mardi 31 mai 2016

L’Otan appelle les alliés à se préparer face à la menace potentielle de la Russie, par AFP

L'Otan appelle les alliés à se préparer face à la menace potentielle de la Russie, par AFP

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Tirana – L’assemblée parlementaire de l’Otan a appelé lundi les alliés à se tenir prêts à répondre à la menace potentielle de la Russie contre l’un d’entre eux, à l’issue d’une session de trois jours à Tirana.

C’est là que tu te rends compte que l’Albanie fait partie de l’OTAN (depuis 2009…)…

Le défi en provenance de la Russie est réel et sérieux, a déclaré l’Américain Michael Turner, président de l’assemblée qui a réuni quelque 250 parlementaires des 28 pays membres de l’Alliance.

La déclaration adoptée à l’unanimité déplore l’usage de la force par la Russie contre ses voisins et les tentatives d’intimidation des alliés de l’Otan.

Ah, Irak Libye, Syrie, pays qui ont échappé à l’emploi de la force par leurs voisins – mais pas par l’Occident…

Dans ces circonstances, l’Otan n’a pas d’autre choix que de considérer l’éventualité d’une action agressive de la Russie contre un membre de l’Alliance comme une menace potentielle, et d’adopter des réponses adaptées et proportionnées, ajoute la déclaration.

La déclaration appelle les alliés à fournir des garanties aux pays membres, situés notamment à l’est de la zone Otan, qui estiment que leur sécurité est menacée.

L’Otan a interrompu tous les aspects pratiques de sa coopération avec la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie, et en raison du soutien de la Russie aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine, mais l’Alliance a annoncé qu’elle aurait des discussions avec la Russie avant le sommet de l’Otan prévu les 8 et 9 juillet à Varsovie.

La Russie qui soutient quelques Russes bombardés par leur armée en Ukraine, c’est mal.

La France qui soutient des djihadistes en Syrie, c’est bien.

En avril, le Conseil Otan-Russie avait tenu sa première réunion depuis juin 2014 mais les discussions se sont soldées par de graves désaccords concernant l’Ukraine et d’autres sujets, bien que le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg eut assuré à l’époque que les échanges avaient été fructueux.

L’Otan a procédé à un renforcement militaire sur son flanc est pour augmenter la rapidité du déploiement de ses forces en cas de répétition d’une crise comme celle de l’Ukraine. Lors de leur sommet à Varsovie, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance atlantique doivent parachever ce renforcement militaire.

Mais la Russie affirme que ce renforcement de la présence de troupes avec leurs équipements de combat en Europe de l’est représentait une menace pour sa sécurité.

Lors d’une visite lundi en Pologne, Jens Stoltenberg a déclaré que l’Otan envoyait un signal clair à tout adversaire potentiel (signifiant) qu’une attaque contre la Pologne serait considérée comme une attaque contre l’Alliance toute entière.

La Russie a dénoncé le déploiement en Roumanie et en Pologne d’éléments du bouclier antimissile américain qu’elle considère comme une menace pour sa sécurité. L’Otan assure que ce système aurait un rôle purement défensif, devant servir à intercepter des missiles balistiques pouvant venir du Proche-Orient…

Le bouclier antimissile n’est pas dirigé directement contre la Russie, il est dirigé contre des menaces venant de l’extérieur de la zone euro-atlantique, a réaffirmé le secrétaire général de l’Otan.

Rappel :

L’assemblée parlementaire de l’Otan a assuré néanmoins que l’Alliance étudierait les moyens de réduire les tensions avec la Russie tout en abordant les violations inacceptables par la Russie des normes internationales.

OB : Je vous rappelle que quand on lit “normes internationales” ou “lois internationales”, sans en citer une seule, c’est du flan 9 fois sur 10

(©AFP / 30 mai 2016 21h51)

Source : Romandie.com, 30/05/2016

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Donc évidemment, avec une telle déclaration, la Russie va devoir réagir… Bien joué…

Rappel :

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N.B. vous notez visuellement dans ce schéma que, par habitant, l’OTAN dépense donc en moyenne bien plus que la Russie… En fait, 980 $ contre 630 $/hbt, soit la bagatelle de 50 % de plus...

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C’est là où on voit qu’il y a un sérieux problème avec nos gouvernants…

Fabio De Masi « Les directives européennes ont détruit la capacité des gouvernements nationaux à se défendre contre l’évasion fiscale »

Fabio De Masi « Les directives européennes ont détruit la capacité des gouvernements nationaux à se défendre contre l'évasion fiscale »

Photo Sebastian Bolesch 

Suite à la perquisition qui a eu lieu mardi dernier au siège de Google France dans le cadre d'une enquête pour fraude fiscale, le député européen allemand Fabio De Masi explique les difficultés qu'il y a à lutter aujourd'hui contre l'évasion fiscale dans une Europe qui ne veut pas s'en donner les moyens. Fabio De Masi est membre du groupe de la Gauche Unitaire européenne / Gauche verte nordique au Parlement européen, spécialiste des questions financières et fiscales. 

Vous avez étudié en détail le système mis en place par Google pour échapper à l'impôt. Pouvez-vous nous en résumer le principe ?

