vendredi 27 mai 2016

Le gouvernement devra-t-il reculer sur la loi travail ?

Le gouvernement devra-t-il reculer sur la loi travail ?

Les manifestations et les grèves contre la loi travail se renforcent. Comment un gouvernement impopulaire pourrait-il continuer à défendre une loi tout aussi impopulaire et qui n'a absolument pas réussi à convaincre les Français ? Le recul peut sembler être la seule solution, à moins que…



Du thatchérisme honteux au thatchérisme assumé ?


La concentration du débat sur l'article 2 de la loi travail, qui instaure la supériorité des accords d'entreprise sur les accords collectifs, montre que beaucoup de Français ont bien saisi la faille introduite par la loi dans notre droit du travail, déjà portée par le rapport Combrexelles de la rentrée 2015. Aujourd'hui, il semble que la majorité devra forcément reculer devant la mobilisation et l'extension des grèves, dans les raffineries, les transports, ou à EDF. Avec l'Euro de football, le gouvernement peut-il se permettre de laisser se développer un conflit social de plus en plus dur ? Le roi de la synthèse ne va-t-il pas mettre de l'eau dans son vin pour acheter la paix ? Sauf qu'ainsi, il ne réduirait guère fracture avec la gauche et décevrait la minorité qui le soutient, tout en alimentant le procès sur son manque de caractère.

Dans un monde politique où seules les postures comptent, ne peut-on craindre que cela pousse au contraire le gouvernement à aller jusqu'au bout du conflit pour défendre cette mauvaise loi, assumant le passage d'un suivisme ultralibéral honteux à un suivisme ultralibéral de plus en plus assumé, qui se retrouve dans tout les discours de dénonciation des grévistes, qui ressemblent à s'y méprendre à celui d'une majorité de droite en pleine grêve… Le président n'a rien à gagner à céder aujourd'hui. Il a déjà exaspéré son aile gauche qui ne votera pour lui qu'au second tour face à plus à droite que lui, sans enthousiasme, et sans doute seulement partiellement. Céder ne lui permettrait pas de reconquérir un électorat auprès duquel il a trop de casseroles. Et il risquerait de perdre ceux qui apprécident cette loi et Macron.

Voilà pourquoi, même si cette loi est mauvaise, un nouveau terrain cédé à des entreprises déjà gagnantes sur presque tous les terrains, on peut craindre que le gouvernement s'y accroche car c'est la seule posture encore jouable pour 2017. Après tout, un Hollande résolu qui affronte les manifestations et les grêves et fait passer la loi par le 49-3 écrit une histoire potentiellement plus forte que s'il reculait. Il montrerait une force qui ne lui est pas associée naturellement et couperait un peu l'herbe sous le pied des Républicains, en les poussant plus encore à droite pour se différencier de lui. Bien sûr, il libèrerait de l'espace à Mélenchon, mais ne rétrécirait-il pas l'espace des Républicains, entre un Hollande quasi-thatchérien et le FN, au point de se retrouver un espace suffisant pour se qualifier au second tour ?

Bien sûr, ces calculs peuvent sembler totalement fou étant donnés l'impopularité de Hollande et les couacs de sa majorité. Néanmoins, ne peut-on pas craindre que sa stratégie de communication ne le pousse à se raidir sur la loi travail pour défendre ses chances pour l'an prochain. 

Loi Travail : le gouvernement à la recherche d'une sortie de crise

Loi Travail : le gouvernement à la recherche d'une sortie de crise

La contestation contre la loi Travail est restée forte jeudi partout en France avec une multiplication des blocages, des arrêts de travail et des manifestations parfois émaillées de violences, tandis que le gouvernement est toujours à la recherche d'une sortie de crise.

Sans compter les barrages et les "grévistes qui occupent leur entreprise", la CGT a recensé "près de 300.000 manifestants" en France, contre 400.000 une semaine plus tôt. Les autorités en ont dénombré 153.000 (128.000 le 19 mai).

A un peu plus de deux semaines de l'Euro de football et face aux risques pour l'économie, le Premier ministre Manuel Valls a jugé "inacceptable" de "bloquer un pays".

 

Cette huitième journée d'action nationale, à l'appel de sept syndicats (CGT-FO-Solidaires-FSU-Unef-Fidl-UNL), a rassemblé à Paris 18.000 à 19.000 personnes selon la police, 100.000 selon les organisateurs.

De nouveaux incidents ont éclaté dans la capitale, des manifestants cagoulés ont brisé des vitrines, dégradé des véhicules, lancé des projectiles et poussé un chariot de supermarché enflammé vers des policiers, qui ont répliqué avec des gaz lacrymogènes. Trente-deux personnes ont été placées en garde à vue - 62 dans tout l'Hexagone.

A la fin de la manifestation parisienne, "une centaine de personnes a pris à partie cinq fonctionnaires de police qui procédaient à une interpellation", a déclaré la préfecture de police. Lors des heurts qui ont suivi, "un jeune homme a été blessé sérieusement" puis hospitalisé.

Les circonstances de cet incident "devront être établies", a affirmé le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a demandé une enquête administrative. Le parquet de Paris a ouvert de son côté une enquête judiciaire également confiée à l'inspection générale de la police nationale (IGPN).

 

Inédite sous un gouvernement socialiste depuis 1981, la mobilisation entamée le 9 mars est montée d'un cran depuis le week-end, avec l'entrée en lice des salariés des sites pétroliers et des difficultés d'approvisionnement en carburant. Quatorze dépôts ont été débloqués sans incident, selon l'Intérieur.

Principal point de crispation : l'article 2 du projet qui consacre la primauté aux accords d'entreprise dans l'aménagement du temps de travail, une ligne rouge pour les syndicats contestataires qui redoutent le dumping social.

 

La confusion face à des discours contradictoires dans la majorité a été exacerbée jeudi lorsque Manuel Valls a recadré son ministre des Finances Michel Sapin, réaffirmant qu'il "ne toucherait pas" à l'article 2. Depuis le Japon, François Hollande lui a donné raison.

Le leader de la CGT Philippe Martinez a ironisé, estimant que le président n'avait "plus la majorité".

- "Tout le monde déteste le PS" -

"Tout le monde déteste le PS", ont scandé les manifestants à Lille, où ces slogans prenaient le pas sur les chants anti-policiers.

A Rennes, où de 3500 (police) à 8000 personnes (FO) ont manifesté, le trafic SNCF a été interrompu près d'une heure après une invasion des voies. A Nantes, une manifestation pourtant interdite a rassemblé au moins 1300 personnes et a été émaillée de dégradations.

 

Le blocage de la zone aéroportuaire de Nantes durant une partie de la journée devait reprendre vendredi à 04H00, selon la CGT. Egalement en Loire-Atlantique, la raffinerie Total de Donges était "à l'arrêt complet" depuis jeudi, d'après le syndicat.

A Cherbourg, fief de Bernard Cazeneuve, l'usine de sous-marins nucléaires du groupe DCNS a été "totalement bloquée" jusqu'en début d'après-midi. En marge du mouvement, un syndicaliste CGT a été tué à Cherbourg et un autre grièvement blessé dans un accident de la route.

 

Le blocage de la zone aéroportuaire de Nantes durant une partie de la journée devait reprendre vendredi à 04H00, selon la CGT. Egalement en Loire-Atlantique, la raffinerie Total de Donges était "à l'arrêt complet" depuis jeudi, d'après le syndicat.

A Cherbourg, fief de Bernard Cazeneuve, l'usine de sous-marins nucléaires du groupe DCNS a été "totalement bloquée" jusqu'en début d'après-midi. En marge du mouvement, un syndicaliste CGT a été tué à Cherbourg et un autre grièvement blessé dans un accident de la route.

