jeudi 18 février 2016

NS N° 4/2016 - Ni violence, ni défaitisme, la Révolution a besoin d'une tête

NS N° 4/2016 - Ni violence, ni défaitisme, la Révolution a besoin d'une tête

C'est fou à quel point un « petit journal » comme Nouvelle Solidarité, sur huit pages, sans publicité et entièrement fabriqué par des militants, peut être intéressant ! Seulement, la défense de notre singularité et la poursuite de notre développement dépendent de votre mobilisation financière à nos côtés.
• ÉDITORIAL de Jacques Cheminade : Chômage III. (p. 1)
• ÉCONOMIE :
CRISE SYSTÉMIQUE : Finance folle, fin de partie. Chute des bourses, effondrement de l'économie réelle, dégradation des conditions de vie (...)

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Les géoglyphes du Moyen Orient seraient préhistoriques

Les géoglyphes du Moyen Orient seraient préhistoriques

Depuis l'article publiée en 2011 (Moyen Orient: comme à Nazca, des centaines de géoglyphes visibles du ciel ), les milliers de structures en pierre représentant des formes géométriques, au Moyen Orient, commencent à être mieux comprises. Des archéologues ont en effet trouvés deux motifs en forme de roue remontant à 8500 ans.


Ces "roues" sont ainsi plus anciennes que les célèbres géoglyphes de Nazca au Pérou.

De plus certaines de ces formes géantes, situées dans l'oasis d'Azraq en Jordanie, semblent avoir une signification astronomique car elles ont été construites dans l'alignement du lever du soleil lors du solstice d'hiver.

Ce ne sont que quelques unes des découvertes d'une nouvelle étude sur ces lignes du Moyen Orient qui avaient été trouvées par des pilotes au cours de la Première Guerre Mondiale
Le lieutenant Percy Maitland de la RAF avait publié un rapport à ce sujet en 1927 dans la revue Antiquity, précisant que les bédouins appelaient ces structures "ouvrages des vieux hommes", un nom encore utilisé par certains chercheurs modernes.

Ces ouvrages comprennent des roues, qui ont souvent des rayons partant du centre, des kites (structures en pierre qui étaient utilisées pour canaliser et tuer les animaux), des lustres (lignes ou cairns en pierre) et des murs sinueux..

Ce sont des "formes géométriques spécifiques qui font de quelques dizaines de mètres jusqu'à plusieurs kilomètres, évoquant les formes géométriques bien connues des lignes de Nazca au Pérou" écrit l'un des archéologues de l'équipe.

On les retrouve dans toute la région d'Arabie, depuis la Syrie, en Jordanie et Arabie Saoudite jusqu'au Yémen. "Le plus surprenant à propos de ces 'ouvrages' est qu'ils sont difficiles à identifier au niveau du sol. Cela contraste avec leur apparente visibilité depuis les airs" écrivent les chercheurs.


Une datation préhistorique

Les tests ont indiqué que certaines des roues ont aux alentours de 8500 ans, une période préhistorique où le climat était plus humide dans certaines parties du Moyen Orient.
A l'aide d'une technique appelée datation par luminescence (optically stimulated luminescence (OSL)), les archéologues ont pu dater deux roues à Wadi Wisad dans le Désert Noir de Jordanie. L'une des roues  remonte à 8500 ans, alors que l'autre est un mélange de dates suggérant sa construction il y a environ 8500 ans et un remodelage ou réparation il y a environ 5500 ans.

A l'époque où ces roues ont été construites, le climat dans le Désert Noir était plus hospitalier, et Wadi Wisad était habité. " Des charbons de bois de chêne à feuilles caduques et de tamarinier (un arbuste) ont été trouvés dans deux foyers dans une construction remontant à environ 6500 avant JC" écrivent les chercheurs.


Des alignements solaires ?

L'analyse spatial des roues a révélé qu'un ensemble de roues, situées dans l'Oasis d'Azraq, ont des rayons orientés sud-est/nord-ouest ce qui pourrait être un alignement avec le lever du soleil lors du solstice d'hiver. "La majorité des rayons des roues dans cet ensemble sont orientés pour une raison quelconque sur l'alignement sud-est/nord-ouest". On ne sait pas si cet alignement était intentionnel. "Quant aux autres roues, elles ne semblent pas contenir d'informations archéoastronomiques".


Quelle était leur utilité ?

Les deux roues datées "sont simples dans leur forme et plutôt grossières d'après les standards géométriques" rapporte Gary Rollefson, professeur au Whitman College à Walla Walla, Washington, "elles contrastent fortement avec d'autres roues qui semblent avoir été conçues avec une plus grande attention aux détails comme on le retrouve dans les lignes de Nazca. Il est possible que des roues différentes aient eu une utilisation différente."

Dans le cas des deux roues datées, "la présence de cairns suggère un lien avec des inhumations, étant donné que c'était souvent la façon de faire lorsque quelqu'un décédait" ajoute Rollefson qui souligne "qu'il y a d'autres roues où les cairns sont totalement absents, ce qui suggère une utilisation différente".

Rollefson est co-directeur de l'Eastern Badia Archaeological Project. Son équipe espère fouiller quelques uns des cairns, qui sont situés à l'intérieur des roues, dans les prochaines années.


Visibles depuis le ciel.

La raison pour laquelle les hommes de la préhistoire ont construit ces structures en forme de roue que l'on ne peut voir du sol reste un mystère. Il n'y avait ni ballon, ni planeur à cette époque. De plus, les chercheurs ajoutent que le fait de grimper sur une hauteur pour les voir n'était pas possible, du moins dans la majorité des cas.

Bien que les roues sont souvent difficiles à faire ressortir sur le terrain, elles ne sont pas non plus invisibles. "Certes, on ne peut pas voir le produit fini debout au niveau du sol, mais on peut encore percevoir une configuration géométrique générale" précise Rollefson. Pour créer la forme d'une roue avec le plus de précision, les constructeurs avaient dû utiliser un pieu et une longue corde.


 Les roues d'Arabie Saoudite

Les roues situées en Arabie Saoudite et au Yémen sont différentes de celles trouvées plus au nord. Elles ont été découvertes par une équipe avec l'Aerial Photographic Archive for Archaeology in the Middle East (APAAME). Ils ont étudié les roues et autres "ouvrages des vieux hommes" en utilisant l'imagerie satellite fournie par Google Earth et Bing. Ils ont aussi utilisé des photographies aériennes d'archive prises en Arabie Saoudite et au Yémen au cours du 20ème siècle.

Les cercles tendent à être plus petits et ont seulement une ou deux barres au lieu des rayons, dit David Kennedy, de la University of Western Australia, qui co-dirige le projet. Certaines des "roues" ont en fait la forme de carrés, rectangles ou triangles.... Un type de structure ressemble même à un œil de bœuf...

Trois triangles pointent vers la roue œil de bœuf, et il y a de petites piles de pierres qui mènent des trois triangles vers la roue. Kennedy l'a appelé "une tombe à œil de bœuf avec, dans ce cas, trois triangles avec une partie de ligne les reliant au cercle". Pour le moment, les archéologues ne peuvent pas mener des fouilles ou faire de l'imagerie aérienne (avec planeur ou hélicoptère) en Arabie Saoudite ou au Yémen.



Les portails du désert

Une autre forme d' "ouvrage des vieux hommes" que Kennedy et son équipe ont trouvé en Arabie Saoudite est composée de structures qu'il appelle "portails". Jusqu'ici, 332 portes ont été trouvées en Arabie Saoudite (aucune n'est connue plus au nord). Les portails "consistent en deux cours murs épais ou  tas de pierre, entre lesquels s'étirent un ou plusieurs murs de liaison" écrivent les chercheurs

Ils ont noté que "d'en haut, ces structures ressemblent à un ancien portail barré posé à plat." La plus longue porte fait plus de 500m, mais la plupart sont bien plus petites. Les scientifiques ne savent pas à quand remontent ces portails, ni quel était leur but. "J'ai inventé le terme de 'portails' pour la simple raison que j'avais besoin d'une étiquette pratique pour les décrire et je me suis souvenu de sortes de portes de champs que je voyais partout autour de moi au cours de mon enfance à la campagne en Ecosse" explique Kennedy.

Les chercheurs ont remarqué que ces portes ne se situent pas en général près des kites (utilisés pour la chasse). En effet, certains des portails ont été construits dans des endroits, comme des pentes volcaniques arides, où il ne pouvaient y avoir de grands troupeaux d'animaux. Les archéologues ont trouvé cinq portails sur les pentes extérieures de la cuvette du volcan Jabal al-Abyad en Arabie Saoudite

Kennedy précise que son équipe est entrain de terminer ses recherches sur ces portails et qu'ils vont publier un nouvel article décrivant leurs découvertes en détail.

Source:

Derniers articles sur la Jordanie:

[Droit du travail] Les ultra-libéraux en ont rêvé, la droite socialiste le fait…

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Vivement le retour de la droite non socialiste… (?)

