laquelle nous avons eu droit de la part des soi-disant représentants de la « société ouverte » n'est donc pas l'indignation des supérieurs craignant que la plèbe ne renverse l'édifice, mais la terreur de l'imposteur lorsqu'il comprend que sa supercherie commence à être découverte.


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« Boomerang Kids… » : ces adultes de tous âges qui retournent de plus en plus vivre chez leurs parents

« Boomerang Kids… » : ces adultes de tous âges qui retournent de plus en plus vivre chez leurs parents

Le dernier film d'Alexandra Lamy et Josiane Balasko, "Retour chez ma mère", n'a malheureusement rien d'une fiction. Selon une étude de la Fondation Abbé Pierre, 925.000 personnes seraient revenues vivre chez leurs parents en 2015, soit une augmentation de 20% par rapport à 2002.

Atlantico : Comment peut-on définir le phénomène social des "Boomerang Kids" ?

Serge Guérin : "Boomerang kids" est une expression utilisée pour désigner les personnes qui retournent vivre chez leurs parents après une première prise d'indépendance.

C'est un phénomène social récent, qui date d'un peu moins d'une dizaine d'années, et qui prend de plus en plus d'ampleur. Il touche toutes les catégories d'âge, du jeune trentenaire qui retourne au bercail après une première prise d'indépendance à 20 ans, aux séniors de 50 ans et plus qui retournent vivre chez leurs parents, suite à la perte de leur logement principalement.

Barbara Mitchell : Les chercheurs insistent sur le fait que les personnes doivent avoir quitté la maison familiale environ quatre mois et être revenues au moins quelques mois pour être considérées comme des "Boomerang kids". En Amérique du Nord et en Europe, on estime qu'un tiers des jeunes adultes retournent à la maison pour vivre avec leurs parents, souvent plusieurs fois.

Quelles sont les principales causes de ce phénomène de société ?

Serge Guérin : Les principales causes de ce phénomène social sont la perte de son emploi ou une séparation, deux coups durs de plus en plus fréquents qui peuvent amener à ne plus pouvoir payer son loyer ou son emprunt immobilier.

Il peut aussi y avoir aussi des motivations plus sentimentales, comme le fait de trouver du réconfort auprès de sa famille et de la compagnie. Il est intéressant de noter que les générations sont plus proches et solidaires entre elles qu'avant, car elles connaissent toutes les mêmes problèmes sur le marché de l'emploi comme sur le marché de l'immobilier.

Enfin, on peut noter que l'absence de perspective sur le marché de l'emploi conduit également à retourner chez ses parents, car beaucoup savent désormais qu'une période de chômage peut être très, très longue, notamment pour les jeunes et les séniors.

Barbara Mitchell : En termes de changements socio-démographiques, les jeunes retardent de plus en plus leur mariage et la fondation d'une famille, ce qui facilite les séparations.

Des raisons culturelles peuvent également expliquer un retour au foyer familial. Le fait de vivre dans des foyers multigénérationnels est socialement bien mieux accepté par certains groupes ethniques.

Dans des cas moins nombreux, des jeunes peuvent aussi retourner chez leurs parents pour les aider. Par exemple si un parent divorce, devient veuf/ve ou a besoin d'assistance médicale de toutes sortes.

Quels types de problèmes le retour de l'enfant devenu adulte chez ses parents peut-il causer ?

Serge Guérin : Comme je vous l'ai expliqué plus haut, tout n'est pas noir lorsque l'on retourne chez ses parents, car cela peut apporter compagnie et réconfort, et permettre de se retourner plus facilement.

Mais il est vrai que retrouver chez ses parents peut avoir un côté déprimant, car on a l'impression de revenir en arrière.

De plus, les règles de cohabitation ne sont plus les mêmes que lorsque l'enfant était encore sous l'autorité des parents. Quelques ajustements comportementaux peuvent amener à créer des tensions, cependant, dans la plupart des cas, cela se passe relativement bien.

Barbara Mitchell : Si la plupart des parents sont heureux de pouvoir aider leur enfant, ils ne souhaitent pas que cette situation s'éternise. Il faut donc qu'ils aient le sentiment que leur enfant reste actif, essaye au maximum de s'en sortir, et participe le plus possible aux finances et aux tâches ménagères du foyer, sinon, cela risque de créer de fortes tensions. En effet, le retour d'enfant au foyer peut amener les parents à retarder leur retraite, piocher dans leurs économies, relancer une hypothèque sur leur maison, retarder leurs projets, réduire leurs dépenses ou encore passer moins de temps ensemble.

Existent-ils d'autres moyens que de retourner chez ses parents en cas de problèmes majeurs auxquels on ne pense pas forcément ?

Serge Guérin : Il faut d'abord bien se renseigner aux niveaux des aides d'Etat, qui sont quand même importantes en France, notamment en matière de logement social.