 

Source : LePoint.fr avec Afp

Informations complémentaires :

 

Une ancienne église chrétienne souterraine découverte en Turquie

Une ancienne église chrétienne souterraine découverte en Turquie



Il y a un peu plus d'un an je publiais un article sur une immense cité souterraine découverte en Turquie dont la taille pouvait rivaliser avec le site plus connu de Derinkuyu.

Cette année, une équipe d'archéologues turcs y a découvert une ancienne église chrétienne. Les murs de celle-ci, taillés dans la roche, sont recouverts de fresques représentant des scènes religieuses.

Fresques sur le mur taillé dans la roches d'une ancienne église chrétienne. Nevsehir, Cappadoce, Turquie. Image credit: Nevsehir Castle Urban Transformation Project / Nevsehir Municipality / Turkey's Housing Development Administration.

"Les fresques dans l'église montrent la montée de Jésus dans le ciel et la mise à mort des mauvaises âmes" rapporte Mr Hasan Ünver, maire de Nevsehir, la ville la plus proche.

"Nous savons que de telles fresques n'ont jamais été observées dans d'autres églises. Seules quelques peintures ont été mises au jour. Les autres émergeront lorsque la terre sera enlevée" ont précisé le Dr Semih İstanbulluoğlu, archéologue à l'Université d'Ankara et son collègue Ali Aydin, "il y a d'importantes peintures dans la partie avant de l'église montrant la crucifixion de Jésus et son ascension au ciel. Il y aussi des fresques montrant les apôtres, les saints et les prophètes de l'Ancien Testament, Moïse et Elisée".

 Fresques sur le mur taillé dans la roches d'une ancienne église chrétienne. Nevsehir, Cappadoce, Turquie. Image credit: Nevsehir Castle Urban Transformation Project / Nevsehir Municipality / Turkey's Housing Development Administration.

Le maire a ajouté que "lorsque l'église sera complètement révélée, le Cappadoce pourrait devenir un centre de pèlerinage de l'Orthodoxie encore plus important".

Le Dr İstanbulluoğlu, Aydin et leurs collègues ont daté l'église au 5ème siècle de l'Ere Commune.

Fresques sur le mur taillé dans la roches d'une ancienne église chrétienne. Nevsehir, Cappadoce, Turquie. Image credit: Nevsehir Castle Urban Transformation Project / Nevsehir Municipality / Turkey's Housing Development Administration.


Merci à Audric pour l'info !

Source:

Derniers articles sur la Turquie:

Le Brexit en perspective, par Jacques Sapir

Le Brexit en perspective, par Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Ce texte constituera la préface de l'ouvrage La Grande Dissimulation (et non Mystification, comme cela avait été indiqué par erreur, qui sortira fin juin 2016 aux éditions du Toucan)

Ce livre[1], traduction d'un ouvrage publié en langue anglaise en 2003 par Christopher Booker et Richard North, donne une lecture britannique de la construction européenne. Dans le même temps, il en établi, de manière rigoureuse, la généalogie. Il est toujours important de procéder à un décentrement, d'écouter ce que d'autres ont à dire. Et ceci d'autant plus que ces autres, les britanniques en l'occurrence, vont avoir à choisir sur leur maintien au sein ou leur départ de l'Union européenne. Cet ouvrage éclaire alors la question du fameux « Brexit ». Il nous permet de comprendre l'évolution du débat en Grande-Bretagne, mais il permet aussi de mettre en lumière la dynamique de la construction européenne.

A-01-Great-deception

Aux origines de l'Union européenne

Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin 2016, son résultat constituera un choc politique qu'il conviendra d'analyser. Ce livre ne commencerait donc qu'avec le Traité de Rome de 1957 qu'il aurait déjà un prodigieux intérêt. Mais, et c'est là toute l'intelligence des auteurs, ils reconstituent comme on l'a dit toute la généalogie de la construction européenne. Or, l'un des arguments les plus fréquemment avancés dans les cercles européistes est que cette construction est un objet « sui generis », et dont l'origine est relativement récente. Ce mensonge a en partie pour but de masquer des origines plus que discutables à la construction européenne, qu'il s'agisse d'une idéologie profondément anti-démocratique que l'on retrouve chez certains des promoteurs de l'Europe, ou qu'il s'agisse du projet des Etats-Unis de contrôle indirect du continent, et dont l'Union européenne pourrait, alors, bien s'avérer l'instrument. Le rôle des agences de renseignement américaine dans le processus de création des futures institutions européennes y est clairement retracé, tout comme les liens que certains des acteurs européens, dont Jean Monnet, avaient avec ces agences.

On comprend l'importance symbolique de ce mensonge car l'Union européenne se prétend porteuse de « valeurs » (mot qu'il conviendrait de remplacer par celui de « principe ») démocratiques et prétend, surtout en France, se construire pour « défendre » l'indépendance des européens. Il est clair que rappeler les origines nazies du projet (et on sait bien que le thème de la « construction européenne fut important dans la propagande de l'Allemagne hitlérienne) fait désordre. Non qu'il n'y ait eu aussi un courant réellement démocratique, qui fut incarné par de grands résistants, qui porta aussi l'idée de la construction européenne. Mais, même au sein de ce courant émergent dès les années 1940, le thème d'une grande méfiance envers les peuples et la démocratie. Aussi, la confrontation entre le discours tenu aux différents peuples et la réalité non seulement pose problème à l'historien mais aussi, et surtout, au citoyen. Ce mensonge sur les origines interpelle l'européen « de constat » que je suis. Il doit devenir un objet de réflexion pour tout personne qui cherche à comprendre les dynamiques actuelles de l'Union européenne.

 

Les sources du fédéralisme européen

Cet ouvrage prend aussi pour axe de réflexion le débat entre le fédéralisme, sous quelques formes qu'il soit, et ce que l'on appelle « l'intergouvernemental », soit une Europe fonctionnant comme une alliance d'Etats souverains. C'est un débat fondamental, et qui a commencé dés les années 1920. Il a pris un tournure décisive dans l'immédiat après-guerre, de 1946 à 1951, car se sont alors entrechoquées au grand jour l'idéologie fédéraliste et les revendications à une souveraineté nationale retrouvée après la barbarie nazie.

En fait, on voit bien en lisant ce livre que ce qui porte l'idée fédéraliste, c'est une horreur, assurément justifiée, de la guerre, horreur qui conduit alors à l'absolutisation de la guerre et des deux conflits mondiaux. Or, ceci a un parallèle. L'historien Simon Epstein montre comment la répulsion non maîtrisée face à la guerre a conduit de nombreux militants socialistes pacifistes à se tourner vers la collaboration et le plus hideux antisémitisme[2]. Ceci amène à s'interroger sur la décomposition d'un courant politique important en Europe, la social-démocratie. Le cas de la France est typique mais point singulier. Cette décomposition est le double produit de la réussite de la Révolution russe, qui semble invalider la trajectoire réformiste de la SFIO, et de la guerre de 1914-1918 qui a montré les ambiguïtés de la stratégie socialiste. Le développement d'un courant que l'on peut qualifier de « social-pacifiste » se fait en réaction à ces deux événements, et c'est ce courant qui va largement alimenter tant les milieux les plus extrêmes de la collaboration que l'idéologie fédéraliste. Cette décomposition se poursuivra après-guerre. Il n'est donc pas étonnant que l'idéologie fédéraliste ait recruté une bonne partie de ses penseurs et de ses cadres dans la mouvance social-démocrate. Cette décomposition s'accompagne de celle, parallèle mais plus tardive, qui touche l'autre grand courant européen, celui des chrétiens-démocrates. Mais, ce courant a moins besoin d'une idéologie explicite d'une part parce que sa décomposition est plus tardive et d'autre part parce que l'idéologie ne joue pas en son sein un rôle aussi central que pour la social-démocratie.

