mercredi 6 avril 2016

Les forêts nourricières: clés du succès de la civilisation Maya

Les forêts nourricières: clés du succès de la civilisation Maya

Cela fait des années que l'archéologue Anabel Ford soutient que les anciens mayas savaient très bien gérer l'environnement de leur forêt tropicale à leur avantage. Ils arrivaient à nourrir d'importantes populations même après la période où de nombreux archéologues ont suggéré le déclin Maya au cours des 8ème et 9ème siècle après JC.

Un jardin forestier Maya. Courtesy BRASS/El Pilar

Elle remet en question les théories populaires, longtemps soutenues par de nombreux scientifiques, selon lesquelles les mayas ont commencé à décliner en raison de la surpopulation et de la déforestation pour augmenter la production agricole, aggravant ainsi la sécheresse et le changement climatique.

"A l'époque, il n'y avait pas de déforestation extensive" affirme Ford. Son raisonnement repose sur des années de recherches sur les anciennes pratiques de culture de "jardins forestiers", une méthode d'agroforesterie durable utilisant la technique agricole "Milpa". Il s'agit d'un paysage biodiversifié et polycultivé, dominé par les arbres, et géré par de petits agriculteurs dispersés. Ils emploient des cycles naturels et maximisent l'utilité de la flore et faune native.

Ses racines remontent avant l'apparition de la période Maya Préclassique, et cela fonctionnait en transformant une zone d'une forêt canopée en un champ ouvert. Une fois nettoyé, il était dominé par des cultures annuelles, transformant l'endroit en un jardin verger entretenu; puis retour à une forêt à canopée fermée, et le circuit recommence. "Contrairement aux systèmes agricoles européens qui se sont développés à peu près à la même période, ces champs n'étaient jamais laissés à l'abandon, même lorsqu'ils étaient boisés" explique Ford, "Ainsi, il y avait une rotation de plantes annuelles succédant à des étapes de vivaces forestiers que l'homme gérait avec attention tout au long de ces phases".

Elle explique le processus et ses implications en détail dans son livre, Maya Forest Garden: Eight Millennia of Sustainable Cultivation of the Tropical Woodlands, co-écrit avec Ronald Nig, professeur au Centro Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS) au Chiapas, Mexique.

Le livre résume des années de recherche évaluant des données archéologiques, paléoenvironnementales, agricoles, botaniques, écologiques et ethnographiques au Guatemala, Mexique et Belize. Elle se penche aussi sur le grand centre Maya d'El Pilar (voir à ce sujet: Les archéologues découvrent une mystérieuse citadelle Maya)

"La recherche écologique, agricole et botanique sur la forêt Maya démontre que c'est en fait un jardin bariolé dominé par des plantes à valeur économique, et donc fortement dépendantes des interactions humaines" ajoute Ford. Ainsi, "la co-création, des mayas et de leur environnement forestier, était basé sur une stratégie de gestion des ressources donnant ce que l'on appelle le jardin-forêt Maya".

Le cycle de Milpa, depuis les champs de maïs aux plantes vivaces puis retour à la forêt. Courtesy BRASS/El Pilar

De plus, Ford souligne que le cycle Milpa est à l'origine de la forêt qui est une création et un "monument" du peuple Maya. "La forêt Maya, que l'on pensait être une jungle vierge et sauvage, est en réalité le résultat des activités humaines préhistoriques, coloniales et récentes" écrivent Ford et Nigh dans leur livre.


En d'autres mots, la gestion et mise en forme des éléments du paysage forestier, avec le cycle de Milpa, en un environnement humain, a été bénéfique en termes de nourriture, d'abris, de plantes médicinales et autres besoins pour une population ne cessant d'augmenter. Les mayas sont devenus les créateurs de leur environnement tropical, et de la jungle elle-même.

Plus important encore, en raison de ses techniques durables et de renouvellement, le cycle de Milpa est devenu la clé de la longévité de la civilisation Maya longtemps après "l'effondrement" de la période Classique.

Ford et Nigh concluent: "Lorsque les crises politiques frappèrent la société Maya au cours de la période Classique, la population s'est en grande partie retirée dans les jardins forestiers, abandonnant les grands centres et leurs élites".


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Aux Pays-Bas, l’autre référendum qui inquiète l’Union européenne, par Romaric Godin

Aux Pays-Bas, l'autre référendum qui inquiète l'Union européenne, par Romaric Godin

Comme personne n’en parle aujourd’hui…  :)

Source : La Tribune, Romaric Godin,  

tulipes

Le 6 avril, les Néerlandais sont appelés à se prononcer par référendum sur l’accord d’association avec l’Ukraine. Un prétexte pour beaucoup pour faire part de son rejet de… l’UE.

C’est un référendum dont on parle moins que celui sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE le 24 juin prochain, mais qui pourrait néanmoins révéler encore une fracture au sein de l’Union. Le mercredi 6 avril prochain, les Néerlandais seront appelés à se prononcer sur l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine de 2014. Et pour le moment, le camp du rejet de cet accord est largement en tête. Ceci poserait un véritable casse-tête à la Haye d’abord, à Bruxelles ensuite et à Kiev enfin.

Un accord symbolique

Cet accord d’association, rappelons-le, a été l’élément déclencheur de la révolution ukrainienne en novembre 2013. L’annonce de l’abandon des négociations par le président ukrainien d’alors, Viktor Ianoukovitch, le 21 novembre, une semaine avant un sommet à Vilnius où il devait être signé, avait déclenché des manifestations qui avaient abouti à la destitution et à la fuite de ce dernier en février 2014. L’accord d’association avait ensuite été conclu entre Kiev et Bruxelles en mars et juin 2014. Adopté par le parlement ukrainien, la Rada, en septembre 2014, il a été ratifié par tous les pays européens et il est entré pleinement en vigueur le 1er janvier dernier.

La loi néerlandaise

Aux Pays-Bas, cependant, la ratification n’est pas définitive. La loi de ratification a en effet été adoptée par le 28 juillet 2015 par la chambre basse du parlement néerlandais, la Deuxième Chambre des Etats Généraux (Tweede Kammer), assez largement d’ailleurs par 119 voix à 31. Mais depuis le 1er juillet 2015, une loi est entrée en vigueur dans le plat pays qui permet d’appeler à un référendum consultatif sur un texte législatif si l’on a pu recueillir 300.000 signatures. Le groupe eurosceptique Geenpeil (« aucun niveau ») a lancé une campagne de collectes des signatures qui a abouti puisque, rapidement, il a obtenu 470.000 paraphes. D’où ce vote du 6 avril.

L’abstention, élément clé

Selon la loi, le résultat du vote sera validé uniquement si 30 % des 12,5 millions d’électeurs inscrits se rendent aux urnes. Dans ce cas seulement, il y aura un réexamen parlementaire du traité. Les derniers sondages laissent penser que cette limite sera aisément franchie. Selon le sondage I&O Research de début mars 2016, 37 % des personnes interrogées sont « certaines » d’aller voter, cinq points de plus qu’en février. Il faudra néanmoins observer cette participation de près. Validé, le vote est, comme on l’a précisé, « consultatif. » Il oblige néanmoins la Tweede Kammer à revoter sur le sujet. En cas de rejet de l’accord, les partis politiques, à un an des nouvelles élections générales prévues le 15 mars 2017, devront donc assumer de rejeter la décision des électeurs.

Qui appelle à voter pour quoi ?

Sur le plan politique, les partis traditionnels appellent largement à voter en faveur de l’accord. C’est le cas des deux partis de la coalition au pouvoir, les Libéraux du VVD du premier ministre Mark Rutte et les Travaillistes du ministre des Finances Jeroen Dijsselbloem, mais aussi des Chrétiens-démocrates de la CDA, les Chrétiens-Sociaux de la Christenunie, les Libéraux de gauche du D66 ou encore des écologistes de gauche de la GroenLinks et les partis calvinistes SGP. En face, deux grands partis appellent à rejeter l’accord, les eurosceptiques xénophobes du parti pour la Liberté (PVV) de Geert Wilders, allié au parlement européen du Front National, et la gauche radicale du Parti Socialiste (SP). Deux petits partis, les Libertariens du VNL et le parti animaliste du PvdD, ont aussi appelé à voter contre l’accord.

Le rejet en tête dans les sondages

Le PVV et le SP ont le vent en poupe dans les sondages, le PVV étant même donné régulièrement en tête devant le VVD. Mais ces deux partis ne font pas une majorité. Dans le dernier sondage de l’institut Ipsos du 31 mars, le PVV est crédité de 17 % des intentions de vote et le SP de près de 10 %. De plus, les Néerlandais ont été traumatisés par l’explosion de l’avion MH370 au-dessus de l’Ukraine, qui a fait majoritairement des victimes néerlandaises et dont la responsabilité a été attribuée par l’opinion néerlandaises aux forces pro-Russes et à Moscou. En théorie, l’accord devrait donc avoir toutes les chances d’être adopté aux Pays-Bas. Mais, en réalité, le rejet de cet accord est largement en tête. Le sondage d’I&O Research attribuait 44 % des voix au rejet, 33 % à l’adoption, avec 23 % d’indécis. Un sondage de l’institut Peil du 20 mars, donne 60 % de rejet en excluant les indécis ( à 57 % pour le sondage I&O Research). Fait notable : il semble que plus l’abstention recule, plus le rejet gagne du terrain.