Ensuite, il est possible d'envisager une colocation non étudiante, avec des adultes qui travaillent et peuvent aussi avoir des enfants à charge. C'est un phénomène qui se développe de plus en plus, surtout dans les villes où les loyers sont les plus chers, et où les propriétaires exigent en plus d'avoir une caution et un emploi stable (CDI).

 

Source(s) : Atlantico.fr via Revue de presse de notre Contributeur anonyme.

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Loi Travail : Jean-Claude Mailly promet des « surprises » cet été...T

Loi Travail : Jean-Claude Mailly promet des « surprises » cet été...T

Pas si sûr que ça que le gouvernement ait une bonne stratégie, en tablant sur les vacances pour essouffler le mouvement, il y a tellement de Français(es) qui ne peuvent même plus partir en congés annuels...

Update 05.07.2016 : Meeting contre le projet de loi Travail, mercredi 6 juillet (l'Humanité.fr)

Jean-Claude Mailly

Pour le leader de FO, l'intransigeance du gouvernement a rendu impossible «une sortie par le haut» du conflit sur le projet de loi Travail.

Après les flottements de mercredi dernier, où Jean-Claude Mailly avait semblé prêt de se rallier à la position du gouvernement, le leader de Force ouvrière (FO) a voulu clarifier sa ligne, lors d'une conférence de presse ce lundi. Les concessions du gouvernement ne lui suffisent pas, et il maintient son opposition au projet de loi Travail. Une dernière manifestation est prévue mardi, jour du début de l'examen du texte en séance publique à l'Assemblée nationale. Le numéro un de FO n'y défilera pas. «Je ne me désolidarise pas de la manifestation, j'avais un débat prévu à Strasbourg, a-t-il précisé. FO appelle bien à manifester demain».

Le lendemain de la manifestation, un meeting intersyndical se tiendra le mercredi à Paris, «peut-être au même moment où le gouvernement dégainera le 49-3», s'est amusé Jean-Claude Mailly. Pour ce dernier, un vote ne saurait clore l'opposition au texte. «Si le projet de loi Travail est voté en l'état, il sera comme un chewing-gum qui colle aux chaussures pendant les semaines et les mois à venir», a-t-il prévenu. Et de promettre pour cet été des actions surprises, des péages gratuits, des rassemblements... Puis dès la rentrée, le retour des manifestations. Cette hypothèse paraît toutefois assez peu crédible compte tenu de la forte baisse de la mobilisation des derniers cortèges.

L'accord de branche fixe les règles

Le leader de FO a rappelé ses revendications. Il demande notamment que l'accord de branche fixe des règles qui ne puissent pas faire l'objet d'accords d'entreprise moins favorables dans sept domaines: salaires, temps de travail, emploi, classifications, égalité professionnelle, formation professionnelle et prévoyance. Le gouvernement a repris ce principe dans un amendement mais l'a limité à deux champs: l'égalité professionnelle et la pénibilité.

«Le fait de négocier le taux de majoration des heures sup dans le cadre de l'entreprise, cela va être un outil de dumping social. Les donneurs d'ordre vont faire pression sur les entreprises sous-traitantes, afin que les premières heures ne soient plus majorées de 25%, mais de 10%,» a insisté Jean-Claude Mailly. Un amendement signé par 123 députés PS propose précisément que cette majoration ne puisse être inférieure à 25%. Mais rien ne dit que le gouvernement laissera faire.

 

Source : Le Figaro.fr

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Crashdebug.fr : Ce gouvernement a peur

Moment détente : « L'université d'été du PS annulée par peur de violences ? »

Moment détente : « L'université d'été du PS annulée par peur de violences ? »

C’est marrant, on dirait qu’ils n’ont pas la conscience tranquille… Eh bien puisqu’on parle du PS, on a appris ce dimanche la mort de Michel Rocard, alors sachez que c’est un homme que je respectais, car même s’il était « libéral, il avait du courage, et c’est le seul homme politique français qui avait publiquement expliqué l’arnaque sur notre dette nationale. Pas étonnant qu’il ait été en désaccord avec François Mitterrand qui s’était lui aussi couché devant l’oncle Sam, comme son digne successeur à savoir François Hollande

Le premier secrétaire de la formation politique craint que la contestation sociale ne s'invite lors de ce rassemblement. Il envisage aussi une suspension.

Alors que la Belle Alliance populaire a rassemblé ses troupes clairsemées samedi 2 juillet, Jean-Christophe Cambadélis a peur que la protestation sociale provoquée par la loi travail ne provoque des rassemblements protestataires lors des prochains rendez-vous du Parti socialiste. Le premier secrétaire du PS va donc proposer de « reporter », de « suspendre », l'université d'été du PS et de ses alliés prévue à Nantes en août, au motif de risques de violences.