Dès lors, on peut mieux analyser les zones d'ombres que le livre met au contraire en lumière sur les différentes inspirations fédéralistes. Celles qui sont issues de l'ancien courant social-pacifiste, parce qu'elles font de la guerre le mal absolu et se refuse à analyser les raisons concrètes des conflits, les rejetant sur le « nationalisme » qui n'est lui non plus pas analysé ni compris, présentent l'Europe fédérale comme la panacée. C'est oublier, un peu vite, que la guerre civile est bien la pire des guerres. Le discours, « l'Europe c'est la paix » revient donc de manière récurrente comme justification du projet fédéraliste.

La décomposition du courant chrétien-démocrate se caractérise plutôt par une naturalisation de l'économie et une posture qui s'apparente à un darwinisme économique, et qui va faire du gouvernement par les règles l'alpha et l'oméga du projet politique. Ainsi, tel un Janus bifronts, se révèle la véritable figure du fédéralisme européen, anti-démocratique au nom de l'économie mais néanmoins justifié et accepté au nom de la préservation de la paix.

 

De l'intérêt du décentrement

C'est donc ici que le phénomène du décentrement se révèle le plus instructif. Car, la social-démocratie britannique est fort différente de son homologue continental. Si elle a, elle aussi, connu un phénomène de décomposition, ce dernier a été nettement moins idéologique que ce qui est survenu sur le continent. De même, la Grande-Bretagne n'a pas connu de démocratie chrétienne. Il en découle le fait qu'elle a été relativement épargnée par les processus idéologiques qui se sont développés tant en France, qu'en Italie, en Allemagne ou en Espagne.

Voilà sans doute ce qui fait que, pour un britannique, la seule conception légitime de l'Europe est intergouvernementale. On le constate dans les chapitres du livre qui traitent des années 1970 jusqu'au début des années 2000. On comprend aussi le titre de cet ouvrage. Si les auteurs parlent de « mystification » (ou deception en anglais) c'est qu'ils ont été préservés, de par une tradition et une culture politique spécifique, des débats que l'on a connus sur le continent. Mais, cela à une autre conséquence. L'expression de la souveraineté y est différente. Non qu'elle soit moins forte d'ailleurs. Cependant, elle prend la forme d'une souveraineté parlementaire, là où un français, un italien, voire un néerlandais ou un allemand seront plus attachés à une souveraineté populaire, ce qui explique l'importance d'un référendum.

Si l'on peut parler de fraude au sujet de l'UE, un continental mettra spontanément plus l'accent sur le déni de démocratie qui provient de la séparation de plus en plus évidente entre les institutions de l'UE et la volonté des peuples. Ce livre, rappelons-le, fut écrit en 2003. Il est un constat de l'évolution de l'UE qui est en réalité antérieur aux débats provoqués par le projet de traité constitutionnel. Il ne traite donc pas du rejet du TCE par les peuples français et néerlandais ni du traité de Lisbonne qui annula les votes souverains de ces deux peuples. Mais, il contient bien assez d'indications qui ne laissent guère planer le doute sur le jugement que les auteurs auraient portés sur ces faits, s'ils en avaient eu connaissance.

 

Les conséquences de l'UEM sur la perception britannique de l'UE

Il reste un point important, c'est la constitution de l'Union Economique et Monétaire, qui s'est concrétisé dans l'Euro. Le livre possède déjà le recul suffisant pour juger des conséquences du projet. Il analyse bien le mouvement vers une union monétaire comme le levier dont usèrent les fédéralistes pour s'avancer masqués. De fait, Hubert Védrine qui exerça les fonctions de conseiller diplomatique puis de Secrétaire générale à la Présidence auprès de François Mitterrand parle d'une « avant-garde léniniste » quand il veut décrire les personnes qui impulsèrent le projet européen[3].

L'un des titres de paragraphe « encore du poisson pourri » résume bien la pensée du livre. Mais il n'est pas sûr qu'ils aient perçus toutes les conséquences de cette union monétaire. Depuis le traité de Maastricht (1993) était défini une « union monétaire » à laquelle les pays signataires devaient se « qualifier » par des contraintes portante sur l'importance du déficit budgétaire (règle des « 3% ») ou sur la dette publique. Ceci fut confirmé par le Pacte de stabilité et de croissance, ou PSC, pacte qui fut adopté lors du sommet d'Amsterdam le 17 juin 1999[4], et qui désigne un ensemble de critères que les États de l'UEM se sont engagés à respecter vis-à-vis de leurs partenaires. C'est l'instrument qui fonde en droit les diverses mesures qui seront prises par la suite pour ériger des règles supranationales dans le domaine budgétaire. La Grande-Bretagne protesta et exigea des garanties afin de défendre la souveraineté de son Parlement.

Néanmoins, ce traité constitua la première pierre dans la perte de la souveraineté budgétaire des Etats. En effet, le Conseil ECOFIN peut adresser alors des recommandations pour que l'État ne respectant pas les clauses du traité mette fin à cette situation. Si tel n'est pas le cas, ce Conseil peut prendre des sanctions : dépôt auprès de la BCEqui peut devenir une amende (de 0,2 à 0,5 % PIB de l'État en question) si le déficit excessif n'est pas comblé.

Il convient ici de rappeler qu'au conseil ECOFIN est associé l'Eurogroupe, sauf que ce dernier n'a nulle existence légale dans les traités[5]. Ceci pose alors le problème du statut d'agences dont tant le mandat que les prérogatives dépendent d'un consensus qui n'est pas soumis à un contrôle politique, ne serait-ce qu'ex-post. On assiste alors à un double dessaisissement de la démocratie, d'une part à travers la création de ces fameuses « agences indépendantes » et d'autre part du fait que certaines d'entre-elles sont maintenues dans un flou institutionnel qui rend d'autant plus difficile le contrôle démocratique. De là remonte l'hostilité fondamentale de nombreux britanniques envers l'UE. Même si la Grande-Bretagne ne fait pas partie de la zone Euro, elle ne peut que s'inquiéter de la trajectoire prise par l'UE à la suite de la constitution de cette zone.

Car la crise financière de 2007-2008 entraîna une crise de l'UEM. Elle entraîna un pivotement important dans les formes de gouvernance qui, à son tour, a entraîné une sortie des principes de la démocratie dans les pays considérés. Cette crise constituait en réalité le type même de « choc exogène » que l'UEM, du fait de son déséquilibre, était dans l'incapacité de gérer[6]. La montée de la crise des dettes publiques (en Grèce, mais aussi en Espagne, au Portugal et en Italie) provoqua, alors, la mise en œuvre d'un ensemble de cinq règlements et d'une directive proposés par la Commission européenne et approuvés par les 27 États membres et le Parlement européen en octobre 2011. On appelle cet ensemble le « Six-Pack »[7]. Les États doivent désormais avoir un objectif à moyen terme (OMT) qui permet de garantir la viabilité des finances publiques. Celui-ci, qui consiste à prévoir un retour à l'équilibre structurel des comptes publics (déficit structurel limité à 1 % du PIB) est défini par la Commission européenne pour chaque État. Les pays qui ont une dette qui dépasse 60 % du PIB feront l'objet d'une PDE (ou « procédure de déficit excessif ») s'ils ne réduisent pas d'un vingtième par an (sur une moyenne de trois ans) l'écart entre leur taux d'endettement et la valeur de référence de 60 %. Si les pays qui sont en procédure de déficit excessif (PDE) (23 sur 27 pays en décembre 2011) ne se conforment pas aux recommandations que le Conseil leur a adressées, le Conseil, sur recommandation de la Commission Européenne leur adressera des sanctions, sauf si une majorité qualifiée d'États s'y oppose, procédure nouvelle au sein de l'UE et que l'on appelle la règle de « majorité inversée »[8].

