lundi 8 février 2016

Pendant que le Yémen saigne, les droits de la personne s’écrasent sous les profits que les Britanniques retirent des ventes d’armes

Pendant que le Yémen saigne, les droits de la personne s'écrasent sous les profits que les Britanniques retirent des ventes d'armes

Photo : le roi Abdallah d'Arabie saoudite remet à David Cameron l'Ordre du roi Abdelaziz à Djeddah. (Stefan Rousseau/PA)

Ils fixent sur le miroir

Le visage de l'impérialisme

Et le préjudice planétaire »

(W.H. Auden, 1907-1973)

 

On peut très bien expliquer pourquoi le premier ministre David Cameron a déclaré que sa mission est de faire disparaître la Human Rights Act, qui est enchâssée dans la Convention européenne des droits de l'homme. C'est parce qu'il ne croit tout simplement pas aux droits de la personne.

Par exemple, l'exécution par l'Arabie saoudite de 47 personnes en un seul jour le mois dernier (certains par décapitation), dont les corps ont été suspendus publiquement à la potence, ne l'a pas empêché d'envoyer des experts militaires britanniques travailler avec leurs homologues saoudiens, afin de les conseiller au sujet des cibles (et des personnes aussi semble-t-il) à bombarder au Yémen. Le Parlement n'a pas été consulté, l'empêchant ainsi de débattre et de voter, ce qui constitue un bel exemple de suspension de la démocratie.

En mai 2013, Cameron n'a pas sourcillé non plus lorsque les Saoudiens ont décapité cinq Yéménites, puis ont utilisé des grues pour que leurs corps étêtés se découpent sur l'horizon (Al-Akhbar, 21 mai 2013). Même chose lorsque le 10 novembre 2015, le nombre d'exécutions dans l'année a atteint 151 (le plus élevé en 20 ans), ce qu'Amnistie Internationale a qualifié de série d'exécutions sanglantes.

Mais à quoi bon se soucier des droits de la personne ou de ces exemples de sauvagerie à l'état pur quand on peut vendre des armes? Comme il a déjà été rapporté, en une période de trois mois l'an dernier, les ventes d'armes du Royaume-Uni (R.-U.) à l'Arabie saoudite ont grimpé de 11 000 %. Au trimestre précédent, elles se chiffraient à neuf millions de livres sterling. « De juillet à septembre 2015, le montant exact des licences d'exportation d'armes britanniques était de 1 066 216 510 £ dans la catégorie dite 'ML4', qui se rapporte aux bombes, aux missiles, aux roquettes et à leurs composantes. »

Le gouvernement Cameron considère pareille barbarie avec un optimisme consternant. Par exemple, il s'est avéré qu'en 2011, le R.-U. a dressé une liste de trente « pays jugés prioritaires où les diplomates britanniques étaient encouragés à faire avancer de façon proactive la cause de l'abolition de la peine de mort, sur une période de cinq ans ».

L'Arabie saoudite ne figurait pas sur la liste, une omission que le chef des affaires politiques d'Amnistie Internationale, Alan Hogarth, a qualifiée d'incroyable (The Independent, 5 janvier 2016). Cependant, une porte-parole du Foreign Office a dit au journal qu'une « liste des pays préoccupants a été publiée en mars 2015 dans le rapport annuel (du R.-U.) sur les droits de la personne, où il est question de l'Arabie saoudite et de son recours à la peine capitale. »

C'est faux. Dans le rapport (1), sous le titre "Abolition of the Death Penalty" (abolition de la peine capitale), il est beaucoup question des pays des Antilles du Commonwealth (britannique). Les USA sont aussi mentionnés au passage dans un ton servile, mais il n'y a rien sur les Saoudiens.

Sous le titre "The Death Penalty" (la peine capitale), la Jordanie et le Pakistan sont mentionnés, tout comme « l'accent mis sur deux régions : l'Asie et les Antilles du Commonwealth ». Singapour, la Malaisie, la Chine et Taiwan, le Japon (3 exécutions en 2014), le Surinam et le Vietnam sont cités. Mais l'Arabie saoudite ne figure nulle part.