« Je pense que, devant les risques de violences à Nantes, où dans tout autre endroit où se tiendrait l'université d'été de la Belle Alliance populaire, il vaut mieux reporter, suspendre, l'université de cet été. C'est ce que je ferai comme proposition aux acteurs de la Belle Alliance populaire », a-t-il déclaré dimanche sur France 3. « On en discutera pour trouver une autre date qui permette de faire les choses avec plus de sérénité », a affirmé le premier secrétaire du PS et député de Paris.

Les anti-NDDL veulent se mobiliser

Nantes est une ville où la contestation se nourrit aussi du projet controversé d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Le gouvernement veut relancer les travaux après le soutien du référendum du 26 juin. Le 18 juin, un collectif d'opposants de diverses obédiences, dont des « zadistes » occupant la zone de construction du futur aéroport, s'est ainsi promis de « rendre impossible cette université d'été ». « On nous menaçait de violences sur nos militants, on menaçait de saccager l'ensemble de la ville », a fait valoir Jean-Christophe Cambadélis.

« Les idées fusent déjà, on projette des blocages, on imagine une occupation de la ville, une manif monstre, une université d'été du peuple avec des discussions et des ateliers », ont-ils écrit dans un communiqué publié le 22 juin sur Indymedia Nantes. Samedi, les organisations syndicales de Loire-Atlantique opposées à la loi El Khomri ont annoncé un projet d'« un grand meeting intersyndical » à Nantes le 26 août.

Depuis le début de la contestation contre le projet de loi, des manifestations ont dégénéré plusieurs fois en affrontements entre des groupes de casseurs et la police, notamment à Rennes et à Nantes. Des locaux du PS, de la CFDT, mais aussi de la CGT ont été vandalisés.

Plus tard dans l'année ?

Sur Twitter, la maire de Nantes Johanna Rolland (PS) a salué « une décision responsable qui répond à (sa) demande ».

« Pas surpris », mais « choqué qu'en France, dans une ville comme Nantes, on ne puisse plus organiser un débat (...) parce qu'on est sous la menace d'acteurs violents », a dit le député écologiste « réformiste » de Loire-Atlantique François de Rugy. Il a estimé « sans doute prudent d'agir ainsi ». Président de l'UDE (Union des démocrates et des écologistes), principal partenaire du PS dans la BAP, le secrétaire d'État Jean-Vincent Placé a également approuvé la décision du premier secrétaire : « Depuis le début, je dis que Nantes, c'est compliqué à cause du calendrier (...), sauf si on arrête Notre-Dame-des-Landes. » Il préconise pour sa part une « université d'automne » à Dijon, en octobre.

« Rupture avec les Français »

Interrogé, le maire PS de Dijon François Rebsamen a simplement indiqué qu'il « partage(ait) la décision » de Jean-Christophe Cambadélis et en discuterait avec lui lundi après-midi. Pour le député PS Yann Galut, critique de la loi travail, « l'annonce du report ou de la suppression de #Nantes par Cambadelis montre l'état de rupture du gouvernement avec les Français ».

Jean-Christophe Cambadélis avait créé la surprise en février en annonçant la délocalisation de l'université d'été de La Rochelle à Nantes. Son souhait était alors d'inscrire dans l'espace la volonté du PS de se dépasser dans la Belle Alliance populaire. Selon une source proche du premier secrétaire, il y avait aussi « le fait qu'à Nantes il y a un travail commun entre écologistes et PS... un bon symbole ».

Dans les rangs des Républicains, le report de l'université du PS a suscité des réactions acides. « Jusqu'où vont-ils aller dans le ridicule ? Un parti qui ne se réunit plus n'est plus un parti », a taclé le secrétaire général adjoint LR Éric Ciotti.

 

Source : LePoint.fr

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Le « testament politique » de Michel Rocard

Le « testament politique » de Michel Rocard

Je ne partageais pas toute sa vision, mais Michel Rocard était un sacré bonhomme, avec qui j’ai eu la chance de discuter plusieurs fois.

Je retiendrai de nos échanges sa grande humanité, son souci de la justice et l’attention portée au sort des plus humbles – caractères si rares aujourd’hui…

RIP Michel…

Source : à lire en intégralité dans Le Point, Michel Rocard, 23-06-2016

Ce qu'il dit de Mitterrand, Chirac, Hollande, Juppé, Macron… Son « testament politique »

Le Point : Nous vivons une période de rupture inédite. Quel projet politique crédible peut permettre d’adapter notre société à ces bouleversements ?

Michel Rocard : Pour diriger une société, il faut la comprendre. Or on ne peut plus se comprendre. On va rentrer tous ce soir chez nous et regarder les infos. Il y aura 60 % de faits divers. On ne nous donne ni la matière ni le temps pour comprendre.