 

Ces différentes dispositions sont pleinement incompatibles avec la vision que les britanniques ont défendue depuis de très nombreuses années. Voici qui éclaire le débat qui traverse la société britannique depuis plusieurs années, et qui a aboutit au référendum sur le « Brexit ». Ce livre éclaire alors la perception britannique du processus de construction européenne et nous permet, à notre tour de mieux voir une certaine réalité, au travers d'un nécessaire décentrement.

 

[1] La Grande Mystification, éditions le Toucan, Paris, 2016, traduit par Julien Funnaro à partir de The Great Deception, Continuum International Publishing Group Ltd. Londres, 2003.

[2] Epstein S., Un paradoxe français, Paris, Albin Michel, 2008.

[3] Voir l'entretien qu'il accorda en 1997 à Bertrand Renouvin in Renouvin B., La Nation et l'Universel – 40 ans de débats dans Royaliste, Paris, IFCCE, Col. Cité, 2015, 236 pages, pp. 159-162.

[4] « Qu'est-ce que le Pacte de Stabilité et de Croissance », 1er juillet 2013, http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/action/euro/qu-est-ce-que-pacte-stabilite-croissance.html

[5] http://www.assemblee-nationale.fr/europe/fiches-actualite/eurogroupe.asp

[6] Sapir J. « La Crise de l'Euro : erreurs et impasses de l'Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.

[7] Contre la Cour, « Gouvernance européenne, souverainetés et faillite démocratique », 5 septembre 2014, http://www.contrelacour.fr/gouvernance-europeenne-souverainetes-faillite-democratique/

[8] Voir Commission Européenne, 12 décembre 2011, « EU Economic governance « Six-Pack » enters into force », http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-898_en.htm

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Algérie, août 1955 : la mort filmée en direct, par Marie Chominot

Algérie, août 1955 : la mort filmée en direct, par Marie Chominot

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Le 20 août 1955, une insurrection a secoué l'ensemble du Constantinois, au cours de laquelle deux massacres d'Européens ont été perpétrés par des émeutiers : l'un à El Alia, petite agglomération minière où 35 personnes ont été tuées, l'autre au sein d'une famille d'Aïn Abid où 7 personnes ont été tuées. L'estimation globale du gouvernement général est de 123 tués : 31 militaires, 71 civils européens et 21 Algériens. Les représailles qui se sont abattues sur la population algérienne de la région, à partir du 20 août, ont été terribles. La violence, extrême et générale, a duré des semaines ; le nombre de victimes algériennes, hommes, femmes et enfants, n'est pas connu avec précision mais dépasserait 7 500. Un film d'actualités rend compte de la violence de cette répression. Ces images sont connues et documentées par les historiens depuis des années[i]. Malgré tout, elles suscitent encore aujourd'hui des interprétations erronées et restent instrumentalisées pour générer des polémiques. Cet article se propose de revenir en détail sur l'histoire de ces images, afin qu'elles puissent être lues et utilisées correctement et, surtout, sereinement. 

En cette année de cinquantième anniversaire de la fin d'une guerre qui vit l'Algérie accéder à l'indépendance, la diffusion d'un film documentaire (Guerre d'Algérie, la déchirure, de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, diffusé sur France 2 le dimanche 11 mars 2012 à 20h30) fait ressurgir l'une des plus grandes polémiques médiatiques qu'ait connue la France pendant la guerre d'Algérie, dans les derniers jours de l'année 1955.

La séquence incriminée montre un gendarme en train d'abattre, de sang froid et sans sommation, un civil algérien qui s'éloigne sur une route, avant de recharger son arme. Un message, posté sur un blog le 9 mars 2012, puis largement relayé auprès d'un certain nombre d'associations, qualifie ces images de « mise en scène, réalisée par la Fox Movietone et tournée le 22 août 1955 à Aïn Abid, devant une dizaine de journalistes. On voit le suspect s'éloigner. Soudain, il jette sa casquette en l'air (ce qui permet au gendarme de la prendre pour cible). Le suspect s'écroule ensuite, simulant la mort… Le gendarme G…. , qui avait accepté de tourner cette scène contre rétribution, a ensuite bénéficié d'un non-lieu devant le tribunal où il avait comparu pour faute. Tournée en 1955, ces images ont ensuite été utilisées par des cinéastes du FLN pour illustrer la répression qui a suivi les événements de Sétif, en 1945[ii] ».

Mise en scène, trucage des images : plus de cinquante ans après, on retrouve ici la rhétorique et les arguments utilisés par le gouvernement français lors de la publication de ces images, fin 1955, images qui le plaçaient face à la révélation de la brutalité et du caractère indiscriminé de la répression militaire consécutive à l'insurrection nationaliste du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Avant d'expliciter les conditions de production et de diffusion de ces images, puis le déroulement du scandale médiatique qu'elles ont provoqué en 1955, arrêtons-nous un instant pour les regarder vraiment.

Que s'est-il passé le 22 août 1955 à Aïn Abid ?

Le 22 août 1955, à Aïn Abid, petit village à une quarantaine de kilomètres au sud de Constantine qui venait d'être le théâtre de l'assassinat de sept de ses habitants européens par l'ALN[iii], ce n'est pas une mais trois exécutions sommaires qui se déroulèrent devant la caméra. Ces trois séquences différentes (deux sur une route et une autour d'une tente de nomades) ont été, parmi d'autres, tournées par le caméraman Georges Chassagne, natif d'Algérie et correspondant permanent dans ce pays pour deux firmes d'actualités : la française Gaumont[iv] et l'américaine Fox-Movietone.

Georges Chassagne a travaillé dans la plus grande légalité, respectant le système des autorisations alors en vigueur pour les journalistes : un laissez-passer délivré par les autorités civiles (Gouvernement général et préfets), permettant de se rendre dans des zones où l'armée opérait. Le 21 août, il a été « convié officiellement, par le gouvernement général, ainsi que cinq de ses confrères de la presse américaine et algéroise, à un voyage organisé, et sous escorte, dans le Constantinois[v] ». Le début de son reportage, tel que conservé dans les archives Pathé-Gaumont, montre qu'il a accompagné le Gouverneur général Jacques Soustelle lors de sa visite auprès des victimes européennes à l'hôpital de Constantine : c'était l'objectif de ce voyage de presse organisé. Le lendemain matin, il a profité, avec cinq autres journalistes (dont Robert Soulé, correspondant de France Soir et Jacques Alexandre, correspondant de la firme américaine d'actualités CBS News, concurrente de la Fox Movietone), d'une escorte de CRS, qui convoyait des autorités locales jusqu'à Oued Zenati, pour rejoindre la zone troublée.

Ils s'arrêtèrent à Aïn Abid, où l'armée était en train d'opérer un ratissage afin de retrouver les auteurs de la tuerie du 20 août. « Les militaires avaient demandé à tous les musulmans de se rassembler pour un contrôle d'identité. […] Tous ceux qui ne s'étaient pas présentés aux autorités devaient être considérés comme rebelles », rapporte Robert Soulé[vi]. Les journalistes suivirent alors une patrouille formée de six à huit soldats et d'un gendarme « qui semblait conduire les opérations de nettoyage[vii] ». Originaire d'Aïn Abid, il était proche de la famille Mello, dont plusieurs membres avaient été tués.