Dans la rubrique portant sur la prévention de la torture, il y a une citation de David Cameron : « La torture est toujours condamnable » (9 décembre 2014). Le premier paragraphe contient ce passage : « L'impact sur les victimes, leurs familles et leurs communautés est dévastateur. Elle ne peut être justifiée en aucune circonstance. » Un certain nombre de pays sont nommés. Devinez qui n'y figure pas, malgré ses pratiques de torture médiévales?

Cependant, sous le titre "Criminal Justice and the Rule of Law" (justice pénale et règle de droit), il y a ce passage :

« En février 2014, le Foreign & Commonwealth Office (FCO) a révisé les directives concernant les aspects relatifs aux droits de la personne dans son recueil de directives en matière de sécurité et de justice à l'étranger (Overseas Security and Justice Guidance). Ce recueil voit à ce que les responsables fassent tout en leur possible pour recenser les risques que des mesures adoptées par le R.-U. aient des conséquences inattendues sur les droits de la personne. »

C'est quand même ironique de lire cela au moment même où David Cameron remue ciel et terre pour mettre un terme au recours en justice contre des soldats britanniques accusés d'actes constituant des atteintes graves aux droits de la personne en Irak. Comme l'écrivait Lesley Docksey (2) :

« Lesdits braves soldats encourent le danger d'être traînés devant le tribunal pour leurs mauvais traitements et, dans certains cas, pour le meurtre de détenus irakiens pendant l'invasion de l'Irak. Des centaines de plaintes ont été déposées auprès de l'équipe qui se penche sur les allégations historiques en Irak (Iraq Historic Allegations Team ou IHAT), qui a fait enquête sur un nombre de plaintes variant entre 1 300 et 1 500. Il y a de nombreuses plaintes de mauvais traitements pendant la détention, mais certaines sont beaucoup plus graves :

* Mort(s) pendant la détention par l'armée britannique

* Morts à l'extérieur de la base de l'armée britannique ou après l'entrée en contact avec l'armée britannique

* Nombreux morts à la suite de fusillades. »

Pire encore, le gouvernement britannique songe à intenter des poursuites contre l'un des cabinets d'avocats qui s'occupe d'une partie de ces plaintes, Leigh Day, et en garde un autre, Public Interest Lawyers, dans sa ligne de mire. Quand il s'agit d'hypocrisie, David Cameron est difficile à battre.

Il convient de noter que parmi les 27 pays figurant dans sa propre liste de pays qui suscitent une préoccupation humanitaire, selon l'organisation Campaign Against the Arms Trade (CAAT), le gouvernement du R.-U. a vendu des armes à 24 d'entre eux.

Parmi ces pays, l'Arabie saoudite s'apprête à acheter 72 Eurofighter Typhoon en vertu d'un contrat qui pourrait valoir jusqu'à 4,5 milliards de livres sterling. (3)

« Outre l'achat des avions de chasse Typhoon, les autres gros contrats conclus entre l'Arabie saoudite et des sociétés britanniques comprennent une entente d'une valeur de 1,6 milliard de livres sterling pour l'acquisition d'avions de combat Hawk et la vente en vrac de mitraillettes, de bombes et de gaz lacrymogène.

« En fait, l'Arabie saoudite a accès à deux fois plus d'avions de guerre britanniques que la Royal Air Force, tandis que les bombes qui étaient auparavant stockées par les forces armées britanniques sont maintenant envoyées en Arabie saoudite », qui s'en sert pour décimer le Yémen.

