samedi 12 mars 2016

Pour l'ESA, la route pour Mars passe par la Lune

Pour l'ESA, la route pour Mars passe par la Lune

Les débats et les films sur des missions habitées vers la planète Mars nous font parfois oublier une autre proposition majeure pour faire le grand saut dans l'espace. Depuis plusieurs années, l'Agence spatiale européenne (ESA) évoque régulièrement son souhait que l'on puisse retourner sur la Lune dans les années 2020.
Plus précisément, l'ESA plaide en faveur de la construction d'une base lunaire à partir de laquelle on pourra lancer des missions martiennes et au-delà.
Ce plan a été présenté le 14 décembre (...)

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Achat groupé, entraide : l'application qui recrée de la solidarité locale entre voisins

Achat groupé, entraide : l'application qui recrée de la solidarité locale entre voisins

Pourquoi payer au prix fort son bois, son vin ou ses produits alimentaires quand on peut faire des économies en les achetant en commun ? C'est l'idée de Mon Pti' Voisinage, un réseau social lancé pour recréer de l'entraide et de la solidarité à l'échelle locale.

 

Mon Pti' Voisinage est une plateforme permettant l'entraide et l'achat groupé entre voisins (Crédit : Mon Pti' Voisinage) 

Chaque année, un foyer français dépense en moyenne 8700 euros pour se nourrir et plus de 1700 euros pour se chauffer. Pour réduire ces dépenses, le réseau social mon Pti' Voisinage propose désormais d'effectuer ces achats entre voisins. Fruits et légumes, viandes, vins, granulés de bois ou encore fuel : autant de postes de dépense qui peuvent être réduits jusqu'à 40 % en achetant en grand volume.

Mais le but n'est pas seulement de faire des économies : "En achetant groupé, les gens redeviennent acteurs de leur consommation. Ils rencontrent les producteurs, ils négocient et se rapprochent de leurs voisins avec qui ils réalisent l'achat", explique à We Demain Morgane Hemery, la responsable communication de la plate-forme.

Sortir des réseaux virtuels

"Notre but est de recréer de l'entraide entre les gens, de les sortir des réseaux virtuels afin qu'ils se rencontrent dans la vraie vie." Une idée généreuse qui fonctionne. Lancée en 2014 sur Internet, la plate-forme rassemble déjà 60.000 utilisateurs et enregistre une croissance de 120 % tous les deux mois.
 
 
Car mon Pti' Voisinage n'est pas qu'un service d'achat groupé. On s'y échange aussi des services : prêt d'objets, soutien scolaire, dépannage informatique, arrosage de plante ou baby-sitting. Pour faciliter la rencontre, des autocollants sont proposés aux usagers afin de les coller sur leurs boîtes aux lettres. "La plupart de ces services sont offerts généreusement, mais ils peuvent aussi faire l'objet d'un dédommagement, c'est au choix", explique Morgane Hemery, qui précise : "Nous ne prenons aucune commission."

Partenariats avec l'économie collaborative

L'application est gratuite, sans pour autant avoir recours à la collecte des données de ses utilisateurs. Elle se finance grâce à des partenariats avec des entreprises de l'économie collaborative : Autopartage avec Drivy, garde-meuble avec OuiStock ou encore alimentation avec la Ruche qui dit Oui et le réseau des Amaps. "Avec Mon Pti' Voisinage, on peut voir facilement qui est inscrit sur ces services autour de chez soi."
 
 
La plate-forme reçoit aussi des financements des collectivités locales. Celles-ci peuvent utiliser Mon Pti' Voisinage pour dialoguer avec les citoyens. Par exemple, pour être alertés des problèmes de voirie ou pour mener des sondages. En cas de catastrophe naturelle, les collectivités peuvent également utiliser le service pour envoyer des SMS d'alerte.
Seule obligation : pour s'inscrire, les usagers doivent justifier de leur identité. Que ce soit en étant coopté par leurs voisins, en fournissant un justificatif de domicile ou en demandant à recevoir une carte postale portant un code. "C'est une mesure de sécurité qui permet ensuite d'avancer ensemble en confiance."

 

Source : WeDemain.fr

Informations complémentaires :

 

 

 

“Le pire ministre des Affaires étrangères a déguerpi” : hommage de l’Ambassadeur Michel Raimbaud à Laurent Fabius

"Le pire ministre des Affaires étrangères a déguerpi" : hommage de l'Ambassadeur Michel Raimbaud à Laurent Fabius

Source : Tunisie-secret, Michel Rimbaud, 28-02-2016,

« Le départ d'un ministre aussi étranger aux Affaires étrangères, qui ne se réveillait qu'au nom de Bachar al-Assad, ne fera guère pleurer que lui-même et ses complices », écrit cet éminent diplomate élevé dans la haute tradition gaulliste. Bien avant le départ de Fabius, Michel Raimbaud disait tout haut ce que les anciens du Quai d'Orsay pensaient tout bas. Sa remarquable rétrospective démontre comment, dans l'affaire syrienne, la diplomatie et la presse françaises ont été au service de la propagande anglo-américaine et comment le gouvernement français s'est mis du mauvais côté de l'Histoire. Michel Raimbaud est l’auteur de “Tempête sur le Grand Moyen-Orient”, publié aux éditions Ellipses en 2015.

Son Excellence Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur de France, auteur du livre

Son Excellence Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur de France, auteur du livre “Tempête sur le Grad Moyen-Orient”, édition Ellipses, 2015.

Le pire ministre des Affaires étrangères jamais offert à la France [Laurent Fabius] a déguerpi. Il laisse derrière lui une diplomatie ruinée, décrédibilisée et démoralisée : seraient-ils les meilleurs de la planète, nos diplomates ne peuvent faire de miracles lorsqu'ils sont amenés à ne défendre que des dossiers indéfendables, qui les placent systématiquement du mauvais côté de l'Histoire. C'est là que le bât blesse.