Première séquence filmée : la patrouille fouille des tentes de nomades (qui campaient, l'été, à l'extérieur du village). A peine sorti de sa tente, sans arme et les bras en l'air, un Algérien est abattu d'un coup de fusil. Un militaire l'achève d'une balle de revolver dans la tête, à bout portant. La tente est ensuite démontée. Selon Georges Chassagne, on y a « d'ailleurs retrouvé des objets provenant du pillage de la maison d'un fonctionnaire des PTT[viii] ». Un peu plus tard, « la patrouille entra dans la cour d'une ferme et demanda à un Algérien d'une soixantaine d'années si un musulman, nommément désigné, était resté à la ferme ou s'il s'était enfui ». Chassagne était resté à l'extérieur : « Il vit ressortir le gendarme, poussant un individu. Sur l'ordre du gendarme l'homme s'éloigna. Il fut abattu à quelques mètres par un coup de mousqueton[ix] ». Chassagne déclencha alors sa caméra, pour filmer une scène dont le déroulement lui était connu, puisqu'il en avait déjà filmé une semblable, quelques minutes plus tôt : un Algérien, vêtu d'une djellaba blanche, abattu par le même gendarme, devant une maison. Témoin de cette nouvelle exécution sommaire, Chassagne déclencha sa caméra plus rapidement et la séquence filmée est un peu plus longue (8 secondes, contre 3 pour la séquence précédente) et un peu mieux cadrée.

Des images qui font le tour du monde

Après avoir tourné quelques plans de la mosquée, qui a servi de PC aux émeutiers[x], Chassagne quitta Aïn Abid en fin de matinée, pour rejoindre Constantine puis Alger. Le soir même, il transmettait ses bobines à ses employeurs. Comme la firme Gaumont, qui n'inclut pas ces images dans son journal filmé de la semaine (diffusé dans les cinémas avant le film), le bureau parisien de la Fox Movietone décida « d'exclure les séquences en cause des montages destinés à la France et à l'Europe[xi] ». A New-York, ces images furent montées, avec d'autres – en provenance, notamment, du Maroc – pour une bande d'actualités évoquant les troubles qui avaient secoué l'ensemble de l'Afrique du Nord le 20 août 1955. Ce film d'actualités fut diffusé sur les télévisions du continent américain, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Amérique latine, à quelques jours de l'ouverture de la 10e session de l'Assemblée générale annuelle de l'ONU, à l'ordre du jour de laquelle 15 Etats du groupe afro-asiatique avaient demandé l'inscription de la question algérienne[xii]. Les images d'exécution étaient accompagnées du commentaire suivant : « Les victimes sont des fanatiques voués à l'assassinat. C'est une poursuite où les Français, qui ont vu des hommes, des femmes et des enfants européens dépecés sauvagement, ne peuvent prendre le temps de discuter (effet sonore sur l'image – silence au moment de l'exécution – effet sonore sur l'image). La pitié est à nouveau oubliée dans une guerre meurtrière[xiii]. »

Découvrant ces images à la télévision américaine, puis dans le magazine Life où cinq photogrammes issus de la bande filmée furent publiés le 5 septembre 1955[xiv], l'ambassadeur de France à Washington prévint immédiatement Paris, tout en l'informant que certaines avaient été utilisées par le MNA (Mouvement national algérien de Messali Hadj) dans un document adressé au gouvernement des Etats-Unis : A black paper on french repression in Algeria[xv]. Le 14 novembre, le ministère de l'Intérieur demanda au Gouvernement général de lui « adresser d'extrême urgence un projet de réfutation du livre noir » et que « ses services s'emploient à déterminer dans quelle mesure il n'y a pas trucage à l'origine des documents Fox Movietone et Life[xvi] ». Georges Chassagne fut alors convoqué au Gouvernement général pour authentifier ses images et confirmer le lieu et la date de la prise de vues. Dans sa note de synthèse du 23 novembre, le Gouvernement général dénonçait le film de la Fox comme un « montage truqué, dans lequel des images prises hors d'Algérie [notamment au Maroc] sont intercalées avec celles prises sur place[xvii] ».

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

Le scandale médiatique en France

C'est la publication de ces cinq mêmes photogrammes dans L'Express du 29 décembre 1955 (sous le titre : « Des faits terribles qu'il faut connaître ») qui déclencha le scandale en France où ces images n'avaient pas été vues, sinon, marginalement, via l'édition internationale de Life du 3 octobre 1955.

“Des faits terribles qu’il faut connaître”, L’Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

L'Express dénonçait certes la censure dont cette bande filmée aurait été victime en France (alors qu'il s'agissait d'une décision assumée d'autocensure de la part de la Fox) mais aussi, plus largement, les méthodes de la répression française en Algérie en révélant – témoignages oraux, documents écrits et images à l'appui – un certain nombre de « faits accablants » pour l'armée et le gouvernement, à qui le quotidien demandait d'apporter des démentis. Bien que connue des services gouvernementaux, l'exécution sommaire dont ces images apportaient la preuve n'avait donné lieu à aucune enquête sérieuse et le quotidien déplorait que « rien n'ait été fait depuis ni pour sanctionner ni pour prévenir le retour de tels abus ». Alors que la France se trouvait en pleine campagne électorale pour les législatives, L'Express considérait que « seule la connaissance des faits permettra à l'opinion de manifester sa volonté politique et d'arrêter la chute, par impuissance, dans une guerre sans honneur et sans issue[xviii] ».

La contre-attaque du gouvernement ne se fit pas attendre. Étonnamment, elle ne visa pas L'Express, qui ne fut pas saisi, mais les producteurs des images : la stratégie fut de discréditer ces images en criant au trucage et à la mise en scène pour ne pas avoir à s'expliquer sur les faits eux-mêmes. Le jour même de la publication dans L'Express, à l'issue d'une conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil, Edgar Faure reconnaissait l'exécution sommaire mais en faisait porter la responsabilité au caméraman qui avait tourné cette bande d'actualités, accusé d'avoir « soudoyé le gendarme auxiliaire afin qu'il se prête au scénario[xix]» : la mise à mort n'aurait eu lieu que pour permettre à l'opérateur de réaliser des images-choc.

Par le biais d'un communiqué officieux, diffusé par l'AFP sous la forme d'une « note émanant des milieux autorisés », le gouvernement annonçait que ce dernier serait poursuivi pour « corruption de fonctionnaire, provocation au meurtre et complicité » et qu'une action en justice serait intentée contre la firme américaine Fox Movietone, accusée d'avoir « alimenté la propagande antifrançaise[xx] ». Le communiqué n'hésitait pas à qualifier la réalisation de cette bande filmée d' « opération montée », de « machination organisée par l'étranger » et de « véritable complot politique, car elle est intervenue quelques jours avant le vote de l'ONU sur l'affaire algérienne[xxi] ». Dans les milieux diplomatiques, la diffusion de ces images à travers le monde était en effet perçue comme l'une des causes du vote majoritairement hostile à la France. Quant au gendarme auxiliaire, le gouvernement annonçait qu'il avait été déféré devant un tribunal militaire.

Tous les points de cette version officielle se trouvèrent démentis en quarante-huit heures, mettant le gouvernement dans une posture délicate. Pour sa défense, la Fox organisa en effet à Paris, le 31 décembre, une conférence de presse au cours de laquelle Georges Chassagne détailla les conditions dans lesquelles il avait réalisé ce film[xxii]. Sa version des faits était dans le même temps corroborée par le témoignage que son collègue de France Soir Robert Soulé livrait à son journal[xxiii].

Empêtré dans ses mensonges, le gouvernement multiplia pendant plusieurs jours les réunions de crise et les communiqués contradictoires. Contraint de reconnaître l'innocence de Chassagne, contre qui aucune poursuite n'avait été effectivement engagée, il dut lui présenter des excuses officielles[xxiv], mais aussi révéler que le gendarme incriminé, loin d'avoir été inculpé par un tribunal militaire, n'avait fait l'objet que d'une mesure disciplinaire hâtive, peu de temps avant que le scandale n'éclate[xxv]. Jean Daniel dénonçait alors « l'égarement d'hommes responsables qui, devant la dénonciation de leur impuissance, s'en prennent aussitôt et avec une tragique frivolité à n'importe quel bouc émissaire. Pour se disculper ils n'ont pas un seul moment hésité à mettre en cause une nation alliée, à calomnier un journaliste honnête, à falsifier des informations pour construire de prétendus démentis[xxvi] ».

