lundi 4 juillet 2016

Brexit : l’effarant après référendum

Brexit : l'effarant après référendum

L'onde de choc déclenchée par le vote du 23 juin des britanniques pour sortir de l'UEa provoqué un séisme révélateur dans notre débat public. Comme si tous les travers des dernières décennies s'étaient concentrés en quelques jours qui ont vu un déferlement de mensonges et choix effarants.



En France, des média façon Pravda

Bien sûr, il y a des exceptions, mais le traitement du référendum par la majorité des média est honteux de biais partisan. Ne doit-on pas au minimum envisager la thèse et l'antithèse ? Là, nous avons eu droit à une présentation totalement caricaturale du débat et du vote. N'ont eu droit de citer que les habitants de Londres (à 75% contre la sortie), les financiers (la bulle dans la bulle), les expatriés Français vivant au Royaume-Uni, ou les expatriés britanniques vivant en France. Les 17 millions de britanniques ayant choisi de quitter l'UE n'ont été représentés que par une poignée d'individus affirmant regretter leur vote, sur la foi d'une pétition aux scores trafiqués. Quelle intolérance et manque de respect démocratique à l'égard de cette majorité qui s'est exprimée clairement, avec 72% de participation !

Nous avons même eu droit au plus ridicule des arguments, magistralement démonté par Olivier Berruyer sur son blog, à savoir le procès des personnes âgées, qui auraient imposé le Brexit aux jeunes, comme a titré le Times. Déjà, il faut noter que les médias se sont référés à la seule tranche des 18-24 ans, feignant d'ignorer que les 35-44 ans étaient déjà presque à parité. Ensuite, ils ont aussi feint d'ignorer que 64% des 18-24 ans n'ont pas voté. Bref, le premier choix des jeunes a été l'indifférence. Et seulement un quart d'entre eux a voté contre le Brexit. Il est tout de même effarant que les ayatollahs eurobéats aient utilisé un tel argument quelques jours à peine après le vote de la présidentielle Autrichienne, où pas moins de 51% de ces mêmes jeunes avaient voté pour l'extrême-droite au premier tour !

Et dans ce grand n'importe quoi, les marchés, jamais en reste, se sont effondrés, avant d'effacer les pertes consécutives au référendum en quelques jours, démontrant sans doute que la sortie de l'UE n'aura pas un si mauvais effet. Nous avons également eu droit aux despotes en herbes, qui envisagent très sérieusement de passer outre ce vote. David Cameron a eu l'indécence de demander le départ du chef du Labour, alors qu'il n'a toujours pas quitté son poste ! Bien sûr, le camp du Brexit n'est pas exempt de toute critique, même s'il faut nuancer les attaques violentes venues de média peu objectifs sur la question, le refus de Boris Johnson de se présenter pour prendre la tête du parti conservateur apparaissant pour le moins suprenante, même s'il faut nuancer par le fait que d'autres partisans du Brexit y vont.




Le climat post référendum est si délétère qu'on en vient à craindre que les dirigeants britanniques finissent par ne pas respecter le vote du 23 juin. Ceci sera un test intéressant pour la solidité de la démocratie de nos voisins : est-elle aussi mal en point que la nôtre, qui avait trahi le vote de mai 2005 ?

Le comité central d’EDF convoqué pour se prononcer sur le projet de l'EPR d’Hinkley Point

Le comité central d'EDF convoqué pour se prononcer sur le projet de l'EPR d'Hinkley Point

Personne ne veut de ce réacteur, ni les ingénieurs, ni les techniciens, car ils estiment que l’EPR est une mauvaise série de réacteur. Le seul qui veut sa construction, c’est le PDG d'EDF. Et il est prêt à parier, quitte ou double, la survie d'EDF sur ce projet. Et de toutes manières il s'en fiche, s’il se plante c'est ENCORE l'État et les contribuables qui viendront renflouer l'entreprise (voir vidéo ci-dessous).

Le comité central d’entreprise d’EDF est convoqué lundi 4 juillet pour se prononcer sur le projet controversé de construction de deux réacteurs EPR (Evolutionary power reactor) près de Hinkley Point au Royaume-Uni. Cette séance est un passage obligé pour l’électricien avant toute décision finale d’investissement sur ce programme gigantesque d’un coût de 18 milliards de livres (environ 21,7 milliards d’euros). Les syndicats CGT, CFE-CGC et FO ont demandé à plusieurs reprises son report, craignant qu’il ne fragilise les finances du groupe.

Lire aussi :   Hinkley point, un projet semé d’embûches

La procédure de consultation du CCE, en cours depuis mai avec une expertise votée à l’unanimité par les élus, est censée se terminer lundi compte tenu des délais légaux. Mais l’instance, estimant qu’elle ne disposait « pas de tous les éléments pour émettre valablement un avis » sur le projet malgré ses demandes à la direction, a fini par assigner EDF en référé. L’audience est fixée le 22 septembre à Paris.

Lire aussi :   Le nucléaire français est-il en déclin ?

Toutes les issues possibles

Le comité central d’entreprise a été « contraint de faire valoir ses droits » faute d’avoir obtenu les documents de façon « amiable », a fait valoir selon son secrétaire Jean-Luc Magnaval. Engagée le 22 juin, cette démarche en justice n’a pour l’instant pas changé la donne. EDF a pris acte de la décision du CCE, mais a assuré avoir fourni à l’instance, qui rassemble les quatre syndicats représentatifs (CGT, CFE-CGC, CFDT, FO), une « information complète » permettant aux élus « d’exprimer un avis » lors de la séance de lundi.

Dans ces conditions, « toutes les issues sont possibles », a estimé M. Magnaval. Chacun « ira [à la réunion] pour y donner sa position, y entendre une proposition de dialogue d’ici le jugement ou y entendre une porte qui se ferme et chacun prendra ses responsabilités. »

Lire aussi :   EDF doit-elle construire des EPR au Royaume-Uni ?

L’impact du Brexit

Les fédérations CGT, CFE-CGC et FO de l’énergie, qui militent de longue date pour le report de deux ou trois ans de ce chantier, ont encore plaidé en ce sens jeudi, le jugeant « plus que jamais nécessaire » du fait du Brexit et du « contentieux » avec le comité central d’entreprise : « La prise en compte de la nouvelle réalité politique britannique et la nécessité de respecter les prérogatives du CCE sont impératives »

Lire aussi :   Chez EDF, pro et anti-Hinkley Point s’affrontent

La décision finale d’investissement d’EDF, initialement attendue début mai, a de fait été reportée en raison de la consultation du comité central. Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, qui soutient le projet, avait alors évoqué septembre. Mardi, il a invité l’électricien à faire un choix rapidement, assurant, à l’instar du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy, que le Brexit ne remettait pas en cause Hinkley Point.

Lire aussi :   L’onde de choc du « Brexit » atteint les entreprises françaises


Source : Le Monde.fr

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Crashdebug.fr : Pacte de responsabilité : Où sont les contreparties ? 
Crashdebug.fr : Fukushima le désastre oublié...

 

 

La France menace de ne plus appliquer la directive sur les travailleurs détachés

La France menace de ne plus appliquer la directive sur les travailleurs détachés

Avec le Brexit et 88% des Français(es) qui veulent quitter l’Union européenne, le gouvernement et l'UE sentent le vent du boulet venir. Aussi, comme ils savent pertinemment qu’ils ont été trop loin et depuis trop longtemps..., ils tentent de revoir leur copie. Écoutez-moi, je ne peux que m’en réjouir, car je m’étais ému de cet esclavagisme moderne déguisé (voir reportage de Cash Investigation ci-dessous), et c’est autant de boulot qui reviendra de facto à des Français(es)

La France pourrait ne plus appliquer la directive européenne sur les travailleurs détachés, si elle n’obtient pas gain de cause à Bruxelles sur sa demande d’un alignement « par le haut » des cotisations sociales versées, a menacé dimanche 3 juillet Manuel Valls.

Né d’une directive européenne de 1996, ce principe permet à des salariés de pays membres de travailler dans un autre pays de l’Union. Les travailleurs sont payés selon le salaire local, mais les cotisations sociales appliquées restent celles de leur pays d’origine. La Commission européenne entend revoir les règles du détachement, mais onze Etats sur 28 s’opposent à cette réforme.