Si le pire n'est jamais sûr, le meilleur l'est encore moins

Le départ d'un ministre aussi étranger aux Affaires étrangères, qui ne se réveillait qu'au nom de Bachar al-Assad, ne fera guère pleurer que lui-même et ses complices. Mais les optimistes inoxydables, inondés d'espoir l'espace d'un adieu, devraient se méfier : si le pire n'est jamais sûr, le meilleur l'est encore moins.

Le partant était un pilier du « groupe des Amis de la Syrie », dont la liste des États membres illustrait alors parfaitement la sentence bien connue : avec de tels amis, plus besoin de se chercher des ennemis. Reprenant le flambeau brandi par la France lors du rezzou de l'Otan sur la Libye, Fabius a tout fait pour propulser notre pays à l'avant-garde des va-t-en guerre de la vertueuse « communauté internationale ». N'est-ce pas lui qui, mi-dépité mi-gourmand, estimait en juillet 2012 qu'il « reste encore quelques renforcements possibles en matière de sanctions », insistant pour que la Grèce cesse d'importer du phosphate syrien ?

Le club Elisabeth Arden (Washington, Londres, Paris), qui prétend depuis un quart de siècle incarner la « communauté internationale », s'est transformé au fil des dernières années en un directoire de pères fouettards ayant pour inspirateurs les néoconservateurs de « l'État profond » des pays d'Occident et d'ailleurs, et pour alliés privilégiés les régimes moyen-orientaux les plus portés sur la flagellation. En 2011, après l'Irak, le Soudan, l'Afghanistan, la Somalie, la Palestine, la Yougoslavie, l'Iran ou l'Ukraine et quelques autres, nos pères fouettards, pourtant bien absorbés par leur tâche du moment, vont réserver à la Syrie un traitement de choix. C'est ainsi que les sanctions vont pleuvoir en giboulées dès les premiers beaux jours.

En juillet 2012 (on taira par décence le nom du journal et ceux des journalistes), une vidéo apparaît sur le net avec un titre en forme de question qui tue : « À quoi servent les sanctions contre la Syrie ?» Celle-ci, note le commentaire écrit, « fait depuis plus d'un an l'objet de mesures de rétorsion de la part de la communauté internationale, avec un succès mitigé ». Il faut « punir et étouffer économiquement le régime de Bachar al-Assad, qui réprime dans le sang ses opposants : tel est l'objectif ». On n'aura pas fini d'entendre cette rengaine.
Notre vidéo précise que, le 23 juillet 2012, l'Union européenne a adopté un nouveau train de sanctions, pour la 17ème fois en un an (sic). Elle rappelle que les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Suisse, la Turquie et la Ligue arabe (kidnappée par le Qatar et les régimes du Golfe) ont pris des mesures équivalentes.

Traitement de choc infligé à la Syrie

Sans dresser une liste interminable des sanctions imposées, renouvelées et renforcées les années suivantes, il n'est pas inutile de rappeler au passage, à l'attention des distraits, des ignorants ou des bonnes consciences, le script général du chef-d'œuvre des dirigeants occidentaux et de leurs bureaucraties sadiques :

1/ D'abord viennent les sanctions classiques « de mise en situation » par le Conseil de Sécurité, prises en mai 2011 :
Les premières mesures prises par l'Union européenne concernent la mise au ban (refus de délivrer des visas) et le gel des avoirs de 150 personnalités du « régime syrien ».

Par ailleurs, une cinquantaine de sociétés « soutenant le régime » sont soumises à boycott dont cinq organismes militaires, conformément à l'embargo adopté « sur les exportations d'armes et de matériel susceptible d'être utilisé à des fins de répression ». Il est ainsi interdit d'exporter vers la Syrie des équipements, des technologies ou des logiciels destinés à surveiller ou intercepter des communications sur Internet ou les téléphones.

2/ Le 10 août 2011, le gouvernement US prend des sanctions économiques contre les sociétés de télécommunication syriennes et les banques liées à Damas, empêchant les citoyens états-uniens de mener des affaires avec la Banque commerciale de Syrie, la Banque syrienne libanaise commerciale ou Syriatel. Les avoirs de ces sociétés aux États-Unis sont gelés, autant dire volés. Hillary Clinton annonce dans la foulée un embargo total sur les importations de pétrole et de produits pétroliers en provenance de Syrie.

Imitant aussitôt ses maîtres, l'Union européenne décide de plusieurs trains de sanctions supplémentaires, y compris un embargo sur le pétrole. La dernière salve visera à réduire les échanges commerciaux afin de finir d'asphyxier l'économie du pays.

3/ Viendront ensuite les sanctions diplomatiques (rappel des ambassadeurs en consultation) décidées dès l'automne 2011, après le double véto russo-chinois sur le projet de résolution islamo-occidental visant à provoquer en Syrie un processus à la libyenne. Les États-Unis ayant rappelé de Damas leur ambassadeur du troisième type, plusieurs États de l'Union européenne rappellent les leurs.
Juppé rappellera le sien une première fois le 17 novembre 2011 : « erreur fatale » pour le ministre ordinateur. Après un faux retour, ce sera le départ définitif en février 2012. Nommé en mai 2012, Fabius fera encore mieux : à peine intronisé, il expulsera l'ambassadrice de Syrie à Paris, ayant oublié que cette dernière est également représentante auprès de l'Unesco et qu'il ne peut la contraindre au départ.