Fabio De Masi. Le capital le plus important de Google c'est la technologie de son moteur de recherche. Parce qu'il y a des milliards de personnes dans le monde qui utilisent Google pour passer l'Internet au peigne fin, afin de faire de la publicité sur les pages Google. C'est très lucratif. Les annonces publicitaires, ce sont donc une grande partie de l'activité réelle de Google. Mais Google ne paie pas d'impôt sur les bénéfices de ces ventes. Si un client installé en France ou en Allemagne conclut un contrat de publicité avec Google, ce contrat est passé avec une société Google en Irlande, pas en France ni en Allemagne. Dans ces deux pays-là, Google se contente de faire du marketing ou du service à la clientèle, des activités qui rapportent très peu d'argent. Après avoir transité par l'Irlande, les bénéfices publicitaires se déplacent vers une société écran aux Pays-Bas, puis reviennent dans une seconde société en Irlande qui est gérée depuis les Bermudes, qui, en vertu de la législation irlandaise, bénéficie d'une franchise d'impôt. Basée sur trois entreprises - deux en Irlande et une qui sert d'intermédiaire aux Pays-Bas - cette stratégie est appelée « une double irlandaise avec un sandwich néerlandais. »
 
En vendant des services à l'étranger aux clients français, Google essaie d'éviter une présence trop stable en France qui rendrait l'entreprise imposable. C'est ce que contestent les autorités françaises, mais c'est pourtant ce qui arrive trop souvent dans le commerce numérique à l'échelle mondiale. Une fois l'argent transféré, Google utilise les droits de licence fictifs pour canaliser l'argent vers les Bermudes, au lieu de payer le taux d'impôt irlandais habituel qui est de 12,5% ( en France, il est de 30% ). Google a besoin des Pays-Bas comme passerelle, parce que c'est l'un des rares pays qui ne taxe pas l'argent qui transite vers un pays comme les Bermudes, où la fiscalité des entreprises est de 0%.
 
Lorsque Google s'est présenté devant la commission spéciale du Parlement européen sur l'évasion fiscale, j'ai demandé à ses représentants si je pouvais visiter la société néerlandaise à travers laquelle des milliards d'euros transitent chaque année mais qui n'a aucun employé. En public, ils m'ont répondu " oui, bien sûr », mais plus tard ils ont fait marche arrière sur ce point et je n'ai jamais pu m'y rendre.

Est-ce que la France a des chances de récupérer les impôts que Google n'a pas payés ?

Fabio De Masi. Oui et non. Selon les règles actuelles, un grand nombre de combines de Google sont légales. C'est là qu'est le vrai scandale. Mais les autorités françaises peuvent contester l'affirmation de Google selon laquelle la vente de contrats de publicité en France n'est pas une activité économique suffisamment durable pour qu'elle puisse être imposée. Le Royaume-Uni - en passant un accord en début d'année avec Google – a réussi à contourner le problème. Ils sont en train d'essayer de devenir eux-mêmes un paradis fiscal global. Donc, ils ont surtout négocié pour récupérer un peu plus d'argent de Google, mais ça se fait dans une opacité complète, et sans remettre en cause le principe de l'évasion fiscale.
 
Cependant tout ce système d'évasion fiscale paraît tellement évident qu'on peut le contester en s'appuyant sur les règles actuelles. Le cas français est particulièrement prometteur pour moi. L'Italie aussi, a récupéré des sommes importantes d'Apple. Il est cependant extrêmement difficile pour le ministère public de récupérer de l'argent auprès de ces sociétés très riches qui commandent à des armées d'avocats et d'experts fiscaux, parce que les règles sont très complexes et opaques . Mais si on a la volonté politique, et en s'en tenant à une interprétation stricte de la loi , on pourrait déjà faire beaucoup plus aujourd'hui .

Est-ce que la législation européenne permet réellement de lutter contre cette évasion fiscale ou au contraire, est-ce qu'elle la favorise ?

Fabio De Masi. La Commission prétend jouer les durs sur l'évasion fiscale . Mais en réalité, les outils dont elle veut doter les états pour qu'ils les utilisent contre Amazon, Apple ou Starbucks sont des épées émoussées . Les procédures sont extrêmement longues et complexes. Elles ne peuvent cibler que les entreprises qui ont obtenu un avantage démontrable dans la concurrence avec les autres. Mais pour toutes celles qui ont seulement réussi à éviter l'impôt, il n'y a pas de problème. Et si les sociétés sont reconnus coupables, de toutes façons l'argent retourne dans les pays qui ont accordé un traitement préférentiel, ce qui les incite à faire encore davantage de dumping fiscal.
 
Le problème fondamental de l'Union européenne, c'est qu'elle n'a aucune politique fiscale coordonnée, et pas de mesures de défense communes contre l'évasion fiscale. Les directives européennes ont par ailleurs détruit la capacité des gouvernements nationaux à se défendre. Le gouvernement allemand, par exemple, a cessé de faire valoir son droit contre des filiales à faible taux d'imposition à l'étranger, en raison d'un arrêt de la Cour européenne de Justice en 2008 dans l'affaire Cadburry-Schweppes ( un jugement qui donnait raison au groupe Cadburry-Scweppes, contre la législation britannique qui voulait taxer cette société NDLR). Et en l'absence de législation européenne, aucun pays ne peut empêcher l'argent de circuler librement, sans être taxé, vers les Pays-Bas d'où il peut ensuite facilement quitter l'Europe pour les paradis fiscaux comme les Bermudes ou Panama. L'échec complet pour faire appliquer des mesures contre ces méthodes nuisibles, révélées par le LuxLeaks - ou au moins pour faciliter les échanges d'informations entre les autorités des différents pays - mesures qui auraient dû être obligatoires depuis 1977, en est un autre exemple clair .

Chaque mois, on découvre de nouvelles affaires d'évasion fiscale qui concernent des grandes entreprises et il semble impossible de lutter contre. Que préconisez-vous ?