Lire aussi :   Travailleurs détachés : une réforme qui divise l’UE

« Un dispositif européen qui fait des ravages majeurs »

Interrogé sur le sujet sur TF1, le Premier ministre a tonné :

« Le gouvernement français cherche aujourd’hui à convaincre – et beaucoup de pays sont d’accord avec lui – qu’il faut changer, qu’il doit y avoir une égalité de traitement, par le haut, pour lutter contre le dumping social, qu’on doit payer les cotisations sociales les plus élevées (...) Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n’applique plus cette directive. »

« Si ce n’est pas possible de convaincre, il faudra revenir là-dessus », a encore affirmé M. Valls, fustigeant un « dispositif européen qui fait des ravages majeurs, terribles, dans le monde des salariés, le monde ouvrier. »

Les travailleurs détachés « ne payent pas (...) les mêmes cotisations sociales » que les salariés des pays où ils travaillent temporairement, s’est ému M. Valls qui juge que « ce point-là, ça ne peut plus durer » car « le dumping social est insupportable ».

Lire aussi :   De la Pologne à la France, le quotidien précaire des travailleurs détachés

La Pologne, principal pays d’origine des salariés détachés en France

Selon la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI), le recours au détachement a concerné, en 2015, 286.025 travailleurs (+25 % par rapport à 2014).

La Pologne est le principal pays d’origine des salariés détachés en France, avec 46.816 travailleurs. Suivent le Portugal (44.456), l’Espagne (35.231) et la Roumanie (30.594). Le bâtiment-travaux publics (BTP) reste le premier secteur concerné (27 % des déclarations).

Le système fait l’objet de nombreux détournements : non-déclaration, rémunérations très inférieures au Smic, dépassement des durées maximales de travail, hébergement indigne, etc.

Le projet de la Commission européenne, soutenu par la France mais aussi l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, la Suède et les Pays-Bas, prévoit d’aligner les régimes des travailleurs détachés sur ceux des travailleurs locaux. Le projet prévoit également de limiter à deux ans les missions des travailleurs détachés.

Onze pays européens, dont dix d’Europe de l’est, ont adressé un « carton jaune » à la commission, bloquant pour l’instant le processus législatif autour de ce projet porté par la commissaire européenne chargée du travail Marianne Thyssen. La Commission a promis de leur répondre avant fin juillet.

 

Source : Le Monde.fr

Informations complémentaires :

 
 

 

Mardi 12 juillet : AfterWork Spécial Brexit

Mardi 12 juillet : AfterWork Spécial Brexit

Vu le succès des premiers Afterworks, et pour échanger par exemple sur le Brexit, je propose aux Parisiens de nous retrouver pour manger anglais prendre un verre le mardi 12 juillet (jour de la Saint Olivier…) à partir de 19h30, dans le quartier des Halles.

L’idée est de faire connaissance, de discuter du blog et de l’actualité, de répondre à vos questions, et surtout de faire se rencontrer la communauté qui s’est créée, pleine de gens sympathiques…

 

Afin de gérer tranquillement les inscriptions, qui doivent être limitées, nous avons créé une application dédiée aux inscriptions aux rencontres du blog (qui est donc en rodage…), qui vont être plus fréquentes en 2016.

Pour cela, il faut : 1/ créer une fois pour toute un compte utilisateur, et 2/ s’inscrire ensuite à la rencontre.

Bref, les inscriptions, c’est ici.

 

Rendez-vous donc de nouveau au Café Paris Halles – Adresse : 41 Boulevard de Sébastopol, 75001 Paris – Métro Châtelet/Les Halles, ou bus 69 – Téléphone : 01 40 26 49 19 (1 conso obligatoire pour le bar svp)

En espérant vous y croiser…

Amitiés

Olivier Berruyer

La haine de gauche de la souveraineté, par Jacques Sapir

La haine de gauche de la souveraineté, par Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 27-06-2016

Nous vivons un moment souverainiste, comment le nier, avec le vote sur la sortie de la Grande Bretagne de l'Union européenne. Mais, ce « moment » ne date pas de ce vote. Il a commencé en novembre dernier, lors de la tragique nuit du 13 où la France fut endeuillée par d'odieux attentats. J'en ai fait le constat dans un ouvrage récent, Souveraineté, Démocratie, Laïcité[1].

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Ce moment souverainiste découle des aspirations démocratiques des peuples. Il a pris forme dans la décision de François Hollande de mettre en œuvre l'état d'urgence. Et, comme l'on pouvait le prévoir, il s'est trouvé dépassé par les conséquences de son acte. Un homme ne croyant plus à la souveraineté française obligé de faire un acte souverain : telle est la contradiction dans laquelle il se débat, et en un sens se noie.

Cette contradiction est devenue encore plus évidente avec le vote britannique du 23 juin. L'incohérence de ses réactions, justement notée par plusieurs dirigeants politiques qu'il a reçu le samedi 25, en découle. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon déclarait-il sortant de cette réunion : « Je ressors quelque peu consterné. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est une agitation et des bricolages, et pas du tout une réponse à la hauteur des événements« [2]. D'autres on fait des constats encore plus cruels. Mais, ceci pose aussi, avec une force certaine, la question du rapport de la gauche à la souveraineté.

L'insistance mise par certains à vouloir attacher le mot « gauche » à divers actes, qu'il s'agisse d'une sortie potentielle de l'Euro au « Brexit », est ici révélatrice. Tout d'abord de leur embarras face à des actes dont ils sentent bien la nécessité mais dont ils ont du mal à assumer l'origine. Comme si parler d'une sortie de l'Euro « de gauche » changeait quoi que ce soit à l'affaire. Ensuite, sur le fond, quant à la question de la souveraineté. Or, historiquement, la gauche a toujours portée haut et fort la question de la souveraineté, du moins jusqu'au années 1920. Il faut alors comprendre pourquoi elle s'est éloignée de cette notion, au risque de se mettre en porte-à-faux que ce soit avec son combat pour la démocratie politique ou que ce soit avec une partie importante de son électorat. Les turbulences que connaît aujourd'hui le parti travailliste en Grande-Bretagne illustrent ce problème[3].

Les raccourcis tactiques

La rupture avec la question de la souveraineté peut être purement tactique au départ. Ce fut le cas d'ailleurs en Grande-Bretagne. La gauche britannique ayant subie une défaite majeure des mains de Mme Thatcher a pensé, et avec elle une partie de la social-démocratie européenne, que le cadre européen lui serait plus propice et qu'elle pourrait limiter les effets pervers d'un rapport de force par trop défavorable en s'appuyant sur un contexte « d'Europe sociale ». Sauf que cette Europe sociale n'a jamais vu le jour et que la structure même des institutions européennes rend impossible cette « Europe sociale ». Dans un article récent, Cédric Durand en tire les conclusions : « l'intégration continentale ne progresse alors plus que par lente sédimentation des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. Sa relance dans les années 1980, qui conduit à la réalisation du marché unique puis à l'union économique et monétaire, coïncide avec l'affirmation de l'idéologie néolibérale et de l'hégémonie de la finance »[4].

Dès lors les discours sur la volonté de construire, dans le cadre de l'Union européenne, une « autre Europe » doivent être pris pour ce qu'ils sont : au mieux des illusions, au pire des mystifications mensongères qui n'ont pour but d'emmener les électeurs à soutenir in fine l'UE « réellement existante » dans un mécanisme où l'on reconnaît la transposition du soutien à l'URSS.

Cette rupture tactique est en réalité une position extrêmement inconfortable, qui contraint les partis qui y adhèrent, que ce soit le parti travailliste en Grande-Bretagne ou le PCF en France, à des contorsions politiques et intellectuelles qui achèvent de les discréditer.

Le millénarisme apocalyptique

Mais, cette rupture avec la souveraineté peut être beaucoup plus profonde. Ce que l'on gagne en logique cependant se fait au prix d'une rupture avec le principe de démocratie. On peut parler, là, d'une involution profonde de la gauche, qui la conduit vers des horizons technocratiques où certains de ses membres peuvent se faire corrompre par l'élite oligarchique. Mais, cette rupture profonde est liée à un événement européen. C'est ce qui explique que les forces de gauche extra-européennes, celles d'Amérique Latine, du Moyen-Orient ou d'Asie, sont restées fidèles à la notion de souveraineté, voire à la notion de nationalisme.