Je rappelle que la France est un des pays où la productivité horaire est la plus élevée au monde, il est donc normal que l’heure soit plus chère, et surtout le temps de travail plus bas, sinon, bonjour l’explosion du chômage…

Productivité en Europe selon Eurostat, en euros par heure travaillée :

Mais bon, pourquoi faire appel à l’intelligence des gens pour qu’ils débattent, quand on peut les manipuler… ?

Projet de loi El Khomri : le temps de travail passé à la moulinette

EXCLUSIF. Durée maximale de travail, forfaits jour, accords compétitivité-emploi : le projet de loi El Khomri sur la négociation collective, le travail et l’emploi donne la main aux entreprises.

Le projet de loi El Khomri va permettre demain aux entreprises de négocier à la carte le temps de travail. Car, s’il ne touche pas à la durée légale, il donnera la main aux employeurs qui pourront avoir recours facilement aux multiples exceptions qui entourent la règle des 35 heures en établissant des accords.

Durée maximale de travail : jusqu’à 60 heures par semaine en cas d’accord

Le projet de loi stipule que la durée quotidienne de travail pourra être portée à 12 heures par accord d’entreprise. Cette possibilité existe déjà dans le Code du travail. Mais, pour la mettre en place, il faut aujourd’hui des « dérogations accordées dans des conditions fixées par décret », autrement dit dans des cas très rares.

Autre changement, la durée moyenne de 44 heures maximum de travail par semaine peut être portée à 46 heures désormais par accord d’entreprise. Avant il fallait un accord de branche, mais aussi un décret, ce qui là encore était très rare. Nouvelle subtilité : cette durée de 44 heures maximum ne court plus sur une période de douze semaines consécutives, mais seize semaines.

Enfin, la durée hebdomadaire peut être portée, en cas de circonstances exceptionnelles, à 60 heures, toujours par accord. Là encore, cette durée est déjà prévue. Mais aujourd’hui, il faut une autorisation de la Direction du travail, ce qui n’arrive quasiment jamais. D’autre part, le texte actuel stipule que les 60 heures concernent « certaines entreprises ». Une notion qui disparaît.

Apprentis : l’inspection du travail hors jeu

Selon le projet de loi, les apprentis de moins de 18 ans pourront travailler jusqu’à 10 heures par jour (au lieu de 8 heures) et 40 heures (contre 35) par semaine, si des « raisons objectives le justifient ». Aujourd’hui, c’est déjà possible, mais l’entreprise doit demander l’autorisation à l’inspection du travail « après avis conforme du médecin du travail ». Alors qu’avec ce texte l’employeur devra simplement en informer les deux.

Les astreintes  sur les temps de repos

Le projet de loi prévoit que les temps d’astreinte s’imputent sur les temps de repos lorsqu’ils ne sont pas travaillés effectivement. Le Comité européen des droits sociaux (qui s’appuie sur la Charte sociale européenne) a pourtant condamné le fait qu’ils s’imputent sur le temps de repos. Selon cette charte, toutes les heures de présence (travail ou « inactivité ») sont du travail effectif à prendre en compte pour les durées maximales et les repos, seule une différence de rémunération étant admise.

Coup de canif sur le forfait jour

A l’heure actuelle, un cadre sur deux travaille sans compter ses heures, malgré les 35 heures, mais dans la limite de 235 jours par an. C’est le système du forfait jour appliqué, aux salariés autonomes. Il prévoit 11 heures de repos consécutives. C’est fini. Ces 11 heures de repos pourront être fractionnées. Autre brèche ouverte : dans les entreprises de moins de 50 salariés, plus besoin d’accord collectif. Il suffira que l’employeur se mette d’accord avec son salarié pour le passer au forfait jour.

Source : Le Parisien, 17/02/2016

Salaire “modulable”, astreintes non payées: les idées chocs d’El Khomri

Déjà, imaginer que cette pauvre fille (ou ce pauvre gars, rien de sexiste) a des idées, et que ce sont les siennes (je rappelle qu’elle était Secrétaire nationale du Parti socialiste chargée des questions de sécurité), c'est déjà faire preuve d’une naïveté proverbiale sur notre système politique.

Les 35 heures restent – sur le papier – mais la ministre du Travail fait des propositions que n’auraient pas reniées les politiques les plus libéraux. Revue de détail.

Selon Le Parisien, La future loi Travail de Myriam El Khomri empile les propositions chocs. L’avant-projet de loi livre les principaux points d’un texte explosif sur le plan du droit social. Reste qu’il est encore loin d’être voté: la loi doit encore passer en comité interministériel, avant d’être présentée en Conseil des ministres le 9 mars et devant le Conseil d’État.

Revue de détail d’un texte qui n’a pas fini de faire parler de lui.

Vers la semaine de 60 heures?

La durée légale du travail resterait à 35 heures (autrement dit, les heures supplémentaires débuteraient toujours à la 36e heure), mais la durée maximale d’une semaine de travail serait portée à… 60 heures! Un cas possible aujourd’hui “pour des circonstances exceptionnelles, sous réserve d’accord de l’inspection du travail”. Sauf qu’El Khomri veut faire sauter cette demande d’autorisation – quasiment jamais accordée.

Un salaire… “modulable”

Lors d’un passage à vide économique, ou dans le cas de la conquête de nouveaux marchés, l’entreprise pourrait moduler (à la baisse) librement le temps de travail et le salaire des employés pour cinq ans maximum. Si l’accord préalable des salariés est prévu, ceux qui refuseront pourront être licenciés pour “cause réelle et sérieuse”. Jusqu’ici, en cas de modification unilatérale du contrat, le salarié qui refusait la nouvelle version pouvait être licencié économique, ce qui lui était plus favorable.

Des astreintes non travaillées… et non payées

Aujourd’hui, un salarié en astreinte est considéré comme à disposition de l’entreprise, ne serait-ce que parce qu’il ne peut s’éloigner ou s’absenter. Il doit donc à ce titre être indemnisé. Le texte d’El Khomri prévoit tout simplement qu’il soit considéré comme… “en repos”, à partir du moment où l’entreprise n’aurait pas fait appel à lui. Pourtant, selon la Charte sociale européenne, une astreinte peut être moins payée – ce n’est pas un travail effectif – mais elle doit tout de même être indemnisée.

Prud’hommes: les indemnités plafonnées

Au-delà des indemnités légales de base, les prud’hommes peuvent librement fixer le montant des indemnités allouées à un salarié licencié abusivement. Mais El Khomri prévoit un plafonnement, réclamé et attendu par les patrons. Le juge doit s’en tenir à un barème, qui tient uniquement compte de l’ancienneté du salarié. Avec une limitation à 15 mois de salaire pour les employés qui ont plus de 20 ans d’ancienneté.

Des référendums plutôt que des syndicats

Le principe d’un accord d’entreprise voté par les syndicats demeure, mais ceux-ci devront représenter au moins 50% des suffrages lors des élections professionnelles (contre 30%) pour être jugés représentatifs. Si les syndicats majoritaires ne valident pas l’accord, des syndicats pourront demander la tenue d’un référendum, sans pouvoir s’opposer à sa validation si les voix sont majoritaires.

Coup de canif dans le forfait jour

En France, 50% des cadres sont au “forfait jour”: ils peuvent donc déroger aux 35 heures hebdomadaires, mais doivent s’en tenir à d’autres contraintes: 235 jours de travail par an au maximum, et 11 heures de repos consécutives obligatoires par 24 heures. La mise en place du forfait jour passait par la signature d’un accord collectif dans les PME de moins de 50 salariés. Selon le texte de la ministre, un accord individuel de chaque salarié suffira désormais. Et ce n’est pas tout: les 11 heures de repos pourront être fractionnées, plutôt que consécutives.

Les apprentis travailleront plus

La durée légale de travail d’un apprenti serait portée à 40 heures hebdomadaire (contre 35), avec 10 heures par jour au maximum (contre 8), ce qui était déjà possible, mais uniquement avec l’accord de l’inspection du travail et d’un médecin du travail. Désormais, le patron devra seulement “informer” l’inspection et le médecin du travail.

Source : Le Dauphiné, 17/02/2016

 

L’intégralité du projet de loi El Khomri

Bon, ben désolé, mais là, c’est la minute nécessaire de Monsieur Filoche (à prendre aussi avec un peu de recul) :

Gérard Filoche : « La plus importante contre-révolution depuis un siècle »

Entretien. Pour l'ex-inspecteur du travail et membre de la direction du PS, Gérard Filoche, l'avant-projet de loi El Khomri est une « attaque thermonucléaire » contre toutes les protections des salariés.

À la lecture de l'avant-projet de loi El Khomri, reste-t-on selon vous dans le champ d'une simple « simplification » dont parlait la mission Badinter ?