Fabio De Masi. Il ne serait pas impossible de combattre l'évasion fiscale, mais les gouvernements de l'U-E n'ont pas la volonté politique de lutter frontalement contre ce problème. Tout d'abord, nous aurions besoin de beaucoup plus de transparence afin de permettre le débat public et un meilleur contrôle. Nous avons besoin de rapports publics établis pays par pays, qui obligent les multinationales à montrer où elles font des affaires et où elles paient des impôts. Le gouvernement français s'est malheureusement opposé à son Parlement qui voulait essayer de légiférer sur cette question l'an dernier. Nous espérons que les députés français réussiront à reprendre la main par le biais d'amendements à la loi sur le budget de cette année - compte tenu, en particulier, du fait qu'il y a une forte résistance de l'Allemagne sur ce point.
Ensuite, nous avons besoin de mesures de défense plus ambitieuses contre le transfert des bénéfices. Le commissaire Moscovici ( qui affirme vouloir faire de la lutte contre l'évasion fiscale sa priorité NDLR ) a proposé une série de règles décevantes en janvier, et les représentants des états membres au Conseil européen n'ont pas réussi la semaine dernière à se mettre d'accord sur un texte commun qui avait pourtant été édulcoré par tous les pays qui sont des paradis fiscaux au sein même de l'Union européenne . Nous avons besoin d'imposer les transferts de bénéfices et nous devrions en limiter les mouvements s'ils ne sont pas suffisamment imposés dans les pays où ils sont transférés.
 
Et puis nous devons être beaucoup plus fermes envers les banques et les cabinets d'avocats qui conçoivent les systèmes d'évitement fiscal, comme le Big 4  ( les quatre plus grands groupes d'audit financier au niveau mondial NDLR ) dans le cas de LuxLeaks ou le cabinet Mossack Fonseca  révélé par les Panama Papers. Mais toutes les grandes banques européennes sont impliquées. Nous avons besoin de lourdes amendes pour décourager les activités criminelles ou frauduleuses, et en cas de contravention répétées, les licences des entreprises doivent besoin d'être retirées.
 

Source : l'Humanité.fr

Informations complémentaires :

 

 

L’information vue par Benoit Vitkine, du Monde (2/2)

L'information vue par Benoit Vitkine, du Monde (2/2)

Suite de ce premier billet.

I. L'article du Monde du 6 mai 2016

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Deux ans de prison pour un internaute russe qui avait écrit « la Crimée, c'est l'Ukraine »

Source : Le Monde, 6 mai 2016 |Par Benoît Vitkine

Le procureur avait requis trois ans et demi de prison, mais les juges d'un tribunal de Tver, à une centaine de kilomètres au nord de Moscou, ont fait preuve de « clémence »… Pour la simple republication d'un message sur le réseau social Vkontakte, un internaute russe a été condamné, jeudi 5 mai, à une peine de deux ans et demi de prison.

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Le sujet du message d'Andreï Boubeïev était particulièrement sensible : « La Crimée, c'est l'Ukraine », avait été posté à l'origine par un utilisateur du très populaire réseau social russe, Boris Stomakhine, un militant de gauche radicale lui-même en prison.

Le tribunal du district de Zavoljskiï a estimé que la republication de ce message constituait un appel public à l'extrémisme et une activité visant à la violation de l'intégrité territoriale de la Russie. M. Boubeïev, ingénieur de son état, a refusé de plaider coupable, se disant persécuté pour ses opinions.

La répression des opinions divergentes s'est accrue ces derniers mois en Russie, singulièrement depuis l'annexion de la Crimée, territoire ukrainien, en mars 2014. Elle touche aussi bien la sphère « réelle », avec par exemple la condamnation récente à trois ans de camp d'un homme accusé d'avoir violé les règles de manifestation, que les réseaux sociaux.

Depuis le mois de février, un internaute est ainsi poursuivi par la justice, après avoir passé un mois en hôpital psychiatrique, pour avoir nié l'existence de Dieu, une affirmation pouvant relever de « l'insulte aux sentiments des croyants ».

Benoît Vitkine – le Monde 6 mai 2016

II. Les réactions

Fichtre, c'est sûr que quand on lit ça, on comprend les réactions des lecteurs :

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Mais sont-elles réellement justifiées ? – attention, il s'agit du Monde

III. L'analyse du cas Boubeïev

Nous avons précédemment vu que Viktor Krasnov, dont l'affaire est évoquée dans le dernier paragraphe, n'est pas poursuivi, contrairement à ce qu'affirme Benoît Vitkine, simplement « pour avoir nié l'existence de Dieu » – l'athéisme est évidemment constitutionnellement protégé en Russie.

Passons à Andreï Boubeïev, que Le Monde présente ici comme une nouvelle victime de la répression de « l'infâme Poutine ».

Pour en savoir plus, nous allons jeter un œil du côté de l'ONG russe OVD Info – plébiscitée par Deutsche Welle même Mikhail Khodorkovsy – ONG que l'on ne pourra ainsi pas soupçonner de soutenir Vladimir Poutine.

Selon cette ONG, Andreï Boubeïev était déjà condamné à 10 mois en colonie pénitentiaire à sécurité réduite avoir reposté certains messages dans les réseaux sociaux et pour possession de munitions de guerre. Il est donc en état de récidive, et a été condamné cette fois à deux ans et trois mois de colonie toujours à sécurité réduite (Source).