Un rejet de l’UE plus que de l’accord

Que se passe-t-il ? Ce vote de rejet n’est en réalité qu’en partie lié à l’accord ukrainien. Certes, à gauche, on s’inquiète de l’implication de l’UE dans le conflit ukrainien et de l’éventuelle concurrence des produits ukrainiens. A droite, on refuse toute pensée d’élargissement à l’est. Mais, même si Mark Rutte fait campagne sur le fait que cet accord serait « bon pour les Pays-Bas » et que « l’Ukraine n’a pas vocation à entrer dans l’UE », l’essentiel semble être ailleurs. A travers cet accord, les Bataves veulent surtout, comme en 2005, sanctionner une Union européenne qu’ils désapprouvent de plus en plus. Du reste, un des leaders de la campagne pour le rejet de l’accord, l’historien Arjan van Dixhoorn, l‘a reconnu dans une interview au quotidien NRC Handelsblad : « l’Ukraine nous est égal ». Ce qui motive les opposants au référendum, c’est bien la sanction de l’UE. « Un référendum sur la sortie de l’UE n’a pas été possible jusqu’à présent, c’est pourquoi nous utilisons toutes les options dont nous disposons pour mettre sous pression les relations futures entre les Pays-Bas et l’UE », a-t-il ajouté.

Un euroscepticisme ancien

Ce référendum serait donc en réalité, un référendum pour ou contre l’UE. Et c’est bien ainsi que les électeurs néerlandais pourraient l’entendre. L’euroscepticisme néerlandais n’est pas une nouveauté : en 2005, les Néerlandais avaient rejeté le projet de constitution européenne le 1er juin, quatre jours après le « non » français, par 61,5 %. Ce sentiment s’est maintenu. Dans un sondage paru voici quelques jours sur le site Atlantico et réalisé par Elabe, on remarque que seuls 25 % des Néerlandais voient plus de bénéfices que d’inconvénients à être membre de l’UE. Le plus bas niveau avec les Belges, parmi un choix de six pays.

Les nouveaux griefs néerlandais contre l’UE

Et les griefs nouveaux ne manquent pas. A droite, la crise des réfugiés a provoqué une vague d’euroscepticisme, tandis que la politique très accommodante de la BCE suscite beaucoup de critiques. Outre les électeurs du PVV, le sondage Peil montre que 35 % des électeurs du VVD et 49 % de la CDA voteront contre l’accord. A gauche, le rejet s’appuie sur celui de l’austérité très dure qu’a connu le pays sous le gouvernement actuel. Jeroen Dijsselbloem n’a pas la main lourde que sur la Grèce, il a procédé à de sévères coupes dans le budget néerlandais. Si l’économie s’est redressée en 2015 avec une croissance de 2 %, elle n’a cru que de 3,1 % depuis 2010, contre 4,3 % pour la France et 7,9 % pour l’Allemagne. En termes de PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, le niveau actuel reste inférieur de 5 % au niveau de 2008.

Cette politique assumée par le parti travailliste (PvdA) a conduit à un affaiblissement radical de ce dernier qui est donné à 8,5 % des intentions de vote selon Peil contre 25 % lors des élections de 2012. Ces électeurs perdus sont allés au SP et à la GroenLinks, mais aussi au PVV. Comme ailleurs en Europe, l’austérité a alimenté l’euroscepticisme. Et c’est ce que le vote du 6 avril devrait démontrer, comme sans doute celui de mars 2017.

La malheureuse intervention de Jean-Claude Juncker

A gauche comme à droite, on critique fortement le caractère peu démocratique et bureaucratique de l’UE. Une critique qui a été alimentée par les interventions de la Commission européenne dans la campagne. Jean-Claude Juncker, le président de cette Commission, dont l’appel au « oui » en Grèce en juillet dernier avait été très mal ressenti par la population hellénique, n’a pas retenu la leçon. Il a menacé les électeurs néerlandais : un rejet du texte provoquerait une « crise continentale qui déstabiliserait l’Europe. » Alors que le gouvernement néerlandais tente de limiter la campagne au sujet ukrainien, ces déclarations ont en réalité servi le camp du rejet qui y a vu une preuve de la peur de la démocratie de la part des institutions de l’UE…

Un dilemme pour le gouvernement néerlandais en cas de rejet

Que se passera-t-il alors en cas de rejet de l’accord le 6 avril ? Officiellement, la ratification des Pays-Bas a été suspendue avec l’annonce du référendum. La loi du 28 juillet n’a donc pas force de loi. Or, sans ratification néerlandaise, l’accord ne peut entrer en vigueur entièrement. Si la Tweede Kammer décide de suivre l’avis des électeurs, la ratification de l’accord UE-Ukraine sera rejetée. Un rejet le 6 avril sera donc d’abord un casse-tête pour les partis politiques néerlandais favorables à l’accord. Ratifier l’accord malgré un rejet de la population sera une démarche fort difficile, surtout à un an des élections générales de mars 2017 et alors que les grands partis sont en recul notable. Les Travaillistes qu’on a vu à l’agonie politiquement ont déjà annoncé qu’ils suivront le résultat du vote populaire. Si Mark Rutte décide néanmoins de soutenir la ratification, il risque de devoir faire face à de rudes critiques.

Des conséquences concrètes réduites

Si la Tweede Kammer suit le peuple néerlandais et ne ratifie pas l’accord UE-Ukraine, celui-ci ne sera pas entièrement caduc. Les éléments relevant de la compétence exclusive de l’UE, parmi lesquels on trouve le commerce, et qui sont précisément en vigueur depuis le 1er janvier dernier de « façon temporaire » pourront rester en place. Seule une décision du Conseil européen peut suspendre ces éléments. Ce « temporaire » pourrait rester en vigueur longtemps et ainsi annuler de facto le vote néerlandais. Pour faire bonne figure, le gouvernement de La Haye pourrait négocier des clauses d’exclusions sur des sujets comme l’immigration ou le bien-être animal, avant de ratifier le texte. En bref, il n’y aura pas de « crise majeure » comme l’affirme Jean-Claude Juncker, même si, évidemment, la Russie y verra un succès et la preuve que l’appui de l’UE à l’Ukraine est très fragile. Mais il n’est pas certain que ce succès ait un impact géopolitique majeur.

Une défaite pour l’UE

En réalité, c’est bien l’UE qui sera le perdant d’un rejet de l’accord puisque les partisans de cette option auront axée leur campagne sur une critique du fonctionnement de l’union. Un nouveau « non » néerlandais le 6 avril pourrait apporter une nouvelle preuve de l’impopularité de l’Union européenne et des élites politiques en Europe, les deux étant souvent confondues dans le même rejet. Ce serait donc une poussée pour le mouvement eurosceptique dans le reste de l’UE et sans doute aussi au Royaume-Uni où les partisans du « Leave EU » pourraient bien utiliser ce vote néerlandais dans leur campagne pro-Brexit.

« guérilla électorale »

A terme, les Eurosceptiques néerlandais pourraient donc utiliser ce succès pour « perturber » la participation des Pays-Bas à l’Union européenne, en utilisant la nouvelle loi référendaire pour provoquer des votes sur l’ensemble des lois de ratification ou de mise en place des décisions prises au niveau européen. Une telle « guérilla électorale » n’est pas à exclure et elle pourrait fortement perturber le fonctionnement de l’Union européenne. Pour l’UE, une nouvelle défaite le 6 avril serait un nouveau coup de semonce pour l’inviter à changer radicalement. Mais le peut-elle ?

Source : La Tribune, Romaric Godin,  

Washington parle désarmement mais prépare la guerre

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En grande pompe, Barack Obama a accueilli 50 chefs d'États et de gouvernement au Sommet sur la sécurité nucléaire de Washington les 31 mars et 1er avril, en ayant pris soin de faire paraître la veille dans le Washington Post un éditorial signé de son nom. Il y déclare avoir personnellement diminué le poids de l'arme nucléaire dans la stratégie américaine, tout en préservant les armes de dissuasion : J'ai exclu le développement de nouvelles ogives nucléaires et j'ai étroitement délimité les circonstances (...)

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En Suisse, le gouvernement refuse la nationalisation de la création monétaire

En Suisse, le gouvernement refuse la nationalisation de la création monétaire

C'est un débat qui progresse, lentement, mais de manière intéressante, dans certaines parties de la planète comme en Islande ou Suisse : faut-il reprendre aux banques privées la création de monnaie, dont on ne peut pas dire qu'elles aient fait un bon usage ces dernières années ? Mais en Suisse, le gouvernement ne goutte guère l'initiative Vollgeld, dite de la monnaie pleine.