Ce qui justifie, et en partie explique, cette évolution est en réalité le bilan tiré de la guerre de 1914-1918. L'horreur indicible des combats a conduit à deux types de positions. D'une part, elle a suscité un pacifisme intégral qui, logiquement, a voulu supprimer les Nations pour prétendre « supprimer » la guerre. Une première mouture de ce pacifisme intégral a sombré corps et âmes dans la collaboration. Une seconde mouture a pris naissance dans les années 1950 et prétend que la construction européenne (que ce soit sous la forme de la CEE ou de l'UE) est garante de paix. Or, la paix en Europe provient de la réconciliation franco-allemande et de la dissuasion nucléaire, et plus précisément de la diversification de cette dernière lors de l'émergence d'une force de dissuasion crédible du côté français. À rebours, l'UE s'est avérée un facteur de troubles et de guerre su sa périphérie, comme le montre la guerre civile dans l'ex-Yougoslavie, engendrée par la volonté de certains de rejoindre l'UE au plus vite.

D'autre part, l'horreur de la guerre de 1914-1918 a aussi engendré l'idée d'une rupture radicale, concrétisée dans la Révolution russe. Se construit alors une pensée millénariste qui se prépare à une « fin des temps » dont surgira un monde nécessairement meilleur. Comme tout millénarisme, ce dernier est, bien entendu, profondément opposé à la notion de souveraineté parce que celle-ci implique l'existence de médiations politiques (la démocratie) alors que la pensée millénariste prétend construire un monde unifié, dépourvu de médiations. Telle est la source profonde du rejet par la gauche « révolutionnaire » ou « radicale » de la notion de souveraineté. Elle ne peut, cette gauche, retrouver cette notion qu'en disant adieu au rêve millénariste et en revenant à l'Histoire et à ses méandres comme à ses ruses.

Ce millénarisme est cependant constamment réactivé par des peurs présentant l'Histoire comme sur le point de se finir, qu'il s'agisse de la peur de la guerre nucléaire ou du changement climatique. Ce que l'on conteste est bien entendu non pas le caractère dramatique de tels événements, mais le fait qu'ils interrompraient le fil de l'Histoire et qu'ils justifieraient une pensée niant la présence de médiations.

Un legs marxiste ?

Mais, il faut reconnaître que les racines de cette pensée se trouvent déjà dans Marx. La question fondamentale que pose la démarche de Marx n'est pas la critique des illusions de la neutralité de l'État, ou du caractère illusoire de la représentation d'une communauté nationale dépourvue de conflits, visions qui sont celles des courants démocratiques de la première moitié du XIXème siècle contre lesquels il propose sa théorie du communisme[5]. Cette critique est juste, et reste opératoire. Ce qui pose problème est qu'elle nous propose aussi une critique de l'État à partir d'une utopie, celle de la société sans classe, dénuée de fétichisme. Cette utopie est parfaitement congruente avec l'utopie libérale issue de la tradition néoclassique. Ceci peut alors conduire à une naturalisation de fait de l'économie et de la société qui aboutit à une dépolitisation du politique.

La politique, perçue comme l'espace à la fois d'expression et de constitutions de représentations collectives, la notion de l'espace de controverse que l'on a déjà beaucoup utilisée, disparaît alors. Cette dérive n'est d'ailleurs pas le propre de ce que l'on peut appeler le marxisme soviétique ou stalinien. Quand Trotski se pose la question de la nature des conflits sous le socialisme à venir, il ne les voit qu'entre ce qu'il appelle des « partis techniques »[6]. Les choix économiques sont ici réduits à des options techniques.

Ceci explique sans doute pourquoi nombre de penseurs nourris du marxisme très particulier qui circulait en URSS et dans les pays du bloc soviétique, peuvent se rallier si facilement aux thèses ultra-libérales. De même, on peut comprendre comment certains anciens marxistes, et en particuliers ceux qui ont entretenus avec la pensée de Marx les rapports les plus dogmatiques, se sont si aisément convertis aux idées libérales, comme par exemple M. Barroso.

Il nous faut donc réfléchir profondément aux sources de la négation de la souveraineté. Ces sources conduisent les forces se disant de gauche dans des impasses, que ce soit à très court terme, et la crise actuelle du Labour en Grande-Bretagne en est une démonstration, ou que ce soit à long terme en conduisant ces forces à nier le principe démocratique sur lequel elles sont en réalité assises.

 

[1] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

[2] http://www.europe1.fr/politique/brexit-les-propositions-de-hollande-sont-des-bricolages-pour-jean-luc-melenchon-2782249

[3] http://www.bbc.co.uk/news/uk-politics-36632539 et Labour Leader Jeremy Corbyn Rejects Calls To

Stand Down, www/brexit-corbyn-resignation-eureferendum-474539

[4] http://www.contretemps.eu/interventions/temps-dislocation

[5] Voir J. Torrance, Karl Marx's Theory of Ideas , Cambridge University Press et Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, Cambridge-Paris, 1995.

[6] Voir, L. Trotsky, Terrorisme ou Communisme, UGE, coll. 10/18, Paris, 1963.

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 27-06-2016

L’Italie veut éviter que ses banques soient le premier domino de l’après-Brexit, par Romaric Godin

L'Italie veut éviter que ses banques soient le premier domino de l'après-Brexit, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/06/2016

La banque Monte dei Paschi di Siena est considérée comme la plus fragile d'Italie.Elle est fragilisée par le Brexit. (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

La banque Monte dei Paschi di Siena est considérée comme la plus fragile d’Italie.Elle est fragilisée par le Brexit. (Crédits : © Stefano Rellandini / Reuters)

La crise de l’après-Brexit a fortement touché le très fragile secteur bancaire italien. Rome essaie de trouver des solutions en évitant de recourir à la résolution unique de l’union bancaire européenne.

Un premier domino serait-il sur le point de tomber en Europe après l’annonce du vote britannique en faveur du Brexit et ses conséquences sur les marchés financiers. La rumeur circule en effet depuis quelques jours que le gouvernement italien préparerait un plan de sauvetage des banques italiennes et entendrait le finaliser avant la fin de la semaine. Il est vrai que le secteur bancaire italien est le talon d’Achille connu de la zone euro avec ses 360 milliards d’euros de créances douteuses. Un mal qui n’a jamais été totalement réglé. Logiquement, les banques de la Péninsule ont été sous pression. Malgré le rebond du mardi 28 juin, l’action Mediobanca, par exemple, affiche un recul d’un quart de sa valeur. Une chute pas si éloignée de celle de l’action Unicredit ou de l’action Monte dei Paschi di Siena.

Le problème, c’est que, si cette chute se poursuit, les banques italiennes risquent de voir leurs besoins de capitaux déjà importants en raison des créances douteuses augmenter et leur capacité à lever des fonds sur les marchés se réduire. Plus la crise post-Brexit durera, plus les investisseurs tableront sur une facture élevée pour les créances douteuses avec la contagion de la récession britannique au continent et la perte générale de confiance, et plus la situation deviendra critique. La BCE offre certes des liquidités gratuitement, mais pas des fonds propres. L’Etat italien doit donc se préparer à agir. Et pourrait avoir besoin de 40 milliards d’euros.

Première crise de l’union bancaire ?

Mais cette crise bancaire italienne qui se profile est la première crise de l’ère de l’union bancaire européenne qui est pleinement entrée en vigueur, avec son aile de résolution des crises, le 1er janvier dernier. On se souvient que cette résolution unique avait été jugée comme une grande avancée pour la stabilité financière du continent. Dans cette nouvelle disposition, la priorité est donnée au sauvetage de « l’argent des contribuables ». Le sauvetage bancaire direct par les Etats, comme en 2008-2009, est donc interdit. Pour renflouer une banque, il faut faire participer les actionnaires, les créanciers et les déposants de plus de 100.000 euros. Si cela ne suffit pas, un Fonds de résolution unique, sorte d’assurance payée par le secteur lui-même, peut intervenir.

Le problème italien du « bail-in »

En Italie, cependant, ce processus est particulièrement redouté. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que de nombreux petits épargnants ont, sur les sollicitations des banques, acheté des obligations de leurs établissements. En cas de « sauvetage par les créanciers » (« bail-in »), ils risquent de tout perdre, n’étant pas protégé par la garantie de 100.000 euros qui ne concernent que les dépôts. En novembre, lors du sauvetage de quatre petites banques, le gouvernement italien avait dû faire face à de fortes protestations et au scandale du suicide d’un créancier retraité qui avait vu ses économies réduites à néant. Ceci aura des conséquences sur la confiance des ménages et des entreprises et pourraient alimenter une épargne de précaution qui bloquerait le moteur de la consommation des ménages, un des rares qui fonctionne encore en Italie. Rome vient d’ailleurs de faire adopter un décret pour rembourser les petits porteurs de dette des quatre banques “sauvées” en novembre  à hauteur de 80 %. Bref, au final, ce sont bien les contribuables qui ont payé l’essentiel de la facture, mais ceci n’est plus possible dans le cadre du mécanisme de résolution.  On comprend alors que le gouvernement, depuis des mois, cherche des moyens de « contourner » l’union bancaire.