Premier point, en comparaison, rappelons qu'en France la possession de munitions de guerre (catégorie A2) par des personnes non-autorisées est punissable d'une peine d'emprisonnement de 5 ans et de 75 000 euros d'amende. (Source : Code pénal français, articles L311-2 et L317-8).

Deuxième point, il convient de définir qu'une colonie est un centre d'enfermement beaucoup moins sévère qu'une prison. Il s'agit d'une sorte de hameau fermé avec des baraquements, sans gardiens armés, avec des déplacements libres au sein de la colonie en dehors du couvre-feu, avec des établissements mixtes (hommes et femmes), sans uniforme pour les détenus, et où la famille peut visiter à n’importe quel moment (voire même parfois s’installer avec le détenu…), avec possibilité de garder de l'argent liquide… C'est dans ce genre d'établissements que l'on envoie les automobilistes récidivistes qui roulent sans permis, ou sous le coup de l'alcool, ou ceux qui n'ont pas payé leurs PV… Il faut en revanche beaucoup travailler. (Source)

Voici un exemple :

https://www.youtube.com/watch?v=5KZu5CpD8EU

Après, ce n'est évidemment pas un club de vacances, mais ce n'est pas la prison de la Santé non plus… Et il faut le préciser, quand on a le souci d'une information honnête…

Mais, et troisième point, ce que l'article de Monsieur Vitkine ne dit pas, c'est que « la Crimée, c'est l'Ukraine » n'était pas simplement un message reposté de Boris Stomakhine, mais le titre d'un pamphlet, et un lien direct vers ce pamphlet. C'est celui-ci : http://stomahin.info/articl/krym.htm

Ce pamphlet appelle au démantèlement de la Russie. Il souhaite par exemple que la Sibérie devienne indépendante puis adhère aux États-Unis d'Amérique, que Sakhaline rejoigne le Japon, que l'Extrême-Orient rejoigne la Chine… Et il souhaite la reconnaissance de l'Émirat du Caucase.

L'Émirat du Caucase est une organisation terroriste fondée en 2007 qui aurait tué 1800 personnes et blessés 2700 policiers dans les 5 premières années de son existence. Son bilan exact est difficile à préciser, mais il va très au-delà du triste bilan des attentats du 13 novembre 2015. Le terrorisme islamique a causé en Russie la mort de 986 personnes en 2013 et de 525 personnes en 2014. Le 24 juin 2015, une partie du groupe a annoncé prêter allégeance à l’État islamique et celui-ci l’a acceptée.

Selon le texte diffusé par Andreï Boubeïev :

« outre la lutte pour la reconnaissance  de l’Emirat du Caucase, qu’il est du devoir de toute personne honnête possédant la nationalité russe de soutenir»

Toute personne parlant du cas d'Andreï Boubeïev devrait mentionner ce soutien à une organisation terroriste, tombant en France sous le coup de l'apologie publique du terrorisme, condamné par l'article L421-2-5 du Code pénal à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende…

Plus loin, le texte ultra-violent auquel Le Monde ne trouve apparement rien à redire parle des Tatars de Crimée :

«  Il était clair que la prise de Crimée par la Russie serait une catastrophe pour les Tatars de Crimée, le prologue de leur nouveau génocide. »

Rappelons que, sans être dans une situation idéale, les Tatars de Crimée ont reçu en 2 ans de Russie plus qu'ils n'avaient reçu en 23 ans d'Ukraine indépendante, période pendant laquelle leur spécificité était largement niée. La langue Tatar de Crimée est la langue d'enseignement de 15 écoles de Crimée, de 23 classes d'autres écoles, et est une matière optionnelle ailleurs. Les Tatars de Crimée ont le droit de demander une réduction de 50 % sur l'eau, le gaz et l'électricité, ainsi qu'un complément de retraite, et un séjour annuel gratuit au sanatorium. La construction d'une mosquée attendue pendant 15 ans a commencée, et d'autres travaux ont commencé à améliorer la vie des Tatars de Crimée. Toutes ces mesures font que les Tatars de Crimée sont désormais très largement favorables à la Russie, et démentent très clairement les affirmations concernant une répression contre eux.

2/ Un sondage de février 2015 demandait un an après ce que les habitants de Crimée voteraient à un nouveau référendum :

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Il y a bien moins de Tatars russophobes en un an (et en 2008, seuls 14 % voulaient quitter l'Ukraine). Un autre d'Open Democracy indiquait à la même époque :

Capture d'écran 2016-05-25 à 22.26.38

Le pamphlet continue :

«la menace faite au Medjlis par le Parquet moscovite d’une possible (et c’est sûr que cela va se produire bientôt) interdiction sur tout le territoire de la Fédération comme “organisation extrémiste” »

Cela s'est effectivement produit. Le Medjlis ou « Assemblée des Tatars de Crimée » n'a, contrairement à son titre ronflant, « aucun fondement juridique », comme l'a rappelé en septembre 2014 le chef de la République de Crimée, Sergueï Aksionov.

Ceux qui doutent du caractère criminel du Medjlis pourront notamment écouter l'interview d'un Tatar de Crimée qui a été tabassé par des hommes de Djemilev (suffisamment pour l'envoyer 2 mois à l'hôpital), qui ont ensuite brûlé sa maison. Ce témoin parle également de meurtre commis par les hommes de Djemilev :

https://www.youtube.com/watch?v=_4rlegQ9GwE&feature=youtu.be

Ce témoignage est également intéressant parce qu'il explique que lorsque la Crimée est devenue russe, les habitants de Simféropol n'avaient pas peur des « Petits hommes Verts » armés, parce que ce qui les inquiétait étaient les nationalistes ukrainiens, et particulièrement ceux du « Secteur Droit ».