« Le message qui ressort, c'est que les profits des sociétés priment sur les droits de la personne », constate Andrew Smith, porte-parole de la CAAT, qui ajoute ceci : « Le gouvernement et les autorités locales d'un bout à l'autre du pays profitent directement du bombardement du Yémen. Les forcer à se détourner de l'Arabie saoudite (…) est quelque chose que les gens peuvent faire directement. »

Dans la foulée de la publication d'un rapport de l'ONU de 51 pages portant sur le bombardement du Yémen obtenu par différentes parties le 27 janvier, le chef du parti Travailliste Jeremy Corbyn a appelé à la suspension immédiate de toutes les ventes d'armes aux Saoudiens, en attendant les conclusions d'une enquête indépendante. David Cameron a répondu de façon grotesque en disant que « la Grande-Bretagne possède les règles les plus strictes régissant les ventes d'armes à pratiquement tous les pays, partout dans le monde. »

Cependant, dans l'une de ses principales conclusions, le rapport de l'ONU (4) précise ceci :

« Le comité d'experts a récolté des preuves que la coalition a mené des frappes aériennes visant des civils et des propriétés civiles, en violation du droit international humanitaire, incluant des camps pour déplacés internes et réfugiés; des réunions civiles, incluant des mariages; des véhicules civils, incluant des bus; des zones résidentielles civiles; des infrastructures médicales; des écoles; des mosquées; des marchés; des usines et des magasins alimentaires; et d'autres structures civiles essentielles, comme l'aéroport de Sanaa, le port de Hudayah et des routes domestiques de transit. »

Le rapport fait état de « 119 sorties de la coalition en lien avec des violations du droit humanitaire international », et de civils en fuite poursuivis et tués par des hélicoptères.

Il précise aussi que la crise humanitaire s'est aggravée avec le blocus que les Saoudiens ont imposé sur les navires transportant du carburant, des aliments et d'autres produits essentiels destinés au Yémen.

Le comité d'experts a indiqué que « les civils sont affectés de manière disproportionnée » et déplore les tactiques constituant une utilisation de la famine comme méthode de guerre, ce qui est strictement interdit » (soulignement ajouté).

David Mepham, le directeur de Human Rights Watch au R.-U., a fait le commentaire suivant : « Depuis près d'un an, (le secrétaire au Foreign Office Philip) Hammond fait des affirmations fausses et trompeuses en disant qu'il n'y a pas de preuve de violations des lois de la guerre par l'allié saoudien du R.-U. et par d'autres membres de la coalition. »

Le ministre de la Défense du R.-U., en refusant de dire combien de conseillers militaires du R.-U. se trouvaient dans les centres de commande et de contrôle saoudiens, a indiqué que le R.-U. « fournit à l'Arabie saoudite des conseils et une formation sur les meilleures façons d'utiliser les techniques de ciblage, afin de s'assurer qu'elle continue à se conformer au droit international humanitaire » (The Guardian, 27 janvier 2016). Une autre citation à ajouter au dossier Ça ne s'invente pas.

Il y a de quoi se demander si « les meilleures façons d'utiliser les techniques de ciblage » englobent la centaine d'attaques lancées contre des établissements de santé de mars à octobre 2015, une pratique qui a amené le Comité international de la Croix-Rouge à déclarer, en novembre, qu'il était « consterné par les attaques incessantes contre des structures médicales au Yémen (…) ». (5)

Le CICR a fait cette déclaration après que « L'hôpital Al-Thawra, un des principaux établissements de santé de Taïz où une cinquantaine de blessés reçoit des soins chaque jour, aurait été bombardé à plusieurs reprises (…) ».

« Ce n'est pas la première fois que des structures médicales sont attaquées. (…) une centaine d'incidents similaires a été signalée depuis mars 2015. » (soulignement ajouté)

« Les attaques menées délibérément contre des structures médicales constituent une violation flagrante du droit international humanitaire. »

Une précédente tentative d'amener le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à mener une enquête a échoué en raison des objections de l'Arabie saoudite qui, avec l'aide de la Grande-Bretagne, occupe la présidence d'un groupe d'experts influent au sein de ce même Conseil des droits de l'homme. Le burlesque se porte très bien merci dans les corridors de l'ONU.