Contourner l’union bancaire…

Selon le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore, lors du sommet des 28 et 29 juin, Matteo Renzi pourrait ainsi demander des dérogations à ses partenaires, notamment pour ne pas avoir recours au « bail-in » de la clientèle particulière. Mais en faisant porter le fardeau aux seuls investisseurs institutionnels, le gouvernement italien risquerait de renforcer encore le manque de confiance vis-à-vis des banques italiennes sur les marchés. Ces investisseurs, dont les actions pourraient être diluées et les créances transformées en capital avec une décote, seront particulièrement prudents et toute levée de capitaux sur les marchés des banques serait impossible pendant longtemps. Le risque serait alors de reporter le risque sur les déposants, alors que le « troisième pilier » de l’union bancaire, la garantie européenne de ces dépôts de moins de 100.000 euros, n’existe pas. La charge en reviendrait à l’Etat italien, alors que les dépôts des entreprises seraient mis à rude épreuve, réduisant encore les perspectives d’investissement et de croissance.

Certes, la facture de la recapitalisation des banques italiennes pourrait n’être que de 40 milliards d’euros si l’on ne prend en compte que les créances les plus douteuses. Mais en cas de crise financière, cette facture peut vite grimper et épuiser les solutions les unes après les autres. Rome ne veut pas, en réalité, de bail-in. Il Sole-24 Ore évoque alors la demande d’une intervention « préventive » du MES pour recapitaliser les banques non pas après le « bail-in », comme c’est prévu, mais avant. Ce serait là un changement de règles important pour le mécanisme de résolution et, de toute façon, l’intervention se fera moyennant un « plan d’ajustement » du pays qui risque de coûter politiquement et économiquement très cher à Matteo Renzi.

Vers un fonds Atlante II ?

Rome préparerait donc d’autres solutions « nationales » et pourrait, là aussi, demander la possibilité d’agir à ce niveau, malgré l’union bancaire, lors du sommet. Il Sole-24 Ore évoque plusieurs pistes : garanties du Trésor sur la dette bancaire, une « bad bank » (mais les discussions avec Bruxelles sur le sujet sont en cours et pourrait durer jusqu’à l’automne) ou même une recapitalisation directe, en levant l’interdiction actuelle. Le quotidien turinois La Stampa considère, de son côté, que, compte tenu de l’incompatibilité de la résolution unique européenne avec la situation italienne, le scénario le plus probable est celui d’un fonds « Atlante 2 » sur le modèle du fonds « Atlante » ( du nom italien du géant Atlas qui portait le monde sur ses épaules) créé au printemps pour sauver deux petites banques, Banco Popolare di Vicenza (BPV) et Banco Veneta.

Les difficultés d’Atlante I

Mais est-ce une solution ? Le fonds Atlante est abondé par les banques privées et par la banque publique Cassa dei Prestiti e Depositi (CDP, équivalent italien de la Caisse des Dépôts et Consignations). Les montants levés ont été de 4,8 milliards d’euros, à charge ensuite à Atlante de lever dix fois ce montant pour parvenir à 50 milliards d’euros. Or, ces levées de fonds sont loin d’être acquise dans le contexte actuel. Déjà en avril, Atlante avait eu du mal à récolter les fonds nécessaires auprès des grandes banques privées. Ce devrait être encore plus difficile à présent. D’autant que le sauvetage des « petites banques » par ce fonds revient à un transfert du risque de ces établissements modestes vers les grands, qui n’ont pas vraiment besoin de cela. Atlante n’avait pas réussi à rétablir la confiance : la levée de fonds de Banco Popolare di Vicenza avait été un échec cuisant et Atlante avait dû racheter 91,7 % de l’augmentation de capital. Les investisseurs étrangers avaient boudé la BPV, malgré Atlante.

Une intervention déguisée de l’Etat ?

Dans le cas d’Atlante II, la difficulté est plus grande : les grandes banques vont devoir abonder pour se sauver elles-mêmes. Selon La Stampa, il s’agirait en réalité de sauver la banque toscane Monte dei Paschi di Siena, maillon faible du système italien. Mais en puisant dans les fonds propres des autres banques, on risque de les affaiblir. A moins que, via la CDP, ce fonds ne soit que le vecteur d’une aide d’Etat déguisée. La CDP est publique, mais a un statut de droit privée. Sauf qu’elle peut compter sur la garantie de son actionnaire, l’Etat. Le problème, c’est que la CDP ne dispose pas, malgré cette garantie de fonds illimités. « Atlante II » – qui viendrait confirmer l’échec d’Atlante I et de son « effet de levier » – pourrait donc ne pas suffire. Or, la partie est serrée. Un sauvetage bancaire italien porterait déjà un coup à la confiance en zone euro en mettant à jour la contagion de la crise née du Brexit sur le continent, mais aussi, malgré les spécificités italiennes, les limites du nouveau mécanisme de résolution de l’union bancaire européenne. Mais un échec de ce sauvetage aurait un effet très négatif sur le secteur et la confiance.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/06/2016

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Bruxelles autorise Rome à soutenir ses banques, mais pas à les sauver

Source : La Tribune, Romaric Godin, 01-07-2016

L'Italie peut soutenir ses banques, pas encore les sauver. (Crédits : © Alessandro Bianchi / Reuters)

L’Italie peut soutenir ses banques, pas encore les sauver. (Crédits : © Alessandro Bianchi / Reuters)

La Commission européenne a autorisé l’Italie à offrir une garantie publique pendant six mois pour aide la liquidité des banques italiennes. Une façon de stopper les attaques sur les marchés après le Brexit, mais le problème de fond demeure et n’est pas résolu.

La Commission européenne a permis à l’Italie de venir en aide à ses banques dimanche dernier. Rome a donc pu activer pendant six mois un programme de 150 milliards d’euros de garanties publiques pour soutenir le besoin de liquidités des établissements financiers italiens. Bruxelles a cependant refusé de préciser quels montants ont été débloqués, précisant cependant qu’ils étaient « proportionnés ».

Stopper l’incendie

Ce soutien permet aux banques d’émettre de la dette à court terme avec la garantie publique pour pouvoir faire face à des besoins de liquidités. Rappelons que la BCE a mise en place plusieurs mesures de soutien à la liquidité des banques de la zone euro. Outre les prêts à long terme, de quatre ans, proposés dans le cadre du programme TLTRO, la BCE s’engage depuis 2007, à fournir toutes les liquidités nécessaires aux banques à son guichet pourvu qu’elles apportent les collatéraux suffisants (titres placés en garanties). L’aide validée par l’UE hier permet donc notamment aux banques italiennes « d’économiser » leurs collatéraux auprès de la BCE.

C’est aussi une mesure principalement psychologique, prise en réaction à des turbulences de marchés et qui vise principalement à stopper les attaques violentes contre le secteur. Les banques italiennes ont été fortement secouées par les incertitudes qui ont suivi sur les marchés financiers à l’annonce du résultat du référendum britannique le 23 juin. Les grands établissements péninsulaires ont perdu entre 25 % et 30 % de leur valeur en Bourse. Avec l’annonce de cette aide, les titres bancaires italiens ont fortement progressé à Milan. Mais cet enthousiasme a été de courte durée et n’a pas été en mesure de compenser les pertes de la semaine précédente.

Le problème de fond n’est pas réglé

Car si cette annonce peut rassurer sur les risques à court terme liée aux banques italiennes, elle ne règle pas le vrai problème du secteur : celui de créances douteuses s’élevant à 360 milliards d’euros. Or, ce montant et la quasi-impossibilité pour le secteur de réaliser des levées de fonds suffisantes sur le marché pose le problème de la solvabilité des banques italiennes. Le vrai enjeu pour elles est donc de savoir comment elles vont pouvoir être recapitalisées pour un montant estimé à 40 milliards d’euros. Or, sur ce plan, le problème demeure entier : le gouvernement italien voudrait éviter d’avoir recours au mécanisme de résolution bancaire unique européen qui met à contribution les créanciers (dont de nombreux particuliers en Italie), les actionnaires et les déposants. Rome négocie avec ses partenaires européens la « mise entre parenthèses » de ce mécanisme et la possibilité de renflouer directement ou indirectement son secteur bancaire avec des fonds publics, ce qui est désormais strictement interdit en zone euro. L’aide annoncée à la liquidité est peut-être un message positif, mais ce n’est pas la validation d’un « sauvetage » bancaire italien.