Revenons au grand projet promu par ce « militant de gauche radicale » :

« Il faut – idéalement – que la Russie vive vaincue par la guerre, détruite par le moyen de la guerre et rayée à jamais de la carte du monde

Nous y voilà. Ce que Le Monde fait passer pour la simple expression d'une opinion politique est en réalité un appel à la guerre et au massacre.

Cherchons à comprendre plus précisément de quelle façon M. Stomakhine « militant de gauche radicale » selon l'article de M. Vitkine, compte dépecer la Russie, et quelle est la guerre à laquelle il appelle.

 

Il est évident que les habitants de la Sibérie ne souhaitent pas rejoindre les États-Unis d'Amérique, ceux de Sakhaline ne souhaitent pas devenir sujets de l'Empereur du Japon etc., donc la proposition de M. Stomakhine ne saurait être démocratique.

Le moyen de l'anéantissement de la Russie est indiqué dans son texte « Apologie de la guerre civile », dans lequel il explique

« Il faut tuer les Russes, et seulement les tuer […] Ne pas tuer les Moskals ne serait possible que dans le cas où eux-mêmes se mettraient à tuer massivement et sans pitié tous leurs “soudards”, ces flics, agents du FSB, procureurs, “juges”, gardiens de prison du Service fédéral d’exécution des peines, etc…etc…»

Ce texte est d'une violence inouïe.

A chacun de voir si un auteur appelant au massacre de dizaines de millions de personnes peut être qualifié de simple « militant de gauche radicale», un Besancenot à la russe.

Boris Stomakhine a publié 289 textes critiquant la Russie avec force, et appelant au meurtre.

Notons que beaucoup d'entre eux ont été écrits depuis la colonie où il est enfermé (à régime de sécurité strict pour son cas).

Il a notamment été condamné pour ses textes célébrant les attentats de Volgograd, qui ont fait 34 morts et une centaine de blessés.

« De tout cœur je salue l'explosion de la gare de chemin de fer de Volgograd le 29 décembre 2013 et je félicite les organisateurs pour ce succès»

Boris Stomakhine a écrit plusieurs textes encourageant le chef terroriste Chamil Boubaïev. Boris Stomakhine appelle même les Juifs de Russie à commettre les mêmes actes terroristes que Chamil Boubaïev.

IV. La liberté d'opinion sur le Crimée en Russie

Revenons à l'idée que la Crimée serait ukrainienne, et que le journaliste indique qu'elle serait suffisante pour aller en prison.

Passons sur le fait abondamment expliqué dans ce blog qu'une écrasante majorité de la population (y compris désormais une très nette majorité de Tatar de Crimée, qui sont 5 fois moins nombreux que les Russes ethniques) préfèrent que la Crimée fasse partie de la Russie plutôt que de l'Ukraine.

De nombreux Russes ont exprimé l'opinion que la Crimée devrait appartenir à l'Ukraine. On peut par exemple citer le chanteur populaire Segueï Lazarev. Il n'a non seulement pas été arrêté, mais à même représenté la Russie à l'Eurovision ! (Source : Livejournal)

  1. Pour mémoire, il s'agit de l'ancienne Stalingrad. La ville se situe plus de 800 km au Nord de Grozny, largement en dehors du district fédéral du Nord Caucase.

Le chanteur russe Andreï Makarevich a écrit une chanson jugeant sévèrement les actions russes en Crimée. Il n'a pas été arrêté et cette chanson est même visible sur le site du plus gros journal de Moscou (À voir sur Mk.ru)

Une longue liste de célébrités russes s'affichant contre l'annexion de l'Ukraine est donnée par le site ukrainien DSNews

Parmi les 33 personnes citées, aucune n'a été emprisonnée ni inquiétée. Contrairement à ce qu'affirme Le Monde, on a bien évidemment le droit en Russie d'exprimer librement cette opinion politique sans être inquiété. Mais il y a une différence entre l'expression d'une opinion politique et l'appel public au génocide…

Certains médias, cependant, ne semblent pas faire cette différence. Par exemple le média de Guerre Froide Radio Free Europe « informe » sur l'une des condamnations de Boris Stomakhine (7 ans de colonie, que RFERL transforme en 7 ans de prison) en ces termes :

« Ces accusations ont été portées après que des articles qu'il a écrits, critiquant la politique de Moscou dans le Nord Caucase ont été publiés par le site kavkazcenter.com, qui est associé à la rébellion islamique. »

Effectivement, c'est vrai. Ils « oublient » simplement de mentionner cette « petite » histoire de glorification des terroristes et d'appels au meurtre…

Ils disent ça aussi :

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Boris Stomakhine, le héros de Radio Free Europe

Radio Free Europe, officine américaine financée par le Congrès, indique donc qu'il aurait été condamné « pour des articles Internet critiquant ce qu'il appelait les politiques impériales de Poutine. Il a été jugé coupable d'appels au terrorisme. » Présentation fallacieuse, dans un article intitulé « Les voix de la Russie Libre », qui laisse donc croire qu'il a été condamné pour avoir simplement réalisé une critique de la politique de Poutine…

Après, il est vrai que les États-Unis d'Amérique ont une vision extrêmement large de la liberté d'expression, du fait de leur Histoire. Pour rester dans les appels au génocide, rappelons que le Département d'État américain s'était opposé au brouillage de la Radio 1000 collines au nom de la liberté d'expression. Mais cette vision n'est pas celle de beaucoup de pays sur la planète…

Quoiqu'il en soit, on pourra en conclusion s'étonner, comme hélas souvent, du traitement partial des informations par le journal Le Monde, qui ne présente pas ici des faits importants, et titre « Deux ans de prison pour un internaute russe qui avait écrit « la Crimée, c'est l'Ukraine » » au lieu de « Deux ans de colonie pour un russe récidiviste qui a soutenu des propos faisant l'apologie du terrorisme ».