Une idée qui finira par faire son chemin ?

L'article de The Economist est très instructif, à plusieurs titres. D'abord, pour tous ceux qui doutent encore du fait que la monnaie est essentiellement créé par les banques privées, il apporte une confirmation sans détour : « beaucoup pensent que la banque centrale transfère la monnaie aux banques privées, qui agissent comme des intermédiaires, poussant la monnaie dans l'économie. En réalité, la plupart de la monnaie est créé par les banques privées. Elles génèrent des dépôts à chaque fois qu'elles font un prêt, un processus que les banques centrales peuvent influencer, mais pas contrôler. Cela en alarme certains, qui craignent que les banques utilisent ce pouvoir de manière étourdie, alimentant, par conséquent, des bulles et des krachs qui perturbe » l'ensemble de l'économie.


Le journal poursuit : « le système serait plus sûr pour les épargnants puisque les banques ne pourraient pas prêter et perdre leur argent. Cela permettrait aux gouvernements de retirer la protection implicite dont les banques profitent comme gardiennes des dépôts des électeurs. Même les grandes banques pourraient faire faillite puisque les pertes ne se transmettraient pas autant au système ». Malgré tout, Berne a émis un avis négatif, jugeant que la hausse du bilan de la banque centrale pour affaiblir la confiance dans la monnaie, ou qu'il faudrait des règles lourdes pour éviter que les banques ne continuent à créer de la monnaie, que cela défavoriserait les banques du pays et qu'une réforme radicale d'un secteur si critique du pays est délicate, sans être sûr de mettre fin à toute forme d'instabilité financière.


Comme elle l'était au 19ème siècle aux Etats-Unis, la question de l'organisation monétaire de nos économies est une question fondamentale posée à nos démocraties. On peut regretter le manque de place accordé à ce thème, tout en notant quelques progrès dans la prise de conscience de son importance ci et là. A nous de porter le thème en France, comme Jean-Baptiste Bersac ou André-Jacques Holbecq.

Des paysans bio en soutien au mouvement Nuit Debout

Des paysans bio en soutien au mouvement Nuit Debout

Il est à noter aussi que le mouvement gagne d'autres villes de France, notamment Nantes et Rennes. Sommes-nous à la veille d'une profonde remise en question du mode de fonctionnement de notre société ?

 

« Ça nous interpelle, ce mouvement, qui s'interroge sur l'avenir et sur la manière de construire un projet », confie Dominique Marion, paysan bio depuis 1977 près de Royan (Charente-Maritime), en regardant l'assemblée générale qui se termine. Depuis le 31 mars, tous les soirs, la place de la République à Paris se remplit à l'appel de « Nuit Debout », pour des soirées et des nuits d'assemblées, de discussions, de débats dans la foulée de l'opposition au projet de réforme du Code du travail et pour la convergence des luttes [1]. Lundi, des paysans bio de toute la France se sont joints à l'occupation le temps d'un cercle de parole. Dans d'autres villes de France, le mouvement Nuit Debout continue d'essaimer et de grandir, jour après jour.
 

Voir en plein écran

Venus à Paris à l'occasion de leur assemblée générale, 150 paysans et salariés du réseau de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab), en ont profité pour découvrir ce qui se jouait depuis quelques jours dans la capitale. « Il n'y a pas de changement de société sans implication citoyenne, c'est le message qu'on a voulu passer. Ça a été entendu, avec les gestes des jeunes ici, qui secouent les mains. » A quelques pas du cercle de l'assemblée générale, les codes de communication hérités des indignés sont inscrits sur un panneau. C'est comme ça qu'on échange depuis quelques jours sur la place de la République. « Pour beaucoup de paysans bio, c'est un choc de culture », sourit Dominique Marion.

Le public de Nuit Debout est en effet jeune, et urbain. « Mais dans le bio aussi, on voit un certain nombre de jeunes qui ne viennent pas du milieu agricole et qui s'installent en bio », souligne Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab, productrice laitière en Loire-Atlantique. « On est venu apporter notre soutien, car on considère que le débat démocratique doit s'améliorer et que le citoyen doit s'impliquer sur les territoires, sur l'alimentation, l'agriculture. Ces questions ont leur place dans les débats citoyens qui ont lieu ici. Nous voulons aussi montrer qu'on se bouge tous les jours, qu'on fait des choses dans le domaine des biens communs », explique l'éleveuse laitière qui s'investit aussi contre l'aéroport de Notre-Dames-des-Landes dans sa région. « Je milite pour la préservation des terres agricoles. Comme ici, il y a à Notre-Dame-des-Landes une convergence des luttes ». Ce soir-là, l'assemblée générale des intermittents de la capitale s'est aussi transportée place de la République.


Rachel Knaebel


Source : Bastamag.net

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Miscellanées du mercredi (Béchade, Onfray, Fromet, Lordon, ScienceEtonnante, L’homme au chapeau)

Miscellanées du mercredi (Béchade, Onfray, Fromet, Lordon, ScienceEtonnante, L'homme au chapeau)

I. Philippe Béchade

La minute de Béchade : Pas de hausse des taux en 2016 à cause de Trump ? – 31/03

Philippe Béchade VS Xavier de Buhren (1/2): Les marchés financiers ont-ils suffisamment rebondi depuis les dernières interventions des banques centrales ? – 30/03

Philippe Béchade VS Xavier de Buhren (2/2): Les perspectives de croissance des entreprises françaises pour 2016 sont-elles réelles ? – 30/03

II. Michel Onfray

Le monde selon Michel Onfray : “Si je pense, je deviens végétarien”.

Le philosophe revient sur les polémiques autour des vidéos révélant les pratiques au sein de certains abattoirs, pratiques qui questionnent notre rapport aux animaux.

III. Frédéric Fromet

“État Islamique mique mique” : Frédéric Fromet (L’Union Fait la Farce)

IV. Lordon

Frédéric Lordon à Tolbiac le 30 Mars 2016

V. ScienceEtonnante

Le libre-arbitre existe-t-il ? — Science étonnante #6

Est-ce qu’on peut véritablement décider de nos actes ? Ou bien est-ce que toutes nos décisions ne sont gouvernées que par des réactions chimiques dans notre cerveau ?

VI : L’homme au chapeau

Un bel exemple de déontologie journalistique


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

État d’urgence :

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Noam Chomsky : l’élection de 2016 fait peser un risque de “désastre absolu” sur les États-Unis

Noam Chomsky : l'élection de 2016 fait peser un risque de "désastre absolu" sur les États-Unis

Source : Truthout, le 09/03/2016

Mercredi 09 mars 2016

Par C.J. Polychroniou, Truthout | Interview

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(Photo: Andrew Rusk; Edited: LW / TO)

“La démocratie américaine, toujours limitée, a dérivé de façon substantielle vers une ploutocratie,” affirme Noam Chomsky. “Mais ces tendances ne sont pas gravées dans le marbre.”

Nous vivons des moments cruciaux et dangereux. Le néolibéralisme est toujours la doctrine politico-économique suprême, tandis que la société civile continue de se détériorer ; les investissements publics, les programmes sociaux et les services sont toujours plus réduits de façon à ce que les riches puissent devenir encore plus riches. De façon concomitante, l’autoritarisme politique se développe, et certains croient que les États-Unis sont mûrs pour l’émergence d’un régime proto-fasciste. En même temps, la menace du changement climatique s’intensifie alors que les dirigeants politiques continuent de manquer de courage et de vision pour aller de l’avant avec des systèmes d’énergie alternative, mettant en danger l’avenir de la civilisation humaine.

Pour ces raisons et d’autres encore, l’élection présidentielle américaine de 2016 est cruciale pour l’avenir du pays et du monde en général. En effet, cela pourrait bien être la dernière chance des États-Unis pour élire un dirigeant qui puisse infléchir le cours de sa politique intérieure comme extérieure, quoique cette perspective soit peu probable lorsque l’on jette un œil au paysage politique actuel.

En effet, comme l’a dit Noam Chomsky à Truthout dans cet entretien exclusif, les candidats à l’élection présidentielle de 2016 abordent à peine les problèmes majeurs auxquels font face le pays et le monde. Pendant ce temps, la montée du trumpisme et la compétition entre candidats républicains pour se montrer le plus extrémiste et raciste ne font que refléter les sentiments profondément ancrés de peur et de déclassement chez de nombreux Américains.

Et pourtant, soutient Chomsky, ces élections sont absolument cruciales.

C.J. Polychroniou : Noam, commençons par regarder attentivement la façon dont les élections présidentielles américaines de 2016 se profilent en ce qui concerne l’état du pays, son rôle dans le monde et les points de vue idéologiques exprimés par les candidats faisant la course en tête des deux partis.

