De la Nouvelle Angleterre au Nebraska, de la Floride à l’Orégon, il y aurait donc là, dehors et à ce jour, une douzaine de millions d'électeurs enragés, comparables à ceux qui portèrent démocratiquement au pouvoir un homme semblable à leur candidat, en Allemagne au siècle dernier.
Il y aurait, également, quelques idéologues qui répandent, à travers les médias, des idées pestilentielles et moyenâgeuses. Pire encore: il en aurait une autre dizaine de millions, lancés derrière un vieux sénateur hystérique, déterminé à abattre les élites et les ors de la république. Une tragédie. Une réplique du pacte germano-soviétique. Le retour de Ribbentrop et Molotov et, bientôt, si la raison ne l'emporte pas, la guerre, la terreur et le sang.
Ces gens aveugles, en colère ou méchants, n'entendent pas les appels des gardiens de la paix, qui défendent des valeurs au nom desquelles des générations ont combattu et luttent contre le cancer du populisme, qui menace de gagner tous les continents.
La plus grande menace, cette fois, se lève à l'Ouest, dans un pays déjà à l'origine de tous les maux du monde. Voilà, où nous en sommes.
A rire ou à pleurer ?
Amis fascistes, collaborateurs, décérébrés et toxiques, irresponsables et ennemis de l'humanité, racistes et misogynes, misanthropes et néo-nazis, nostalgiques et vicieux, et vous autres, anticapitalistes forcenés, il est urgent de s'incliner et de relire les sages. Il est tout simplement inconcevable de poursuivre dans la négation du péril que nos médias soulignent inlassablement, jour après jours, dans toutes les langues et sur tous les tons. La peste rouge-brune ne passera pas.
Dans les colonnes de Libération, un très grand spécialiste en sciences politique, Laurent Murat, a : « En 1980, Ronald Reagan, moqué comme «un acteur de série B» devenu entre-temps gouverneur de Californie, avait ravi l'élection présidentielle. En 2000, c'était George W. Bush, «le fils à papa» gouverneur du Texas, qui accédait à la charge suprême, dans les conditions que l'on sait. Le monde s'étonnait des tournants que pouvait prendre la vie politique de «la plus grande démocratie du monde». Aujourd'hui, c'est un homme d'affaires outrancier, délirant, misogyne, raciste, démagogue et sans expérience politique, qui aurait sa chance – contre un autre candidat républicain, fanatique religieux et tout aussi délirant. » Sur un ton mesuré, à la neutralité d'un expert, étayé par des statistiques, Laurent Murat estime que le temps est venu, « fini de rire. » On est d'accord.
On notera simplement au passage quelques erreurs, sans doutes d'inattention, que l'on rectifie bien volontiers. Ronald Reagan, lorsqu'il fut élu, en 1980, à la Maison-Blanche, avait déjà été gouverneur de Californie vingt-cinq ans auparavant et déjà candidat à la nomination face à Gérald Ford en 1976, un « entre-temps » considérable. En 2000, George W. Bush était bien élu, mais on ne voit pas à quoi « les conditions que l'on sait » se réfèrent, et si – par pur hasard – cela concernait le 11-Septembre, on notera simplement que l'événement est survenu huit mois après son arrivé à la Maison-Blanche, mais peut-être d'autres « conditions » nous échappent-elles (à moins que l'auteur ne se rapporte à la rumeur persistante selon laquelle Al Gore aurait en réalité emporté l'élection de novembre 2000, mais cela n'a pas été validé par la justice américaine). Peut-être, simplement, notre spécialiste aurait-il du éviter de publier son article une semaine avant que les adversaires de Donald Trump ne jettent l'éponge, ce qui aurait permis à son article de vivre un peu plus longtemps. Mais le principal y est, fini de rire, et comme on ne donne pas de cours à la prestigieuse université de Los Angeles, on n'ira pas contester les arguments du politologue, probablement supérieurement intelligent.
Si l'on n'était pas convaincu du contenu proprement délirant de nos propos, ici, dans les colonnes bienveillantes de Marianne, il suffirait de se reporter aux chroniques de Fred Kaplan pour , au sondage de l'IFO et du JDD relayé par et autres, ou pire encore, aux sombres prévisions de Jean Jouzel sur, élevant le niveau de la réflexion au degré suprême, celui de la planète et donc de l'univers.
De retour sur Terre, et ce chien de Trano n'en démordant pas, passons au principal, dans la série “La démocratie, on aime, ou pas”.
Cruz, ex-candidat tueur
Loin d'être éliminé du champ de bataille, l'ultra-conservateur Ted Cruz ne s'est retiré de la course aux primaires que pour réenclencher la guerre en coulisses. Un jeu auquel le sénateur texan excelle, celui-là même qui lui a valu d'être traité de « Lucifer » par l'ancien président de la Chambre des représentants, John Boehner.
Bien décidé à faire dérailler la convention nationale républicaine qui doit se tenir à Cleveland du 18 au 21 Juillet, Cruz maintient une forte pression sur les délégués et consulte à tout va, avec l'idée de faire émerger une nouvelle candidature purement conservatrice.
Paradoxalement, Donald Trump est dans une situation difficile. Bien que seul candidat désormais en piste pour la nomination, il fait face à un front du refus qui s'étend de l'ancien candidat Mitt Romney à son ancien colistier de 2012, l'actuel président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, en passant par le reaganien Lindsey Graham, une liste qui s'étend désormais à une centaine de personnalités républicaines à travers le pays. Trump a pris acte de cette défiance, samedi soir, en déclarant qu'il n'est pas le candidat des conservateurs mais des républicains. Une nuance chargée de sens, pour un homme qui utilise un langage moins châtié habituellement, et qui, à elle seule, définit le périmètre de son électorat qui semble désormais exclure l'aile droite républicaine, et sa partie centriste très liée au Congrès. Il trouve, en revanche, un appui du côté du farouchement contestataire Tea Party – le gouverneur de l'Alaska, Sarah Palin, vient de lui apporter son soutien – ainsi que d'une partie des indépendants très opposés au jeu institutionnel washingtonien.