4/ En 2012, ce sera la fermeture de la compagnie aérienne « Syrianair » à Paris, puis l'interdiction de toute liaison aérienne entre la France et la Syrie et, plus généralement, entre les capitales européennes et Damas. Etc…

Les parrains des terroristes

Hélas, se lamentent des experts pleins d'onction et de componction, tout le monde n'est pas d'accord pour mettre en place un embargo, ce qui en limite la portée. La belle unanimité qui, de 1991 à 2011, a rassemblé les cinq Permanents du Conseil de sécurité autour des trois Occidentaux n'existe plus et c'est un élément déterminant qui permet de briser l'arrogance et la toute-puissance des puissances atlantiques. Des doigts accusateurs pointent « certains pays qui ne jouent pas le jeu ? (sic). Mais est-ce bien un jeu ? La Russie et la Chine soutiennent le gouvernement et l'État syriens : ils seront priés de « rejoindre la communauté internationale » (sic). La Syrie peut également compter sur l'aide multiforme de son allié, l'Iran, mais celui-ci est déjà sous lourdes sanctions. D'autres pays, comme le Brésil, ne soutiennent pas les Occidentaux ? En outre, certains États traînent les pieds au sein de l'Union européenne, et les accrocs aux engagements pris contre Damas se multiplient.

Ce blocus qui asphyxie progressivement la Syrie est certes difficile à mettre en œuvre, mais que nos perfectionnistes se consolent : il est indéniable que les résultats escomptés sont là. Après cinq années de sanctions et d'acharnement collectif, le peuple syrien est épuisé et vit dans des conditions terrifiantes. Nos grands dirigeants, si bons et si pudiques, ne connaissent-ils pas la vérité, non pas celle de leurs protégés émigrés qui vivent au chaud ou au frais à l'ombre de leurs protecteurs, mais la vérité des habitants qui ont tenu bon dans leur pays. Loin du paradis de la révolution auquel les premiers feignent de croire, loin du paradis auquel aspirent les djihadistes démocratiques et les terroristes modérés, c'est un enfer que vivent les Syriens de la Syrie réelle, un enfer qu'ils doivent au fanatisme de leurs « libérateurs » et de leurs alliés turcs ou arabes ainsi qu'au sadisme de l'« Axe du Bien », parrain des terroristes et grand déverseur de punitions devant l'éternel.

Les sanctions sont parvenues à détruire un pays qui était plutôt prospère, quasiment sans endettement, autosuffisant pour l'essentiel de ses besoins et globalement bien parti. Elles ont fini par entamer le tissu national syrien, soudé par une tolérance « laïque » assez exemplaire, sans réussir toutefois à le déstructurer. Le but de ce politicide était (et reste toujours) de démoraliser les populations, en les amenant à perdre confiance dans la légitimité de leur État, de leur gouvernement, de leurs dirigeants, de leurs institutions, de leur armée, tout en leur donnant l'illusion que l'Occident est heureusement là pour les « sauver du tyran qui les massacre » et accueillir en son sein les réfugiés et les transfuges.

Des sanctions pour mater un peuple résistant

Le terrible bilan enregistré en Iraq —un million et demi de morts, dont 500 000 enfants— est là pour rappeler que les sanctions sont une arme de destruction massive, utilisée avec un total cynisme par les « maîtres du monde ». Pour Madeleine Albright évoquant sans doute des « dégâts collatéraux », « cela en valait la peine ». On voit le résultat.

En Syrie, les « punitions » occidentales ne sont pas mieux intentionnées. Elles visent à mater un peuple résistant et à le forcer à accepter la fatalité d'un changement de régime, ou bien à l'amener à fuir ou à déserter… Quitte à saigner le pays de sa jeunesse déjà formée, de ses cadres aspirant à vivre mieux dans un climat de paix… Quitte à faire de ces réfugiés un peuple de mendiants, à la merci des trafiquants de toutes spécialités : en témoignent ces femmes et enfants installés la nuit au coin des boulevards parisiens par des équipes inquiétantes.

Depuis cinq ans, nos politiciens combinards, nos journalistes complaisants, nos intellectuels perdus ou dévoyés participent, à quelques exceptions près, à l'énorme conspiration du mensonge qui fait passer la Syrie souveraine et légale pour usurpatrice et massacreuse, et ses agresseurs et leurs parrains, orientaux ou occidentaux, pour des libérateurs révolutionnaires. Outre l'horreur et l'effroi que soulèvent les images de cette guerre sauvage, comment ne pas avoir la nausée devant l'aveuglement, volontaire ou non, de nos élites qui préfèrent donner du crédit aux mensonges de leurs alliés et protégés criminels plutôt qu'aux témoignages innombrables des victimes qui désignent sans ambigüité leurs bourreaux ? Comment ne pas avoir la nausée devant cette complicité assumée, à peine camouflée par une omerta systématique ? Comment enfin ne pas frémir devant cet aplomb et cette bonne conscience bétonnée de nos faiseurs d'opinion ?

Maintenant, il faut lever les sanctions criminelles et scélérates

La solution ne consiste pas à accueillir en Europe les réfugiés que l'on a d'une façon ou d'une autre créés en alimentant la guerre universelle d'agression et le djihad en Syrie. Il faut lever immédiatement, sans délai et sans conditions, les sanctions qui sont destinées à briser tout un peuple. Il faut mettre fin à la guerre et non en décupler l'impact par les moyens minables, sournois et iniques que sont les sanctions à la mode occidentale.

Il faut rendre justice à ce peuple martyrisé et humilié. Et la plus élémentaire des justices, la première, est de ne plus couvrir d'un voile de vertu les criminels féroces qui cherchent à détruire au nom de l'intolérance la Syrie tolérante. Elle implique également de ne plus cautionner les impudeurs des maîtres fouettards qui punissent en toute impunité avec la morgue des arrogants. Assez de mensonges, assez d'hypocrisie, assez de leçons.

Répétons-le, il faut lever les sanctions criminelles et scélérates qui tuent la Syrie et son peuple. Ni dans un mois, ni dans un an, mais maintenant. Ce n'est pas une question de diplomatie, c'est une affaire d'honneur, et la France s'honorerait en prononçant, pour sa part et à titre national, la levée des sanctions.

Michel Raimbaud, article initialement publié sous le titre de « Le mensonge, la nausée et les sanctions ». M.Raimbaud est l'ancien Ambassadeur de France en Mauritanie, au Soudan et au Zimbabwe. Ancien directeur de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. Professeur au Centre d'études diplomatiques et stratégiques (CEDS).