Les attaques répétées contre des structures médicales, d'autres immeubles protégés par le droit international humanitaire et des lieux de cultes ciblés témoignent du mépris total du droit international humanitaire par les Britanniques, les USA, leurs alliés et ceux qu'ils conseillent des Balkans à l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, la Libye et maintenant le Yémen.

Cependant, malgré les horreurs subies par les Yéménites qui continuent de souffrir et de mourir, et malgré les manquements effroyables des Saoudiens en matière de respect des droits de la personne, le secrétaire au Foreign Office Tobias Ellwood, un ancien soldat né aux USA, a été cité dans le journal saoudien Al Watan à propos de « l'ignorance qu'ont les Britanniques des progrès notables de l'Arabie saoudite en matière des droits de la personne, en répétant tout au long de la visite d'une délégation du FCO britannique (…) qu'il avait exprimé son opinion concernant la situation des droits de la personne en Arabie saoudite au parlement britannique, et que les progrès notables réalisés à ce chapitre n'ont pas été mentionnés ». (Voir 6 : "Saudi Arabia urged to make more of its human rights successes by Foreign Office minister Tobias Ellwood.")

Le Foreign Office nie catégoriquement ces propos d'Ellwood.

La coalition dirigée par les Saoudiens, conseillée par les Britanniques et formée par les services secrets des USA aurait constitué un groupe d'experts indépendants chargés d'évaluer les incidents (qu'on pourrait décrire comme des outrages et des crimes de guerre) dans le but d'en tirer des conclusions, des leçons, etc. (7) Ainsi, comme d'habitude, c'est le pyromane qui enquêtera sur la cause de l'incendie.

Amnistie Internationale, Human Rights Watch, Médecins Sans Frontières (dont trois établissements de santé ont été bombardés) et l'organisme Campaign to Stop Bombing in Yemen ont tous appelé à une enquête indépendante assortie du pouvoir d'obtenir que les responsables de ces atrocités rendent compte de leurs actes. Mais rien ne pourra cependant ramener les morts à la vie, guérir les invalides, les défigurés et les amputés, et restaurer le magnifique et l'antique Yémen en ruines, cet autre paradis perdu chargé d'histoire.

Felicity Arbuthnot

Article original en anglais : As Yemen Bleeds, British Profits from Weapons Sales "Bury Human Rights", publié le 4 février 2016

Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca

Notes :

1.https://www.gov.uk/government/publications/human-rights-and-democracy-report-2014/human-rights-and-democracy-report-2014

2.http://www.globalresearch.ca/historic-abuse-of-iraqi-prisoners/5504852#sthash.jkA52JCt.dpuf

3.http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/uk-has-sold-56bn-of-military-hardware-to-saudi-arabia-under-david-cameron-research-reveals-a6797861.html

4.http://www.theguardian.com/world/2016/jan/27/un-report-into-saudi-led-strikes-in-yemen-raises-questions-over-uk-role

5.https://www.icrc.org/fr/document/yemen-les-attaques-contre-les-structures-medicales-doivent-cesser

6.http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/saudi-arabia-should-make-more-of-its-human-rights-successes-says-foreign-office-minster-tobias-a6837866.html

http://www.theguardian.com/world/2016/feb/01/saudi-inquiry-war-claims-yemen-inadequate-say-rights-groups




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« Les semences de la destruction »: enquête sur le monde diabolique des manipulations génétiques

« Les semences de la destruction »: enquête sur le monde diabolique des manipulations génétiques

Ce n'est pas un livre ordinaire sur les dangers des OGM. Engdahl emmène le lecteur dans les coulisses du pouvoir, dans les arrière-salles des laboratoires de recherche, derrière les portes closes des salles de conférences des multinationales. L'auteur nous révèle pertinemment un monde diabolique d'intrigues politiques menées pour l'argent, de coercition et de corruption gouvernementale, où la manipulation génétique et le dépôt de brevets sur le vivant sont utilisés pour augmenter le contrôle mondial sur la production de nourriture. Si ce livre se lit souvent comme un polar, ce ne sera pas une surprise. Car c'est vraiment cela.