Dilemme bancaire

Avec cette mesure, la Commission européenne essaie donc de calmer l’incendie boursier pour donner un peu de temps aux discussions entre Rome et ses partenaires. Mais pour le moment, l’Allemagne demeure ferme sur son refus d’autoriser l’aide publique au secteur. L’enjeu n’est pas faible. En faisant un premier accroc au mécanisme de résolution bancaire six mois après sa mise en œuvre, on avouerait  de facto que l’union bancaire – une des rares réalisations européennes de l’après-crise que les dirigeants européens peuvent mettre en avant – ne fonctionne pas. L’argument de l’urgence de la crise ne saurait tenir : ce mécanisme de résolution est précisément prévu pour faire face aux crises. De plus, si Rome « sauve » ses banques, le poids des problèmes bancaires seront transféré vers les comptes publics italiens. On se retrouverait donc dans la même situation qu’en Irlande ou en Espagne en 2010 : il y aurait transfert du risque bancaire vers le risque souverain. Mais, à l’inverse, si on applique la règle européenne, l’impact sur les ménages et les entreprises italiennes risque d’être fort et de frapper une économie italienne encore convalescente. C’est donc le choix entre la peste et le choléra.

La crise latente que traverse le secteur bancaire italien n’est donc pas terminée avec cette aide ponctuelle. Les effets du Brexit sur la valorisation des banques ne seront pas effacés : l’incertitude vis-à-vis de leur avenir demeure et nul, à part l’Etat italien, n’est prêt à investir dans le secteur bancaire de la Péninsule. Le “domino” italien n’a pas disparu, loin de là. Comme souvent, la Commission a paré au plus pressé en renvoyant les problèmes à plus tard. Une stratégie qui, là aussi, rappelle beaucoup la crise de 2010…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 01-07-2016

Entretien avec la Présidente Dilma Rousseff

Entretien avec la Présidente Dilma Rousseff

Source : Le Grand Soir, 247, 17-06-2016

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Brasil 247

Le 8 juin 2016, la Présidente du Brésil Dilma Rousseff s'est entretenue avec les journalistes Leonardo Attuch, Tereza Cruvinel et Paulo Moreira Leite, du site Brasil 24s7.

247 – Quand on arrive à l'Alvorada (Palais de la Présidence à Brasilia NdT), il faut passer par un barrage de police. Sommes-nous en train de rendre visite à une Présidente de la République ou à une personne prisonnière d'une prison de luxe ?

Dilma Rousseff – Je ne me sens pas retenue prisonnière. Je maintiens mes droits d'aller et venir. Mais ce barrage de police est extrêmement gênant et ridicule.

247 – Quel est son but ?

Dilma Rousseff – J'en suis très curieuse. C'est d'une telle stupidité que la réponse en serait qu'ils sont devenus fous. Mais comme ils ne sont pas devenus fous, je présume qu'ils veulent savoir qui vient me visiter. Qui me visite, politiquement. Pourquoi ? Pour savoir sur qui ils doivent faire pression.

247 – Une enquête d'opinion divulguée aujourd'hui par l'Institut CNT/MDA révèle que l'indice d'approbation du président intérimaire Michel Temer est très bas. Devant ce fait, quelle a été votre articulation politique, même en sachant que vous êtes surveillée par cette barrière policière ?

Dilma Rousseff – Mon articulation est basée sur l'exercice d'une chose très simple : le dialogue, le dialogue, le dialogue. Il n'y a aucun autre exercice à faire, à part de persuader qu'un coup d'État est en cours. Il ne s'agit pas seulement d'un coup d'État contre mon mandat. C'est un coup d'État qui pose de sérieux problèmes par rapport à l'institution brésilienne, On ne fait pas un coup d'État contre un président de la République qui représente un contrat et qui a eu 54 millions de votes, sans la tentation de rompre d'autres contrats.

247 – Vous pouvez nous citer des exemples ?

Dilma Rousseff – Licencier le président de l'EBC (Entreprise Brésilienne de Communication. (entre temps, la Cour Suprême a remis le Président à son poste NdT) a été une rupture de contrat. Suspendre des contrats de publicité (envers les blogs et sites progressistes NdT) a aussi été une rupture de contrat. La première tentation de tous les coups d'État, qu'ils soient militaires ou parlementaires, et de faire taire. Faire taire la divergence. Ils essayent même d'interdire l'expression coup d'État. La simple expression coup d'État les incommode. Ce n'est pas pour rien qu'un groupe de parlementaires nous a envoyé une notification afin que nous expliquions la raison pour laquelle nous appelons coup d'État ce coup d'État.

247 – Et vous l'avez fait ? Leur avez-vous envoyé l'éditorial du New York Times qui dénonce le coup d'État au Brésil ?

Dilma Rousseff – Non, je n'ai pas envoyé le New York Times. J'ai été plus classique. J'ai envoyé une phrase de Beaumarchais dans les Noces de Figaro. Elle dit ceci : « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur ». C'est la phrase la plus synthétique. Ils veulent faire taire parce qu'ils ont peur. Ils ont peur du contradictoire. Ils ont peur des manifestations politiques. Ils ont été jusqu'à fermer l'accès à l'Alvorada ! J'ai passé ici cinq ans et il n'y a jamais eu de barrage. Tout d'un coup il apparaît et nous ne savons pas pourquoi.

247 – Vous avez parlé de la tentative de faire taire la divergence. Y-a-t-il un risque que ce gouvernement provisoire se transforme en un régime autoritaire ?

Dilma Rousseff – Il y a ce risque, oui. Les gouvernements illégitimes n'aiment pas, par exemple, la culture. Supprimer le Ministère de la Culture, comme ils l'ont fait, c'est atteindre le symbolique, dans un pays qui a besoin d'affirmer sa diversité nationale (le Ministère de la Culture a été rétabli depuis NdT). Nous avons aujourd'hui un président intérimaire qui n'a pas une once de légitimité et qui n'est pas encore sorti dans la rue (après avoir évité plusieurs engagements, Temer est finalement sorti depuis NdT) Le recours à la force peut, oui, être le prochain pas.

247 – Le présidence est intérimaire mais, en théorie, est légitimé par un procès d'impeachment.

Dilma Rousseff – Ce procès d'impeachment traite de six décrets de crédit supplémentaire et du Plano Safra (Plan Récolte), à l'élaboration duquel je n'ai même pas participé. Comme il n'y pas le moindre indice de crime de responsabilité, il s'agit, bien évidemment, d'un coup d'État. Le fait est qu'au Brésil s'est créée une situation absurde, avec cet impeachment fait sur la base d'une loi de 1950, dont des pans immenses ne sont pas régulés. Nous avons un président intérimaire qui a démonté toute une structure de gouvernement. Il démonte des programmes et des politiques publiques, sans aucune légalité, et a du mal, ainsi, à mettre un pied dans la rue. Il n'a aucune légitimité. Vous savez ce qui surprend le plus les correspondants internationaux et les émissaires des gouvernements étrangers qui nous rendent visite ?

247 – Quoi ?

Dilma Rousseff – Le fait que nous soyons en train de vivre une situation unique. Je suis la présidente élue. Je n'ai pas quitté ma charge. Ils sont intérimaires et ils pensent qu'ils peuvent tout démonter. Une chose dont je suis certaine, c'est qu'à mon retour il y aura une modification de cette loi. Sinon, le présidentialisme au Brésil sera une farce. Beaucoup parlent aujourd'hui de parlementarisme. Quelques-uns de semi-parlementarisme. D'autres, de semi-présidentialisme. Mais il est important de dire que le parlementarisme au Brésil signifie l'hégémonie conservatrice.

247 – Cette loi de 1950 a été faite par un politicien gaucho (du sud), Raul Pila, qui était un doctrinaire du parlementarisme. Ensuite cette loi fut réglementée par un autre politicien gaucho, Paulo Brossard, qui était aussi parlementariste. D'une certaine façon, le parlementarisme essaie de s'imposer au présidentialisme, sans que le peuple ne soit consulté ?