Source : Tunisie-secret, Michel Rimbaud, 28-02-2016,

[2014] Repenser la politique étrangère des États-Unis, par Noam Chomsky

[2014] Repenser la politique étrangère des États-Unis, par Noam Chomsky

Source : Chatham House, le 19/05/2014

noam chomsky, london dec 2002 © chris saunders

Noam Chomsky

Professeur ordinaire et émérite de linguistique au MIT

Directeur : Conor Gearty

Enseignant de loi sur les droits humains et directeur de l’institut des Affaires publiques de la London School of Economics

19 mai 2014

Conor Gearty

Noam Chomsky, merci d’être venu ici à Chatham House. Nous n’avons qu’une heure à disposition car Noam Chomsky a d’autres obligations plus tard. Nous vous sommes infiniment reconnaissants de nous avoir trouvé ce petit moment.

Et nous sommes fiers d’avoir cette conversation. Nous devrions maintenant passer à la politique étrangère des É-U et cesser de bavarder.

Noam Chomsky

C’est ce qu’ils ont annoncé. Autant en parler.

Conor Gearty

J’espère que nous pourrons passer rapidement d’une question à sa réponse pour utiliser au maximum notre temps disponible. Cela exige une grande concision de la part de nous tous et surtout de moi. Par exemple, je vous épargnerai l’ennui d’apprendre mon nom et mes activités. Cette exigence de concision vaut aussi pour vous et je prie, à l’avance, de m’excuser si je vous coupe la parole. Mon but est de faire avancer les choses.

Noam Chomsky

Je n’ai rien contre. J’ai l’habitude d’être interrompu. Mes enfants ont un mot qu’ils utilisaient lorsqu’ils me posaient une question de leur cru. Ils disaient : “Seulement un cours de cinq minutes, s’il te plaît !”

Conor Gearty

Et avec le temps, c’était quatre, puis trois et enfin deux minutes. Je vais exiger de vous la même discipline et être parfois brutal à ce sujet. Je ne veux aucun discours. Je le répèterai plus tard. Plus les questions seront concises, plus cet évènement nous sera profitable. À tous : “Tweetez les questions !” Puisque nous parlons de cela, nous devrions tweeter plus souvent. J’ai un gourou pour Twitter. Elle a pour tâche de créer les tweets mais vous pouvez aussi tweeter. Nous allons donc procéder comme suit, si vous avez subitement une chose assez importante pour vouloir la transmettre, vous le ferez par Twitter (si vous tweetez) sur le hashtag #AskCH. Si vous êtes en dehors de la salle ou si vous n’êtes pas ici, vous pouvez aussi twitter. C’est une façon géniale d’élargir un public.

Noam – Je suppose vaguement, le truc de Snowden. Une surprise ? Par cela, je veux dire : une surprise à quel point c’était extraordinaire ? Ou simplement une surprise ?

Noam Chomsky

Je pense que l’échelle était, au moins pour moi, stupéfiante. C’était même phénoménal. Un nouveau livre de Glenn Greenwald, j’ignore s’il est édité ici, examine une grande partie de cette campagne et la synthétise. C’est un travail colossal. Ils veulent clairement tout reprendre, tout ce qui se dit, toutes les rencontres, qui va voir qui et tout ce que vous pouvez imaginer. Le but est une base de données contenant absolument toutes les informations sur tous les ennemis de l’État. Cela révèle un drame dont nous devrions tous être conscients : pour les États, l’un de leurs grands ennemis est leur population. Ils doivent la contrôler. Elle est dangereuse. Si vous examinez les décisions prises en politique, elles sont en phase avec la nécessité de contrôler cet ennemi dangereux.

Cela dépasse de très loin tout ce qui a été fait auparavant. Bien sûr, il y a eu beaucoup d’événements analogues auparavant. Pendant les années 60, j’étais fortement impliqué dans des activités de résistance à la guerre du Vietnam. Nous comprenions que nous ne pouvions pas parler au téléphone. Pour tout sujet sérieux, quelque chose qui impliquait des humains particuliers – comme un déserteur ou autre – on ne pouvait même pas parler à un groupe d’amis, car il y avait probablement un agent du gouvernement parmi eux. Tout devait être fait par groupes d’affinités. Tout cela est bien connu et remonte loin dans le temps mais cela n’est jamais arrivé à cette échelle. Et la Grande-Bretagne est d’accord, comme vous l’avez probablement vu. Le gouvernement britannique a demandé à la NSA de lui fournir une quantité considérable d’informations détaillées sur des téléphones cellulaires, des médias sociaux et d’autres formes d’interactions des citoyens britanniques considérés comme des ennemis de l’État.

Aux États-Unis, c’est franchement dramatique à cause du quatrième amendement de la constitution qui est un élément de la Déclaration des droits de l’Homme (Bill of Rights). Il garantit la sécurité des citoyens dans leur intégrité physique, leurs maisons, leurs papiers et leurs biens et interdit formellement toute enquête ou saisie infondée. Les dirigeants britanniques demandèrent le droit de pénétrer dans les maisons pour les fouiller. Cela provoqua d’amères épreuves de forces. À Boston même, où je vis, des citoyens s’organisèrent pour bannir les prétendus mandats d’assistance qui autorisaient les policiers anglais à entrer quand ils voulaient et où ils voulaient. C’est une des choses qui a fait éclater la révolution américaine. Tout de suite après, quand le “Bill of Rights” a été introduit dans la constitution, il a très clairement certifié l’existence d’une barrière contre de telles pratiques étatiques. Maintenant, le quatrième amendement de la constitution est violé d’une façon si dramatique que vos collègues juristes ont de la peine à les rendre compatibles.

Conor Gearty

Mais ils peuvent toujours trouver un professeur pour faire ce travail.

Noam Chomsky

C’est le rôle des avocats. Ils vont trouver une façon de déclarer que savoir tout ce que vous faites justifie les perquisitions et les saisies.