Les arguments étayés d'Engdahl vont beaucoup plus loin que les controverses habituelles sur la pratique scientifique des manipulations génétiques. Ce livre est un lanceur d'alertes, il doit être lu par tous ceux qui se sentent concernés par la justice sociale et la paix mondiale.

Ce que vous allez lire maintenant est la préface de ce livre.

«Nous avons environ 50% de la richesse mondiale, mais nous ne sommes que 6,3% de la population mondiale. Cet écart est particulièrement large entre nous et les peuples d'Asie. Dans cette situation, nous ne pouvons éviter d'être l'objet d'envie et de ressentiment. Notre vrai travail dans les années à venir est de concevoir un modèle de relations qui nous permette de maintenir cet écart sans porter atteinte à notre sécurité nationale. Ce faisant, nous devrons nous dispenser de toute sentimentalité et de tout idéalisme ; et notre attention devra se concentrer partout sur nos objectifs nationaux immédiats. Il ne faut pas que nous imaginions que nous pouvons nous offrir le luxe de l'altruisme et du rôle de bienfaiteur de l'humanité.»

George Kennan, haut responsable à la planification du Département d'État, en 1948

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 Pour commander le livre en anglais : cliquer ici

Ce livre traite du projet entrepris par une petite élite socio-politique, réunie, après la Seconde Guerre mondiale, non pas à Londres, mais à Washington. C'est l'histoire jamais racontée de la façon dont une élite auto-proclamée se lance, selon les mots de Kennan, pour «maintenir cet écart». C'est l'histoire d'une toute petite minorité qui dominait les ressources et les leviers du pouvoir dans le monde de l'après-guerre.

Et c'est surtout l'histoire de l'évolution du pouvoir d'un petit cercle de gens cooptés, dans lequel même la science a été mise au service de cette minorité. Comme Kennan le recommandait dans son mémorandum interne de 1948, ils ont poursuivi leur action sans cesse, et sans le «luxe de l'altruisme et du rôle de bienfaiteur de l'humanité».

Déjà, et contrairement à leurs prédécesseurs au sein des cercles dirigeants de l'Empire britannique, cette élite américaine émergente, qui proclamait fièrement à la fin de la guerre l'avènement du Siècle américain, a été experte dans la rhétorique de l'altruisme et dans son rôle de bienfaitrice de l'humanité pour faire avancer ses projets. Le Siècle américain paradait comme un Empire plus doux, un empire plus gentil, plus civilisé, sous la bannière de la libération coloniale, de la liberté, de la démocratie et du développement économique, et ces élites ont créé un réseau de pouvoir tel que le monde n'en avait pas connu depuis Alexandre le Grand quelques trois siècles avant Jésus-Christ : un empire mondial unifié sous le contrôle militaire d'une superpuissance solitaire, capable de décider du sort de nations entière, sur un coup de tête.

Ce livre est la suite du premier volume, A Century of War : Anglo-American Oil Politics and the New World Order. Il décrit une seconde ligne rouge du pouvoir. Celle-ci concerne le contrôle de ce qui est à la base même de notre survie, notre pain quotidien. L'homme qui a servi les intérêts de l'élite de l'après-guerre basée à Washington durant les années 1970, et qui en est venu à symboliser sa realpolitik brutale, était le Secrétaire d'État Henry Kissinger. Plusieurs fois vers l'année 1975, Kissinger, praticien toute sa vie de la géopolitique de l'Équilibre des forces, un homme qui a plus conspiré qu'aucun autre, a soi-disant donné sa ligne directrice pour la domination mondiale en ces termes : «Contrôlez le pétrole et vous contrôlez les nations. Contrôlez la nourriture et vous contrôlez les gens.»

