dimanche 29 mai 2016
Grèce : Tsipras, le FMI et l’UE achètent encore du temps
Grèce : Tsipras, le FMI et l'UE achètent encore du temps
En Espagne, cette lettre à Bruxelles qui dérange Mariano Rajoy, par Romaric Godin
En Espagne, cette lettre à Bruxelles qui dérange Mariano Rajoy, par Romaric Godin
Source : La Tribune, Romaric Godin, 24-05-2016 En pleine campagne électorale, la presse espagnole publie une lettre du chef de gouvernement à Jean-Claude Juncker qui promet de nouvelles coupes budgétaires. Des révélations gênantes. C’est un coup de tonnerre dans la nouvelle campagne électorale espagnole. Ce mardi 24 mai, le quotidien madrilène El País a rendu public une lettre de l’actuel président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Dans cette lettre, datée du 5 mai dernier, le locataire de la Moncloa se dit « disposé, une fois qu’il y aura un nouveau gouvernement, à prendre de nouvelles mesures budgétaires dans la seconde moitié de l’année. » Levée de bouclierCette lettre a déclenché une levée de bouclier de la plupart des partis qui s’opposent dans la campagne au Parti populaire (PP), du chef du gouvernement sortant. Le secrétaire général du parti socialiste (PSOE), Pedro Sánchez, a accusé Mariano Rajoy de « mentir sans pudeur ». A Ciudadanos, parti de centre-droit, on lui reproche de « s’engager vis-à-vis de Bruxelles sans savoir s’il gouvernera ». Enfin, Unidos Podemos, l’alliance de la gauche radicale regroupant Podemos, ses alliés régionaux, les Communistes et les Verts, évoque, par la voix de la députée européenne Marina Albiol un « programme occulte du PP ». Mise en danger du programme du PPIl est vrai que la publication de cette lettre met en danger l’essentiel du programme économique du PP et de Mariano Rajoy. Ce dernier promet en effet certes de respecter la trajectoire fixée par la Commission, mais il promet de se limiter aux 4 milliards d’euros d’économies prévues cette année et de baisser les impôts ensuite pour dynamiser la croissance. Compte tenu du niveau du déficit public en Espagne, 5,1 % du PIB à la fin de l’année 2015, beaucoup d’observateurs se sont inquiétés des incohérences de ce programme, mais le PP a toujours rétorqué que ce programme était réaliste. Avec cette carte, il semble que Mariano Rajoy soit d’ores et déjà prêts à écorner ces promesses au nom de la trajectoire budgétaire et du respect des engagements européens. Bienveillance ciblée ?Faut-il voir un lien entre cette missive et la décision de la Commission européenne, mercredi 18 mai, de ne pas engager de procédure de sanctions à l’égard de Madrid et de Lisbonne ? Selon le quotidien El Mundo du 20 mai, citant des sources gouvernementales espagnoles, l’Allemagne, Jean-Claude Juncker et les Conservateurs européens auraient été des partisans déterminants de la mansuétude de Bruxelles. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la part d’un camp souvent très sévère en matière d’orthodoxie budgétaire. Mais il semble qu’ayant eu les garanties de la lettre du 5 mai, Berlin et le PPE aient pu juger qu’il n’était pas temps de lancer une procédure qui aurait été préjudiciable à la campagne du PP. Mariano Rajoy tente, en effet, d’apparaître comme le candidat du respect des engagements européens et du « sérieux ». Une procédure de sanction contre sa gestion aurait sans doute été pénalisé cette campagne. Un problème de méthodeReste que la publication de la lettre pose un problème également. Sur la méthode, d’abord. Cette « lettre secrète » sur des mesures supplémentaires qui pourraient s’élever à 12 milliards d’euros n’est pas un détail. Tout se passe comme si, avec la bénédiction de la Commission – habituellement si prompte à dénoncer le procédé – le chef du gouvernement voulait se dissimuler derrière le prétexte d’une décision « d’en haut », autrement dit de Bruxelles, s’imposant à l’Espagne et le forçant à imposer une nouvelle cure d’austérité, une fois le scrutin passé. Pourquoi Mariano Rajoy est-il si sûr de lui ?Cette lettre pose un autre problème : celui d’un Mariano Rajoy sûr de rester au pouvoir, lui ou un membre du PP pour lequel il peut s’engager, après les élections du 26 juin. L’explication en est simple : comme Pedro Sánchez a échoué à allier autour du PSOE Ciudadanos et Podemos, le PP se considère, dans le cas d’une stabilisation des forces politiques, incontournable pour constituer un futur gouvernement. Dans le cadre des négociations, il suffira de faire du respect de la trajectoire dressée par Bruxelles une condition de l’alliance pour, in fine, après la revue de la Commission en juillet, imposer aux alliés, sans doute Ciudadanos, voire le PSOE, les « nouvelles mesures ». Dans ce cas, Mariano Rajoy ne s’est pas engagé que pour le PP mais pour ses futurs alliés… Blocage politiqueCette publication peut profiter in fine à Unidos Podemos qui, précisément, après des débuts délicats, commence à progresser dans les sondages. Le 20 décembre, Podemos et ses alliés et Izquierda Unida avaient, ensemble, obtenu 24,4 %. Le dernier sondage réalisé par NC Report lui attribue 24,9 % des intentions de vote, ce qui le place en deuxième position derrière le PP (30,4 %, +1,7 point), mais devant le PSOE (21,1 %, -0,9 point) et Ciudadanos (14,5 %, +0,6 point). Dans ce contexte de grande stabilité des positions et compte tenu de la loi électorale espagnole qui favorise les grands partis, Unidos Podemos peut espérer progresser en sièges et peser davantage dans les négociations gouvernementales. Dans ce cadre, la question budgétaire sera centrale. Unidos Podemos réclame une renégociation des engagements avec Bruxelles. Une promesse qui sera aussi difficile à tenir que celles du PP. Source : La Tribune, Romaric Godin, 24-05-2016 |