Et la presse écrite se laisse entraîner par l’information continue, la télé, Internet… Le système fonctionne pour le divertissement. Comment, dès lors, comprendre le Moyen-Orient ou la crise économique ? Le monde du savoir ne produit plus de connaissances interdisciplinaires, les sociologues ne travaillent pas avec les économistes, qui ont peu ou pas de contact avec les politiques.

C’est donc une question de temps ?

Les politiques sont une catégorie de la population harcelée par la pression du temps. Ni soirée ni weekend tranquille, pas un moment pour lire, or la lecture est la clé de la réflexion. Ils n’inventent donc plus rien. On sent venir l’élection sans projet de société d’un côté comme de l’autre. La démocratie chrétienne avait un projet de société pour toute l’Europe, qu’elle a fini par abandonner. Le gaullisme a disparu. Le communisme s’est englouti dans son propre archaïsme. Le socialisme porte un projet, mais il n’est plus clair depuis longtemps. D’ailleurs, il n’y a plus guère que moi pour en parler… parce que je suis archaïque, probablement.  […]

François Hollande bat des records d’impopularité. S’il ambitionnait un second mandat, quel serait votre conseil ?

Changer ! Le problème de François Hollande, c’est d’être un enfant des médias. Sa culture et sa tête sont ancrées dans le quotidien. Mais le quotidien n’a à peu près aucune importance. Pour un politique, un événement est un “bousculement”. S’il est négatif, il faut le corriger. S’il est positif, en tirer avantage. Tout cela prend du temps. La réponse médiatique, forcément immédiate, n’a donc pas de sens. Cet excès de dépendance des politiques aux médias est typique de la pratique mitterrandienne, dont François Hollande est l’un des meilleurs élèves. Or le petit peuple de France n’est pas journaliste. Il sent bien qu’il est gouverné à court terme et que c’est mauvais. Cela dit, je ne crois pas que François Hollande y puisse quelque chose. D’abord, c’est trop tard. Et puis, on ne change pas comme ça.

Votre pronostic est assez négatif !

L’espoir de l’actuel président de la République de repasser… D’abord, je me demande pourquoi il ferait ça. Il doit commencer à ne plus croire lui-même qu’il fera baisser le chômage. Mais, vous savez, l’attitude de François Hollande n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui compte, c’est l’attitude des médias. La France est entrée dans un déclin profond à cause de la manière dont nous communiquons les uns avec les autres, et c’est irrémédiable. […]

Diriez-vous à la lumière de sa trajectoire que Mitterrand était, en fait, un homme de droite ?

Tout le démontre. C’est évident. Mitterrand était un homme de droite. N’oubliez pas qu’il est devenu premier secrétaire du Parti socialiste moins de trois jours après avoir pris sa carte… Comme accoutumance à une longue tradition culturelle, c’est un peu bref.

Y a-t-il une chose que vous regrettez de ne pas lui avoir dit ?

Non… On s’est tout de même dit beaucoup de choses, par écrit. Ce qui a scellé la qualité de nos relations, c’est quand j’ai écrit, pendant la guerre d’Algérie, qu’il était un assassin. Ministre de la Justice, il refusait d’instruire les demandes de grâce des condamnés à mort. Il faisait la grève administrative pour tuer. Forcément, il n’a pas aimé… Nous n’en avons jamais reparlé.

Jamais ?

Non, cela nous aurait compliqué le travail. Parce qu’on a bien travaillé ensemble. Avez-vous repéré un détail drôle ? Prenez le sondage de popularité du Journal du dimanche sur cinquante ans. Si vous additionnez les cotes de popularité des présidents et des Premiers ministres, nous sommes le binôme gouvernant le plus populaire ! Nous avions tellement peu de plaisir à être ensemble que nous travaillions très vite. Nous avons fait le RMI ensemble dans l’enthousiasme. Et puis il m’a laissé faire la Nouvelle-Calédonie à ma manière. Et la CSG, certes très discutée, mais qui est tout de même un impôt de justice, et les Français l’ont bien compris.

Pensez-vous, comme Régis Debray, que la gauche française a perdu la bataille des idées ?

Oui, la gauche a perdu la bataille des idées, et pas seulement en France. La crise est profonde, mondiale. Quel que soit le prochain président, il n’aura pas les moyens de résoudre tout seul la crise économique. Je ne me prêterai donc pas au jeu de rôles de savoir qui sera le prochain. On peut toujours s’en prendre au politique, mais ce n’est pas sérieux. Nous sommes passés de 5 à 6 % de croissance économique à 2 ou 3 % au mieux. L’autre phénomène est le mépris pour l’investissement : les détenteurs de fortunes préfèrent désormais jouer avec leur argent qu’investir. Les actionnaires s’y sont mis. Ils ont réclamé plus d’argent. Pendant les Trente Glorieuses, période de plein emploi, on rémunérait mal les actionnaires car on payait bien la main-d’oeuvre. Henry Ford avait donné le la en inventant la semaine de cinq jours payés six, “pour que mes travailleurs, disait-il, puissent acheter mes voitures”. Mais voilà, dans les années 70, on a doublé la part distribuée aux actionnaires. D’abord aux dépens des sous-traitants – le patronat a externalisé vers des entreprises petites et peu syndicalisées pour renégocier les contrats -, puis des employés maison. Cela s’est fait dans tous les pays développés. […]

Quel autre tabou la gauche doit-elle faire sauter ?