Gérard Filoche Non, c'est un véritable bouleversement. Valls avait annoncé qu'il ne voulait pas d'une réformette mais d'une révolution. Nous sommes face à la plus importante contre-révolution depuis un siècle. C'est une attaque à la bombe thermonucléaire contre l'ancien Code du travail. Depuis un siècle, le droit du travail s'est construit pour permettre de protéger les salariés contre les exigences des entreprises et de l'économie. Et voilà qu'ils font l'inverse, ils nous ramènent au statut de loueurs de bras, de tâcherons, de soumis sans droit. C'est la casse de la grande tradition de reconnaissance du salariat comme moteur de la production des richesses.

Le gouvernement avait promis de ne pas s'attaquer aux 35 heures, quelle est votre appréciation ?

Gérard Filoche Il a menti, noir sur blanc. Les 35 heures ne sont plus, dans ce projet, qu'une éphémère plaisanterie. En une dizaine de chapitres, tous les contrôles sur la durée du travail sautent. Les gens vont avoir du mal à le croire, mais il est bien écrit que la durée maximale du travail pourra, par forfait ou négociation, excéder les 12 heures par jour, tout comme elle pourra dépasser les 48 heures par semaine, pour atteindre les 60 heures.

C'est au nom de l'inversion de la courbe du chômage que le gouvernement justifie ses réformes ; quels dangers pour l'emploi recouvre cet avant-projet ?

Gérard Filoche De telles transformations augmenteraient massivement le chômage. Il s'agit de faire travailler plus ceux qui ont un travail au détriment de ceux qui n'en ont pas. L'ampleur du mensonge est fracassante. On atteint des sommets de propagande et de contresens. Comment peut-on prendre des millions de salariés pour des gogos, prétendre qu'il s'agit de leur permettre d'avoir un travail alors que, pour beaucoup, cela le leur enlèvera, et que, pour les autres, cela les exploitera, brisera leur santé ? D'où tout cela vient-il ? Personne ne le demande, à part Pierre Gattaz, et même lui doit sûrement en ce moment s'étonner de la hardiesse ultralibérale de ce projet.

Le gouvernement prétend promouvoir le « dialogue social » via le référendum et les accords d'entreprise. Quels sont les risques ?

Gérard Filoche Il enterre au contraire le dialogue social. Il ne peut y avoir de référendum dans une entreprise puisque les parties ne sont pas à égalité. Le salarié est subordonné, avec un canon sur la tempe quand il doit se prononcer comme chez Smart. En outre, les dispositions prévues rendent possibles tellement de dérogations à la loi que pratiquement plus rien de l'ordre public social ne restera en place. Il y aura 10 000 Codes du travail dans 10 000 entreprises.

Les syndicats et une majorité de gauche peuvent-ils entériner ces mesures ?

Gérard Filoche Tout syndicat devrait immédiatement appeler à descendre dans la rue. On est à l'os, il est vital de se défendre. Quant à la majorité, celle que je connais a appelé à reconstruire et à renforcer le Code du travail. C'est un reniement en profondeur du gouvernement, une attaque contre l'histoire même du PS. Les députés qui ont par le passé voté tout le contraire de ce texte seront soumis à leur propre conscience. Même la droite sarkozyste n'envisageait pas d'aller si loin.

Source : l’Humanité, 18/02/2016

Empêcher une agression russe ! Les Etats-Unis et l’OTAN en mode «Guerre froide», par Neil Clark

Empêcher une agression russe ! Les Etats-Unis et l'OTAN en mode «Guerre froide», par Neil Clark

Source : Russia Today France, Neil Clark, 02-02-2016

Des unités militaires de pays membres de l’OTAN participent à l'exercice Jump Noble à Swietoszow, Pologne, le 18 juin à 2015

Le Commandement américain en Europe a publié une mise à jour de sa stratégie militaire, évoquant une «menace russe». Le journaliste Neil Clark se demande si les doubles standards qui prévalaient durant la Guerre froide sont de retour.

Le Commandement américain en Europe (USEUCOM) a publié une mise à jour de sa stratégie militaire. Et devinez ce qui a été répertorié comme la première des six principales «priorités» : «Empêcher une agression russe !»

On nous dit qu'une «agression russe menace les alliés et les partenaires de l'OTAN en Europe».

La Russie est accusée d'afficher un «mépris concernant la souveraineté de ses voisins en Europe» et de violer «de nombreux accords qui exigent que la Russie agisse dans le cadre du droit international».

«Les zones à l'est et au nord, la Russie provoque l'inquiétude la plus grande en raison de son comportement de plus en plus agressif… Comme cela a été démontré en Crimée et à l'Est de l'Ukraine, la Russie emploie une forme de guerre qui comprend des moyens conventionnels, irréguliers et asymétriques – dont la manipulation permanente des conflits politiques et idéologiques – afin de promouvoir l'instabilité et elle rejette une approche collaborative en matière de sécurité vis-à-vis de la communauté internationale».

Et il n'y a pas qu'en Europe que la Russie représente une menace. «L'ours» est à la chasse partout dans le monde ! «La Russie est à l'origine de défis constants pour nos alliés dans de nombreuses régions ; par conséquent, c'est un défi à l'échelle mondiale qui nécessite une réponse globale».

Le document rédigé sur 12 pages par le général Philippe M. Breedlove, le commandant de l'USAF, rappelle l'esprit des années 1950. Ce n'est pas étonnant, car la guerre de propagande menée en ce moment contre la Russie est aussi forte – et acharnée – qu'à l'époque du sénateur McCarthy. Une «Russie revancharde» est maintenant considérée comme le facteur le plus important «des changement négatifs les plus profonds concernant la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide».

En tant qu'œuvre de fiction, cette mise à jour de la stratégie militaire devrait candidate à tous les plus grands prix littéraires de 2016. Car en réalité, le «changement négatif le plus profond dans le domaine de la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide» a été la Marche vers l'Est, inspirée par les néo-conservateurs. C'est Washington et sa politique agressive – et non pas Moscou – qui a fait de l'Europe, et du monde en général, un lieu moins sûr.

En fait, remplacer le mot «Russie» par le mot «Etats-Unis» dans ce document aurait plus de sens.

Ce qui s'est passé dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée après le changement de régime à Kiev n'était pas une «agression» russe, mais une réponse à l’agression des Etats-Unis et de l'UE contre la Russie

Revenons en 1990. A cette époque, comme la Guerre froide était terminée, les progressistes étaient, à juste titre, enthousiastes au sujet des dénommés «dividendes de la paix». L'argent investi dans les armes pourrait allait à des projets bien plus valorisant, comme les hôpitaux, les écoles et les bibliothèques publiques. Mais l'OTAN – à la différence du Pacte de Varsovie – n'a procédé à aucun désarmement ; au contraire, elle s'est étendue jusqu'aux frontière de la Russie.

Les pays qui n'ont pas souhaité rejoindre le club de l'OTAN ont été frappés par des sanctions (Biélorussie), ou par des sanctions et des bombardements (Yougoslavie). En 1999, l'OTAN, qui a été fondée comme une alliance militaire défensive en 1949, n'a pas seulement violé le droit international en s'attaquant à la République Fédérale de Yougoslavie, mais a également contrevenu à l'Article 1 de sa propre charte qui indique : «Les parties s’engagent, comme il est écrit dans la Charte des Nations unies, à régler par des moyens pacifiques tout différend international dans lequel elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, de même qu'à s’abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations unies».

Qu'est-ce que c'était que cette ligne dans le rapport de l’USEUCOM sur une violation de nombreux accords et du droit international ?

Tout allait bien avec la Russie quand elle était d'accord avec tout cela, mais dès qu'elle s'est mise à défendre son point de vue et ses propres intérêts légitimes, la Guerre froide a recommencé. Comme l'a écrit mon collègue, l'auteur John Wight dans son article récent sur la diabolisation de Vladimir Poutine, «Toutes ces balivernes à propos de Poutine qui aurait des objectifs expansionnistes est une tentative de mettre un écran de fumée sur le programme expansionniste de l'Occident en Europe de l'Est qui a pour but d'instituer un cordon sanitaire autour de la Russie dans le prolongement de la stratégie de la Guerre froide».

Lorsque le gouvernement résolument pro-américain de Géorgie a attaqué l’Ossétie du Sud en août 2008 et que la Russie a répondu afin de protéger les citoyens russes ethniques, c'est la Russie qui a été présentée comme l’agresseur dans les médias néo-conservateurs.

De la même façon, en Ukraine en 2014/15 lorsqu’une opération de «changement de régime» orchestrée par le département d’Etat américain et l'UE visant à renverser un gouvernement neutre et à le remplacer par un gouvernement résolument pro-américain, pro-européen et anti-russe.

Ce qui s'est passé dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée après le changement de régime à Kiev n'était pas une «agression» russe, mais une réponse à l’agression des Etats-Unis et de l'UE contre la Russie.