Cette présentation volontairement biaisée alimente donc une russophobie toujours dangereuse, comme l'était la germanophobie médiatique d'il y a un siècle…

P.S. Merci à Nicolas, Vladimir et aux traducteurs pour leur aide fondamentale pour cet article.

P.P.S. : le concours est ouvert pour le prochain article de Benoit Vitkine :

  • “Un Russe condamné à trois ans de prison pour ne pas avoir regardé Poutine à la télévision”
  • “Torturé par les sbires de Poutine pour avoir sauvé un enfant de la noyade”
  • “Enfermé dans un camp de concentration en Russie pour avoir ne pas être allé à la messe” ?

[2013] Voting Rights Act : mort d’une loi historique pour l’égalité raciale ?

[2013] Voting Rights Act : mort d'une loi historique pour l'égalité raciale ?

Un article un peu ancien, sur lequel je suis retombé : amusant comme on ne nous en a guère parlé, non ?

Source : Le Journal International, 01-07-2013

En 1965, le Voting Rights Act était voté sous la présidence de Lyndon B. Johnson. Victoire historique pour les défenseurs des droits civiques, il a permis de garantir légalement à des millions de noirs américains un accès égal au droit de vote durant presque cinquante ans.

D.R

D.R

Mardi 25 juin la Cour Suprême l'a amputé de sa section 5, imposant jusque là un strict contrôle fédéral sur toute tentative de modification des règles locales d'accès au vote. Retour sur le passé de cette loi d'exception, et enquête sur une décision synonyme de retour en arrière pour nombre d'Américains.

Le XVe amendement de la Constitution stipule que le droit de vote des citoyens ne doit pas être « dénié ou limité pour des raisons de race, couleur, ou de condition antérieure de servitude. » Quoique ratifié par tous les États en 1870, nombre d'États du Sud ont désiré le contourner, de manière à empêcher les noirs américains de voter. La fin des années 1870 voit la fin, ou plutôt l'échec, de la Reconstruction du sud, ainsi que la naissance des Black Codes, du Ku Klux Klan, des lois de Jim Crow et autres stratagèmes visant à annihiler les pouvoirs civiques des noirs américains. Ainsi, entre 1890 et 1910, les États réécrivent leur Constitution et créent une ribambelle de dispositifs visant à barrer l'accès au vote à leurs populations noires : taxe électorale (poll tax), droit de propriété immobilière, ou même soumission des citoyens à des tests d'alphabétisation. Les petits blancs du Sud bénéficient pour leur part d'une clause de compréhension ou de clause de grand-père, ce qui leur donne le droit de voter si leur grand-père a été en mesure de le faire. En raison du Separate but Equal, certains bureaux de vote destinés aux noirs sont déplacés voire fermés à leur insu. Les élus sont en très grande majorité blancs, et les seuls noirs en fonction se trouvent sous la menace perpétuelle de représailles mortelles.

Les années 1950-1960 voient la naissance du Mouvement des Droits Civiques avec ses figures de proue tels Martin Luther King ou Malcolm X. La NAACP (association nationale pour l’avancement des gens de couleur) et la SCLC dirigée par King sont à leur apogée. Emmet Till, adolescent noir, est assassiné en 1956 et l'un de ses meurtriers, J.W Milam, clame que les noirs ne devraient pas voter, qu'ils contrôleraient le gouvernement si tel était le cas. C'est l'époque sanglante des attentats de Birmingham en Alabama et des hot summers, mais aussi celle du Freedom Summer en 1964, manifestation visant à inscrire le plus de noirs américains possible sur les listes électorales dans l'État du Mississippi. L'Amérique prend conscience de la violence de son Sud. C'est le début d'une vague historique de réformes pour l'égalité raciale et les droits civiques.

Au cœur de ces luttes se trouve la question du vote pour tous. Après la Seconde Guerre mondiale, les soldats noirs ayant acquis des droits électoraux ne veulent pas retourner vivre dans un Sud où ils verront ces droits abrogés instantanément. En 1957 est adopté un Civil Rights Act mais aucun résultat significatif n'est observé quant aux taux d'inscription des noirs sur les listes électorales. En 1960, une autre loi semblable rend possible la nomination d'un représentant fédéral à la tête d'un système d'inscription jugé discriminatoire. Elle ne sera jamais mise en application. Le Civil Rights Act de 1964 met enfin fin à la discrimination organisée, mais ne règle encore une fois pas la question de l'accès des Afro-Américains aux bureaux de vote. Ainsi, en 1965 est adopté le Voting Rights Act, loi salvatrice qui finalement permettra l'accès des noirs aux listes électorales, sans prérequis discriminatoires.

LE VOTING RIGHTS ACT DE 1965 : SYMBOLE DE LA « GREAT SOCIETY »

Le projet de la loi était de garantir le droit de vote, le droit d'être représenté politiquement et libre d'élire le représentant de son choix, en supprimant les questions de race ou de couleur. En 1965, il n'était néanmoins applicable qu'à 9 juridictions ayant un lourd passé ségrégationniste, ainsi que de lourds dispositifs visant à barrer l'accès aux votes pour leur population noire. Ces États, hormis l'Alaska, sont pour la plupart les États conservateurs du Sud. Là-bas, moins de 50% des personnes en âge de voter étaient inscrites sur les listes électorales. En 1975, la section 4 s'étendra finalement aux États dont 5% ou plus de la population appartient à une minorité linguistique.