La gauche française est un enfant déformé de naissance. Nous avons marié deux modèles de société radicalement différents, le jacobinisme et le marxisme. Pas de souveraineté des collectivités territoriales, pas de souveraineté des universités, tout est gouverné par le sommet, ça c’est le jacobinisme. Avec la prétention d’avoir une analyse rationnelle de la production, ça c’est le marxisme. Et, particularité française, la volonté révolutionnaire de travailler à la démolition du capitalisme, ce qui explique l’absence de dialogue social et de culture économique. Pourquoi voulez-vous comprendre le système puisqu’il faut en mettre un autre à la place ? La gauche française se raconte aussi à travers la dynastie de ses chefs : Paul Faure, secrétaire général de la SFIO choisissant le ministre du Travail du maréchal Pétain, ou Guy Mollet, inoubliable créateur de la guerre d’Algérie. D’autres leaders ont contesté l’idée du Grand Soir. Ces progressistes qui voulaient faire marcher l’économie s’appelaient Jean Jaurès ou Léon Blum. Blum, qui était le seul de la bande à avoir lu Marx, a eu cette phrase en 1936 : “A l’évidence, la situation n’a rien de révolutionnaire, nous ne pouvons être que des loyaux gérants du capitalisme.” Cette dissidence subversive est restée minoritaire. Les autres pays se sont débarrassés du marxisme. Les Allemands ont, après guerre, envoyé la dictature du prolétariat, la lutte des classes, Karl Marx et ses certitudes, aux oubliettes de l’Histoire pour se rallier à l’économie de marché.

Pas la France, où Mitterrand, qui avait conquis le PS et voulait le pouvoir, avait un besoin stratégique du PC. Très vite, il a affirmé que les nationalisations étaient une revendication du milieu ouvrier, et que n’était pas socialiste qui s’y refusait. Alors que partout émerge une social-démocratie réformiste, ralliée à une économie de marché régulée pour limiter chômage et inégalités, la gauche française se distingue. La drôlerie, c’est le vocabulaire : les termes “socialisme” et “social-démocratie” sont interchangeables, alors qu’ils ne recouvrent pas la même définition. […]

La parole du politique est aujourd’hui discréditée, elle ne porte plus…

Oui, et elle n’est pas près d’être recréditée ! Rien de ce que je peux vous dire ne se résume en une minute trente à la télévision. Comment réussir à redonner un espoir aux Français si cet espoir n’est pas inscrit dans une durée, au moins celle de la longévité de nos petits-enfants ? Nous sommes aussi vaincus par l’individualisme. J’en ai beaucoup voulu à Manuel Valls de vouloir changer le nom du parti. L’histoire nous a dotés du seul mot qui fait primer le collectif sur l’individu : le “socialisme”. C’est même la seule chose que le socialisme veuille dire, et surtout pas “appropriation collective des moyens de production” ! Mais les frustrations sont telles que d’autres formes de pouvoir émergent. Les partis ne font pas leur boulot, alors les citoyens se prennent en main.

François Hollande a fait du dialogue social l’un des axes de son quinquennat. Cela peut-il fonctionner en France, où les syndicats sont si peu représentatifs ?

Evidemment non. Mais, comme il n’y a pas de substituts, la priorité est à la relance du mouvement syndical, avec interdiction au pouvoir politique ou patronal de trancher à sa place. Le patronat trouve commode d’être bonapartiste et qu’on lui fasse oublier ses partenaires obligés, il lui suffit de négocier secrètement avec l’Etat. Chaque fois que la gauche centralise trop – c’est l’héritage de Mitterrand -, elle prend le risque de donner un poids excessif au grand patronat. Or je ne crois pas à la symétrie des intérêts. En revanche, on diminue le frottement social avec de bonnes négociations. Mais, pour faire renaître une représentativité des syndicats, il va falloir un demi-siècle… […]

Défendez-vous toujours les 35 heures ?

On a pris de la plus mauvaise manière possible une mesure dont le sens général était bon. On y a mis trop d’administration. Comment, dans une usine automobile, par exemple, voulez-vous faire travailler au même rythme les gens qui sont à la production, en flux tendu, ceux qui, à la vente, s’adaptent au rythme des clients, et ceux qui sont à l’administration ou à la direction ? Que la loi ne s’en mêle surtout pas ! De toutes les démocraties, la France est la seule où la loi s’est occupée du temps de travail et, finalement, on fait moins bien que les autres… La seule chose qui ait marché, c’est la loi Robien, qui permet, dans des centaines d’entreprises, comme chez Fleury-Michon, de travailler 28 à 30 heures.