Conor Gearty

Quand vous comparez la réponse au Watergate, qui lorsque vous regardez ce qui arrive aujourd’hui semble peu de chose et qui pourtant a démoli un président. Peut-être était-ce la dissimulation, peut-être pas. Mais la culture en Amérique a-t-elle considérablement changé maintenant 50 ans après cette période ?

Noam Chomsky

Je dois vous dire que j’étais minoritaire et peut-être même le seul à penser que le Watergate était une sorte de goûter pour enfants. La New York Review m’a demandé aussitôt d’écrire au sujet du Watergate et j’ai accepté, mais à condition que je puisse expliquer que c’était peu de choses. En fait, c’était assez saisissant. Les révélations du Watergate sont apparues au même moment que celles concernant COINTELPRO (le programme de contre-espionnage). COINTELPRO était une opération gouvernementale criminelle massive à l’encontre de la population et qui s’étendit sous quatre mandats présidentiels, principalement sous Kennedy, Johnson et Nixon (cela avait commencé un tout petit peu plus tôt). L’opération avait pour objectif non seulement de surveiller toute pensée et action critique mais aussi de les perturber. C’est allé au-delà du cas Snowden. C’est allé jusqu’à l’assassinat politique pur et simple. En fait, au moment du Watergate il y eut des révélations du fait qu’en 1969, dans l’une des opérations COINTELPRO – il s’agit d’une opération menée par le FBI (le FBI est la police politique fédérale) – ils étaient en train de détruire le mouvement de protestation noir. Ils l’ont véritablement décimé.

Le pire exemple, qui était juste apparu au moment du Watergate, fut l’assassinat de Fred Hampton. Fred Hampton était membre des Black Panther, un organisateur, un organisateur très compétent. Aucune poursuite criminelle ne fut entamée, rien du tout. Il organisait les ghettos de Chicago. Le FBI, sous couvert de COINTELPRO, voulait l’assassiner. Ils ont d’abord tenté de manœuvrer un gang criminel du ghetto, les Blackstone Rangers, pour le tuer. Ils envoyèrent de fausses lettres aux dirigeants des Rangers, écrites dans un genre de faux argot “noir”, que les destinataires décodèrent instantanément – le FBI n’était pas très malin – pour tenter de leur dire que Fred Hampton agissait contre eux, et qu’ils devaient donc réagir. Mais ils ne réagirent pas. Le FBI avait placé un informateur, un garde du corps de Hampton. Ils donnèrent de fausses informations à la police de Chicago à propos d’armes à feu dans son appartement. A 4 heures du matin la police débarqua, vraiment une intervention genre Gestapo, et simplement le tua dans son lit.

Ce fait à lui tout seul montre le marécage des révélations du Watergate. Il est intéressant que cela ne soit presque jamais mentionné. Et il s’agit ici d’un seul exemple. Ils réalisèrent bien d’autre choses dans le cadre de COINTELPRO, des choses bien plus graves que le Watergate, et je pense même plus graves que la NSA.

Conor Gearty

Est-ce, dans une forme moderne, la même chose que l’utilisation de drones pour tuer des gens à l’étranger ? Les drones sont-ils un équivalent moderne de ces pratiques ? Et je voudrais poser une question annexe à ce propos, qui est la suivante: la nature de l’opinion publique américaine. Vous la dépeignez actuellement, dans vos écrits, un tableau où apparaît une communauté amorphe et facilement manœuvrée, qui peut être induite dans telle direction et déviée de telle autre, etc.

Noam Chomsky

Prenez par exemple COINTELPRO, il est difficile de dire que les gens ont été induits en erreur – ils ignorent les faits. Il y a une chose appelée le journalisme, qui est théoriquement destinée à présenter au public des choses significatives et importantes pour que les gens jouent un rôle dans une société démocratique. Mais ce rôle est parfois joué de manière très limitée sinon inexistante. Dans le cas de COINTELPRO il n’y eut pratiquement aucune couverture médiatique. A propos de l’assassinat de Hampton, les gens n’ont pas pu protester car personne n’en a eu connaissance.

Prenons les drones. La campagne de drones est une campagne de terrorisme globale mise en œuvre par l’administration Obama et qui ne présente aucune justification. Dans le temps certaines notions avaient cours – les juristes se souviendront peut être de cette vieillerie nommée Magna Carta, dont on commémorera la mort l’an prochain, 800 ans.

Conor Gearty

Evitez que Sir Robert Worcester vous entende, ou bien vous allez beaucoup l’énerver.

Noam Chomsky

Ce texte avait établi – dans une forme minimale, mais néanmoins avait établi la notion de présomption d’innocence. Dans une forme minimale qui fut étendue au fil des années. Cela a été réduit en miettes. Actuellement, coupable signifie qu’Obama a décidé mardi matin de vous tuer. Voilà la nouvelle définition de coupable. Le mardi matin il y a ces réunions à la Maison-Blanche où ils lisent des extraits de saint Augustin sur les guerres justes et puis ils décident qui nous allons assassiner aujourd’hui. Ils sont reconnus suspects. C’est énorme. Partout dans de grandes parties du monde.

Conor Gearty

Et ce peuvent être des Américains, comme cela a déjà été le cas.

Noam Chomsky

C’est intéressant, il y quelques cas, je crois qu’il y en a quatre, où des citoyens américains ont été tués. Cela a entraîné beaucoup de débats et de discussions, ce qui est curieux. L’hypothèse implicite est que si vous voulez tuer un non-Américain c’est possible – faites ce que vous voulez. Mais tuer des citoyens américains soulève quelques questions constitutionnelles, du coup il y a débat. Mais supposons que par exemple l’Iran ait la capacité d’assassiner des gens aux États-Unis ou en Israël qu’ils considèrent comme des menaces – et qu’ils aient de bonnes raisons de les considérer comme des menaces. De grandes figures et des dirigeants de haut rang des États-Unis et d’Israël qui déclarent régulièrement que toutes les options sont sur la table, ce qui veut dire que si nous voulons effectuer une attaque nucléaire contre eux nous le ferons. John McCain lorsqu’il était candidat, au cours de sa campagne, préconisait : bombardez, tout simplement bombardez, bombardez, n’attendez pas, bombardons-les. Il y a donc des tas de gens qu’ils pourraient considérer comme des menaces. Imaginons qu’ils décident de les assassiner. Est-ce que nous resterions tranquillement assis à dire c’est normal ? Ce ne sont pas des citoyens iraniens, donc pourquoi ne pas les assassiner ? Mais lorsque c’est nous qui agissons ainsi c’est considéré comme légitime.