Vie privée : faites du bruit pour vous protéger de Google et compagnie, par Clair Richard
Vie privée : faites du bruit pour vous protéger de Google et compagnie, par Clair Richard
22Source : Le Nouvel Obs, Clair Richard, 30/03/2016 Générer de « fausses » recherches pour égarer les traqueurs, c'est l'idée de l'extension TrackMeNot (« Ne me piste pas »). Pour brouiller vos traces, plutôt que de couper le fil de votre routeur, d'installer des systèmes pour anonymiser vos discussions et d'emballer votre téléphone dans du papier aluminium, mieux vaut générer du bruit. C'est le principe de l'« obfuscation », une tactique développée par des chercheurs et des activistes, et dont on vous parle parce qu'en ces temps de surveillance généralisée, c'est de salut public. L'idée est de se protéger de la surveillance en générant des informations superflues, inutiles, ambiguës ou inexactes, qui rendent alors le ciblage peu précis et inefficace. Pour en parler, nous avons rencontré Vincent Toubiana, qui s'occupe d'un programme appelé TrackMeNot, cas d'école en matière d'obfuscation. Il travaille à la Cnil mais insiste pour dire qu'il ne parle qu'en son nom. TrackMeNot (littéralement « Ne me piste pas ») a été développé par deux chercheurs américains, Daniel C. Howe et Helen Nissenbaum, en 2006. A l'époque, la société AOL vient de mettre en ligne par erreur les données de recherche de plus de 650 000 de ses utilisateurs, révélant non seulement l'ampleur de ses archives mais aussi à quel point les recherches effectuées en disent long sur un utilisateur. L'historique de l'utilisatrice n°711391Un exemple ? La bande-son du film documentaire qui suit est constituée des recherches effectuées par l'utilisatrice enregistrée sous le numéro 711391 par AOL. Elles révèlent son manque de confiance et ses histoires d'amour. Suivez les recherches effectuées par l'utilisatrice 711391 : touchant et glaçant à la fois, ce film montre tout ce que nos données disent de nos rêves et de nos fragilités. Le principe de TrackMeNot est simple et efficace : une fois installée sur le navigateur (pour l'instant Firefox et Chrome), elle génère automatiquement des recherches sur le moteur de recherche choisi (Yahoo, Google, Bing), noyant celles de l'utilisateur dans une nuée de recherches non pertinentes. Ainsi, explique la page de l'extension :
L'extension est totalement paramétrable par l'utilisateur, qui peut décider d'exclure certains mots clefs des recherches générées automatiquement. Des vertus de « Dragon Ball »Vincent Toubiana a rejoint le projet en 2008, à New York, où il était alors post-doctorant. Il a pris conscience pendant ses études du rôle essentiel que jouent les recherches sur les moteurs, à la fois dans l'économie du Web et dans le marketing :
A l'époque, le discours de protection de la vie privée se concentre beaucoup sur l'anonymat. Vincent Toubiana, lui, imagine une approche différente – avec des sources d'inspiration peu orthodoxes :
Extrait de « Dragon Ball », en anglais : aux origines de l'obfuscation. Une évidence est apparue à Vincent Toubiana : la surveillance ne marche que parce qu'on fournit nous-mêmes des informations exactes.
Aujourd'hui, TrackMeNot est utilisé par 28 000 utilisateurs sur Firefox et 11 000 sur Chrome. Vincent Toubiana insiste :
L'arme des faiblesOn a reproché à l'extension de surcharger inutilement les bandes passantes ou de consommer trop d'électricité. Vincent Toubiana hausse les épaules : par rapport à l'énergie qu'utilise Google lui-même, c'est une goutte d'eau. Helen Nissenbaum, professeure à l'université de New York et l'une des créatrices du projet, a récemment publié avec Finn Brunton (auteur d'une passionnante histoire des spams) un petit ouvrage sur l'obfuscation, mi-plaidoyer mi-manuel. Pour eux, l'obfuscation est « l'arme des faibles ». Car la déconnexion est une option de plus en plus irréaliste, réservée aux plus puissants ou aux plus radicaux. Surtout, la plupart des gens ne veulent pas se priver de toute interaction en ligne mais ils veulent avoir plus de contrôle sur l'utilisation de leurs données, ou être moins pistés. De « Spartacus » à Best BuyLes tactiques d'obfuscation sont vieilles comme la domination. Dans « Obfuscation », les auteurs donnent de nombreux exemples, parmi lesquels :
L'obfuscation en toge version Kubrick, en anglais
Parmi ces gens vêtus de T-shirts bleus, certains sont employés par Best Buy. Mais lesquels ? Un « epsilon de bruit »Contrairement aux techniques d'anonymisation, souligne Vincent Toubiana, l'obfuscation est une tactique plus généreuse car elle protège potentiellement tout le monde :
Pour ce faire, il suffit de rien, d'un « epsilon de bruit » dans les données. « Epsilon de bruit » : c'est une formule de matheux qui résonne aussi comme un concept poétique. Mentir un peu, introduire des intervalles entre soi et le monde, des intervalles d'imprécision ou de mystère. Source : Le Nouvel Obs, Clair Richard, 30/03/2016 |