Mais le coût du travail en France est trop important. Or augmenter la durée du travail revient à le baisser…

Il y a un rééquilibrage à faire. La part des emplois dans le public est trop importante. Nous avons 1 million de fonctionnaires en trop, selon les calculs de la Cour des comptes. Le rêve, c’est l’équilibre danois, presque pas de chômage, et des gens qui n’ont pas peur d’y tomber car ils savent qu’ils ne resteront inactifs que quelques mois, parce qu’ils bénéficient d’une formation sûre et rémunérée, mais aussi, il est vrai… obligatoire.

Vous parlez de formation. Pourquoi notre système éducatif est-il à ce point déconnecté du monde du travail ?

L’école obligatoire est le fait des radicaux. Si elle avait été le fait des “hussards de la République”, la relation avec le milieu ouvrier eût été infiniment plus forte. A l’inverse, la coupure a été totale. Elle a été orchestrée par les professeurs de l’enseignement secondaire, issus de la bourgeoisie, qui n’aimaient ni le peuple ni l’école primaire. Nous ne nous sommes jamais remis non plus de la fracture entre les milieux du savoir et ceux de l’économie, science méprisable, puisqu’elle cherchait à savoir comment faire du profit, alors qu’il fallait s’occuper de préparer la révolution. Cela nous a tenus pendant un siècle et demi au moins. Sans compter le monopole de l’Education nationale sur tout le savoir, y compris l’enseignement professionnel, qui s’en est trouvé délaissé, et qu’il faut réhabiliter absolument. […]

La France a déboursé 50 milliards pour les banlieues, mais pour quoi faire ?

La violence urbaine est une vieille affaire. En France, nos rapports avec nos populations immigrées ont été variables et assez étonnants. Nous avons eu énormément d’immigrés entre les deux guerres. Le recensement de 1936 donne 5 à 6 millions d’étrangers, à peu près autant qu’actuellement. Ils étaient belges, italiens, polonais pour l’essentiel. La presse les traitait comme on n’ose plus le faire. Mais tout ce petit monde s’est trouvé naturalisé, si bien que l’état-major de la CGT en a compté de nombreux. Tous les Belges se sont francisés. C’est devenu beaucoup plus calme. Et c’est à ce moment-là que la France a commis une de ses premières lâchetés : accélérer le développement en important beaucoup de main-d’oeuvre, notamment du Maghreb. Une population mâle, non formée, célibataire. Aucun accompagnement pour le logement, aucune anticipation des familles qui finiront par venir. Aucune disposition pour préparer l’alphabétisation, l’encadrement social. Rien. Quatre millions en trois ou quatre ans, de 1969 à 1973. Ce cynisme-là, c’est celui de Pompidou à la demande de nos industries minières, notamment les Charbonnages de France, et de l’UIMM, le syndicat métallurgiste. L’arrêt de cette procédure d’import massif, c’est Giscard. Avec lui, on permet le regroupement familial et on cesse l’ostracisme des immigrés d’Afrique du Nord dans les programmes de logement social. Depuis, l’immigration du travail s’est arrêtée, et l’immigration clandestine ne concerne pas plus de 200 000 personnes par an, soit peu de chose. Mais cela a créé des poches de colère dans le pays. La France n’est pas seule à importer de la main-d’oeuvre. L’Allemagne a fait pareil avec les Turcs, la Grande-Bretagne avec les Pakistanais, les Pays-Bas avec les Indonésiens… Toujours une population masculine, célibataire, sans accompagnement social. Mais la géographie a joué différemment.

Que voulez-vous dire ?

Quand les immigrés vont en Allemagne ou en Angleterre, ils tombent dans des pays où le tissu industriel est réparti sur tout le territoire. La géographie industrielle fait que les immigrés s’installent un peu partout. En France, dès le début, ils se concentrent dans le Nord-Pas-de-Calais et à Paris. Les conditions d’un ferment d’humiliation, d’aigreur, de colère ont été réunies en France plus qu’ailleurs. […]

On en revient à l’idée du respect…

Ou plutôt à sa disparition… Mon ami l’essayiste américain Jeremy Rifkin avait publié un livre intitulé Vers une civilisation de l’empathie (1). A ses yeux, l’empathie est la valeur structurante de la vie. C’est magnifique ! L’empathie, plutôt que la solidarité, qui apparaît plus comptable… […]

Le monde se numérise et rend notre pays vulnérable à la propagation d’idées extrêmes via Internet. Craignez-vous ce phénomène ?