Les doubles standards concernant les «intérêts nationaux» que fait ressortir mise à jour stratégique sont assez remarquables

Comme je l’ai noté ici –imaginez simplement la réaction des Etats-Unis, si la Russie avait financé et organisé un «changement de régime» contre un gouvernement démocratiquement élu au Canada – et si un ministre russe des Affaires étrangères et l’ambassadeur de Russie au Canada avaient été enregistrés en train de discuter des personnes qui devraient composer le nouveau gouvernement canadien pro-russe, comme l'ont fait Victoria Nuland et Geoffrey Pyatt dans le cas de l'Ukraine.

Les doubles standards concernant les «intérêts nationaux» que fait ressortir mise à jour stratégique sont assez remarquables.

«Historiquement, l'Europe est un territoire clef pour l'armée américaine et elle le restera», écrit le général Breedlove.

On nous dit que «les bases, l'accès et la liberté de circulation que les alliés et les partenaires européens fournissent aux Etats-Unis sont essentiels pour la mission du département de la Défense américain, qui consiste à utiliser des forces à l'échelle mondiale afin de répondre aux éventuels besoins, de mener des opérations et de défendre les intérêts nationaux vitaux des Etats-Unis».

Cependant, alors que les Etats-Unis peuvent prétendre qu'un continent qui est à des milliers de kilomètres de leurs frontières est un «territoire clef» et essentiel pour la défense de leurs intérêts nationaux», la Russie n'a aucun droit de répondre à un changement de régime organisé par les Américains tout près de chez elle. Une fois de plus, imaginez la fureur provoquée par la révélation d'un document militaire russe qualifiant l'Amérique centrale de «territoire clef pour l'armée russe…».

Comme le montre le document de Breedlove, les ambitions de USEUCOM vont au-delà des frontières de l'Europe.

«Le Levant et la Méditerranée sont aussi des régions dans lesquelles USEUCOM sera pleinement engagée. L’une des missions essentielles de USEUCOM, c'est d’aider Israël à jouir de son droit intrinsèque à la légitime défense».

En évoquant la «menace que représente l'Iran et le Hezbollah», on nous dit que USEUCOM va poursuivre son étroite collaboration avec Tsahal afin de lui garantir «l'engagement américain à contribuer à sa défense et à préserver son avantage militaire qualitatif sur ses adversaires au milieu d’une transformation régionale rapide et incertaine».

Mais bien évidemment, cette «défense» va nécessiter beaucoup de personnel – et d'investissements. Breedlove s'inquiète que moins de 65 000 militaires «restent stationnés en permanence en Europe pour sécuriser et faire avancer les intérêts nationaux américains, du Groenland à la mer Caspienne et de l’océan Arctique au Levant».

Il prévient encore que «la présence réduite à l'avenir et la dégradation de l'état de préparation au sein des services réduisent la capacité des Etats-Unis de modeler l'environnement de façon positive».

Alors, allez-y, monsieur Obama, sortez le chéquier de la nation et payez pour les dépenses militaires afin de contrer la «menace» russe et d'aider les Etats-Unis à promouvoir ses intérêts nationaux «du Groenland à la mer Caspienne et de l’océan Arctique au Levant» !

C'est seulement avec des troupes supplémentaires que les Etats-Unis et ses alliés espèrent contrer la «menace russe».

 Il n’y a aucun doute que la «menace soviétique» en Europe occidentale a été médiatisée pour justifier une présence militaire continue sur le continent

Reuters a révélé que l’OTAN cherchait également à lutter contre ce qu’on appelle «la militarisation de l’information» par le Kremlin.

«L’OTAN et l’Union européenne sont tous les deux inquiets de la capacité de la Russie à utiliser la télévision et Internet pour faire passer ce qu’elles disent pour de la désinformation délibérée», rapporte Reuters.

Apparemment, ce document de 23 pages a été produit par le comité militaire de l’OTAN pour faire face à ce problème. On cite un diplomate occidental qui aurait dit à propos des Russes : «Ils peuvent créer une réalité virtuelle qui est destinée à embrouiller et à atteindre certains objectifs». Je n'ai pas encore vu de meilleure description des néoconservateurs occidentaux.

Il n'est pas difficile de comprendre de quoi sont capables l'OTAN et l'USEUCOM.

Il fut un temps où l’engagement militaire américain en Europe était très bien accueilli – lorsque les États-Unis ont aidé à libérer le continent de l’occupation nazie en 1944/45. Contrairement à ce qui s'est passé après la Première Guerre mondiale, les Etats-Unis sont restés en Europe – ce qui était peut-être compréhensible à la lumière de ce qui s'était passé sur le continent au cours des années 1930. Dans le même temps, il n’y a aucun doute que la «menace soviétique» en Europe occidentale a été médiatisée pour justifier une présence militaire continue sur le continent.

Aujourd’hui, quelque chose de très similaire est en train de se produire, à cette distinction près que «menace soviétique» d'alors a été remplacée par une «menace russe». Mais il y a un problème : les gens ont besoin d’être persuadés qu’il y a effectivement une menace, surtout à une époque d’austérité, quand des réductions budgétaires sont effectuées dans des domaines importants. L’époque d’Internet, qui a donné aux gens l’accès à plus de sources d’information et la popularité croissante de chaînes telles que RT – qui poussent les gens à «oser questionner» – ont rendu plus délicate la question de duper le public et celle de promouvoir des discours frauduleux.

Et puis, il y a l'héritage de l'Irak. Les mensonges flagrants racontés à propos de l’Irak et de ses soi-disant armes de destruction massive avant l’invasion illégale de 2003 n'ont pas été et ne seront pas oubliés.

L’OTAN et le haut commandement militaire américain ne devraient pas accuser ce qu’ils appellent «la militarisation de l'information par le Kremlin» du fait que les gens en Europe n'avalent pas la dernière vague de propagande anti-russe. C'est George W. Bush et Tony Blair qu'ils devraient en rendre responsables.

 Source : Russia Today France, Neil Clark, 02-02-2016

Il faut faire tomber Alep, par Valérie Toranian

Il faut faire tomber Alep, par Valérie Toranian

Analyse intéressante, venant d’une revue telle que la Revue des deux mondes…

Source : Revue des deux mondes, Valérie Toranian, 08-02-2016

« Alep 'risque' de tomber aux mains du régime syrien ». C'est un tweet de Libération qui a donné le ton la semaine dernière quand l'offensive des forces de l'armée régulière de Bachar al-Assad annonçait une reprise probable de la ville par les loyalistes. Appuyée par d'intenses bombardements de l'armée russe, soutenue par des troupes de choc du Hezbollah libanais (chiite) et des pasdarans iraniens, l'offensive se traduit aujourd'hui par un quasi encerclement de la ville. Les rebelles, parmi lesquels on compte l'Armée syrienne de libération et des groupes islamiques, notamment Al Nosra filiale locale d'Al Qaeda, sont en mauvaise posture.

Pour de nombreux commentateurs, c'est une triste nouvelle. Comme si les gentils rebelles syriens épris de démocratie se battaient contre les forces barbares d'un état autoritaire et sanglant, celui de Bachar al-Assad, épaulé par l'ignoble Poutine et qu'hélas ces deux larrons étaient en train de gagner. Qu'on ne se méprenne pas. Bachar al-Assad fait partie des salauds infréquentables de la planète. Les forces répressives de son régime ont un macabre bilan humain à leur actif. Poutine n'est pas non plus le juste pourfendeur du terrorisme qu'il prétend être, sans arrière pensée politique dans la région. Mais dans le chaos compliqué du Moyen-Orient, entre un régime syrien haïssable et un État islamique qui vient de se constituer en Califat, se livre à des actes barbares sur les populations non sunnites, continue de génocider les yézidis et, enfin, entraine des combattants pour qu'ils assassinent de jeunes Français en plein Paris, de quel côté est notre vrai risque ?

« Dans Alep, une large partie de la population reste fidèle au régime : les chrétiens, les alaouites mais aussi des sunnites. »

Et même, disons-le, quel est le vrai risque pour la majorité du peuple syrien dont on sait qu'elle voterait pour Assad si des élections avaient lieu demain, ce qui chagrine nombre de diplomaties occidentales qui ont fait du départ du dictateur syrien un point de fixation. Dans Alep, une large partie de la population reste fidèle au régime : les chrétiens, les alaouites mais aussi des sunnites qui ne sont pas favorables aux mouvements islamistes inféodés à des puissances étrangères.

Quant à la Turquie que certains s'émeuvent de voir exclue du terrain régional par les Russes, n'a-t-elle pas contribué au drame humain d'Alep et n'a-t-elle pas joué un rôle actif dans l'installation durable du conflit en Syrie ? En favorisant depuis le début le passage des islamistes de Daech depuis sa frontière. En interdisant aux Kurdes de venir rejoindre leurs compatriotes du PYG, seules forces sur le terrain capables de représenter une ligne de défense face aux islamistes. En s'acharnant au contraire sur les Kurdes qu'elle bombarde et souhaite éliminer tant la menace d'une zone kurde autonome à ses frontières la terrorise. En achetant son pétrole à l'État islamique et en emprisonnant les journalistes qui apportent les preuves de ce trafic, tel Can Dundar, le rédacteur en chef de Cumhuriyet actuellement incarcéré. En faisant de la question des réfugiés, qui sont très nombreux en Turquie et ne cessent d'affluer, un véritable outil de chantage en direction des Occidentaux et de l'Europe particulièrement. Le deal de Erdogan est clair : j'accepte de gérer la question des réfugiés en échange des millions de l'Europe et de la garantie que les Kurdes ne seront pas représentés aux pourparlers de paix qui se sont ouverts à Genève.