Dilma Rousseff – Très bien observé. Vous savez qui était Raul Pila ? Un représentant du Parti Libéral. Paulo Brossard aussi. Cette loi de 1950 exprime une vision parlementaire du pouvoir. Dans le parlementarisme, le président peut être retiré par un vote de méfiance. Le président peut aussi convoquer de nouvelles élections générales et dissoudre le parlement. Dans notre présidentialisme, il devrait y avoir un équilibre. Je dis ceci parce que ce qui est arrivé au Brésil a été une élection indirecte travestie d'impeachment, et donc, putschiste, par une manœuvre où tout le pouvoir retombe sur le gouvernement provisoire, et aucun pouvoir ne reste à celui qui a été légitimement élu. Il y a donc quelque chose qui ne va pas.

247 – Ce parlementarisme imposé de force est-elle la principale expression du coup d'État ?

Dilma Rousseff – Il y a de nombreuses strates au coup d'État. L'une d'entre elles, la plus évidente, est le procès pour impeachment, sans crime de responsabilité, qui a culminé par cette élection indirecte. Ensuite, cette situation de nouveau régime, qui a permis à un gouvernement intérimaire de changer les politiques publiques sans aucune légitimité. Il faudra discuter, dans le futur, des limites de l'intérimaire.

247 – Vous allez rétablir tout ce que le président intérimaire a fait, ou y-a-t-il des choses qui peuvent servir ?

Dilma Rousseff – Nous devrons tout rétablir, sans le moindre doute. Il n'y a aucune hypothèse de laisser voir disparaître le Ministère de la Science et de la Technologie (incorporés au Ministère des Communications NdT) Les autres modifications qu'ils ont faites n'ont que sens que pour leur stratégie, mais elles ne correspondant pas au désir de la population. Par exemple : quand ils retirent le S de la Previdência Social(Assurance Sociale) et mettent le Ministère sous la tutelle du Ministère des Finances, cela exprime une certaine vision du monde. Laquelle ? Retirer des droits aux retraités et aux travailleurs. Quand ils mettent l'Incra (Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire) sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur (Casa Civil), ils visent à retirer des droits aux travailleurs ruraux ou d'agréer à des intérêts physiologiques. Rien de tout cela ne peut continuer, sans parler de ce qu'ils ont fait avec les femmes, les noirs, les homosexuels, les handicapés et toutes les minorités.

247 – Ce gouvernement provisoire a rendu les minorités invisibles ?

Dilma Rousseff – Une invisibilité totale. Et rendre invisible, dans ce gouvernement d'hommes blancs, est une manière de faire taire. En plus, cette femme qui a assumé le Secrétariat d'État aux Femmes [Fatima Pelaes] a dit une chose très grave.

247 – Vous parlez de quoi en particulier ?

Dilma Rousseff – Elle a dit, puis s'est dédit. Mais ce qu'ils pensent, c'est ce qu'ils disent la première fois. Elle a affirmé que l'avortement doit être interdit même en cas de viol. La loi brésilienne a été perfectionnée et modifiée peu à peu. L'avortement est permis en cas de viol, des grossesse à haut risque et d'anencéphalie. Le fonctionnaire public n'a pas à aimer ou pas. Il doit obéir et c'est tout. Mais elle est seulement un exemple.

247 – Quels seraient les autres ?.

Dilma Rousseff – Ensuite est arrivé le ministre de la santé qui a dit que le SUS (Sistema Unico de Saude – équivalent de la couverture universelle NdT) ne tenait pas dans le budget. L'autre a parlé de faire des coupes dans le Bolsa Familia (Bourse Famille), qui coûte 0,5% du PIB. Ensuite, on a parlé de désindexer le revenu des retraités du salaire minimum. C'est très grave. Cela atteint 70% des retraités, 23 millions de personnes. S'ils font ça, la retraite ne sera plus jamais un salaire minimum. On va revenir où nous en étions au temps de Fernando Henrique Cardoso (président du PSDB de 1995 à 2003 NdT).

247 – Ce gouvernement intérimaire n'aurait-il pas au moins le mérite de révéler au peuple brésilien le vrai visage de la droite brésilienne ?

Dilma Rousseff – Hier, j'ai reçu ici un groupe d'historiens qui étudient l'esclavage. Ils ont dit une chose très vraie. La logique du privilège est encore très forte au Brésil. Elle s'exprime dans ce manque de respect envers les plus pauvres. Ils m'ont parlé d'un club à Rio de Janeiro où les bonnes d'enfants ne peuvent s'asseoir ni aller aux toilettes. Malheureusement, il existe encore ce sentiment au Brésil. Quand le pauvre s'élève, la maison des maîtres (Casa Grande) devient folle.

247 – Le gouvernement intérimaire parle de retirer les étrangers du programme Mais Médicos (Plus de Médecins, auquel participent beaucoup de médecins cubains NdT). Quelles en seraient les conséquences ?

Dilma Rousseff – C'est simple. S'ils enlèvent les médecins étrangers, le Mais Médicos s'arrête. Parce que les étrangers, et spécialement les cubains, sont la grande majorité des professionnels qui participent au programme. Pourquoi avons-nous fait le Mais Médicos ? Parce que notre quantité de médecin per capita est encore très faible. Bien plus bas que dans des pays voisins comme l'Argentine et l'Uruguay. N'en parlons pas quand on compare à un pays comme l'Angleterre. Un des objectifs du gouvernement est d'amplifier les écoles de médecine et pas seulement dans les capitales. Mais former un médecin est très long.

247 – N'est-il pas possible de continuer le programme avec uniquement des médecins brésiliens ?

Dilma Rousseff – Non. Avant le Mais Médicos, nous avions plus de 700 municipalités (qui peuvent être gigantesques NdT) sans aucun médecin. Le médecin formé au Brésil, la plupart du temps, n'allait pas vers les périphéries des grandes villes. D'ailleurs, l'État de São Paulo, le plus riche du Brésil, est celui qui a demandé le plus de professionnels du programme. Nous avions plus de 20 millions d'habitants sans attention médicale. Nous ne sommes pas en train de parler du fin fond de la campagne, mais de São Paulo.

247 – Beaucoup de cabinets médicaux ont été des départements de propagande de l'impeachment, vous le savez ?

Dilma Rousseff – Eh, mais là…. Comme l'offre de médecins est faible, les médecins n'allaient pas vers la périphérie des grandes villes, l'Amazonie, les départements de santé indigène. Nous avons fait des enquêtes. Plus de 90% des personnes bénéficiaires approuvent le programme. Et plus de 60 millions de personnes reçoivent des soins du Mais Médicos. 63 millions de personnes.

247 – Mais ce gouvernement prend beaucoup de décisions de nature idéologique. N'ont-ils pas fait ça pour faire partir les cubains ?

Dilma Rousseff – Je n'y crois pas, spécialement depuis que les États-Unis se sont rapprochés de Cuba. Cette idée perd de sa force, ce n'est plus à la mode. Mais je dois dire une chose. Vive le médecin cubain ! Vive le médecin cubain ! Le médecin cubain rassure le patient, il vous regarde, il vous touche, il regarde ton histoire, il va chez toi si c'est nécessaire. Ils ont une vision de la médecine qui est très importante pour les médecins brésiliens. D'un autre côté, ils font aussi l'éloge du médecin brésilien, qui est très bien préparé et très bien formé. Je crois qu'il y a une complémentarité. Un autre point intéressant est que les médecins cubains font l'éloge de nos infirmières.

247 – Dans une des villes où est passée la torche olympique, un médecin cubain a été choisi pour la porter. Est-ce un signal de reconnaissance ?

Dilma Rousseff – Certainement. Il y a une identification très grande entre le médecin cubain et le peuple brésilien. Il ressemble au peuple brésilien, il a l'allure du brésilien. Il est important de dire que l'accord n'a pas été conclu avec le gouvernement cubain, mais avec l'OPAS, l'Organisation Panaméricaine de Santé. S'ils veulent retirer les cubains du programme, ils vont avoir un gros problème avec l'OPAS, avec l'OMS, avec l'OCDE. Ce sera une autre rupture unilatéral de contrat. Un contrat international. Le port de Mariel (à Cuba NdT), que j'ai dû beaucoup expliquer pendant ma campagne électorale, est une autre raison d'oublier ce préjugé idéologique.

247 – Pourquoi ?

Dilma Rousseff – Aujourd'hui, il y a 30 entrepreneurs américains qui s'y installent. Parce que c'est le port le plus important des Caraïbes, et qui sera administré par les hollandais, qui ont une grande expérience dans ce domaine.