Noam Chomsky : On ne peut ignorer le fait que nous sommes parvenus à un moment unique dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, des décisions doivent être prises à l’heure actuelle — décisions qui, littéralement, détermineront les espoirs pour une survie humaine décente, et pas dans un avenir distant. Nous avons déjà pris cette décision pour un grand nombre d’espèces. L’extinction des espèces en est au même niveau qu’il y a 65 millions d’années, la cinquième extinction qui a mis fin à l’âge des dinosaures. Elle a également ouvert la voie aux petits mammifères, et finalement à nous, une espèce aux capacités uniques, qui incluent malheureusement l’aptitude à la destruction froide et sauvage.

Au XIXe siècle, Joseph de Maistre, l’opposant réactionnaire aux Lumières, critiqua Thomas Hobbes pour son adoption de la locution romaine, “l’homme est un loup pour l’homme”, en observant qu’elle était injuste envers les loups, qui ne tuent pas pour le plaisir. Cette aptitude s’étend jusqu’à l’autodestruction, comme nous le constatons à présent. On suppose que la cinquième extinction fut provoquée par la chute d’un gigantesque astéroïde. Nous sommes maintenant l’astéroïde. Les conséquences sur l’espèce humaine sont d’ores et déjà significatives, et elles deviendront bientôt incomparablement pires, si aucune action décisive n’est prise dès à présent. De surcroît, le risque d’une guerre nucléaire, une ombre lugubre de longue date, est en train d’augmenter. Elle mettrait fin à toute discussion. Souvenons-nous de la réponse d’Einstein quand on lui posa la question des armes qui seraient utilisées pour la prochaine guerre. Il répondit qu’il n’en savait rien, mais que celle d’après se ferait avec des bâtons et des pierres. En inspectant les antécédents choquants, on réalise que c’est un quasi-miracle qu’un désastre ait été évité jusqu’à présent, et les miracles ne durent qu’un temps. Et que le risque soit à la hausse n’est malheureusement que trop évident.

Heureusement, ces capacités destructives et suicidaires de la nature humaine sont équilibrées par d’autres. Il y a de bonnes raisons de croire que des figures des Lumières telles que David Hume et Adam Smith, et le penseur militant anarchiste Peter Kropotkine, étaient dans le vrai lorsqu’ils considéraient la compassion et l’entraide comme des propriétés essentielles de la nature humaine. Nous découvrirons bientôt lesquelles de ces caractéristiques sont en phase ascendante.

Pour en revenir à votre question, on peut se demander comment ces problèmes fantastiques sont traités dans le festival électoral quadriennal. Le plus frappant, c’est qu’ils le sont à peine, par l’un comme l’autre des partis.

Ce n’est même pas la peine d’analyser le spectacle des primaires républicaines. Les commentateurs masquent à grand peine leur dégoût et leur inquiétude pour ce qu’elles révèlent de notre pays et de la civilisation contemporaine. Les candidats ont, cependant, répondu aux questions cruciales. Soit ils nient le réchauffement climatique mondial, soit ils insistent pour que rien ne soit fait à ce propos, demandant en fait à ce que nous courions plus vite encore au précipice. Pour autant qu’ils disposent de propositions identifiables, ils semblent déterminés à l’escalade dans la confrontation militaire et les menaces. Pour ces seules raisons, l’organisation républicaine — on hésite à l’appeler “parti politique” au sens traditionnel du terme — constitue une menace vraiment horrifiante pour l’espèce humaine et pour les autres “dommages collatéraux”, tandis que l’intelligence supérieure continue sa course suicidaire.

Côté Démocrates, il existe au moins une certaine reconnaissance du danger de la catastrophe environnementale, mais pas grand-chose en ce qui concerne les propositions sur le fond. Sur le programme d’Obama concernant la modernisation de l’arsenal nucléaire, ou sur des sujets aussi importants que l’accumulation militaire rapide (et mutuelle) aux frontières de la Russie, je n’ai pas pu trouver de positions claires.

En général, les positions idéologiques des candidats républicains semblent perpétuer l’existant en pire : bourrer les poches des riches et mettre un poing dans la figure aux autres. Les deux candidats démocrates vont d’un programme de type “New Deal” pour Sanders jusqu’à la version “néo-démocrate / républicain modéré” pour Clinton, poussée un peu à gauche par le défi Sanders. Concernant les affaires internationales, et les tâches immenses auxquelles nous faisons face, c’est au mieux le statu quo.

C.J. Polychroniou : À votre avis, quelle est la raison du succès de Donald Trump, et représente-t-il simplement un nouveau cas de ces personnages de la droite populiste qui apparaissent souvent au cours de l’Histoire lorsque les nations font face à des crises économiques sévères ou sont sur le déclin ?

Noam Chomsky : Dans la mesure où les États-Unis font face à un “déclin national,” il est largement auto-infligé. C’est vrai, les États-Unis ne pouvaient pas maintenir leur extraordinaire pouvoir d’hégémonie de la période de l’après-Seconde Guerre mondiale, mais ils restent potentiellement le pays le plus riche au monde, avec des avantages et une sécurité incomparables ; dans le domaine militaire, les États-Unis font quasiment jeu égal avec le reste du monde et sont technologiquement bien plus avancés que n’importe lequel de ses rivaux.

L’attrait pour Trump semble en grande partie fondé sur les sentiments de déclassement et de peur. L’offensive néolibérale sur les populations du monde entier, presque toujours à leur détriment, et souvent de façon sévère, n’a pas épargné les États-Unis, quoique le pays ait quelque peu mieux résisté que d’autres. La majorité de la population a subi la stagnation ou le déclin tandis qu’une richesse extraordinaire et ostentatoire était accumulée dans un nombre très limité de poches. Le système démocratique formel a enduré les conséquences habituelles des politiques socio-économiques néolibérales, dérivant vers la ploutocratie.

Nul besoin de revenir une fois de plus sur les détails sordides — par exemple, la stagnation des salaires masculins réels depuis 40 ans et le fait que depuis le dernier krach, 90% de la richesse créée a été aspirée par 1% de la population. Ou le fait que la majorité de la population — ceux situés plus bas sur l’échelle des revenus — sont effectivement privés de leurs droits dans le sens où leurs représentants ignorent leurs opinions et préférences, prêtant plutôt attention à leurs donateurs super riches ou aux entremetteurs du pouvoir. Ou le fait que parmi les 31 pays développés de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], les États-Unis, malgré tous leurs avantages remarquables, se situent en bas du classement, à côté de la Turquie, de la Grèce et du Mexique, en ce qui concerne les inégalités, la faiblesse des avantages sociaux et le niveau élevé de pauvreté.

En partie, les supporters de Trump — principalement, semble-t-il, les classes moyennes inférieures et les ouvriers, moins éduqués — réagissent à la perception, d’ailleurs en grande partie exacte, qu’ils ont simplement été laissés au bord du chemin. Il est instructif de comparer le tableau actuel avec la Grande Dépression. Objectivement, les conditions dans les années 30 étaient bien pires, et bien sûr, les États-Unis étaient alors un pays bien plus pauvre. Subjectivement, pourtant, les conditions étaient bien meilleures. Parmi la classe ouvrière américaine, malgré le taux de chômage très élevé et les souffrances, il y avait un sentiment d’espérance, une croyance dans le fait que nous nous en sortirions tous de là en travaillant ensemble. C’était encouragé par les succès du militantisme syndical, souvent en interaction avec des partis politiques de gauche vivants et d’autres organisations. Une administration plutôt sympathique répondait avec des mesures constructives, quoique toujours restreintes par l’immense pouvoir des démocrates du Sud, qui ne toléraient les mesures de l’État-providence que si la population noire, méprisée, restait marginalisée. Il y avait surtout un sentiment que le pays était en route vers un avenir meilleur. Tout cela fait défaut aujourd’hui, notamment à cause du succès des attaques acharnées contre les syndicats, qui débutèrent dès que la guerre prit fin.

De surcroît, Trump est soutenu de façon substantielle par les nativistes et les racistes — il faut se rappeler que les États-Unis sont allés extrêmement loin, surpassant même l’Afrique du Sud, dans le suprémacisme blanc, comme l’ont montré de façon convaincante les études comparatives menées par George Frederickson. Les États-Unis n’ont jamais réellement dépassé la guerre civile et l’héritage épouvantable de l’oppression des Africains Américains pendant 500 ans. Il existe également une longue histoire d’illusions concernant la pureté anglo-saxonne, menacée par des vagues d’immigrants (et la liberté pour les Noirs, de même que pour les femmes, ce qui n’est pas une petite affaire dans les secteurs patriarcaux). Les supporters de Trump, principalement blancs, peuvent constater que leur image d’une société dirigée par les Blancs (et pour beaucoup, par les hommes) se dissout sous leurs yeux. Il faut également se rappeler que même si les États-Unis sont particulièrement en sécurité et stables, c’est peut-être aussi le pays le plus apeuré au monde, une autre caractéristique culturelle avec une longue histoire.