Et nous avons dit oui.

« Les guerres se gagnent avec des alliés qu'on choisit non pas pour leur pedigree mais pour leur efficacité. »

On s'indigne à juste titre de la violence des bombardements qui poussent encore plus de réfugiés à prendre la route de l'Europe. Mais aujourd'hui, seul un retour au calme avec des cessez-le-feu négociés dans toutes les zones de conflits permettra d'endiguer leur fuite. Et ce retour au calme passera, même provisoirement, par un retour au pouvoir du régime de Damas.

Accuser les bombardements russes, c'est, toute proportion gardée, comme accuser les bombardements des alliés qui ont dévasté les villes allemandes mais aussi Avranches, Caen, Saint-Malo et tant d'autres en 1944 et 1945. Les Français en ont souffert. Beaucoup sont morts durant ces épreuves. Mais le plus important était de vaincre d'abord les nazis. Quitte à s'allier avec le représentant du diable qu'était Staline pour les Alliés. Au risque de détruire des villes entières et de faire des victimes dans la population civile déjà martyrisée. Dommage que nos commentateurs, si prompts à se référer aux heures sombres du régime de Vichy afin de créer des parallèles avec l'état d'urgence et la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux, ne fassent pas meilleur usage de leur mémoire ; ils pourraient se souvenir que de tous temps les guerres se gagnent avec des alliés qu'on choisit non pas pour leur pedigree mais pour leur efficacité. Même s'il ne faut jamais oublier leur pedigree.

Source : Revue des deux mondes, Valérie Toranian, 08-02-2016

Pourquoi Alep est un enjeu fondamental pour Assad

Pourquoi Alep est un enjeu fondamental pour Assad

Source : Le Vif, François Janne d’Othée, 14-02-2016

 Cinq ans après le début de la guerre en Syrie, le régime est sur le point de reprendre la deuxième ville du pays. Un tournant majeur dans ce conflit au lourd bilan et qui a déplacé des millions d’habitants ? Le point avec Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie au Washington Institute.

L’offensive de l’armée syrienne et de l’aviation russe sur Alep a provoqué un nouvel exode de population vers la Turquie. © BEHA EL-HALEBI/ANADOLU AGENCY/REPORTERS

Le Vif/L’Express : La bataille d’Alep sera-t-elle décisive pour la suite de la guerre en Syrie ? 

Fabrice Balanche : Absolument, c’est un enjeu fondamental pour Bachar al-Assad. La progression militaire du régime va lui permettre de reprendre la ville, hors la partie orientale qui va rester encore aux mains des rebelles. Les autres, à l’ouest, sont complètement encerclés. Toutefois, même si l’armée syrienne a coupé la route de la Turquie, la reconquête d’Alep ne se fera pas en quelques mois. Car les batailles en milieu urbain sont difficiles. Le pouvoir agira comme à Homs : des négociations pour amener les rebelles à quitter la ville.

Qu’en est-il des civils pris au piège ? 

Contrairement au chiffre d’un million de civils avancé çà et là, les résidents des quartiers orientaux ne sont plus que quelques dizaines de milliers, à commencer par les rebelles et leurs proches. En 2012, ces quartiers comptaient 1,5 million d’habitants. Avec les bombardements de barils de dynamite par l’aviation syrienne, ils ont fui en masse. Sachant que la route vers le nord allait être coupée, un nouvel afflux a suivi ces derniers jours. Notons qu’au sud d’Alep, le régime marque également des points.

Merci les Russes ? 

De fait, cela n’aurait pu se faire sans l’apport russe mais aussi des dizaines de milliers de combattants chiites venus d’Irak avec le soutien financier de l’Iran. Un état-major commun permet la coordination. Aux Russes, les attaques aériennes ; aux Iraniens, la défense d’Alep et les mouvements de troupes sur le terrain, tandis que l’armée régulière syrienne, largement sous contrôle iranien, est en charge de la défense des quartiers loyalistes.

Quels sont les objectifs militaires de Poutine ? 

Après avoir chassé les rebelles des grandes villes et protégé la côte alaouite (NDLR : où se trouvent les bases russes), le troisième objectif de Poutine sera de bloquer leurs lignes d’approvisionnement depuis la Turquie et la Jordanie. Simultanément, les Russes sont persuadés que le fait national kurde va faire bouger les frontières au Moyen-Orient. Comme ils s’inscrivent dans une politique à long terme, ils font miroiter aux Kurdes un territoire unifié en Syrie, d’Afrin à Kobane. Les Etats-Unis refusent ce scénario qui va à l’encontre des intérêts de la Turquie, partenaire dans l’Otan. Or, un des buts de la Russie est précisément d’affaiblir la Turquie. Celle-ci est la grande perdante de la guerre syrienne : les Kurdes sont en train de former leur Etat, les réfugiés déferlent et Assad est toujours là.

Et Daech ? Qui sera en première ligne pour s’attaquer à son fief de Raqqa ? 

Les rebelles syriens sont incapables de prendre Raqqa. Le veulent-ils seulement ? On ne les a guère entendus prendre position contre Daech. Ceux du Front al-Nosra et d’Ahrar Al-Sham partagent d’ailleurs son idéologie. “Quand Assad sera tombé, ils vont se battre contre Daech”, entend-on souvent. Difficile à croire ! Les Américains avaient tenté d’armer des rebelles “modérés” pour se battre contre Daech, ce fut un fiasco total. On parle également d’une force armée intégrant des tribus arabes sous leadership kurde, mais cela ne marchera pas. Quant à la coalition internationale, elle ne veut pas envoyer de troupes au sol et craint de bombarder des civils. Or, l’état-major de Daech se trouve en pleine ville.

La solution ? 

Je ne vois que l’armée syrienne et les Russes. Ce sont eux qui régleront l’affaire. Toutefois, leur priorité est de se débarrasser des autres groupes rebelles avant de se diriger vers Raqqa, sans doute vers la fin de l’année ou en 2017. Ce n’est pas un objectif immédiat.

Cela revient-il à condamner la ligne “Ni Bachar ni Daech” prônée par les diplomaties française et belge ? 

Assad est aujourd’hui considéré comme le moindre mal, même si la France va rester accrochée à sa posture morale assimilant Assad à un “boucher”. Cette évolution de la guerre syrienne est une défaite pour les Occidentaux, qui ont commis une erreur d’analyse globale. Ils n’ont pas voulu voir l’aspect communautaire dans la guerre civile. Ils n’ont pas voulu voir que les rebelles n’étaient pas des gentils démocrates mais des islamistes et que des mouvements comme Daech allaient émerger.

Contestez-vous qu’il s’agissait, au début, d’une révolte pour la démocratie ? 

Chez les quelques intellectuels qui manifestaient à Damas, c’était le cas. A Deraa, où la contestation a surgi, ce sont des problèmes socio-économiques qui ont suscité la colère : cinq années de sécheresse, une population rurale sans emploi du fait de la croissance démographique, l’arbitraire des services de renseignements, la corruption… La coupe a débordé, les gens se sont révoltés. A Homs et Hama c’était pire, car s’y est ajoutée une dimension anti-alaouite et antichrétienne. A Deraa, où la population est à 99 % sunnite, des Frères musulmans venus de Jordanie ont mis de l’huile sur le feu, eux qui sont en embuscade depuis qu’ils ont été massacrés à Hama en 1982. Si les salafistes “quiétistes” devenus entre-temps djihadistes les ont remplacés, les Frères musulmans sont restés à la manoeuvre depuis l’extérieur grâce à leurs relais en Occident et avec l’argent du Qatar.

Quelle est la stratégie russo-syrienne dans les négociations de Genève, actuellement suspendues ? 

Les Russes croient d’abord à la solution militaire. Ils ne souhaitent aller aux négociations de Genève qu’en position de force. Les Etats-Unis voulaient qu’elles débutent dès janvier, alors que l’offensive sur Alep était prévue depuis des mois. En fait, les Russes veulent légitimer “leur” opposition, à savoir les Kurdes, qui n’ont pas été invités à Genève, mais aussi des opposants laïques, comme Haytham Manna ou Qadri Jamil, qui a été ministre de l’Economie avant d’être révoqué et de s’installer à Moscou en septembre 2013. Ceux-ci feraient contrepoids à la coalition nationale syrienne cornaquée par les Saoudiens, avec l’objectif de sauver le processus de Genève tout en maintenant Assad au pouvoir ainsi que son entourage de généraux qui décident de tout. Ce n’est qu’après la guerre que ses parrains étrangers pourraient éventuellement le conduire à quitter la présidence.