Les sections 2 et 3 sont liées à l'application de la suppression de la race et de la couleur sur les bulletins et dans l'accès au vote. Les sections 4 à 6 sont primordiales, d'autant plus qu'elles ne sont valides que pour 5 ans parce qu'elles impliquent des autorités fédérales dans la sphère étatique. Elles doivent alors être renouvelées si besoin est. Le Voting Rights Act était avant tout une solution éphémère, en attendant que les noirs puissent intégrer la vie politique de manière durable. En 2006, il a été reconduit par George Bush pour 25 ans.

Si les sections 6,7 et 8 sont les plus importantes, permettant aisément à un fonctionnaire du ministère de la Justice de vérifier la régularité de toutes les élections, la section 5 a été au cœur de nombreux débats, suscités majoritairement par les républicains de 1966 à aujourd'hui. Elle oblige depuis 1969 les juridictions locales à avoir le consentement du ministère de la Justice (preclearance) avant de changer tout processus électoral. Elles doivent avant tout prouver que le changement soumis ne détériore pas le pouvoir politique d'une minorité ethnoraciale.

MORT DE LA SECTION 5 : UN RETOUR EN ARRIÈRE MASQUÉ DERRIÈRE DES FAUX AIRS DE PROGRÈS RÉGIONAL

Et c'est justement ce contrôle fédéral préalable, contenu dans la section 5 de la loi d'origine, qui vient d'être supprimé par la Cour Suprême des États-Unis. Menacée depuis de nombreuses années, les spécialistes n'avaient aucun doute quand à la disparition prochaine de cette épine dorsale du Voting Rights Act, jugée de plus en plus obsolète par un grand nombre de conservateurs. Pourquoi garder au goût du jour une disposition légale restreignant de cette manière la liberté de certains États, tout en sachant que celle-ci est justifiée par des évènements et litiges disparus il y a plus de 50 ans ? La majorité des juges de la Cour Suprême ont estimé qu'il n'y avait plus aucun élément pouvant aller dans le sens du maintien de cette section, et l'ont donc purement et simplement abolie du texte original.
Crédit Photo -- San Francisco Sentinel

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Une telle modification soulève de nombreux doutes. La suppression de cette section peut supposer un retour à l'avant-1965, où seuls les citoyens pourront contester les autorités étatiques puisqu'il en va de la souveraineté des États. Concrètement, les autorités locales ont à présent les mains libres, ou presque, pour définir leurs propres règles quant à l'accès au vote de leur population. Les États du sud du pays n'ont plus à obtenir aucune validation fédérale préalable s'ils veulent imposer de nouvelles contraintes électorales à leurs minorités, une première depuis 1965. Les changements visant le processus électoral pourraient être les suivants : altérer les critères permettant de devenir candidat ou électeur, déplacer un bureau de vote, changer la langue des bulletins de vote ou modifier les frontières des circonscriptions électorales. Certains spécialistes n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme, c'est le cas du Docteur Jonathan Holloway, professeur d'African American Studies à Yale, qui n'a pas hésité à qualifier les conséquences de ce vote de « dramatiques » pour les populations touchées. Celui-ci insiste sur le caractère difficilement réversible de cette décision : « Le gouvernement fédéral est actuellement tellement faible dès lors qu'il s'agit de s'adresser à des problèmes qui nécessitent un effort bipartisan qu'il y a peu d'espoir qu'il puisse résoudre ce problème dans le court terme », avant d'ajouter qu'en revanche « dans le moyen et le long terme, lors des prochaines législatives notamment, cette question deviendra certainement un enjeu fort, et on peut peut-être s'attendre à des efforts à ce moment-là pour rouvrir les isoloirs, mais pas avant ».

L'État du Texas, lui, a d'ores et déjà annoncé la mise en place de nouvelles règles d'accès au vote pour ses habitants, sous la forme d'un « Voter ID », carte d'identité électorale d'un nouveau genre. Le principe de ce projet est simple : bannir l'accès aux urnes à de nombreuses minorités puisqu'elles ne possèdent pour la plupart pas de permis de conduire, pas d'expérience dans la gestion de telles procédures administratives, ni de temps pour aller entreprendre les démarches nécessaires. Inutile de préciser que la loi s'oppose frontalement à toutes les évolutions observées ces 50 dernières années en matière de droits civiques. Doit-on s'attendre à une généralisation du phénomène, et à la banalisation d'un « disfranchisment 2.0 » ? La réponse est très certainement oui. L'exemple du Texas montre que la région ne va pas s'en tenir à l'immobilisme. Six des neuf États du sud concernés ont d'ailleurs déjà exprimé leur volonté d'entreprendre des réformes quant aux modalités d'accès au vote de leurs minorités, et 31 États dans l'ensemble du pays semblent enclins à suivre cet exemple. Le prochain débat pourrait porter sur la question des détenus, à qui on refuse dans certains États le droit de vote comme en Floride.