De tels facteurs se mélangent pour former un dangereux cocktail. En repensant aux années récentes, dans un livre publié il y a plus d’une décennie je citais le distingué savant de l’histoire allemande Fritz Stern, écrivant dans la revue de l’establishment Foreign Affairs, sur “la chute de l’Allemagne, de la décence à la barbarie nazie”. Il ajoutait, d’une manière significative : “Aujourd’hui, je m’inquiète de l’avenir immédiat des États-Unis, le pays qui a donné l’asile aux réfugiés germanophones des années 30,” lui-même inclus. Avec des implications pour ici et maintenant qu’aucun lecteur attentif ne devrait manquer, Stern analysa l’appel démoniaque d’Hitler à sa “mission divine” comme “sauveur de l’Allemagne” comme une “transfiguration pseudo-religieuse de la politique” adaptée aux “formes chrétiennes traditionnelles,” dirigeant un gouvernement dédié aux “principes de base” de la nation, avec “le christianisme comme fondement de notre moralité nationale et la famille comme base de la vie nationale.” De plus, l’hostilité d’Hitler envers “l’État laïque libéral,” partagée par l’essentiel du clergé protestant, fit avancer “un processus historique dans lequel le ressentiment contre un monde laïque désenchanté trouvait la délivrance dans la fuite extatique de la déraison.”

La résonance contemporaine est indéniable.

De telles raisons de “s’inquiéter quant à l’avenir des États-Unis” n’ont pas manqué depuis. Nous pourrions nous souvenir, par exemple, du manifeste éloquent et poignant laissé par Joseph Stack lorsqu’il s’est suicidé en écrasant son petit avion dans un immeuble de bureaux à Austin, au Texas, frappant une agence des services fiscaux. Dans ce manifeste, il évoquait l’histoire amère de sa vie comme travailleur qui faisait tout selon les règles, et racontait comment il avait méthodiquement été écrasé par la corruption et la brutalité du système d’entreprise et des autorités de l’État. Il parlait pour beaucoup de gens comme lui. Son manifeste fut principalement moqué ou ignoré, mais il aurait dû être pris très au sérieux, tout comme de nombreux autres signes clairs de ce qui se déroulait.

C.J. Polychroniou : Néanmoins, Cruz et Rubio me semblent tous les deux bien plus dangereux que Trump. Je les vois comme de vrais monstres, alors que Trump me rappelle un peu Silvio Berlusconi. Êtes-vous d’accord avec cette vision des choses ?

Noam Chomsky : Je suis d’accord — et, comme vous le savez, la comparaison Trump-Berlusconi est courante en Europe. J’ajouterais également Paul Ryan sur la liste. Il est dépeint comme le penseur profond des républicains, le bosseur politique sérieux, avec des tableurs et autres appareils de l’analyste réfléchi. Les quelques tentatives d’analyser ses programmes, après s’être débarrassées de la magie qui y est régulièrement introduite, concluent que les politiques qu’il préconise aboutiraient pratiquement à détruire chaque partie du gouvernement fédéral qui sert les intérêts de la population en général, tout en développant l’appareil militaire et en veillant à ce que les riches et les grandes entreprises soient particulièrement soignés — le cœur de l’idéologie républicaine lorsque les pièges rhétoriques sont mis de côté.

C.J. Polychroniou : La jeunesse américaine semble être captivée par le message de Bernie Sanders. Êtes-vous surpris par la façon dont il se maintient ?

Noam Chomsky : Je suis surpris. Je n’avais pas anticipé le succès de sa campagne. Il est cependant important de conserver à l’esprit que ses propositions politiques n’auraient pas surpris le président Eisenhower, et qu’elles sont plus ou moins en phase avec les sentiments populaires sur une longue durée, avec souvent des majorités considérables. Par exemple, son appel tant décrié pour un système national de santé comme il en existe dans les sociétés similaires est appuyé par environ 60% de la population, un chiffre très haut compte tenu du fait qu’il fait l’objet d’une condamnation constante et a peu d’avocats pour le défendre de façon claire et précise. Et ce soutien populaire remonte à loin. À la fin des années Reagan, environ 70% de la population pensaient qu’il devrait y avoir une garantie constitutionnelle des soins de santé, et 40% pensaient qu’une telle garantie existait déjà — ce qui signifie qu’elle était un désir à ce point évident qu’elle devait figurer dans ce document sacré.

Lorsque Obama abandonna une option publique sans autre considération, il fut soutenu par près des deux tiers de la population. Et il y a tout lieu de croire qu’il y aurait d’énormes économies si les États-Unis adoptaient les programmes nationaux de soins de santé bien plus efficaces des autres pays, qui dépensent environ moitié moins pour des résultats généralement meilleurs. La même chose est vraie pour sa proposition d’augmenter les impôts des plus riches, la gratuité de l’enseignement supérieur et d’autres parties de ses programmes nationaux, qui reflètent principalement les engagements du New Deal et les choix politiques effectués pendant les périodes de croissance les plus réussies de l’après-guerre.

C.J. Polychroniou : Quelle sorte de scénario peut faire que Sanders emporte l’investiture démocrate ?

Noam Chomsky : De toute évidence, il faudrait des activités éducatives et organisationnelles substantielles. Mais mon sentiment, franchement, c’est qu’elles devraient essentiellement être dirigées vers le développement d’un mouvement populaire qui ne disparaîtra pas après l’élection, mais se joindra à d’autres pour construire le genre de force militante qui servait à initier et pousser les changements et réformes nécessaires dans le passé.

C.J. Polychroniou : Les États-Unis sont-ils toujours une démocratie, et, si non, les élections sont-elles importantes ?

Noam Chomsky : Avec tous ses défauts, les États-Unis sont toujours une société ouverte et très libre, comparativement à d’autres. Les élections sont sûrement importantes. Ce serait, à mon avis, un désastre complet pour le pays, le monde et les générations futures si l’un des candidats républicains accédait à la Maison-Blanche, et s’ils continuent à contrôler le Congrès. L’examen des questions de la plus haute importance discutées plus tôt suffisent à parvenir à cette conclusion, et ce n’est pas tout. Pour les raisons auxquelles j’ai fait allusion plus tôt, la démocratie américaine, quoique limitée, a dérivé de façon substantielle vers une ploutocratie. Mais ces tendances ne sont pas gravées dans le marbre. Nous jouissons d’un héritage inhabituel de droits et de libertés que nous ont légués nos prédécesseurs, qui n’ont pas renoncé, souvent dans des conditions autrement plus dures que celles auxquelles nous faisons face à présent. Et cet héritage nous fournit de nombreuses opportunités pour réaliser un travail hautement nécessaire, à bien des égards, que ce soit dans l’activisme direct ou les pressions pour soutenir des choix politiques significatifs, pour construire des organisations communautaires viables et efficaces, revitaliser le mouvement ouvrier, et aussi agir dans l’arène politique, des écoles jusqu’aux législatures étatiques et bien plus encore.

Source : Truthout, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

La Doctrine Obama [3/5] : Obama, avec le Golfe, contre Daech

La Doctrine Obama [3/5] : Obama, avec le Golfe, contre Daech

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

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Après la prise de Mossoul par ISIS

Mais plus tard dans le courant du printemps 2014, après qu’ISIS a pris la ville de Mossoul au nord-est de l’Irak, il en est venu à croire que les renseignements américains avaient échoué dans leur appréciation de la sévérité de la menace et l’inadaptation de l’armée irakienne, et sa vision changea. Après qu’ISIS a décapité trois civils américains en Syrie, il est devenu évident à Obama que vaincre le groupe était plus urgent pour les États-Unis que renverser Bachar el-Assad.

Les conseillers rappellent qu’Obama aurait cité un moment clé de The Dark Knight, le film de Batman sorti en 2008, pour aider à expliquer pas seulement comment il comprenait le rôle d’ISIS mais comment il comprenait le plus large écosystème dans lequel il a grandi. “Il y a une scène au début dans laquelle les chefs de gang de Gotham se rencontrent,” aurait dit le président. “Ce sont ceux qui se sont répartis la ville. Ils étaient des voyous mais avec une sorte de sens de l’ordre. Tous avaient leur territoire. Et alors le Joker arrive et met la ville à feu et à sang. ISIS est le Joker. Il a la capacité d’embraser toute la région. Voilà pourquoi nous devons le combattre.”

L’essor de l’État Islamique a renforcé la conviction d’Obama selon laquelle la situation au Moyen-Orient ne peut être réglée – pas sous son mandat, et pas pour la génération à venir.

Durant un pluvieux mercredi de la mi-novembre, le président Obama est apparu au sommet de l’APEC à Manille avec Jack Ma, le fondateur de la société d’e-commerce chinois Alibaba, et un inventeur philippin de 31 ans nommé Aisa Mijeno. La salle de bal était remplie de dirigeants d’Asie, de chefs d’entreprise américains et de représentants de gouvernements de la région. Obama, qui a été chaleureusement accueilli, prononça tout d’abord un discours informel devant le podium, principalement au sujet de la menace du changement climatique.