Trump et les mauvais coucheurs
Trump peut-il être le candidat légitime des républicains face à Hillary Clinton ? La question est posée puisqu'après Mitt Romney et Jeb Bush, le sénateur de l'Arizona, John McCain, a décidé lui aussi de boycotter la convention républicaine, et la liste s'allonge de jour en jour. Une tactique mise en place par Ted Cruz et qui consiste à vider la convention de sa substance.
Trump a t-il une chance de l'emporter sur Hillary Clinton sans l'appui des électeurs ultra-conservateurs et centristes du parti républicain ? Les calculs vont bon train. Alors qu'il n'a pas encore réussi à sortir du piège dans lequel l'enferme un vacarme médiatique obstiné et déterminé à faire feu de la moindre de ses envolées désormais légendaires, Trump peine à faire émerger un programme lisible par les électeurs qui ne l’ont pas encore rejoint et qui, pour l'instant, ne s'y retrouvent pas.
Un nouvel obstacle s'est matérialisé dans sa course à la présidentielle, avec les premiers signes d'apaisement donnés, cette semaine, par le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, vis-à-vis d'Hillary Clinton. En ne rejetant pas l'hypothèse d'une vice-présidence – pourtant improbable – et en évoquant de futurs pourparlers, Sanders s'est engagé dans un virage serré, et tout dépendra de la capacité de ses électeurs à avaler une telle pilule. Si le parti démocrate parvient à faire émerger une plateforme commune cet été, il n'en sera que plus compliqué pour Trump de puiser dans le réservoir des anti-Clinton.
Peur médiatique et politique
Inquiets face à une économie dont le signes de ralentissement se multiplient – les créations d'emploi sont en baisse de plus de 40 pour cent par rapport au rythme connu depuis de nombreux mois – les Américains sont de plus en plus sensibles aux conséquences de l'élection du prochain président.
L'intense campagne menée contre les options de Trump – représentées comme isolationnistes, inflationnistes, susceptibles de faire flamber les taux d'intérêts et de provoquer un choc commercial en défaveur des Etats-Unis – fait son chemin. Sur le plan social, une forte mobilisation de l'électorat hispanique est déjà perceptible, tandis que parmi les Noirs américains, le soutien et la mobilisation en faveur d'Hillary Clinton atteignent déjà celui de Barack Obama en 2008.
Donald Trump dispose encore de plusieurs armes. Tout d'abord, le choix de son colistier pour la vice-présidence. Les refus s'étant multipliés dans le camp républicain, ce choix est pour le moment compliqué. Doit-il tenter de rattraper l'électorat ultra-conservateur ? Doit-il tenter celui du centre ? Doit-il choisir une femme ? Doit-il viser le potentiel des indépendants ? Une quadrature du cercle.
Au-delà de ce choix symbolique sur le plan institutionnel mais qui peut faire une sérieuse différence parmi les électeurs, Trump peut également laisser filtrer ses choix pour son futur gouvernement : les électeurs républicains veulent savoir qui conduira la politique fiscale et judiciaire, qui incarnera les options militaires et la politique étrangère, qui remettra sur la table de travail la politique d'immigration et celle en matière de santé, et sont fébriles face à la future orientation de la Cour Suprême des Etats-Unis.
Enfin, Trump dispose de l'arme financière : en vue du renouvellement de quelques 469 sièges au Congrès en novembre (35 au Sénat et 435 à la Chambre), le parti républicain a besoin de fonds très conséquents. Le parti démocrate n'est qu'à cinq sièges de la majorité au Sénat, dans une compétition complexe pour les républicains, et l'enjeu est d'autant plus fort qu'il concerne non seulement la majorité mais également la confirmation ou nom du Juge Garland à la Cour Suprême. Du côté de la Chambre, la possibilité pour le démocrates d'inverser la tendance en leur faveur est moindre – il leur manque trente sièges – mais toujours possible en cas de débâcle républicaine. Là encore, le temps est compté, et Trump, auquel revient la charge de récolter les fonds dont a besoin le parti qu'il représente pour l'instant, a beaucoup à gagner ou à perdre.
Abattre Trump et sauver Clinton : la lutte finale
Dans une campagne qui n'est plus à court de rebondissements, deux choses sont certaines, pour le moment : la féroce opposition médiatique à Donald Trump est en passe de redoubler, pour atteindre des sommets rarement connus lors d'une campagne électorale américaine ; la confrontation s'annonce très dure pour Hillary Clinton, qui voit revenir le passé au galop et sera bientôt sommée de s'expliquer sur plusieurs dossiers qu'elle évite soigneusement d'évoquer pour l'instant. Indéniablement favorite de ces élections 2016, la candidate du parti démocrate, derrière laquelle Barack Obama jette désormais toutes ses forces, dispose d'un trésor de guerre impressionnant et commence à tirer bénéfice de la campagne Sanders. Clinton ne serait pas la première à briser la méfiance populaire en accédant à la Maison-Blanche, mais le passé lui a prouvé que son destin pouvait être têtu.
Dans l'attente de nouveaux coups de théâtre, on laisse les partisans de l'Apocalypse Trump, et à regret, aux mains du journalisme corporatiste et éducatif, et de ses correspondants perroquets. Qu'ils ne soient pas trop durs avec eux : une phobie est toujours difficile à combattre, surtout lorsqu'elle concerne le peuple idiot.