247 – En parlant d'économie, le gouvernement intérimaire rejette sur vous la responsabilité d'un déficit de 170 milliards de reals.

Dilma Rousseff – Ils sont absolument responsables de cela. Je ne suis pas en train de créer 14.000 postes de fonctionnaires (que la Chambre a approuvé et que le Sénat doit voter NdT). J'étais contre cette proposition bombastique. J'ai apposé mon véto aux augmentations. Nous avons envoyé au Congrès un déficit de 96 milliards de reals, parce qu'il y a une chute constante des recettes fiscales. Ils ont augmenté le déficit à 170 milliards pour avoir de la marge pour les dépenses, et pour créer les conditions de l'impeachment.

247 – Veulent-ils acheter les consciences pour approuver l'impeachment au cours du second vote au Sénat ?

Dilma Rousseff – Cela me paraît clair. Ils veulent contrôler leur base, et garantir les votes, par le moyens des dépenses publiques. Pour cela, ils ont augmenté le déficit. Un autre motif est qu'ils souhaitent échapper au contrôle du TCU (Tribunal des Comptes de l'Union). Parce que la situation que le TCU a créé au cours de ce procès d'impeachment rend in-viable toute politique fiscale. Le Brésil vit aujourd'hui une crise qui réduit les recettes fiscales. Selon la logique du TCU, il y aurait un risque de « shutdown » (arrêt des activités gouvernementales fédérales, comme c'est arrivé aux États-Unis NdT), à chaque fois que les dépenses atteindraient le plafond, paralysant toutes les activités de l'État. Ils nous mettent le couteau sous la gorge.

247 – Quel est le poids de la crise politique dans cette chute des recettes fiscales ?

Dilma Rousseff – Joseph Stiglitz (prix Nobel d'Économie) et venu ici et a dit une chose intéressante. La crise économique, avec la chute des commodities et la récession internationale, était inexorable. Mais il a dit aussi : ce que vous ne pouvez expliquer est la crise politique.

247 – Voyez-vous un signe de reprise économique ?

Dilma Rousseff – Il y a beaucoup de choses qui se passent que nous avions déjà préparées. Par exemple, la chute de l'inflation. Il y a eu une dévalorisation du change, un changement de prix relatifs et l'impact inflationniste a déjà été contenu. Ils disent que maintenant il va y avoir un superavit externe. Nous sommes sortis d'un déficit de 4 milliards de dollars, nous sommes passés par un superavit externe de 20 milliards de dollars l'année passée, et cette année le superavit sera entre 40 et 50 milliards de dollars. Ce qui est très bien, dans un moment où le monde entier marche à petite vitesse. Maintenant, dans des moments d'expansion, quand tout va bien, il n'y a pas de conflit de distribution. Ces conflits surgissent dans les moments de récession.

247 – Comme évaluez-vous la question fiscale et la nécessité d'augmenter les impôts ?

Dilma Rousseff – Quand l'économie se développe, il n'y a pas de conflit de distribution. Tout le monde y gagne. Le conflit distributif surgit dans les périodes de récession, comme aujourd'hui. Ici, au Brésil, il y a une chose symptomatique. Ils disent que l'on ne peut pas augmenter les impôts. Pourquoi ne peut-on pas payer d'impôts ?

247 – Et la question de payer pour les autres ?

Dilma Rousseff – Ici, c'est le pauvre, le retraité qui doit payer pour les autres. En tout cas selon la vision de ce gouvernement intérimaire. Je vous demande le suivant : pourquoi ne mettent-ils pas la CPMF ? (taxe sur les transactions financières NdT) La CPMF atteint proportionnellement celui qui fait des transactions financières. Elle n'atteint pas les comptes des salariés. Elles n'atteint pas les comptes de retraite. Ceux-ci en sont exempts. En plus, la CPMF permet le contrôle des transactions financières et empêche ainsi un niveau de fraude. Ils ne permettent pas non plus les intérêts sur le capital propre, ni les impôts sur les profits et dividendes. C'est une autre des particularités brésiliennes. Des pays qui pourraient entrer à l'OCDE, nous sommes le seul qui n'impose ni les profits, ni les dividendes.

247 – Le Brésil est un pays d'entreprises pauvres et d'entrepreneurs riches ?

Dilma Rousseff – Exactement. À l'étranger, l'entreprise est riche et le patron entre dans un patron normal de richesse. Comme on le dit au Minas (État du Minas Gerais, d'où Dilma Roussef est originaire NdT), quand quelqu'un passe de canard à oie, si c'était à l'étranger, ça ne changerait pas beaucoup. Ça pourrait même être difficile.

247 – Et la politique extérieure ? Le président intérimaire n'a reçu aucun coup de téléphone et le chancelier n'a été reçu pratiquement par personne. Le Brésil sera-t-il un paria international ?

Dilma Rousseff – Il arrivera probablement avec le Brésil ce qui est arrivé avec le Paraguay. La relation sera froide et distante. Le jour où sera faite une élection nationale, les choses changeront. Je ne suis pas en train de parler de président « élu » par un impeachment ou par une élection indirecte. Il doit être élu par le peuple. Au Paraguay, même après les élections, la relation est restée froide pendant un moment. Tant qu'il n'y aura pas de gouvernement légitime, le monde gardera ses distances avec le Brésil. C'est comme ça que cela fonctionne.

247 – Cela signifie-t-il que vous défendez déjà de nouvelles élections ?

Dilma Rousseff – J'ai toujours été en faveur des élections. Sinon, on aurait dit que j'étais en faveur de la dictature et non des élections. La solution démocratique passe par mon retour. Mais dans un second temps, nous allons devoir discuter : que s'est-il rompu au Brésil ? Nous avons rompu le pacte politique qui a soutenu le Brésil depuis la Constitution de 1988. Les forces politiques qui se sont unis à ce moment se sont rompues. Ce 17 avril (jour du vote à la chambre des députés NdT) a été un moment de rupture. Qu'est-ce que cela signifie ? Ce sera très difficile de refaire un pacte après cela. Il faut un nouveau pacte, par des élections directes, par le vote.

247 – Le dialogue n'est pas possible ?

Dilma Rousseff – C'est très difficile de s'asseoir à une table et de dialoguer de la situation telle qu'elle est aujourd'hui. Vous croyez que le président intérimaire et ses alliés qui ont usurpé le pouvoir partiront par eux-mêmes ? Le fait est que leur sortie passe par mon retour. Après, c'est une autre histoire.

247 – Avant de nouvelles élections, ne doit-il pas y avoir une autre discussion sur un nouveau modèle de gouvernance ? Parce que telle qu'elle est, avec le présidentialisme de coalition ou, comme le pense beaucoup, cette extorsion de l'Exécutif par le Législatif, ça ne marche pas.

Dilma Rousseff – Je vais vous raconter une question qu'ils m'ont posée : est-ce que ça n'aurait pas été mieux d'appuyer Eduardo Cunha (ex-président de la Chambre des Députés, principal artisan de l'impeachment NdT) ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Il se passe ceci : comment était le pacte auparavant ? Fernando Henrique (Cardoso), avec son alliance, ou bien nous-même, avec notre alliance avec le centre politique, nous parvenions à garantir une stabilité au pays. Mais récemment a surgi à l'intérieur du PMDB (principale base alliée du PT au pouvoir NdT) une force avec des convictions propres, ultralibérales en économie, conservatrice dans ses coutumes et avec un plan propre. Quel est ce plan du gouvernement Temer ?

247 – Vous parliez de Cunha ou de Temer ? Les deux sont-ils la même chose ?

Dilma Rousseff – Dans les enregistrements de Romero Jucá, outre le fait qu'il fallait, selon lui, arrêter l'hémorragie (selon cette conversation, enlever Dilma Rousseff du pouvoir pouvait freiner l'Opération Lava Jato, qui se rapprochait du PMDB NdT), il dit aussi une chose importante : « Temer est Cunha ». Jucá le dit et le répète. Eduardo Cunha contrôle 55% des votes de la Chambre. Et ses plans sont exprimés dans le conservatisme de tout le gouvernement Temer. Et il n'y a pas de négociation. La majorité du gouvernement Temer est de Cunha. Le fait d'être président provisoire donne quelques pouvoirs à Temer. Mais les lignes générales appartiennent à Cunha. Dans mon cas, un accord avec lui aurait été de me rendre. Il n'y a que ceux qui ont jeté aux orties leur convictions qui font des accords avec Cunha. Regarde le cas des États-Unis. Obama n'a la majorité ni à la Chambre no au Sénat. Et affronte la bande vraiment dure du Tea Party. Mais personne ne lui demande d'abandonner ses convictions et son ordre du jour.