Obama ne fit pas mention du sujet qui préoccupait beaucoup le reste du monde – les attaques d’ISIS à Paris cinq jours plus tôt, qui avaient tué 130 personnes. Obama était arrivé à Manille la veille du sommet du G20 qui s’était tenu à Antalya, où Obama a tenu une conférence de presse particulièrement controversée sur ce sujet.

L’équipe de presse mobile de la Maison-Blanche était implacable : “N’est-il pas temps de changer votre stratégie ?” demanda un reporter. Cela fut suivi par « Pourrais-je vous demander de répondre à vos critiques qui disent que votre réticence à entrer dans une autre guerre au Moyen-Orient, et votre préférence pour la diplomatie plutôt que pour l’usage de la force, rendent les États-Unis plus faibles et encouragent nos ennemis ? » Puis vint l’éternelle question, d’un reporter de CNN : « Excusez mon langage – pourquoi ne pouvons-nous pas nous débarrasser de ces bâtards ? » Qui fut suivie par « Pensez-vous que vous comprenez réellement suffisamment bien cet ennemi pour le vaincre et pour protéger notre patrie ? »

Alors que les questions se succédaient, Obama devint de plus en plus irrité. Il décrivit longuement sa stratégie concernant ISIS, mais la seule fois qu’il exprima une émotion autre que le dédain fut lorsqu’il répondit à la controverse naissante sur la politique américaine des réfugiés. Les gouverneurs et les candidats à la présidence républicains avaient soudain demandé que les États-Unis empêchent les réfugiés syriens de venir en Amérique. Ted Cruz avait proposé de n’accepter que les Syriens chrétiens. Chris Christie avait dit que tous les réfugiés, y compris « les orphelins de moins de 5 ans », devraient être interdits de séjour jusqu’à ce qu’une procédure de contrôle digne de ce nom ait été mise en place.

Cette rhétorique semblait énormément agacer Obama. « Lorsque j’entends des gens dire que, eh bien, peut-être que nous devrions admettre que les chrétiens mais pas les musulmans ; lorsque j’entends des dirigeants politiques suggérer qu’il faudrait un test religieux pour les personnes qui fuient un pays en guerre soient acceptées, » a dit Obama à l’assemblée de journalistes, « cela n’est pas américain. Ce n’est pas ce que nous sommes. Nous n’avons pas de test religieux à notre compassion. »

« Les Saoudiens ne sont-ils pas vos amis ? » demanda le premier ministre. Obama sourit. « C’est compliqué. »

L’Air Force One partit d’Antalaya et arriva dix heures plus tard à Manille. C’est à ce moment-là que les conseillers du président ont compris, selon un officiel, que « tout le monde avait perdu la tête à leur retour. » Susan Rice, tentant de saisir l’anxiété montante, chercha CNN sur la télévision de l’hôtel en vain, ne trouva que la BBC et Fox News. Elle basculait de l’un à l’autre, cherchant à comprendre, dit-elle durant le voyage.

Plus tard, le président dira qu’il avait échoué à pleinement apprécier la peur de beaucoup d’Américains qui ressentaient la possibilité d’une attaque du style de celle de Paris aux États-Unis. La grande distance, un emploi du temps frénétique et le brouillard du jet-lag qui enveloppait le voyage présidentiel autour du monde travaillaient contre lui. Mais il n’a jamais cru que le terrorisme posait une menace à l’Amérique en adéquation avec la peur qu’il suscitait. Même durant la période en 2014 lorsqu’ISIS exécutait ses prisonniers américains en Syrie, ses émotions étaient maîtrisées. Valerie Jarrett, le plus proche conseiller d’Obama, lui a dit que les gens étaient inquiets que le groupe importe bientôt sa campagne de décapitation aux États-Unis. « Ils ne vont pas venir ici pour couper des têtes, » la rassura-t-il. Obama rappelait fréquemment à son équipe que le terrorisme prenait beaucoup moins de vies en Amérique que les armes à feu, les accidents de voiture et les chutes dans la baignoire. Il y a plusieurs années de cela, il m’avait exprimé son admiration pour la « résilience » des Israéliens face au constant terrorisme, et il est clair qu’il aurait aimé voir la résilience remplacer la panique dans la société américaine. Quoi qu’il en soit, ses conseillers mènent un combat d’arrière-garde permanent pour empêcher Obama de placer le terrorisme dans de ce qu’il considère comme sa « juste » place, sans se soucier qu’il apparaîtrait insensible aux peurs du peuple américain.

U.S. President Barack Obama and U.S. Secretary of State John Kerry (L) look on during a meeting with turkish President Recep Tayyip Erdogan at the World Climate Change Conference 2015 (COP21) in Paris, France December 1, 2015. REUTERS/Kevin Lamarque - RTX1WMS5

Obama et le secrétaire d’État américain John Kerry pendant une réunion avec le président turc Recep Tayyip Erdogan à la Conférence mondiale sur le changement climatique (COP21), à Paris en décembre 2015.

L’agacement parmi les conseillers d’Obama se répand jusqu’au Pentagone et au département d’État. John Kerry, notamment, semble plus alarmé à propos d’ISIS que le président. Récemment, lorsque j’ai posé au secrétaire d’État une question générale – le Moyen-Orient est-il toujours important pour les États-Unis ? – il répondit en parlant exclusivement d’ISIS. « C’est une menace pour toutes les personnes dans le monde, » dit-il, un groupe « ouvertement engagé à anéantir les gens de l’Occident et du Moyen-Orient. Imaginez ce qu’il se produirait si nous ne le combattions pas, si nous ne menions pas une coalition – comme nous le faisons actuellement, d’ailleurs. Si nous ne faisions pas cela, vous pourriez voir des alliés et des amis tomber. Vous pourriez avoir une migration rapide en Europe qui détruirait l’Europe, qui conduirait à la pure destruction de l’Europe, mettrait fin au projet européen, et tout le monde se mettrait à l’abri et vous auriez les années 30 encore une fois, avec le nationalisme et le fascisme et d’autres choses qui arriveraient. Bien sûr nous y avons un intérêt, un énorme intérêt. »

Lorsque j’ai fait remarquer à Kerry que la rhétorique du président n’allait pas dans ce sens, il dit : « Obama voit tout cela, mais il ne tombe pas dans ce genre de piège – il pense que nous sommes sur la bonne voie. Il a intensifié ses efforts. Mais il n’essaie pas de créer l’hystérie… Je pense que le président est toujours enclin à essayer de maintenir les choses dans un bon équilibre. Je respecte ça. »

Obama module son discours sur le terrorisme pour différentes raisons : Il est, par nature, “spockien” [référence au tempérament peu loquace du capitaine Spock de Star Treck, NdT]. Et il croit qu’un mot déplacé, ou un air effrayé, ou une allégation hyperbolique mal avisée, pourrait basculer le pays dans la panique. Le type de panique qu’il redoute le plus est celle qui se manifesterait par une xénophobie contre les musulmans ou en contradiction avec l’ouverture américaine et l’ordre constitutionnel.

Le président est également agacé par le fait que le terrorisme continue d’enliser son programme général, particulièrement pour ce qui a trait au rééquilibrage des priorités mondiales de l’Amérique. Depuis des années, le « changement de cap vers l’Asie » a été l’une de ses priorités absolues. L’avenir de l’économie américaine est lié à l’Asie, croit-il, et le défi posé par l’essor de la Chine requiert une constante attention. Depuis ses premiers jours en poste, Obama s’est focalisé sur la reconstruction de liens parfois usés entre l’Amérique et ses partenaires conventionnels asiatiques, et il est perpétuellement à l’affût d’opportunités pour attirer d’autres nations asiatiques dans l’orbite américaine. Sa spectaculaire ouverture vers la Birmanie était une de ses opportunités ; le Vietnam et l’entière constellation des pays asiatiques du Sud-Est angoissés par la domination chinoise en sont d’autres.

A Manille, durant l’APEC, Obama était déterminé à maintenir la conversation sur cet agenda, et pas sur ce qu’il voyait comme le défi pouvant être contenu présenté par ISIS. Le secrétaire à la Défense d’Obama, Ashton Carter, m’a dit il y a peu qu’Obama avait maintenu son attention sur l’Asie même lorsque la Syrie et d’autres conflits du Moyen-Orient continuaient de s’embraser. Obama pense, me dit Carter, que l’Asie « est la partie du monde où il y a le plus d’enjeux pour l’avenir de l’Amérique, et qu’aucun président ne peut s’en détourner. » Il ajouta « Il demande constamment, même au milieu de tout autre chose qui se passe, “Où en sommes-nous du rééquilibrage de l’Asie Pacifique ? Où en sommes-nous en termes de ressources ?” Il a toujours été très constant sur ce point même en période de tensions au Moyen-Orient. »

Après qu’Obama a fini sa présentation sur le changement climatique, il rejoint Ma et Mijeno, qui s’étaient assis sur des chaises à proximité, lorsqu’Obama se préparait à les interviewer à la manière d’invités de talk-show – une approche qui semblait créer un accès momentané de stupéfaction, du fait de cette inversion de statuts, dans une audience non accoutumée à ce genre de comportement chez leurs dirigeants. Obama commença par poser à Ma une question sur le changement climatique. Ma, sans surprise, fut d’accord avec Obama sur le fait qu’il s’agissait d’un problème important. Obama se tourna vers Mijeno. Un laboratoire opérant dans les recoins de l’Aile Ouest (de la Maison-Blanche) n’aurait pas pu créer une personne plus spécifiquement conçue pour séduire la passion geek d’Obama que Mijeno, un jeune ingénieur qui, avec son frère, a inventé une lampe qui fonctionne à l’eau salée.