Pour ce qui est des djihadistes, l’influence était essentiellement due à des événements français. Mais nous ne parlons que de quelques centaines d’individus. Dans la numérisation, je vois plutôt un danger pour notre langue. Avec les SMS et autres, il n’y a plus d’orthographe, de nuances, de doute. Le doute est l’accompagnateur infatigable du progrès. Sans le doute, une démocratie ne peut fonctionner. L’éthique, la générosité, la noblesse, l’intégrité n’ont pas leur place dans un système limité à la transmission de faits brutaux. Je ne crois guère au baratin de la restauration démocratique par Internet. […]

Aujourd’hui, quels conseils donneriez-vous à notre ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault ?

La première chose à faire eût été de soutenir Obama dans cette négociation très difficile, où la moitié de la table obéissait aux consignes du Premier ministre israélien Netanyahou, fou de méfiance et d’envie d’aller au choc avec Téhéran. Ce fut malheureusement la ligne Sarkozy-Levitte qui l’emporta, suivie par Juppé et reprise par Fabius sans examen interministériel, et moins encore présidentiel. Je pense que Fabius a joué contre son propre pays. Il reste maintenant à sortir de la méfiance et à passer aux travaux d’application. Les Iraniens ont besoin de nous dans le génie de l’eau, où nous sommes les meilleurs, dans le génie nucléaire civil, dans l’automobile bien entendu, dans la rénovation de leur agriculture… Cela suppose que Jean-Marc Ayrault restaure, avec les Américains, un niveau d’entente qui permette de faire la paix en Irak, puis de trouver une issue à la crise syrienne dans des conditions où l’on puisse reprendre langue avec les Russes.

Parlons de la Russie, justement. Que pensez-vous de l’attitude occidentale à son égard ?

Cela remonte à 1991. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, annonce au monde qu’il met fin au pacte de Varsovie. La suppression du pacte de Varsovie pose la question de l’utilité du Pacte atlantique. Et là, l’Occident commet une erreur tragique. Eltsine ne reçoit aucune réponse. Rien. Silence absolu. Six mois plus tard, le président américain réagit, au nom de l’Otan – mais sans avoir consulté aucun de ses membres -, pour dire en substance aux Russes : “C’est bien d’avoir abandonné le communisme et le pacte de Varsovie ; mais vous restez russes et, par conséquent, nous restons méfiants, nous allons donc étendre le Pacte atlantique jusqu’à vos frontières, et même incorporer d’anciennes républiques de l’Union soviétique, les trois pays baltes.” L’insulte. La gifle. La menace. Vladimir Poutine l’a vécu comme une humiliation. Il en parle tout le temps. Une fois au pouvoir, il va construire sa revanche. Dans l’agressivité russe, il n’y a pas que la volonté de se défendre, il y a aussi le refus de l’offense, la volonté de contre-insulter. Il est évident que l’on ne sortira pas de cette crise sans s’expliquer là-dessus.

Et puis il y a l’Ukraine. Peut-on parler de provocation occidentale ?

Oui, nos diplomates, et plus encore nos journalistes, ont oublié l’Histoire. On a habillé l’Ukraine en peuple opprimé, en Etat potentiellement indépendant. Or l’Ukraine, sur deux millénaires, doit avoir dix-sept jours d’existence comme Etat indépendant ! Elle n’était pas un pays constitué, mais un conglomérat de populations dont la moitié parle russe et l’autre ukrainien, et qui faisait partie des composantes de l’Union soviétique. Et l’Empire est né là, à Kiev. On se serait souvenu de ça, on aurait peut-être eu un vocabulaire et une geste différents. On doit faire passer le message qu’on s’est trompés. L’urgence est d’aider les Russes à résister à la pression chinoise qui veut récupérer la Sibérie ! La Sibérie est la dernière grande zone en dehors de l’Arctique, c’est une réserve de terres émergées dont beaucoup de ressources non exploitées permettraient de faire vivre les 2 milliards d’hommes supplémentaires qui arrivent ! Sa mise en valeur va pourtant se faire par un consortium sino-japonais : l’argent chinois et la technique japonaise. L’intérêt chinois est sans équivoque. Si on veut avoir notre place là-dedans, il n’y a que deux voies : la russe ou la turque. On s’est intelligemment fermé les deux ! Vous comprenez que je hurle devant toute cette imbécillité !

Donc Poutine est “notre nouvel ami”, mais avec vigilance ?