Le régime est-il en mesure de reprendre le contrôle sur tout le territoire syrien ? 

Ce sera difficile. Damas devra accorder l’autonomie aux Kurdes : c’est dans l’accord conclu avec Moscou. Le pouvoir s’est fragmenté, aussi. Toutes ces milices de défense nationale ont aujourd’hui une grande marge de manoeuvre. Même dans la banlieue de Damas, à Jaramana, qui est pro-Assad, le pouvoir central n’a pas beaucoup de prise sur la milice druzo-chrétienne qui y fait la loi. Dans la vallée de l’Euphrate, à Raqqa, à Deir ez-Zor, il va falloir lâcher du lest en faveur des tribus locales. Il y aura une zone d’administration plus ou moins directe dans l’ouest, et indirecte dans l’est et le nord. Un scénario à l’irakienne, en somme.

Entretien : François Janne d’Othée

Source : Le Vif, François Janne d’Othée, 14-02-2016

Lettre ouverte à Pablo Iglesias par Jacques Sapir

Lettre ouverte à Pablo Iglesias par Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 13-02-2016

Christophe Barret et moi-même avons écrit une lettre ouverte au dirigeant de PODEMOS, Pablo Iglesias. Nous l'avons fait parce qu'il nous semble que ce que représente PODEMOS est un enjeu, au-delà de la seule gauche espagnol, qui concerne toutes les gauches européennes, mais aussi tous les européens, et même s'ils ne sont pas de gauche, qui étouffent sous la dictature européenne. Jean-Luc Mélenchon ne dit pas autre chose dans son texte où il annonce, de fait, sa candidature à l'élection présidentielle de 2017. PODEMOS, d'ailleurs, refuse la dichotomie traditionnelle entre gauche et droite et revendique clairement une démarche populiste, comme celles qui ont porté des gouvernements d'espérance en Amérique Latine.

Mais, certaines ambiguïtés demeurent dans le discours de PODEMOS. Or, venant après la capitulation de SYRIZA en juillet 2015, capitulation qui s'est suivie d'une reprise, certes contrainte et forcée, de la politique des « mémorandums » européens, de nouvelles ambiguïtés sont désormais insupportables. Elles portent en elles le risque de voir un mouvement social être conduit à l'échec alors que des solutions existent bel et bien. La position adoptée par Tsipras n'a rien changée sur le fond. La perspective du « GREXIT » est toujours d'actualité et la politique du nouveau mémorandum s'est révélée tout aussi mortifère, et toute aussi incapable de sortir la Grèce de sa crise que celle des précédant mémorandums. Les manifestations qui se multiplient ces derniers jours tant à Athènes que dans d'autres villes de Grèce en témoignent. Les menaces d'une insolvabilité de la Grèce, en mars ou en juin prochain, le confirment.

Dans l'intérêt des peuples d'Espagne, mais aussi dans celui des peuples européens, soumis à un pouvoir anti-démocratique dont la tête est tantôt soit à Francfort, soit à Bruxelles ou soit à Berlin, et que relaie, hélas, les élites politiques nationales, il faut une politique de claire rupture. Et c'est justement pour aboutir à cette clarification que la présente lettre a été écrite. Elle sera donnée en mains propres par Christophe Barret aux dirigeants de PODEMOS dans les jours qui viennent. En attendant, et pour lancer ici un débat dont l'importance et l'enjeu dépasse PODEMOS, je la publie, tant en français qu'en espagnol.

Texte français

 

Cher Pablo Iglesias,

Face à la crise multiforme qui touche l'Union Européenne, les succès électoraux de PODEMOS appellent de nombreuses initiatives. Militant des marges du monde politique, vous proposez un nouveau discours politique dont il convient aujourd'hui de méditer les points forts. Dans la bataille pour la conquête du sens commun accepté par la grande majorité de nos concitoyens, il vous est paru préférable de privilégier à la traditionnelle dichotomie gauche/droite l'opposition des peuples à leurs élites. La crise que traverse la social-démocratie semble confirmer la nécessité d'un tel aggiornamento.

Néocolonialisme, compradorisation et populisme

Candidat du groupe de la Gauche Unitaire Européenne à la présidence du Parlement Européen le 30 juin 2014, vous justifiiez vos choix politiques et stratégiques en ces termes : « la démocratie, en Europe, a été victime d'une dérive autoritaire (…) nos pays sont devenus des quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n'a élus sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale et politique de nos sociétés ».

Nous partageons ce diagnostic. Les élites politiques des pays de l'Union Européenne sont bel et bien soumises à une puissance extérieure. Ce colonialisme sans métropole représente un défi pour les démocrates. Un concept, né à une autre époque et sur un autre continent, peut nous aider à comprendre le phénomène : celui de la « compradorisation des élites ». Selon une définition aujourd'hui communément admise, une élite compradore « ou « bourgeoisie compradore ») tire sa position sociale et son statut de sa relation avec une puissance économique étrangère qui domine son territoire d'origine. Ce concept fut, naguère, du plus grand intérêt pour comprendre l'évolution de d'une Amérique latine que vous connaissez bien ! Aujourd'hui, en Europe, une nouvelle compradorisation est en œuvre, rendue possible par les institutions européennes et la puissance économique allemande.

De-même sommes-nous nombreux à faire nôtre le projet de Podemos de revivifier la démocratie. Nos prenons acte du fait que votre démarche populiste de contestation, authentiquement de gauche, se double de la volonté d'assumer les responsabilités de l'État – quand bien même ce souverainisme sans drapeau vous amène aussi à explorer les voie d'autres types de médiations selon un « processus constituant » dont il vous appartiendra, à terme, d'expliciter davantage.

De la dynamique européenne et des mouvements de contestation

La confiance dont vous témoignent aujourd'hui vos électeurs vient du fait que vous avez été, avec vos compagnons, les premiers à porter au Parlement une expression politique du mouvement des Indignés de 2011. La révolte des classes moyennes inexorablement entraînées dans un processus de paupérisation qui menace aujourd'hui de nombreuses régions du continent européen intéresse de très nombreux citoyens, bien au-delà des cercles des militants de la gauche de toujours. Un sursaut incroyable a eut lieu, il y a un an, en Grèce. Hélas, ce « Vaisseau venu de Grèce » que chantait en 1974 Lluís Llach s'est brisé sur les récifs des politiques d'austérité dressés par les institutions européennes. L'alliance de la social-démocratie avec celles du Parti Populaire européen (PPE), pour que rien ne change, peut être vue comme une réminiscence de « la Sainte Alliance des possédants » de 1848. Pour nos maîtres, le nouveau printemps de peuples n'aura pas lieu !

Dans un très long article publié – déjà presque en forme de bilan –, l'été dernier, dans la New Left Review, vous sembliez pourtant toujours considérer comme possible « un processus de recouvrement de la souveraineté » des peuples. En dépit de ce que nous appelons le processus de compradorisation des élites, il vous semble encore possible d'impulser des transformations du système productif et d'envisager une « reconfiguration  des institutions européennes en un sens plus démocratique », notamment avec l'établissement d'un Parlement de la zone euro[1]. Ce faisant, vous cherchez à créer un rapport de force au sein du conseil européen. C'est une stratégie courageuse, mais c'est aussi une stratégie discutable, qui peut avoir des implications graves non seulement sur PODEMOS mais de manière plus générale sur les autres mouvements de contestation européen. Chercher à créer un rapport de force dans le conseil européen implique de considérer que ce dernier aurait une quelconque légitimité. Or, le conseil n'a pas d'autre légitimité que celle de chaque pays. C'est un organisme de coordination et non de subordination. Il est vrai qu'il tend à se comporter comme un organisme de subordination ; mais faut-il l'accepter ? Faut-il se plier à la vision anti-démocratique des institutions européennes ? En faisant cela, on perd une bataille avant même de l'avoir menée.

Concrètement, construire un rapport de force implique que des mouvements anti-austérité arrivent simultanément au pouvoir dans différents pays. Force est de constater que cette perspective n'est pas crédible. Les temps électoraux et politiques restent propres à chacun des pays, parce qu'ils traduisent l'histoire et la culture politique nationale. Vous en savez quelque-chose, aujourd'hui, en Espagne. Ainsi, en s'engageant dans la direction de la construction d'un rapport de force au sein du conseil européen, PODEMOS fait un double cadeau aux partisans de l'austérité. D'une part, il fait un cadeau aux ennemis des peuples en leur reconnaissant une légitimité qu'ils n'ont pas et d'autre part il entraîne les différents mouvements dans une voie illusoire, celle qui consisterait à attendre que les élections permettent l'arrivée au pouvoir simultanée de majorité anti-austérité dans les pays de l'Union européenne.

Il nous semble donc que c'est dans une voie dangereuse, et même suicidaire, que PODEMOS s'engage.

Construire le champ de l'affrontement

La question majeure qui se pose alors est celle de la construction du champ politique de l'affrontement. Ce champ doit se construire tant en Espagne (comme dans tout autre pays) que dans l'Union européenne. Mais, dans cette construction, deux éléments vont peser lourd pour le futur.