“Juste pour être clair, Aisa, donc avec de l’eau salée, l’appareil que vous avez créé peut fournir – je ne me trompe pas? – de la lumière pendant environ huit heures ?,” demanda Obama.

“Huit heures de lumière,” répondit-elle.

Obama : “Et la lampe coûte 20$ -”

Mijeno : “Environ 20$.’

“Je pense qu’Aisa est le parfait exemple de ce que l’on voit dans beaucoup de pays – de jeunes entrepreneurs arrivant avec des technologies nouvelles, de la même manière que dans une grande partie de l’Asie et de l’Afrique, la vieille ligne de téléphone fixe n’a jamais été installée,” dit Obama, parce que ces endroits ont directement fait le saut vers les téléphones mobiles. Obama encouragea Jack Ma à financer son travail : “Elle a gagné par ailleurs de nombreux prix et a beaucoup attiré l’attention, donc ce n’est pas comme certaines de ces publicités commerciales où vous commandez quelque chose et ça ne fonctionne jamais,” dit-il en riant.

Le jour suivant, à bord de Air Force One en route vers Kuala Lumpur, j’ai fait remarquer à Obama qu’il semblait sincèrement content d’être sur scène avec Ma et Mijeno, et ensuite j’ai changé de cap loin de l’Asie, lui demandant si quelque chose au Moyen-Orient le satisfaisait.

« A l’heure actuelle, je pense que personne ne peut être satisfait de la situation au Moyen-Orient, » a-t-il répondu. « Vous avez les pays qui échouent à fournir prospérité et opportunités à leurs peuples. Vous avez une idéologie violente, extrémiste, ou des idéologies propulsées par des réseaux sociaux. Vous avez des pays qui ont très peu de traditions citoyennes, aussi lorsque les régimes autocratiques commencent à s’effondrer, les seuls principes d’organisation sont sectaires. »

Il continua, “Cela contraste avec l’Asie du sud-est, qui a toujours d’importants problèmes – énorme pauvreté, corruption – mais qui est constituée de personnes énergiques, ambitieuses, prêtes à l’effort, qui chaque jour s’échinent à construire des affaires et s’éduquent et trouvent des emplois et construisent des infrastructures. Le contraste est plutôt frappant.”

En Asie, tout comme en Amérique latine et en Afrique, dit Obama, il voit des jeunes gens aspirés à s’améliorer, à la modernité, à l’éducation et aux richesses matérielles.

“Ils ne réfléchissent pas à comment tuer des Américains,” dit-il. “Ce à quoi ils pensent, c’est comment obtenir une meilleure éducation? Comme créer quelque chose de valeur ?”

Puis il fit une observation dont je réalisai qu’elle exprimait sa compréhension la plus viscérale et sombre du Moyen-Orient – pas le type de compréhension vers laquelle la Maison-Blanche s’oriente toujours dans ses annonces autour des thèmes de l’espoir et du changement. « Si nous ne leur parlons pas, » dit-il, se référant aux jeunes asiatiques, africains et d’Amérique latine, « parce que la seule chose que nous faisons est de réfléchir à comment détruire ou contenir ou contrôler les partis violents, nihilistes et malveillants de l’humanité, alors on est à côté de la plaque. »

Les critiques d’Obama avancent qu’il est inefficace à contenir les violents nihilistes de l’Islam radical car il ne réalise pas la menace. Il refuse de voir la pensée de l’Islam radical à travers le prisme du « clash des civilisations » popularisé par le politologue Samuel Huntington. Mais c’est parce que, argumente-il avec ses conseillers, il ne veut pas grossir les rangs de l’ennemi. « Le but est de ne pas faire entrer de force ce conflit dans le modèle de Huntington, » a dit John Brennan, directeur de la CIA.

François Hollande et David Cameron ont parlé de la menace de l’Islam radical en termes plus “huffingtonesque” et j’ai entendu que les deux hommes souhaitaient qu’Obama utilise un langage plus direct en parlant de la menace. Lorsque je le mentionnai à Obama, il dit « Hollande et Cameron ont utilisé des expressions, comme islam radical, que nous n’avons pas utilisées régulièrement dans notre façon de cibler le terrorisme. Mais je n’ai jamais eu de conversation lorsqu’ils ont dit, “Mec, comment se fait-il que tu n’emploies pas cette expression de la manière dont tu entends les républicains l’utiliser ?” Obama dit qu’il a demandé que les dirigeants musulmans fassent plus pour éliminer la menace de fondamentalisme violent. « Ce que je veux dire est très clair, » me dit-il, « c’est qu’il y a une interprétation de l’Islam nihiliste, fanatique, radicale et violente par une faction – une petite faction – à l’intérieur de la communauté musulmane qui est notre ennemie, et qu’il faut la vaincre. »

Il fit par la suite une critique qui sonnait plus conforme à la rhétorique de Cameron et Hollande : « Il y a également la nécessité pour l’Islam dans son ensemble de contester cette interprétation de l’Islam, pour l’isoler, et d’ouvrir une discussion à l’intérieur de leur communauté sur la manière dont l’Islam s’intègre à une société moderne et pacifique, » dit-il. Mais il ajouta : « Je ne convaincs pas des musulmans tolérants et pacifiques à s’engager dans ce débat, sans être sensible à leur inquiétude d’être dépeints grossièrement. »

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Obama et le Premier ministre japonais Shinzo Abe à Washington D.C., avril 2015

Lors de rencontres privées avec d’autres dirigeants, Obama a argumenté qu’il n’y aura pas de solution globale au terrorisme islamiste tant que l’Islam ne se réconciliera pas avec la modernité et ne se soumettra pas à quelques réformes qui ont changé la chrétienté.

Bien qu’il ait déclaré, de manière contestée, que les conflits au Moyen-Orient « étaient millénaires », il pense également que la fureur musulmane intensifiée de ces dernières années a été encouragée par des pays considérés comme amis des États-Unis. Dans une réunion durant l’APEC avec Malcom Turnbull, le nouveau Premier ministre australien, Obama a décrit comment il avait vu l’Indonésie glisser petit à petit d’un islam paisible et syncrétique à une interprétation plus fondamentaliste et hostile ; un grand nombre de femmes indonésiennes, a-t-il observé, ont maintenant adopté le hijab, le voile musulman couvrant la tête.

Pourquoi, demanda Turnbull, que s’est-il passé ?

Parce que, répondit Obama, les Saoudiens et d’autres pays du Golfe ont répandu de l’argent et un grand nombre d’imams et d’enseignants dans ce pays, dans les années 90, les Saoudiens ont massivement financé des madrasas wahhabites, des séminaires qui enseignent une version de l’islam ayant la préférence de la famille Saoud au pouvoir, dit Obama à Turnbull. Aujourd’hui, l’islam en Indonésie est plus arabe dans son orientation qu’il ne l’était lorsqu’il y a vécu, lui dit-il.

“Les Saoudiens ne sont-ils pas vos amis ?” demanda Turnbull.

Obama sourit : “C’est compliqué,” dit-il.

La patience d’Obama envers les Saoudiens a toujours été limitée. Dans son premier commentaire d’une note de politique étrangère, pour le discours du rassemblement antiguerre à Chicago en 2002, il disait “Vous voulez un combat, président Bush ? Battons-nous pour être sûrs que nos soi-disant alliés au Moyen-Orient – les Saoudiens et les Égyptiens – arrêtent d’oppresser leur peuple, de supprimer les dissidents et de tolérer la corruption et l’inégalité.” A la Maison-Blanche de nos jours, on entend occasionnellement les officiels du Conseil de sécurité nationale d’Obama rappeler aux visiteurs que la grande majorité des pirates du 11 septembre n’étaient pas Iraniens mais Saoudiens – et Obama lui-même s’en prend à la misogynie d’État de l’Arabie saoudite, développant en privé que “un pays ne peut pas fonctionner dans un monde moderne lorsqu’il réprime la moitié de sa population.” Lors de rencontres avec des dirigeants étrangers, Obama a dit ” Vous pouvez évaluer la réussite d’une société par la manière dont elle traite les femmes.”