C’est assez frappant que le gouvernement américain reconnaisse deux choses importantes. L’une est qu’ils ne tuent pas seulement des suspects, ils génèrent des terroristes. Ils savent parfaitement que ces campagnes génèrent des terroristes. Lorsque vous commencez à assassiner des gens dans des sociétés tribales qui ont une culture de défense et de vengeance, ils répondent. Prenez le 11-Septembre. Il s’avère que 11 des 19 pirates de l’air appréhendés venaient d’une tribu au Yémen qui avait été sévèrement réprimée et attaquée, premièrement par le pouvoir central puis par leurs soutiens internationaux. Ils prenaient leur revanche. Il y a un livre très important à ce sujet d’Akbar Ahmed, un anthropologiste pakistanais vivant aux États-Unis. Il est un des meilleurs experts des sociétés tribales. Il appelle cela une guerre contre l’islam tribal et les sociétés tribales en général, qui réagissent.

L’autre point est qu’il s’agit vraiment de terrorisme massif, de terrorisme à grande échelle. Le fait que nous l’acceptions est assez remarquable. Mais l’acceptation est limitée. L’ancien dirigeant de la CIA, Michael Hayden, a souligné récemment qu’il n’y avait pas un seul gouvernement au monde qui accepte la base juridique que Washington donne pour la campagne de drones, avec deux exceptions : Israël et l’Afghanistan. Je suspecte qu’il ait tort pour l’Afghanistan. Voilà le soutien.

Donc vous générez des terroristes, vous tuez qui vous voulez, et il n’y a aucun soutien pour cela. Mais ça continue.

Conor Gearty

Qu’en est-il de l’argument que, ouais, nous allons nous aliéner quelques types, mais nous supprimons les chefs, pour utiliser cette sorte d’image militaire. Et deuxièmement, vous pouvez l’appeler terrorisme, mais c’est notre terrorisme – le fameux « choc des civilisations » qui était protégé par le droit d’auteur dans les groupes de réflexion américains et les livres sur le moindre mal, etc. Nous avons la démocratie, nous avons l’État de droit – nous sommes du bon côté dans tout ça. Vous méprisez absolument ça, mais je me demande s’il n’y a pas au fond une certaine vérité de base dans le fait que ces sociétés sont différentes.

Noam Chomsky

Bien sûr. Nous sommes beaucoup plus violents et agressifs. En fait, quand cela se déroule dans une société plus ou moins démocratique, les citoyens sont beaucoup plus coupables que quand cela se passe dans un État autoritaire. Supposons que l’Iran assassine les gens qui le menacent aux États-Unis, en Israël et probablement en Grande-Bretagne. Des citoyens iraniens ne pourraient pas faire grand-chose. C’est un État dur, autoritaire. Ici, c’est différent. Nous sommes assez libres. Si nous acceptons cela et le tolérons, c’est moralement très condamnable.

Vous pouvez vous rappeler, j’espère que vous l’avez lu, l’introduction d’Orwell à la Ferme des animaux. Comme vous le savez probablement, elle n’a pas été publiée, elle a été trouvée 30 ans plus tard dans ses papiers non publiés. Mais c’est intéressant. Dans cette préface, il s’adresse au peuple anglais : « libérez l’Angleterre ». Vous ne devriez pas vous juger indemnes de cette dénonciation satirique de l’ennemi totalitaire, dit-il, parce qu’en Angleterre des idées impopulaires peuvent être supprimées sans utiliser la force. Un des mécanismes qu’il mentionne est un bon enseignement. Si vous êtes allés aux meilleures écoles – London School of Economics, etc.

Conor Gearty

Merci pour ce rappel. Un rappel assez ambivalent.

Noam Chomsky

– donc vous avez incorporé dans votre compréhension qu’il y a des choses qu’il vaudrait mieux ne pas dire. Je pense qu’on peut ajouter : qu’il ne vaudrait mieux ne pas penser. C’est un élément significatif dans les sociétés libres et cela va de pair avec une sérieuse responsabilité morale, bien plus dans ce cas que pour des gens qui subissent un État autoritaire ou totalitaire. Je pense que c’est quelque chose à quoi nous accordons trop peu d’attention.

Conor Gearty

Est-ce que cela signifie que vous finissez par vous contenter de regarder, comme par exemple, de regarder les Russes envahir la Crimée, ce qui se passe en Syrie, ou en Chine et au Tibet – vous finissez comme simple spectateur, parce que vous avez perdu tout pouvoir d’intervenir, est-ce la position logique à laquelle vous êtes conduit ?

Noam Chomsky

Prenons la Crimée, c’est un exemple intéressant. L’invasion de la Crimée par les Russes est indéniablement un acte criminel. Cela viole la Charte des Nations Unies, cela viole des traités particuliers dans lesquels la Russie a accepté avec d’autres de respecter les frontières de l’Ukraine. Donc c’est un acte criminel. Est-ce le seul acte de ce genre dans le monde ? Par exemple, qu’est-ce qu’on peut lire au sujet d’un cas beaucoup plus sérieux : l’invasion par les États-Unis du sud-est de Cuba il y a 110 ans ? Les États-Unis ont conquis le sud-est de Cuba au fusil – techniquement il y eut un traité mais sous occupation militaire, vous savez ce que cela signifie. Il y eut un traité au sujet de ce que nous appelons Guantanamo, qui comprend le port le plus important de Cuba. Les États-Unis n’ont absolument aucune légitimité dessus. Quoi qu’on pense de la Crimée, il y a une légitimité : un soutien populaire, l’histoire, la transmission de la Crimée à l’Ukraine par Khrouchtchev sans consultation des habitants. Le referendum de 1991 qui fit apparaître à peu près le même résultat que celui qui vient de se tenir. Le caractère de base navale du port de mer essentiel pour les Russes. Il y a des raisons à prendre en compte.