Avec vigilance naturellement, mais ça commence par son accord à lui. Il a été amèrement déçu, et convaincu qu’il n’y a rien à faire avec l’Occident. D’où, incidemment, le caractère parfaitement géostratégique et décisif de la reconstitution de son tissu diplomatique autour de l’Iran, redevenu un pays “civilisé”. Nous n’avons pas de raison valable de faire confiance de manière définitive aux Iraniens ou aux Russes. Je serais moins méfiant vis-à-vis des Chinois. Cinq mille ans d’histoire. Envahis de multiples fois. Jamais d’intervention extérieure, sauf pour deux “Alsace-Lorraine”, deux pays en incertitude nationale, le Vietnam et le Tibet. Mais ce n’étaient pas des agressions coloniales, les populations sont trop mélangées. Quand les élites chinoises vous disent que le différend avec les Américains se réglera par la guerre dans quelques décennies, mais pas à leur initiative, il y a du souci à se faire, et une indication de voie diplomatique. Je suis le confondateur du Forum Chine-Europe…

Et la Syrie ? Que faire de Bachar el-Assad ?

On l’a sous-estimé. La Syrie, c’est 51 % de sunnites wahhabites, les plus infréquentables ! Et après, vous avez une mosaïque : les Kurdes, les Druzes, trois ou quatre églises chrétiennes, plus les chrétiens maronites du Liban, et les alaouites. Le chiisme (30 à 35 %) comporte aussi ses sectes… Au milieu de tout ça, le facteur de maintien de l’ordre, c’était Bachar el-Assad, avec cette circonstance à laquelle on n’a pas fait attention : ceux dont Bachar avait le plus peur, c’était de ces sunnites qui ont une conception de la démocratie proche de celle de l’Arabie saoudite… En plus, nous sommes partis un peu vite. La France a pris l’initiative de créer et de soutenir une coalition nationale syrienne dont la moitié des membres sortaient de prison pour raisons politiques. Pas vraiment une culture de haute influence. Il y a aussi quelques malfrats dans le coup. C’est moins de 10 % de l’opinion syrienne. Là, on s’est plantés à la limite du ridicule. Laurent Fabius a jugé bon de désactiver la DGSE sur la Syrie. Nos meilleurs officiers de renseignement n’en reviennent pas de ne plus avoir l’autorisation de travailler sur la Syrie. Bachar el-Assad est aussi tueur que les autres, mais pas plus !

Sans compter que la plupart des factions de l’opposition syrienne sont des “faux nez” d’Al-Qaida ou d’autres…

Oui, et nous sommes maintenant absents de cette zone, alors que nous y étions les seuls Occidentaux respectés, car on s’est déshonorés moins que d’autres. Souvenez-vous du Liban. On avait envoyé des forces de l’Onu. Des kamikazes tuent en un seul “coup de camion” 50 ou 60 marines américains. L’Occident décide de s’en aller. Départ américain : 4 heures du matin. Personne au port. Départ français : plein midi. Levée du drapeau. Pleurs, etc. Nous sommes peu nombreux à le savoir… Mais j’étais très ami avec Louis Delamare, notre ambassadeur au Liban qui a été assassiné en 1981.

Vous avez déclaré : “Il faut écologiser la politique.”

Il faut classer le réchauffement climatique et les grandes épidémies comme des menaces pour la sécurité internationale. La COP21 a instauré une rupture et une opportunité considérables. L’Onu a réuni une assemblée générale qui a fini, certes, sans mesure collective contraignante, mais a su réunir de multiples parties prenantes : non seulement des Etats, mais aussi des pouvoirs régionaux, de grandes entreprises, des ONG… On peut donner une traduction juridique à tous ces engagements. La judiciarisation des problèmes de criminalité climatique internationale commence. Donc nous sommes dans une phase de risque d’enlisement, mais aussi de promesses. Enfin, le mandat du secrétaire général Ban Ki-Moon finit dans moins de deux ans, et “le tour” veut que la zone devant fournir le prochain soit l’Europe de l’Est. Compte tenu de ce qui s’est passé en Europe de l’Est, de son désintérêt pour toute diplomatie internationale, de son attachement viscéral à l’Otan et aux Américains, de sa volonté de réduire l’Union européenne à une grande Suisse et vu les personnels qui gouvernent dans ces pays, on a neuf chances sur dix d’avoir comme prochain secrétaire général un bureaucrate ex-KGB sorti d’un de ces pays. Les milieux “sérieux” de la planète commencent à se demander s’il ne serait pas temps de modifier les procédures pour ouvrir le champ de recrutement. Il reste des choses à faire pour un pays qui aurait des ambitions et voudrait recouvrer sa fierté…

Pour finir, la question de Bernard Pivot. Le jour où vous rencontrerez Dieu, qu’aimeriez-vous l’entendre dire ?

(Silence)… Oh, j’aimerais l’entendre me dire : “Petit, tu n’as pas trop mal travaillé. Tu as essayé de ne pas oublier les principes immuables de la société des humains.”

(1) “Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie” de Jeremy Rifkin (Actes Sud/Les liens qui libèrent, 894 pages., 13 euros).

Propos recueillis par Emmanuel Berretta, Caroline Galactéros et Olivia Recasens

Source : à lire en intégralité dans Le Point, Michel Rocard, 23-06-2016

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