  1. L'Europe

La question du rapport avec les institutions européennes, devenues aujourd'hui le camp retranché des partisans de l'austérité et conçue comme telle en réalité dès le départ, se pose. Nous souhaitons tous une large coordination entre les pays européens, et ceci inclut bien entendu des pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne, comme la Suisse, la Norvège, la Russie et même ceux du Maghreb. Mais, nous devons constater que l'implacable logique du politique s'impose en ce qui concerne la nature de nos relations avec les institutions européennes. Il est ici dangereux de nourrir et d'entretenir des illusions, et nous pensons que certains points dans le programme de PODEMOS sont justement de cette nature. Il ne sert à rien de mettre en avant la sincère volonté de construire une « autre » Europe si les dirigeants européens sont d'emblée résolus au conflit.

Du moment que pour les partisans de l'austérité la venue au pouvoir d'un mouvement ou d'un parti dans l'un des pays de l'UE menace de remettre en cause pouvoir et privilèges, ils mettront en œuvre, et on l'a vu dans le cas de la Grèce au printemps 2015, tous les moyens à leur disposition, y compris des moyens illégaux et des pratiques de corruption, pour amener ce mouvement ou ce parti à résipiscence. La nature des relations entre les partisans de l'austérité et leurs adversaires constitue le couple amis / ennemis. Ce sera une lutte sans pitié ni merci. Nous serons d'emblée projetés dans la logique de l'antagonisme. Il faut donc ici poser la question du programme et de l'action de PODEMOS. Êtes-vous prêt à cet affrontement et à toutes ses conséquences ?

Cette perspective implique de définir le cercle des relations « agoniques », c'est à dire entre adversaires susceptibles de s'unir pour résister à des ennemis communs. De fait, la nature de l'affrontement avec les institutions européennes ne dépend pas de PODEMOS, comme il n'a pas dépendu de SYRIZA. Cette nature sera déterminée par l'action des dirigeants européens ; si, pour arriver à un accord, il faut deux volontés, une seule suffit pour provoquer le conflit. Mais, en imposant un cadre d'affrontements antagoniques aux partis anti-austéritaires dès qu'ils arrivent au pouvoir, les dirigeants européens peuvent permettre de faire émerger un autre cadre, celui des relations agoniques. Ce cadre, c'est celui des relations entre forces certes opposées, mais où l'affrontement avec les institutions européennes requalifie l'opposition d'un conflit entre adversaires et non plus entre ennemis. La question se pose donc à vous, comme elle se pose à toutes les forces luttant contre l'austérité en Europe : quelles sont les forces avec lesquelles vous pourriez passer des accords ou une trêve le temps de régler cet affrontement décisif ?

  1. L'Euro

La question de l'affrontement avec les institutions européennes nous conduit à celle de l'Euro. Ce que l'on appelle la « monnaie unique » est en réalité un mécanisme qui a bloqué les nécessaires ajustements de taux de change entre des économies dont les structures sont très différentes tout en permettant de créer un espace unifié pour la spéculation financière. C'est pourquoi l'Euro est aujourd'hui défendu essentiellement par les banquiers et la « finance ». Mais, c'est aussi pourquoi les pays de l'Europe du Sud n'ont pas eu d'autre choix que celui de s'engager dans des stratégies de dévaluations internes, une course mortifère au « moins coûtant, moins disant », dont les conséquences sont immensément plus graves que celle de réajustements des taux de change. C'est l'origine réelle des politiques d'austérité dont la logique est de conduire à une « hyper-austérité ». La concurrence se joue désormais dans le degré d'engagement dans l'hyper-austérité.

La question de l'Euro ne relève donc pas, comme vous semblez le croire, uniquement du domaine symbolique de l'hégémonie culturelle. C'est une question concrète, qui se traduit dans des centaines de milliers de licenciements, dans des millions de jeunes et de moins jeunes travailleurs privés de leur emploi, dans la baisse de tous les minima sociaux. Vous ne pourrez pas mettre en place une politique contradictoire à l'austérité sans vous attaquer à l'Euro. Ici encore, l'exemple de SYRIZA et de la Grèce, est parlant ; ayant renoncé à quitter l'Euro, même si désormais une majorité de la population serait d'accord avec une telle perspective, le gouvernement de SYRIZA a été contraint d'appliquer le même austérité que celui de Nouvelle Démocratie, et il perd aujourd'hui toute la légitimité qui découlait de son discours contre l'austérité. La stratégie qui consiste à chercher à « gagner du temps » est ici, très clairement, une stratégie perdante. À terme, vous serez, n'en doutez pas, confrontés aux mêmes choix. Quelle sera alors votre réponse ?

À l'occasion de votre passage à Paris, en septembre 2015, vous avez déclaré qu'une sortie de la zone euro n'est envisageable, d'un point de vue espagnol, qu'à la seule condition qu'un pays membre de l'Union Européenne pesant économiquement plus que l'Espagne ne l'envisage d'abord officiellement. Votre prise de position se veut respectueuses des débats qui traversent nombre des forces politiques, y compris PODEMOS – comme on a pu le constater à l'occasion de sa dernière université d'été. Dans le numéro de La New Left Review dont il a été question, vous nous rappelez que PODEMOS est aujourd'hui pensé comme un « instrument fondamental du changement politique »[2]. L'aggiornamento permanent auquel ses militants le soumettent ne saurait être possible si vous n'acceptez pas de débattre des questions et des impasses auxquelles nous devons faire face.

 

Nous vous prions de croire, cher Pablo Iglesias, en notre volonté résolue d'impulser un véritable changement tant en France, qu'en Europe.

 

Jacques Sapir, économiste, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, auteur de Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

Christophe Barret, historien et essayiste, auteur de Podemos. Pour une autre Europe , Paris, éditions du Cerf 2015.

 

[1] New Left Review n°93, juil. – août 2015, p. 15 – édition espagnole

[2] . New Left Review n°93, juil. – août 2015, p. 27 – édition espagnole

Texte espagnol

 

Querido Pablo Iglesias,

 

Frente a la crisis multiforme que afecta a la Unión Europea, los éxitos electorales de PODEMOS señalan numerosas iniciativas. Militante de los márgenes del mundo político, propones un nuevo discurso sobre el que interesa pensar hoy en día en sus puntos fuertes. En la batalla por la conquista del sentido común aceptado por la gran mayoría de nuestros conciudadanos, te ha parecido preferible privilegiar la oposición de los pueblos a sus élites frente a la tradicional dicotomía izquierda/derecha. La crisis que atraviesa la socialdemocracia parece confirmar la necesidad de un tal aggiornamento.

Neocolonialismo, compradorización y populismo

Como candidato a la presidencia del Parlamento Europeo por el Grupo Confederal de la Izquierda Unitaria Europea, el 30 de junio de 2014 justificaste tus opciones políticas y estratégicas en estos términos: "la democracia, en Europa, ha sido víctima de una deriva autoritaria (…) nuestros países se han convertido en cuasi-protectorados, nuevas colonias donde poderes que nadie ha elegido están destruyendo los derechos sociales y amenazando la cohesión social y política de nuestras sociedades."

Compartimos este diagnóstico. Las élites políticas de los países de la Unión Europea están realmente sometidas a una potencia exterior. Este colonialismo sin metrópoli representa un desafío para los demócratas. Un concepto, nacido en otra época y en otro continente, puede ayudarnos a comprender el fenómeno: es el concepto de "compradorización de las élites". Según una definición generalmente admitida hoy, una élite compradora "o burguesía compradora" obtiene su posición social y su estatus de su relación con una potencia económica extranjera que domina su territorio de origen. Este concepto fue, anteriormente, del mayor interés para comprender la evolución de una América Latina que tú conoces bien. Hoy, en Europa, una nueva compradorización está en marcha, posibilitada por las instituciones europeas y la potencia económica alemana.

Por ello, somos muchos los que hacemos nuestro el proyecto de Podemos de revivificar la democracia. Somos conscientes de que tu proceso populista de contestación, auténticamente de izquierdas, tiene además la voluntad de asumir responsabilidades de Estado – pero además de este soberanismo sin bandera os incita también a explorar los caminos de otros tipos de mediaciones según un "proceso constituyente" sobre el que, a su debido tiempo, tendrás que ser más explícitos –.

De la dinámica europea y sus movimientos de contestación.

La confianza que os manifiestan hoy en día vuestros electores viene del hecho que habéis sido, tú y tus compañeros, los primeros en llevar al Parlamento Europeo la expresión política de los indignados de 2011. La revuelta de las clases medias, inexorablemente arrastradas a un proceso de empobrecimiento que amenaza hoy en día a numerosas regiones del continente europeo, concierne a un grupo muy numeroso de ciudadanos, que se extiende mucho más allá del de los círculos de militantes de la izquierda tradicional. Un increíble arrebato tuvo lugar en Grecia hace un año. Desgraciadamente, este "navío venido de Grecia", que cantaba Lluís Llach, se ha estrellado contra los arrecifes de las políticas de austeridad levantados por las instituciones europeas. La alianza de la social-democracia europea con el Partido Popular Europeo (PPE), para que nada cambie, puede ser vista como una reminiscencia de "la Santa Alianza de los poseedores" de 1848. Para nuestros amos, ¡la nueva primavera de los pueblos no tendrá lugar!