Son irritation face aux Saoudiens éclaire son analyse des pouvoirs politiques du Moyen-Orient. A un moment donné, je lui ai fait remarquer qu’il était moins enclin que les présidents précédents à se ranger automatiquement du côté de l’Arabie saoudite dans son différend avec son grand rival, l’Iran. Il n’était pas en désaccord.

« L’Iran, depuis 1979, a été un ennemi des États-Unis, et s’est engagé dans un financement étatique du terrorisme, il est une véritable menace pour Israël et beaucoup de nos alliés, et est engagé dans toutes sortes de comportements destructeurs, » a dit le président. « Et mon point de vue n’a jamais été que nous devrions jeter nos alliés traditionnels » – les Saoudiens – « par-dessus bord au profit de l’Iran. »

Mais il poursuivit en ajoutant que les Saoudiens ont besoin de « partager » le Moyen-Orient avec leurs adversaires iraniens. « La compétition entre les Saoudiens et les Iraniens – qui a participé à nourrir les guerres par procuration et le chaos en Syrie, en Irak et au Yémen – exige que nous disions à nos amis aussi bien qu’aux Iraniens, qu’ils ont besoin de trouver un moyen efficace de vivre dans le même voisinage et d’instaurer une sorte de paix froide, » dit-il. « Une approche qui dit à nos amis “Vous avez raison, l’Iran est la source de tous les problèmes, et nous vous soutiendrons face à l’Iran” signifierait principalement que comme ces conflits sectaires continuent de faire rage et que nos partenaires du Golfe, nos amis traditionnels, n’ont pas la capacité d’éteindre le feu par eux-mêmes, nous devrions commencer à intervenir et utiliser notre pouvoir militaire pour régler les comptes. Et cela ne serait dans l’intérêt ni des États-Unis ni du Moyen-Orient. »

Une des forces les plus destructrices au Moyen-Orient, pense Obama, est le tribalisme – une force qu’aucun président ne peut neutraliser. Le tribalisme, qui a pris forme dans le retour aux sectes, à la croyance, au clan et au village des citoyens désillusionnés par les États en déliquescence, est la source de beaucoup des problèmes des musulmans du Moyen-Orient, et c’est une autre source de son fatalisme. Obama a un profond respect pour la résistance destructrice du tribalisme – une partie de son mémoire, Dreams From My Father, questionne la façon dont le tribalisme dans le Kenya post-colonial a participé à ruiner la vie de son père – lequel prend de la distance en expliquant pourquoi il est si obstiné à éviter l’empêtrement dans les conflits tribaux.

« C’est littéralement dans mon ADN d’être suspicieux vis-à-vis du tribalisme, » m’a-t-il dit. « Je comprends la pulsion tribale, et reconnaît le pouvoir de la division tribale. J’ai eu affaire aux divisions tribales ma vie durant. Au bout du compte, c’est la source de beaucoup d’actes destructeurs. »

Alors que j’étais en vol vers Kuala Lumpur avec le président, je me suis souvenu d’une brève allusion qu’il avait eue au sujet de l’argument hobbesien selon lequel un gouvernement fort est un antidote à l’impitoyable état de nature. Lorsqu’Obama regarde les territoires du Moyen-Orient, ce qu’il voit c’est « la guerre de tous contre tous » de Hobbes. « Je nous vois comme servant de bras armé au Léviathan pour dompter quelques-unes de ces pulsions, » avait dit Obama. J’ai donc essayé de rouvrir cette conversation avec malheureusement une question complexe sur, entre autres, « la vision hobbesienne selon laquelle les gens s’organisent en collectivités pour conjurer leur plus grande peur, la mort. »

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Joshua Earnest, au centre, et Ben Rhodes, à gauche

Ben Rhodes et Joshua Earnest, porte-parole de la Maison-Blanche, qui étaient assis sur un canapé à côté du bureau d’Obama dans Air Force One, pouvaient à peine cacher leur amusement quant à ma péroraison. J’ai fait une pause et j’ai dit « Je parie que si je demandais ça dans une conférence de presse mes collègues me jetteraient simplement hors de la pièce. »

« Je serais vraiment intéressé par cet argument, » dit Obama, « mais tous les autres lèveraient les yeux au ciel. »

Rhodes est intervenu : « Pourquoi nous ne pouvons pas avoir ces salopards ? » Cette question, déjà adressée au président par le journaliste de CNN à la conférence de Presse en Turquie, était devenue un sujet de plaisanterie pendant le voyage.

Je me tournai vers le président : “Eh bien, ouais, pourquoi on ne peut pas attraper ces salauds ?”

Il répondit à la première question.

« Ecoutez, je ne suis pas d’avis que les gens soient intrinsèquement mauvais, » dit-il. « Je pense qu’il y a plus de bien que de mauvais chez l’homme. Et si vous regardez l’Histoire, je suis optimiste. »

« Je crois que globalement, l’humanité est devenue moins violente, plus tolérante, plus saine, mieux nourrie, plus empathique, plus apte à gérer les différences. Mais c’est très inégal. Et ce qui est clairement apparu durant les 20e et 21e siècles est que le progrès que nous faisons dans l’ordre social, pour dompter nos instincts primaires et calmer nos peurs, peut très vite s’inverser. L’ordre social commence à se fissurer si les gens sont dans un état de stress profond. Et alors, le refuge est la tribu – nous contre eux, une hostilité face à ce qui n’est pas familier ou inconnu. »

Il continua : « Maintenant, à travers le monde, vous voyez des endroits qui subissent des tensions sévères à cause de la mondialisation, à cause de la collision de cultures apportées par internet et les médias sociaux, à cause des pénuries – certaines seront dues au changement climatique durant les prochaines décennies – à cause de l’augmentation de la population. Et dans ces endroits, le Moyen-Orient étant la “preuve A”, la solution trouvée par beaucoup de gens est de s’organiser hermétiquement en tribu et de repousser ou d’attaquer ceux qui sont différents. »

« Un groupe comme ISIS est le fruit de tous les pires instincts de cette sorte. La vision que nous sommes un petit groupe que nous définissons avant tout selon le critère de qui nous pouvons tuer car différents de nous, et tenter d’imposer une orthodoxie rigide qui ne produit rien, qui ne célèbre rien, qui est réellement le contraire de tout progrès humain – cela indique le type de mentalité qui peut prendre racine et gagner des adeptes au 21e siècle. »

Donc votre appréciation du pouvoir du tribalisme vous donne envie d’en rester éloigné ?, demandais-je. “En d’autres termes, lorsque les gens disent “Pourquoi n’allez-vous pas attraper ces salauds ?,” vous reculez ?”

“Nous devons déterminer les meilleurs outils pour faire reculer ce genre d’attitudes,” dit-il. “Il y aura des moments où soit parce que ce n’est pas une menace directe pour nous, soit parce que nous n’avons simplement pas les outils nécessaires pour vraiment changer la donne, tragiquement, nous devons nous retenir d’y sauter à pieds joints.”

Je demandai à Obama s’il aurait envoyé les marines au Rwanda en 1994 pour stopper le génocide lorsqu’il se produisait, s’il avait été président à ce moment-là. “Etant donné la rapidité avec laquelle le massacre s’est déroulé et le temps nécessaire pour mettre en marche la machinerie du gouvernement américain, je comprends pourquoi nous n’avons pas agi suffisamment vite,” dit-il. “Maintenant, nous devons tirer les enseignements de ce qui s’est produit. Je pense en réalité que le Rwanda est un intéressant cas de figure parce qu’il est possible – ce n’est pas garanti mais possible – qu’il s’agissait d’une situation où une rapide intervention de la force aurait pu être suffisante.”

Il fit un parallèle avec la Syrie : « Ironiquement, il est probablement plus facile d’affirmer qu’une force plus ou moins réduite déployée rapidement avec le soutien international aurait pu empêcher le génocide (avec plus de succès au Rwanda) qu’en Syrie actuellement, où le niveau auquel les différents groupes sont armés, avec des combattants endurcis et un soutien par tout un ensemble d’acteurs extérieurs avec beaucoup de ressources, demande un engagement beaucoup plus grand de forces. »

Les représentants de l’administration Obama argumentent qu’il a une approche claire de la lutte contre le terrorisme : un drone des forces de l’air, des raids des forces spéciales, une armée de 10 000 rebelles combattant en Syrie avec l’aide clandestine de la CIA. Alors pourquoi Obama est-il maladroit lorsqu’il explique au peuple américain que, lui aussi, se soucie du terrorisme ? La conférence de presse en Turquie, lui ai-je dit « fut un moment pour vous en tant que politicien pour dire “Oui, je déteste ces salauds aussi, et d’ailleurs, je vais dégager ces salauds.” » La chose facile à faire aurait été d’assurer aux Américains en termes viscéraux qu’il tuerait les gens qui veulent les tuer. Avait-il peur d’une réaction impulsive contre une autre invasion au Moyen-Orient ? Ou est-il juste un inaltérable “spokien” ?

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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