Dans le cas de l’invasion américaine du sud-est de Cuba, il n’y a rien de tel. Depuis l’indépendance de Cuba en 1959, le gouvernement cubain a essayé de repousser cette intrusion. Les États-Unis, naturellement, refusent. La seule justification est que cela handicape sérieusement le développement économique de Cuba. Depuis 50 ans les États-Unis sont engagés dans une véritable guerre contre Cuba. Sous la présidence de Kennedy ce fut une campagne terroriste à grande échelle. Ici on n’en parle pas mais ce fut une très vive campagne terroriste, et qui s’est poursuivie. Un embargo étouffant. L’invasion du sud-est de Cuba freine sévèrement le développement cubain, voilà le point important. C’est bien pire que ce que font les Russes qui, en dépit de leurs actions criminelles, ont un dossier bien plus solide. Que peut-on lire dans la presse là-dessus ? Et ce n’est pas le seul cas.

Conor Gearty

Là-dessus je serais probablement d’accord, mais j’ai rencontré un type – le Chinois qui est l’équivalent de notre chargé de presse, autrefois Alastair Campbell. Ils ont l’habitude de publier ce rapport sur combien l’Amérique est terrible, tous ces gens qui sont morts, tués, les viols, les assassinats raciaux. A chaque fois que l’on soulève la question des droits de l’homme avec eux, ils disent, en ce qui concerne ce que vous venez de dire : l’Amérique, regardez toute cette violence, regardez Rodney King. Peut-on considérer cela toujours comme une réponse adéquate ? Parce qu’il me semble que ce que vous dites est : ce que fait la Russie est moche, ce que fait la Chine est moche, mais bon sang, regardons ce que fait l’Amérique. Ça me paraît un genre de détour pour éviter la critique, n’est-ce pas ?

Noam Chomsky

Je ne vois pas en quoi ce serait un détour. Nous acceptons ce principe en ce qui concerne tous les États ennemis. Ainsi par exemple, si Shirin Ebadi critique l’Iran mais ne critique pas Israël, ou si Ai Weiwei critique la Chine mais ne dénonce pas les États-Unis, ou Sakharov, Havel d’autres – nous les admirons pour cela. C’est cela qu’ils devraient faire. Ils devraient se concentrer sur les crimes de leurs propres pays. Pour nous c’est encore plus significatif comme je l’ai déjà dit. Nous pouvons influencer ces politiques. Ai Weiwei ne peut pas faire grand-chose au sujet des politiques de la Chine. Nous l’admirons parce qu’il les condamne. Personne ne désire qu’il écrive à propos des crimes américains ou britanniques, ce serait une perte de temps. Ce qu’il doit faire c’est exactement ce qu’il fait. Nous nous avons une bien plus grande responsabilité parce que nous sommes responsables de ces politiques d’une autre manière que les dissidents des États autoritaires, et nous pouvons les influencer. C’est assez saisissant que nous reconnaissions ces principes de réflexion vis à vis d’États ennemis et que nous ne puissions pas nous les appliquer à nous-mêmes, là où c’est plus significatif.

Conor Gearty

Si vous prenez, disons, un exemple de critique de l’intérieur, Mearsheimer et Walt ont causé de grands remous avec la parution de leur livre traitant du pouvoir du lobby israélite aux États-Unis. Dans un certain sens c’est comparable à ce que Piketty provoque en ce moment avec son livre sur le capital. Est-ce que ces livres ont une influence sur la société américaine ? Ils sont publiés en Amérique, ils font parler d’eux en Amérique. Ou est-ce qu’ils disparaissent ? Quid de la forte contestation au sein même de la tradition politique américaine ?

Noam Chomsky

Le livre de Piketty a reçu un bon accueil, il a été beaucoup commenté, principalement par les économistes et la presse spécialisée. C’est indubitablement un livre important, il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas.

C’est un peu différent pour Mearsheimer et Walt. Dans un premier temps, leur livre soulève de nombreuses questions – vous êtes familier avec ce dernier, j’en suis sûr. Une première chose étant la qualité de leurs affirmations. Une deuxième concerne la réception de l’ouvrage. Je pense qu’il est bien reçu. Je pense que c’est parce qu’il disculpe le gouvernement des États-Unis. Il affirme : regardez, tout va bien, mais que pouvons-nous faire ? Il y a ce puissant lobby juif qui nous contrôle. Nous serions heureux de nous porter volontaires comme bénévoles et d’aider des gens, ce sont nos instincts naturels, mais nous sommes piégés par ce lobby juif. Je pense que c’est une très bonne explication du bon accueil de ce livre.

Une deuxième question concerne l’hypothèse soulevée. Est-il vraiment raisonnable de penser qu’un modeste lobby ethnique contrôle la politique des États-Unis ? Si quelqu’un souscrit à cette thèse, il y a une suggestion tactique qui s’ensuit immédiatement : mettez votre cravate et votre veston, allez aux bureaux exécutifs de Lockheed Martin, General Electric, Goldman sachs, JPMorgan Chase, et expliquez-leur que vos intérêts sont lésés par un lobby modeste, que de plus vous pourriez renverser en cinq minutes. C’est la suggestion tactique qui s’ensuit. Est-ce que quelqu’un la suit ? Non, car elle est absurde.