Finalement, l'affaire s'éteignit à la faveur du changement de majorité : les élections du 2 janvier 1956 firent du gouvernement responsable un gouvernement sortant. Le 4 janvier, Maurice Bourgès‑Maunoury, ministre de l'Intérieur au moment des faits, déclara prendre « l'entière responsabilité de ce qui s'est passé » mais invoqua le souvenir de « l'atmosphère au lendemain du massacre du 20 août[xxvii] » pour relativiser la violence de ces images d'exécution.

En participant à l'internationalisation du conflit, ces images ont donc servi la cause algérienne, bien que les nationalistes algériens ne soient en rien responsables de leur réalisation ni de leur diffusion. L'écho qu'elles obtinrent à travers le monde et à la tribune de l'ONU n'est peut-être pas pour rien dans la décision prise par les responsables de l'Armée de libération nationale (ALN), réunis en congrès dans la vallée de la Soummam, le 20 août 1956, tout juste un an après les événements d'Aïn Abid, de lancer une vaste campagne de publicité à l'étranger fondée sur l'image. A partir de 1956, la guerre qu'ils menaient contre les Français fut aussi une guerre diplomatique et une guerre médiatique, qui s'appuya notamment sur des reporters étrangers invités à venir filmer dans les maquis[xxviii].

Des images reprises dans les films documentaires sur la guerre d'Algérie

Le documentaire Guerre d'Algérie, la déchirure ne révèle pas ces images au public français puisqu'elles ont été incluses dans la plupart des documentaires consacrés à ce conflit depuis quarante ans (et notamment, dans La guerre d'Algérie, d'Yves Courrière et Philippe Monier en 1972 ; dans La guerre d'Algérie, de Peter Batty en 1984 ; dans L'ennemi intime, de Patrick Rotman en 2002 et dans Pacification en Algérie, d'André Gazut la même année). On peut donc s'étonner que leur diffusion en 2012 déclenche à nouveau une polémique sur leur origine et leurs conditions de production, polémique destinée à discréditer le documentaire (« fausses preuves, faux témoignages ») et le discours historique objectif et dépassionné que celui-ci porte sur le conflit algérien.

Il faut dire que l'insuffisante documentation des images, lorsqu'elles sont utilisées dans des documentaires filmés qui, au fil du montage, choisissent de séparer les séquences, de les intercaler avec d'autres sources ou leur faire illustrer des événements différents (la répression française de l'insurrection du 20 août 1955, mais aussi le thème plus général de l a torture ou des violences pendant la guerre) peut entretenir la confusion et concourt à la dilution de l'information. Quand André Gazut reprit les images de Chassagne en 1974 pour un documentaire sur Jacques de Bollardière et la torture, puis en 2002 pour Pacification en Algérie, il ne fit aucune référence aux événements précis dont ces images rendaient compte. Dans ce dernier film, elles sont montées en continu avec d'autres images tournées par l'armée française, à l'appui d'un commentaire général qui évoque le « début de la troisième année de guerre » (c'est-à-dire 1956) : « L'armée n'a pu venir à bout des Algériens du FLN qui luttent pour leur indépendance. Le gouvernement socialiste de Guy Mollet, élu sur une promesse de paix, a cédé aux ultras de l'Algérie française et envoyé 400 000 hommes faire la pacification [images de Chassagne]. Les soins à la population, les efforts de scolarisation, vont de pair avec une répression atroce : arrestations massives, tortures, exécutions sommaires ». Pour Gazut, il importait moins de les rattacher à un fait particulier que d'illustrer la violence de la pacification en Algérie.

Dans l'émission Arrêt sur images, diffusée sur France 5 le 7 janvier 2001, André Gazut indiquait d'ailleurs qu'il avait emprunté ces images au film de Courrière de 1972 et qu'il n'en connaissait pas l'auteur, la date et le lieu de prise de vue. Présent sur le plateau, l'historien Benjamin Stora émettait alors l'hypothèse qu'il s'agirait d'images prises lors de la répression du soulèvement du 20 août 1955 dans le Constantinois. La boucle était bouclée et nous voilà revenus à la case départ, puisque ces images illustraient bien, dès 1972, dans le film de Courrière, la séquence sur le 20 août 1955 et ses conséquences. Si les journalistes ont tôt fait de manier la rhétorique de l'occultation, de la dissimulation et de la censure, à laquelle ils opposent leur logique de dévoilement, de transparence, de scoop, il n'est aucunement question ici de manipulation des images, mais bien d'une absence de travail historique pour les documenter et, par conséquent, les utiliser à bon escient.

Comme en Algérie, où ces images sont régulièrement utilisées (à la télévision et dans les musées) pour illustrer la séquence de mai 1945, les réalisateurs Medhi Lallaoui et Bernard Langlois utilisèrent à tort les images de Chassagne, en 1995, dans leur film Les massacres de Sétif : un certain 8 mai 1945. Evoquant ce film ainsi qu'une photographie généralement mal légendée[xxix]Le Monde dénonçait en octobre 2004 « le double mensonge des images » à propos des massacres du Constantinois en 1945 et prétendait retrouver l'origine de ces images et contribuer à rétablir, une nouvelle fois, leur véritable datation[xxx], alors qu'elles avaient été correctement utilisées dans L'Ennemi intime de Patrick Rotman, en 2002.

Un regard calme sur les images

Quelques précautions méthodologiques sont à appliquer à la lecture des images, comme pour toutes les autres sources historiques[xxxi]. Dans le cas des séquences incriminées ici, elles permettent de réfuter l'argument de la mise en scène et du trucage. D'abord, les images seules ne suffisent pas pour écrire l'histoire. Il faut les croiser avec d'autres sources (sources écrites, mais aussi témoignages oraux) afin de les éclairer et, notamment, pour comprendre leurs conditions de production, leur contexte de diffusion et les réactions que cette diffusion a  suscitées, à toutes les époques.

Il est également nécessaire de revenir, chaque fois que cela est possible, à l'image originelle, l'image-source. L'analyse des images de Chassagne ne peut se satisfaire de la lecture des seuls photogrammes publiés dans Life puis dans L'Express qui, par définition, figent le mouvement dans une série d'instantanés. Regarder la séquence dans sa durée permet de se rendre compte que le coup de feu part avant que le couvre-chef du civil ne vole et que celui-ci ne fait aucun geste pour jeter celui-ci en l'air, offrant une cible de substitution au tir du gendarme.

Enfin, plutôt que de considérer une image isolément, il faut analyser des séries d'images, et les confronter à d'autres. Dans le cas d'une photographie, l'étude de la planche-contact  (la totalité des images prises sur une même pellicule, à l'ère de l'argentique) permet de visualiser l'amont et l'aval de la prise de vue, comment le photographe a abordé son sujet, tourné autour, et le hors-champ qui peut avoir disparu de l'image finalement choisie pour publication. On a vu combien les images tournées par Georges Chassagne à Aïn Abid le 22 août 1955 gagnaient à être regardées comme une série : dans cette perspective, l'exécution sommaire n'apparaît pas comme un acte isolé et exceptionnel, mais comme le corollaire d'opérations indiscriminées de ratissage, de véritables « chasses à l'Arabe » selon Claire Mauss-Copeaux[xxxii].