D.R

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Du côté conservateur on joue la carte de l'apaisement. Le vocabulaire est optimiste et tourné vers l'avenir d'une région souvent considéré comme un haut lieu de racisme, de pauvreté, et de violence. L'éradication de la section 5 est dépeinte comme une nécessité afin de prolonger cette évolution régionale. Comme de nombreux républicains, Robert Bentley, gouverneur de l'Alabama, projette l'image d'une décision comme signe positif de progrès de la région : « Nous avons fait un très grand nombre d'efforts afin de progresser sur cette question. Je suis convaincu que notre État peut aujourd'hui parfaitement gérer ces choses-là ». Mais que se cache-t-il derrière cette rhétorique de progrès bien huilée ? Pourquoi la Cour Suprême a-t-elle accepté de voter la mort de la section 5, tout en sachant bien que cette décision serait à l'origine d'un recul très certain des droits civiques pour les minorités ? Et surtout, pourquoi les républicains accordent-ils tant d'importance à l'effacement d'une partie du Voting Rights Actaussi fondamentale et symbolique dans l'histoire des États Unis ?

 

UNE DÉCISION BIEN PLUS POLITIQUE QU'IDÉOLOGIQUE :

Si l'exemple du Texas est intéressant, c'est avant tout parce qu'il démontre que la décision de la Cour Suprême est le fruit de motivations avant tout politiques. L'enjeu ici n'est pas purement racial, comme il l'était il y a cinquante ans. Il ne s'agit pas de limiter les droits civiques des minorités parce qu'elles sont méprisées, ou considérées comme inaptes à accéder au vote par défaut d'adéquation avec les standards de leurs concitoyens. Les États-Unis ne sont pas l'Europe et il ne faut pas mélanger les débats relatifs au vote des étrangers en France, et ce qu'il peut se passer en ce moment au Texas. La décision de la Cour Constitutionnelle est instrumentale avant d'être idéologique. Si nombre de militants des droits civiques pleurent la mort de la section 5, beaucoup sont d'ailleurs réalistes quant à la signification de cette décision. John Lewis, l'un des derniers vétérans des luttes pour les droits civiques des années 50, est l'un des démocrates les plus lucides quand il s'agit de rendre compte des motivations de la Cour Suprême. Avant même le vote décisif du 25 juin, il s'était d'ailleurs exprimé à de nombreuses reprises pour dénoncer les tentatives de disfranchisment à peine masquées des républicains. Depuis quelques années déjà ceux-ci s'étaient violemment attaqués à la section 5, non pas parce qu'elle est dépassée, mais parce qu'elle permet à un électorat grandissant, et qui leur est extrêmement défavorable de continuer à voter librement pour leurs adversaires démocrates.

Pour comprendre la logique des républicains, il suffit d'observer quelques chiffres simples. L'immigration hispanique de plus en plus conséquente ne cesse de faire changer le visage démographique des États-Unis. Si la nation américaine a toujours été mise en avant pour son métissage, ce sont les blancs qui sont jusqu'à présent restés les plus nombreux, et donc les plus déterminants au niveau électoral. Or, tout cela est en train de changer progressivement, et un recensement mené en 2010 sur la population américaine a montré que la proportion de blancs deviendrait minoritaire dès 2043 par rapport à la somme des autres populations du pays. Les « Non-Whites », comme on les appelle, pèsent de plus en plus lourd dans les calculs stratégiques des deux partis politiques, puisque leur vote a plus que jamais la capacité de faire basculer le résultat de toutes les élections. Or, ceux-ci tendent en majorité à voter démocrate. Les chiffres de l'élection de novembre 2012 ne peuvent que confirmer cette tendance : 71% des Hispaniques et 93% des Afro-Américains ont donné leur vote à Barack Obama. Le Sud du pays n'est pas épargné, et c'est même là que les populations hispaniques grandissent le plus rapidement depuis 2000. La région est de plus en plus métissée, et le vote de ses minorités tend à bousculer les logiques passées. Par le passé rouge vif, la couleur électorale de cette région tend de plus en plus vers le violet. Il y a seulement 2 semaines, 4 villes du Mississippi (Tupelo, Meridian, Starkville et Ocean Springs) ont vu leur maire devenir démocrate. Pour la plupart des bourgades citées, il s'agit d'une première, et pour cause la région est un des bastions les plus conservateurs du pays. Certains analystes en viennent à se demander si le Deep South ne pourrait pas un jour redevenir démocrate.

Piégés dans des dynamiques démographiques qui leur sont défavorables au cœur même de leurs QG historiques, les républicains ont donc préféré étouffer le mal temporairement plutôt que de le soigner à sa source. Plutôt que d'adapter leur ligne idéologique aux évolutions de l'électorat américain, et de lutter afin de devenir attractifs aux yeux des « Non-Whites », ils ont préféré taire leur voix en s'attaquant à leurs droits fondamentaux. En d'autres mots ils ont instrumentalisé la Cour Suprême afin d'effacer leur faiblesse électorale grandissante. La section 5 a été sacrifiée dans cette vaine tentative, tout comme le droit de vote de nombreux Texans qui n'auront pas la possibilité de se plier à la contrainte du voter ID. En demeurant obstiné à ne compter que sur un vote blanc de plus en plus insignifiant, le Parti républicain est bel et bien en train de se tirer une balle dans le pied. Cela ne serait pas forcément une mauvaise chose s'il n'entraînait pas dans sa chute l'héritage de plus de 50 ans de luttes pour les droits civiques. Une double peine qui aura de lourdes conséquences pour un parti qui ne pèse déjà plus grand-chose.

Par William Mouelle Makolle et Laura Wojcik, en collaboration avec Pr Jonathan Holloway, professeur en African-American Studies à Yale et Dr Ellen Hampton, professeur d'histoire à Sciences Po et à l'EHESS.

Source : Le Journal International, 01-07-2013