Mearsheimer et Waltz sont de très bons académiciens. Ils font partie de l’école réaliste des relations internationales. Si l’on en croit l’école réaliste, l’État poursuit ce qu’on appelle l’intérêt national, principalement la sécurité. Le monde est anarchique et les États essaient de garantir leur propre sécurité et le confort de leur propre population, c’est l’intérêt national. Il y a de nombreuses questions ouvertes ici. Premièrement, quel est cet intérêt national ? Est-ce que l’intérêt national du PDG de General Electric est le même que l’intérêt du concierge qui nettoie ses sols ? Non, leurs intérêts sont bien différents. Donc quel est l’intérêt national ? En pratique, il se trouve qu’il s’agit de l’intérêt du pouvoir de l’État et de la concentration du pouvoir économique. Observez la mise en place d’une politique, c’est ce qu’elle défend.

Est-ce que l’intérêt national, dans ce sens, est mis en danger par l’attitude politique américaine envers Israël ? Difficile d’y croire. Evidemment, les centres du pouvoir américain ne le pensent pas. Prenez Lockheed Martin ou l’industrie militaire en son entier, un puissant lobby. Ils pensent que c’est génial. Lorsque les États-Unis donnent quelques milliards de dollars à Israël afin d’acheter de l’armement sophistiqué, c’est un cadeau offert à Lockheed Martin. En fait, c’est un double cadeau, parce que c’est ce qu’on appelle dans le commerce de détail une aguiche. Cela signifie que juste après l’Arabie saoudite débarque et dit : attendez-voir une minute, nous voulons acheter pour 60 milliards de dollars d’équipement de piètre qualité que nous ne savons pas utiliser. Et l’industrie militaire peut le leur vendre. Donc c’est génial. Qui plus est, Israël teste son équipement de pointe sur des cibles vivantes. Vous apprenez des choses de ce genre de tests.

Il y a des relations très engagées dans l’espionnage, vraiment très engagées. Cela remonte à longtemps. En fait c’est une des révélations intéressantes de Snowden. Israël est le seul pays qui reçoit des données brutes – en opposition à celles appelées compactées. La plupart des données de la NSA sont censées être filtrées, afin de ne pas s’encombrer de ce qui est vraiment illégal ou indécent. Ces données ainsi filtrées sont celles transmises aux prénommés “cinq yeux” (l’Angleterre, l’Australie, les alliés proches). Mais pas Israël. Eux reçoivent les données directement. Les relations dans l’espionnage sont très engagées.

Les relations militaires sont aussi proches. Un des éléments intéressants révélés par Wikileaks était une liste des sites super stratégiques, des sites tellement importants que les États-Unis se devaient de les défendre coûte que coûte. Il n’y en a pas beaucoup. L’un d’eux se situait juste à l’extérieur de Haïfa : les industries militaires Rafael. C’est un des sites super significatifs que les États-Unis doivent défendre. C’est de l’industrie militaire, de l’industrie militaire de pointe. C’est un des endroits où ils ont développé massivement la technologie des drones. Leurs relations avec le Pentagone sont tellement proches qu’ils ont déplacé leur département de gestion à Washington, là où il y a l’argent.

Jetez un coup d’œil aux investisseurs américains comme Warren Buffett, Intel. Ils investissent partout en Israël. Buffett a récemment dépensé environ un milliard de dollars pour acquérir une certaine entreprise israélienne et a proclamé qu’Israël est le meilleur endroit pour des investisseurs américains à l’extérieur des États-Unis. Intel installe sa nouvelle plus grande usine de puces dernière génération en Israël. Ces gens pensent-ils que leurs intérêts sont mis à mal par cette relation ?

Conor Gearty

John Kerry vous donne un coup de fil demain et dit : cette chose à deux États, c’est un échec, Noam. J’en ai par-dessus la tête que vous me disiez quoi faire – je ferai tout ce que vous me dites. Il n’a qu’une minute, les avis fusent de toute part. Et ensuite? Un seul État ?

Noam Chomsky

Je suis désolé d’être en minorité une fois encore, mais je pense que tout ce discours à ce propos est extrêmement trompeur. Le débat habituel, presque universel, de la part des autorités israéliennes, des Palestiniens, des commentateurs internationaux, de presque tout le monde, est qu’il y a deux options : deux États ou, si c’est fini, un État. En fait beaucoup de Palestiniens le soutiennent. Ils disent : bien, nous avons Israël, donnons-leur les clés. Ils reprennent le contrôle du territoire entier, nous dirigerons une lutte pour les droits civils, une sorte de lutte anti-apartheid.

Tout cela est chimérique. Ce ne sont pas les deux options. Il y a deux options : une est le consensus international sur deux États; la deuxième option est qu’Israël continue à faire exactement ce qu’il fait maintenant, avec le soutien américain. Israël ne veut pas prendre le contrôle de la population palestinienne. En fait, ce qu’ils font, sous vos yeux, c’est de mener à bien l’implantation et les programmes de développement qui partagent la Cisjordanie – Gaza est gardée comme une prison – de façon à intégrer à Israël les parties de la Cisjordanie qu’ils veulent : la banlieue agréable de Jérusalem et Tel Aviv ; la vallée du Jourdain, d’où ils excluent les Palestiniens ; les couloirs qui passent à l’est, Ma’ale Adumim au sud, Ariel au nord. Divisez la région en des sortes de cantons. Prenez le contrôle des ressources majeures, y compris l’eau, mais tenez à l’écart la population. L’idée est qu’il y ait très peu de Palestiniens dans les régions intégrées à Israël, et finalement annexées.

Ainsi en fait il n’y aura pas ce qu’on appelle le problème démographique bien connu, trop d’Arabes dans un État juif. Cela n’arrivera pas. Ce qui arrivera est en fait que la proportion des Juifs dans un Israël plus grand grandira avec l’introduction des colons. Tout d’abord, il n’y a pas beaucoup de Palestiniens dans ces zones et ceux qui y sont seront éjectés. C’est la deuxième option. Donc si vous n’avez pas une solution à deux États, c’est ce qui va arriver. Tant que les États-Unis et la Grande-Bretagne donnent leur appui, bien sûr. C’est crucial.

Source : Chatham House, le 19/05/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.