Le visionnage des trois séquences différentes ne laisse aucun doute quant à la mise à mort effective des « suspects » : le nomade, touché à la sortie de sa tente par un tir de fusil, est achevé d'une balle de revolver dans la tête, à bout portant, alors qu'il gît au sol. Le corps des deux hommes abattus sur la route sont agités des soubresauts de l'agonie. La comparaison des trois séquences permet également d'écarter la thèse de la mise en scène. Contrairement à cette première séquence devant une tente de nomades, longuement filmée, en plan large, les deux autres (civils abattus sur une route) sont extrêmement brèves et relativement mal cadrées. Chassagne a déclenché sa caméra bien avant l'assassinat du nomade : il suit alors les  militaires qui fouillent le campement et enregistre d'abord le démontage brutal d'une tente. La caméra tourne toujours quand l'homme, sorti de sa tente, est abattu devant l'objectif. Par leur cadrage et leur brieveté, les deux autres séquences sont marquées du sceau de  l'urgence : Chassagne, qui attend à l'extérieur du bâtiment où la patrouille est entrée, caméra éteinte, ne s'attend pas à la scène qui va suivre. Mais, ayant déjà assisté à une exécution sommaire, il en reconnaît les prémices. Quand l'homme s'éloigne sur la route et est mis en joue par le gendarme, Chassagne déclenche sa caméra presque en catastrophe : nous n'avons donc aucune trace des instants qui ont précédé. Mais un homme qui s'enfuit prend-t-il le temps de se retourner vers son poursuivant, et de le regarder ? On peut donc faire l'hypothèse que nous sommes là face à deux exemples de la pratique des « fuyards abattus ». Dans leur instruction du 1er juillet 1955, les ministres de l'Intérieur et de la Défense avaient clairement autorisé cette pratique : « Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s'enfuir ». Mais, comme le montre l'historienne Raphaëlle Branche, « l'usage de l'expression "fuyard abattu" est devenu un moyen pratique de camoufler des exécutions sommaires en actes légaux[xxxiii] ». Ce qu'en d'autres termes on connaît sous le nom de « corvée de bois ».

Les documentaristes sont, la plupart du temps, dans une logique d'illustration des faits rapportés et non dans une logique d'analyse des images, de leur origine et de leur histoire. Il s'agit de deux approches différentes qui, malgré tout, peuvent se compléter : le travail scientifique du chercheur peut venir au secours du documentariste et l'on voudrait plaider ici pour des documentaires plus respectueux des images et de leurs sources et d'une collaboration plus grande entre réalisateurs et historiens spécialistes des images. L'enjeu est malgré tout de taille pour les spectateurs que nous sommes tous : ne pas rester passifs devant les milliers d'images dont nous sommes bombardés chaque jour.

Ce texte a été précédemment publié, le 17 mars 2012, sur le site de la section de Toulon de la Ligue des Droits de l'Homme (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4909).


[i] Fabrice d'Almeida, « Photographie et censure », dans Laurent Gervereau, Jean Pierre Rioux, Benjamin Stora (dir.) La France en guerre d'Algérie, Paris, BDIC, 1992, pp. 224-225 et Fabrice d'Almeida, « L'internationalisation des images », dans Laurent Gervereau et Benjamin Stora (dir.) Photographier la guerre d'Algérie, Paris, Marval, 2004, pp. 120 121.

[ii] http://francaisdefrance.wordpress.com/page/2/

[iii] Voir Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, pp. 162-170.

[iv] La totalité des images filmées les 21 et 22 août 1955 par Georges Chassagne est conservée dans les archives Pathé-Gaumont sous la référence 5500GNU14730 (www.gaumontpathearchives.com).

[v] L'Express, 31 décembre1955-1er janvier 1956, p. 5.

[vi] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.

[vii] Ibidem.

[viii] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[ix] Ibidem.

[x] Sur les représailles françaises à Aïn Abid, voir Claire Mauss-Copeaux, op. cit., pp. 211-219.

[xi] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[xii] Le film a même été diffusé à l'ONU. Voir M. Thomas, The French North-Africa Crisis, New-York, Saint Martin's Press, 2000, p. 100-101.

[xiii] Le Monde du 3 janvier 1956 publie la traduction du texte du commentaire américain, p. 3.

[xiv] « Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24‑25.

[xv] A black paper on french repression in Algeria. Submitted to the Government of the USA by the Algerian National Movement, 20 septembre 1955, Archives nationales d'outre-mer (ANOM), 12CAB 93*. Au début du mois de septembre, le MNA avait soumis un autre texte au secrétariat des Nations Unies : Memorandum on recent bloody events in Algeria.

[xvi] Télégramme du ministère de l'Intérieur au Gouvernement général, 14 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xvii] Note du gouverneur général au ministre de l'Intérieur à propos de la documentation relative au dossier noir de Messali, 23 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xviii] « Des faits terribles qu'il faut connaître », L'Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

[xix] « A la suite de la publication des dossiers de la répression, conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil », L'Express, 30 décembre 1955, p. 3.

[xx] Ibidem.

[xxi] Le Monde, 30 décembre 1955, p. 1.

[xxii] La presse rend compte de cette conférence de presse, voir notamment Le Monde 1er et 2 janvier 1956. On trouve également une interview de Chassagne, réalisée avant la conférence de presse, dans les archives Pathé-Gaumont, sous la référence 5600ENU48806. Chassagne déclare notamment : « J'affirme qu'aucune mise en scène n'a été montée, que je n'avais jamais vu le gendarme, que je ne l'ai jamais revu et qu'à plus forte raison, je ne l'ai jamais soudoyé ».

[xxiii] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.  Il écrit notamment : « Je peux affirmer qu'à aucun moment les cinéastes n'ont proposé de l'argent au gendarme, ou tenté d'organiser avec lui une mise en scène ».

[xxiv] Un communiqué du Quai d'Orsay qualifie les accusations portées contre Chassagne et la Fox « d'hypothèses non confirmées » et présente des excuses. L'Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 1.

[xxv] D'après Claire Mauss-Copeaux (op. cit., pp. 213-215), le gendarme auxiliaire filmé par Georges Chassagne, proche d'une des familles victimes des massacres du 20 août, aurait été recruté en toute connaissance de cause pour guider les ratissages d'une des unités venues en renfort. Identifié et dénoncé dans les notes remises par la délégation des députés algériens au ministre de l'Intérieur le 30 août, il n'a été sanctionné par une mutation dans le Sud de la France qu'à la suite de l'affaire Chassagne.

[xxvi] Jean Daniel, « La vérité en 24 heures », L'Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 5.

[xxvii] « M. Edgar Faure a conféré avec MM. Bourgès-Maunoury et Jacques Soustelle », Le Monde, 5 janvier 1956, p. 6.

[xxviii] Voir Marie Chominot, « Des maquis algériens à la scène internationale. L'ALN sous l'objectif de deux reporters américains », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault, Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 1830-1962, Paris, La Découverte, à paraître (septembre 2012).  Sur la dimension diplomatique du conflit, voir Matthew Connelly, L'arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie, Paris, Payot, 2011. Sur la dimension médiatique du conflit et les usages de l'image par les deux camps, ma thèse sera publiée chez Payot au début de l'année 2013.

[xxix] Sur cette photographie, voir l'article « Algérie, août 1955 : une photo et sa légende », mis en ligne le 17 mai 2011 sur le site de la section de Toulon de la LDH (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4417).

[xxx] Sophie Malexis et Simon Roger, « Erreurs d'images à propos des massacres de Sétif, Le Monde, 29 octobre 2004 et des mêmes auteurs, « « Massacres du Constantinois de 1945 : le double mensonge des images », Le Monde 2, n° 37, du 30 octobre 2004, pp. 84-85.

[xxxi] Pour une synthèse éclairante, voir Ilsen About et Clément Chéroux, « L'histoire par la photographie », Etudes photographiques, n° 10, novembre 2001 (http://etudesphotographiques.revues.org/index261.html ).

[xxxii] Claire Mauss-Copeaux, op. cit., p. 213.

[xxxiii] Voir Raphaëlle Branche, La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie, Paris, Gallimard, 2001, p. 72.