En un largo artículo publicado el verano pasado en la New Left Review – ya casi en forma de balance – parecías, sin embargo, seguir considerando como posible "un proceso de recuperación de la soberanía" de los pueblos. A pesar de lo que nosotros llamamos el proceso de compradorización de las élites, te parece posible todavía impulsar transformaciones del sistema productivo y prever una "reconfiguración de las instituciones europeas en un sentido más democrático", fundamentalmente a través del establecimiento de un Parlamento de la zona euro[1].

Haciendo esto, te propones crear una correlación de fuerzas en el seno del Consejo Europeo. Es una estrategia valiente, pero también discutible, que puede tener graves implicaciones no solo sobre PODEMOS sino, de manera más general, sobre otros movimientos de contestación europea. Buscar crear una correlación de fuerzas en el Consejo Europeo implica considerar que este último tiene algún tipo de legitimidad. Ahora bien, el Consejo no tiene otra legitimidad que la de cada país. Es un organismo de coordinación y no de subordinación. Es cierto que tiende a comportarse como un organismo de subordinación; pero, ¿es necesario aceptarlo? ¿Es necesario plegarse a la visión antidemocrática de las instituciones europeas? Haciéndolo, se pierde una batalla antes incluso de haberla librado.

Concretando más, construir una correlación de fuerzas implica que los movimientos antiausteridad lleguen de forma simultánea al poder en diferentes países. Pero, debemos constatar que esta perspectiva no resulta creíble. Los tiempos electorales y políticos son propios de cada país, porque traducen la historia y la cultura política nacionales. Y tú sabes algo de esto, hoy en día, en España.

 

Así, comprometiéndose en la vía de la construcción de una correlación de fuerzas en el seno del Consejo Europeo, PODEMOS hace un doble regalo a los partidarios de la austeridad. Por un lado, hace un regalo a los enemigos de los pueblos reconociéndoles una legitimidad que no tienen y, por otro, arrastra a los diferentes movimientos hacia un camino ilusorio, el que consistiría en esperar que las elecciones permitan la llegada al poder simultáneamente de una mayoría antiausteridad en los países de la Unión Europea.

Por lo tanto, nos parece que es un camino peligroso, incluso suicida, en el que PODEMOS se embarca.

Construir el campo del enfrentamiento

Entonces, la cuestión más importante que se plantea es la de la construcción del campo político del enfrentamiento. Este campo debe construirse en España – como en todos los demás países – y en la Unión Europea. Pero, en esta construcción, dos elementos van a tener un peso importante para el futuro.

  1. Europa

Se plantea la cuestión de la relación con las instituciones europeas, convertidas hoy en día en la trinchera de los partidarios de la austeridad y concebidas como tal en realidad desde el primer momento. Todos deseamos una amplia coordinación entre los países europeos, incluyendo, claro está, a los países que no son miembros de la Unión Europea, como Suiza, Noruega, Rusia e incluso los del Magreb. Pero, hemos de constatar que la implacable lógica de la política se impone sobre lo que concierne a la naturaleza de nuestras relaciones con las instituciones europeas. Es peligroso aquí alimentar y mantener espejismos y pensamos que ciertos puntos del programa de PODEMOS son precisamente de esta naturaleza. No sirve de nada poner por delante la sincera voluntad de construir "otra" Europa si los dirigentes europeos están decididos a favor del conflicto.

Desde el mismo momento en que la llegada al poder de un movimiento o un partido en uno de los países de la UE amenace con poner en cuestión poder y privilegios, los partidarios de la austeridad pondrán en marcha, y lo hemos visto en el caso de Grecia de la primavera del 2015, todos los medios a su disposición, incluso medios ilegales y prácticas de corrupción, para conducir a ese movimiento o a ese partido al arrepentimiento. La naturaleza de las relaciones entre los partidarios de la austeridad y sus adversarios es del tipo de pareja amigos/enemigos. Será una lucha sin piedad. Seremos inmediatamente proyectados a la lógica del antagonismo. Hace falta entonces plantearse aquí la cuestión del programa y de la acción de PODEMOS. ¿Estáis preparados para este enfrentamiento y todas sus consecuencias?

Esta perspectiva implica definir el círculo de las relaciones "agónicas", es decir, entre adversarios susceptibles de unirse para resistir a enemigos comunes. De hecho, la naturaleza del enfrentamiento con las instituciones europeas no depende de PODEMOS, como no ha dependido de SYRIZA. Esta naturaleza estará determinada por la acción de los dirigentes europeos; si para llegar a un acuerdo hacen falta dos voluntades, sólo una es necesaria para provocar el conflicto. Pero, al imponer un marco de enfrentamientos antagónicos a los partidos anti-austeridad desde el mismo momento en que llegan al poder, los dirigentes europeos pueden permitir hacer emerger otro marco, el de las relaciones agónicas. Este cuadro es el de relaciones entre fuerzas verdaderamente opuestas, pero en el que el enfrentamiento con las instituciones europeas recalifica su oposición como un conflicto entre adversarios y ya no entre enemigos. La cuestión que se os plantea entonces, como se plantea a todas las fuerzas que luchan contra la austeridad en Europa, es : ¿cuáles son las fuerzas con las cuales podríais llegar a acuerdos, o a una tregua, durante el tiempo de puesta a punto de este enfrentamiento decisivo?

  1. El euro

El tema del enfrentamiento con las instituciones europeas nos conduce al del euro. Lo que se llama la "moneda única" es en realidad un mecanismo que ha bloqueado los ajustes necesarios de las tasas de cambio entre economías con estructuras muy diferentes, al mismo tiempo que ha permitido crear un espacio unificado para la especulación financiera. Es por esto por lo que el euro es hoy en día defendido fundamentalmente por los banqueros y las "finanzas". Pero es también por lo que los países de la Europa del sur no han tenido otra opción que la de comprometerse en estrategias de devaluaciones internas, una carrera mortífera hacia " la baja" cuyas consecuencias son inmensamente más graves que las del reajuste de las tasas de cambio. Este es el origen real de las políticas de austeridad cuya lógica es el conducir a una "híper-austeridad". La competencia se juega a partir de ahora en el grado de compromiso con la híper-austeridad.

La cuestión del euro no responde entonces, como pareces creer, sólo al dominio simbólico de la hegemonía cultural. Es una cuestión concreta, que se traduce en centenares de miles de despidos, en millones de jóvenes – y menos jóvenes – trabajadores privados de su empleo, en la bajada de todos los niveles mínimos sociales. No podréis llevar a cabo una política contraria a la de la austeridad sin atacar al euro. Aquí también, el ejemplo de SYRIZA y de Grecia está poniéndolo de manifiesto : habiendo renunciado a abandonar el euro, incluso cuando una mayoría de la población estaría ya de acuerdo con tal perspectiva, el gobierno de SYRIZA ha sido obligado a aplicar la misma austeridad que la de Nueva Democracia y pierde hoy en día toda la legitimidad que se derivaba de su discurso contra la austeridad. La estrategia que consiste en buscar "ganar tiempo" es aquí, muy claramente, una estrategia perdedora. Al final, vosotros estaréis, no lo dudéis, enfrentados a las mismas opciones. ¿Cuál será, entonces, vuestra respuesta?

Durante tu estancia en París, en septiembre de 2015, declaraste que una salida de la zona euro no era factible, desde el punto de vista español, más que a condición de que otro país miembro de la UE, con más peso económico que España, no la contemplara antes oficialmente. Tu toma de posición quiere ser respetuosa con los debates que atraviesan a numerosas fuerzas políticas, incluida PODEMOS – como hemos podido constatar en su última universidad de verano –. En el número de la New Left Review que ya hemos mencionado, recordabas que PODEMOS es hoy en día percibido como un "instrumento fundamental del cambio político" [2]. El aggiornamento permanente al que sus militantes le someten no será posible si no aceptas debatir sobre cuestiones y temas a los que debemos hacer frente.

 

Te rogamos que creas, querido Pablo Iglesias, en nuestra resuelta voluntad de impulsar un verdadero cambio tanto en Francia como en Europa.

 

Jacques Sapir es economista y director de estudios en la Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Es autor de Souveranité, Démocratie, Laïcité, París, Michalon, 2016.

Christophe Barret es historiador y ensayista. Autor de Podemos. Pour une autre Europe, Paris, editions du Cerf, 2015.

 

[1] New Left Review nº 93, julio-agosto de 2015, página 15 –edición española.

[2] New Left Review nº 93, julio-agosto de 2015, página 27 –edición española.

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 13-02-2016