247 – Quelle est votre position sur le parlementarisme ?

Dilma Rousseff – Au Brésil, la politique la plus progressiste s'est faite dans les relations avec le gouvernement fédéral. Après la Republica Velha, avec l'arrivée de notre cher Getúlio Vargas, toutes les modifications progressistes, jusqu'à la structuration de l'État national, se sont faites par des politiques de régimes de présidentialisme. Mais, d'un autre côté, quand on regarde la question du parlement, sans nommer quiconque, les filtres économiques, oligarchiques ou liés à des intérêts construisent un profil plus conservateur que celui des forces qui arrivent à la présidence.

247 – Il suffit de dire que Fernando Henrique Cardoso a été président avec l'appui de 20% du parlement. Lula 18%. Et vous 16%. Vous avez tous dépendu de ce centre.

Dilma Rousseff – Je dirais que la grande régression qui peut sortir de ce procès d'impeachment, si ils poursuivent et que je ne reviens pas, est un renforcement de la tendance au parlementarisme. Quand je dis qu'il est fondamental pour la démocratie que je revienne, l'un des motifs est que je me refuse à approuver le parlementarisme ou le semi-parlementarisme.

247 – D'accord, mais comment un président va former une majorité après qu'un phénomène comme l'Opération Lava Jato ait implosé les relations entre le législatif et l'exécutif ? Parce que maintenir le présidentialisme et le rendre sujet aux extorsions parlementaires n'a pas beaucoup de sens.

Dilma Rousseff – Qui sait si nous n'aurons pas un meilleur Congrès après une réforme politique ? Je le dis et je le répète. Nous ne sortirons pas de cette crise si nous ne faisons pas de réforme politique.

247 – Vous parlez de revenir. Mais quelle force auriez-vous pour gouverner ?

Dilma Rousseff – La force du retour. Je suis en train de tenter de gagner des votes (au Sénat pour le prochain vote de l'impeachment NdT) avec le dialogue et la persuasion sur la nature du coup d'État. Mais chaque chose en son temps.

247 – Considérez-vous avoir bien fait de convier l'ex-président Lula à devenir ministre de la Casa Civil (sorte de premier ministre, qui fait le lien avec les institutions, et particulièrement avec le Congrès NdT) un jour après les manifestations du 13 mars ?

Dilma Rousseff – C'est une décision que je ne regrette absolument pas. L'erreur a été qu'ils ne le laissent pas assumer ce poste dans notre gouvernement. Aujourd'hui, il y a plusieurs ministres mis en examen dans ce gouvernement intérimaire et personne ne dit rien. Penser que cette invitation à Lula a contribué à mon écartement de la présidence est une erreur. Ainsi que de croire que ce coup d'État a été tramé par les États-Unis, comme on me le demande souvent.

247 – Il n'y a vraiment pas la main des États-Unis dans l'impeachment ?

Dilma Rousseff – La main des États-Unis n'est pas nécessaire. La société brésilienne a été capable de commettre cette folie, qui a été ce coup d'État. Maintenant, il est vrai que ce coup d'État affecte notre souveraineté. Que les États-Unis s'en réjouissent ou non, c'est une autre histoire.

247 – Parlons du pré-sal. Dans son discours d'arrivée à la présidence de la Petrobras, le nouveau président, Pedro Parente, a déclaré que l'entreprise est à présent favorable à l'ouverture du pré-sal. Comment voyez-vous ce nouveau positionnement ?

Dilma Rousseff – Il parle pour les intérêts qu'il représente. Les intérêts qu'ils représente ne sont pas les intérêts nationaux. Celui qui dit que la Petrobras n'a pas d'intérêt dans le pré-sal ment, ou bien est en train de donner une richesse pétrolifère gigantesque. Ils disaient auparavant que nous serions incapables d'extraire le pétrole et nous en sommes déjà à un million de barils en moins de huit ans. Maintenant, dire ceci dès le premier jour est une irresponsabilité et un manque des respect pour la Petrobras. Ce n'est pas correct.

247 – C'est un crime de lèse-patrie ?

Dilma Rousseff – C'est plus que lèse-patrie. Ça entre déjà dans la catégorie de la stupidité nationale. Nous savons où est le pétrole. Nous savons comment l'extraire et nous savons quelle est sa qualité. Quel est le sens d'abandonner cette richesse ?

247 – Mais ils ne sont pas idiots.

Dilma Rousseff – Je n'ai pas parlé d'idiotie individuelle, mais en idiotie nationale. Celui qui défend des intérêts qui ne sont pas des intérêts nationaux peut être très intelligent.

247 – Ils vont tenter de changer la loi du pré-sal au mois de juillet. Ils vont réussir ?

Dilma Rousseff – Ce sera extrêmement dangereux pour eux de le tenter. Il existe deux modèles : celui de concession et celui de partage. La concession se justifie quand il existe un risque de ne pas trouver de pétrole. Dans ce cas, il est juste que celui qui assume le risque reste avec la part du lion. Le partage est justifié dans le cas du pré-sal parce que nous savons où est le pétrole. Il n'y a pas de risque. Ceci ne signifie pas que nous ne voulons pas faire de partenariat. Dans le champ de Libra, par exemple, la Petrobras est partenaire de la Shell, de Total et de deux entreprises chinoises, la CNOOC et la CNPC. Nous pouvons faire des partenariats, mais non abandonner le pré-sal à d'autres. Nous irions le donner entièrement à une entreprise contre quoi ? Ah, ils vont dire que la Pétrobras est endettée. C'est du grand n'importe quoi. Un projet de pré-sal est extrêmement attirant pour le financement de n'importe quelle banque nationale ou internationale. Et la Petrobras doit avoir la préférence.

247 – Mais Parente va dire que cela importe peu.

Dilma Rousseff – C'est là qu'est le danger. C'est pour cela que la limite minimum de 30% de participation de la Petrobras doit être maintenue.

247 – Parlons des Jeux Olympiques. Il y a quelques jours, le maire de Rio, Eduardo Paes, a affirmé qu'il se sent frustré parce que nous ne saurons pas qui sera le président à la Cérémonie d'ouverture. Avec cette confusion politique, le Brésil peut-il laisser de côté ce grand événement ?

Dilma Rousseff – Je vais vous dire une chose. Ce Rio 2016 est surtout le fruit de la détermination de Lula, qui a été voir chacun des membres du Comité Olympique, ainsi que de la politique étrangère extrêmement accommodante et généreuse du Brésil ces dernières années. C'est pourquoi, si il y a une personne qui mérite de recevoir un hommage à cette cérémonie d'ouverture, c'est bien Lula. En outre, en tant que ministre puis comme présidente, j'ai assumé et respecté littéralement tous les engagements avec la construction de la meilleure infrastructure possible à Rio de Janeiro. Cela comprend le Parc Olympique à Deodoro, et une amélioration significative de tout Rio, avec des travaux comme celui du VLT (tramway). En plus, nous avons acqui beaucoup de savoir-faire en matière de sécurité. Nous avons fait la Coupe Pan-America, les Jeux Militaires, la Coupe du Monde et maintenant c'est le tour des Rio 2016.

247 – Vous irez à la cérémonie d'ouverture ?

Dilma Rousseff – Bien sûr, je serai là. Et ce sera la plus belle cérémonie d'ouverture de tous les temps. Le COI a engagé Abel, l'un des meilleurs artistes de ce pays pour les grands événements.

247 – On peut voir que vous êtes émue quand vous parlez des Jeux Olympiques.

Dilma Rousseff – Bien sûr. C'est mon travail. J'ai mis ma vie dans ce travail. Quand vous posez votre travail, cela fait mal. Je n'ai peut-être pas encore été jugée. Mais qui devraient être là, c'est nous, moi la présidente, et Lula, le président qui a obtenu les Jeux. L'usurpateur peut faire ce qu'il veut pour être à la cérémonie, mais dans ces Jeux Olympiques, il sera toujours un usurpateur. Son gouvernement, uniquement d'hommes blancs et riches, ne représente pas le Brésil. Malgré eux, nous serons fiers de ces Olympiades.

Traduction Si le Brésil m'était traduit…