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Le Transatlantic Trade and Investment Partnership est en ligne…

Le Transatlantic Trade and Investment Partnership est en ligne…

Wikileaks a mis en ligne le projet de TTIP d’une façon très pratique – pour ceux que cela intéresse…

C’est ici :

ttip

Source : Wikileaks

TTIP/Tafta : vin, finance, auto… les négociations sont loin d'être terminées

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l'état d'avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l’état d’avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

La Tribune a analysé l'un des 16 documents sur le TTIP/Tafta publiés lundi par Greenpeace. Baptisé "Tactical State of Play", il apporte un éclairage sur des points précis encore en discussion entre l'UE et les Etats-Unis.

La publication des documents de négociation du TTIP/Tafta par Greenpeace permet de plonger de manière très concrète dans les débats entre Européens et Américains. Presque trois ans après le début des négociations, un constat s’impose : les divergences entre les deux économies sont loin d’être effacées.

A cet égard, le document intitulé “Tactical State of Play of the TTIP Negotiations” (“état d’avancement tactique de la négociation du TTIP”, disponible en pdf) révèle les divergences entre les deux parties. Comptant 25 pages, rédigé en anglais, il fait le point sur “les trois piliers de l’accord, c’est-à-dire l’accès au marché, la coopération réglementaire, et les règles“. Dans cette étude, La Tribune a sélectionné trois points de débats qui touchent à notre quotidien.

1- Le vin

A la fois enjeu économique et symbolique très fort, la dénomination des vins est l’un des points d’achoppement des discussions. Plus précisément, les appellations dites “semi-génériques” qui sont copiées à l’étranger. L’exemple le plus marquant est celui du Champagne, rebaptisé “California Champagne” lorsqu’il est produit en Californie.

Dans le document mis en ligne par Greenpeace, on lit que l’UE veut que les Etats-Unis “suppriment la possibilité pour les producteurs américains d’utiliser les 17 appellations semi-génériques.” Une demande apparemment mal reçue de l’autre côté de l’Atlantique, puisque “les Etats-Unis réitèrent leur opposition à l’insertion de règles concernant le vin dans le TTIP“.

2- Les services financiers

Moins festifs que le vin, les services financiers (épargne, assurance, titres financiers) sont un point de désaccord criant entre Européens et Américains. Et cela ne date pas d’hier : en juin 2014, un article d’Euractiv rappelait “l’opposition ferme des Etats-Unis à l’intégration d’une coopération réglementaire sur les services financiers dans le cadre du TTIP”.

Deux ans après, rien ne semble avoir bougé. Le document de négociation explique que “les Etats-Unis et l’UE n’ont pas changé leurs positions en matière de coopération réglementaire des services financiers“.

3 – L’automobile

Aujourd’hui, les normes américaines concernant les voitures diffèrent des règles européennes. Ainsi, en janvier 2014, le Point donnait l’exemple du crash-test de la Fiat 500. La citadine avait récolté la note maximale pour l’Europe, mais la pire note de l’autre côté de l’Atlantique. Un accord inclus dans le TTIP permettrait par exemple de définir des normes communes pour faciliter les exportations de véhicules.

Sur ce point, le document révélé par Greenpeace fait état de quelques avancées et parle de “points potentiels pour lesquels une harmonisation bilatérale rapide est possible“, parmi lesquels “les phares adaptatifs“, “le système automatique de freinage d’urgence” ou encore “le verrouillage des ceintures de sécurité“.

“La France dit non”

Ces trois points, pris dans la masse des questions soulevées par le TTIP/Tafta, montrent l’étendue des négociations mais aussi les résistances de part et d’autre. Les 248 pages publiées par Greenpeace vont-elles bouleverser les négociations ? Si les Etats-Unis et la Commission européenne ont allumé un contre-feu en parlant dès lundi de “malentendus” et d”‘interprétations erronnées“, la France a fait part de ses doutes et de ses réticences.

En effet, lors d’une allocution mardi matin, François Hollande s’est montré très clair sur le TTIP: “Nous n’accepterons jamais la mise en cause de nos principes essentiels, a expliqué le président de la République. C’est pourquoi à ce stade, la France dit non”. Plus tôt dans la matinée, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Mathias Fekl, interviewé par Europe 1, reconnaissait que l’abandon des négociations “[semblait] l’option la plus probable“. Le prochain round de discussions, qui sera le 14e depuis 2013, s’annonce animé.

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

=================================

TTIP : Bruxelles regrette des “malentendus” après la fuite de documents

Source : La Tribune, 02/05/2016

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement”, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. (Crédits : Reuters)

La Commission européenne tente de renverser la vapeur après les révélations de Greenpeace sur le partenariat actuellement en négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

“Des malentendus”. Voici ce qu’a regretté lundi la Commission européenne après la fuite de documents confidentiels sur le traité de libre-échange TTIP (ou Tafta) actuellement en discussion avec les Etats-Unis. Bruxelles a assuré que l’UE n’accepterait “jamais” d’abaisser son niveau de protection des consommateurs ou de l’environnement. Ce qu’affirmait d’ailleurs déjà Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur au début des négociations.

Aucun abaissement de protection ?

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement“, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. Et d’insister:

“Les accords commerciaux ne changeront pas nos lois sur les OGM ou sur la façon de produire de la viande de bœuf en toute sécurité, ou sur la façon de protéger l’environnement”

Capture d'écran 2016-05-25 à 22.51.07

“Je ne suis pas de celles qui vont abaisser les normes”, a ajouté Mme Malmström, soulignant avant tout que les documents publiés lundi par l’ONG Greenpeace “ne traduisent pas ce qui résultera de la négociation” en cours et regrettant donc “un certain nombre de malentendus”.

L’ONG écologiste affirme que les 248 pages de documents confidentiels du projet d’accord représentent deux-tiers du texte du futur traité de libre-échange, assurant que ces pages “confirment les menaces sur la santé, l’environnement et le climat”.

Les positions de chaque partie

“Ils reflètent les positions de négociation de chaque partie, rien d’autre“, estime au contraire Mme Malmström. “Et ce n’est une surprise pour personne qu’il y a des domaines où l’UE et les Etats-Unis ont des points de vue différents.”

“Dans certains domaines, où nous sommes encore trop éloignés les uns des autres dans la négociation, il n’y aura tout simplement pas d’accord“, a-t-elle encore déclaré.

Renforcer la législation

Et de marteler :

“Un accord de l’UE ne peut changer la législation que pour la renforcer. Nous pouvons tomber d’accord avec un partenaire pour renforcer par rapport à auparavant les règles entourant la sécurité des médicaments, par exemple, mais pas pour les affaiblir”.

Depuis mi-2013, les Etats-Unis et l’Union européenne tentent de parvenir à un accord qui supprimerait les barrières commerciales et réglementaires mais qui rencontre par ailleurs des résistances croissantes dans la société civile et auprès des dirigeants politiques.

Le président américain Barack Obama souhaiterait boucler les négociations d’ici la fin de l’année avant l’arrivée à la Maison Blanche de son successeur, qui sera élu en novembre.

Cela n’empêche pas les détracteurs du projet de poursuivre leur mission. A l’instar du député européen Yannick Jadot, qui en profite pour demander une nouvelle fois l’arrêt des négociations:

“Une nouvelle fois les Verts réitèreront leur demande d’arrêt des négociations Tafta. Le gouvernement français, qui semble ouvrir les yeux sur ce dossier doit, à l’instar de Lionel Jospin en 1997, y mettre fin. Il doit tout autant dénoncer l’accord de libre-échange UE-Canada (Ceta), dont la négociation est achevé, véritable cheval de Troie du Tafta”.

(Avec AFP)

Source : La Tribune, 02/05/2016