Ce but stratégique pour contrôler la sécurité alimentaire mondiale remonte à quelques décennies plus tôt, bien avant le déclenchement de la guerre à la fin des années 1930. Il a été financé, de manière très discrète, par des fondations privées sélectionnées, créées pour préserver la richesse et le pouvoir d'une poignée de familles américaines.

Au départ, ces familles avaient regroupé leurs richesses et leur pouvoir à New York et le long de la Côte Est, de Boston à New York, Philadelphie et Washington DC. C'est pour cela que les journalistes des grands médias en parlent souvent, parfois avec dérision mais le plus souvent avec respect, sous le nom de l'Establishment de la côte Est.

Le centre de gravité du pouvoir américain a changé dans les décennies suivant la guerre. L'Establishment de la côte Est a été éclipsé par de nouveaux centres de pouvoir qui ont émergé de Seattle à la Californie du Sud sur la Côte Pacifique, aussi bien qu'à Houston, Las Vegas, Atlanta et Miami, un peu comme les tentacules du pouvoir américain étendus jusqu'en Asie et au Japon, et vers le sud, sur les pays d'Amérique Latine.

Au cours des décennies qui ont directement précédé et suivi la Seconde Guerre mondiale, une famille en est venue à symboliser plus que toute autre la démesure et l'arrogance de ce Siècle américain émergent. Et cette famille s'est construit une immense fortune sur le sang de nombreuses guerres et sur leur contrôle du nouvel or noir, le pétrole.

Ce qui est inhabituel, à propos de cette famille, est que dès le début de leur fortune, les patriarches et les conseillers qu'ils avaient engagés pour asseoir solidement leur fortune ont décidé d'étendre leur influence à différents domaines. Ils n'ont pas seulement pris le contrôle du pétrole, l'énergie nouvelle pour le monde économiquement avancé. Ils ont aussi étendu leur influence sur l'éducation de la jeunesse, la médecine et la psychologie, la politique étrangère des États-Unis, et sur ce qui nous intéresse ici, la science de la vie, la biologie et ses applications dans le monde agro-alimentaire et agricole.

Pour l'essentiel, leurs actions sont passées inaperçues aux yeux de la majorité de la population, notamment aux États-Unis. Peu d'Américains ont compris combien leurs vies étaient, subtilement, et parfois pas du tout subtilement, influencées par l'un des projets financés par l'immense richesse de cette famille.

Lorsque je faisais mes recherches pour ce livre, un travail officiellement centré sur les OGM, il est devenu clair que cette histoire d'OGM était inséparable de l'histoire politique de cette famille sur-puissante, les Rockefeller, et des quatre frères – David, Nelson, Laurance et John D. III – qui, au cours des trois décennies qui ont suivi la victoire américaine dans la Seconde Guerre Mondiale, le décollage de ce siècle essentiellement marqué par l'Amérique, ont donné forme à ce pouvoir dont parlait George Kennan en 1948.

GMO seedsDans les faits, l'histoire des OGM est celle du passage de pouvoir dans les mains d'une élite, déterminée à soumettre l'ensemble du monde à son emprise, à n'importe quel coût.

Il y a 30 ans, le pouvoir reposait sur la famille Rockefeller et ses proches. Aujourd'hui, trois des quatre frères sont décédés depuis longtemps, plusieurs dans des circonstances suspectes. Néanmoins, comme ils le voulaient, leur projet de domination du monde – la domination sur la totalité du spectre comme le Pentagone l'appellera plus tard – s'est répandu, souvent derrière une rhétorique de démocratie, et a été aidé régulièrement par la force militaire brute de l'Empire quand cela était nécessaire. Leur projet a atteint le point où un petit groupe de gens de pouvoir, installé officiellement à Washington dans les premières années du nouveau siècle, s'est montré déterminé à contrôler le vivant d'aujourd'hui et de demain sur cette planète, à un niveau dont jamais personne n'avait rêvé auparavant.

L'histoire des manipulations génétiques et du dépôt de brevets sur le vivant – plantes et autres organismes – ne peut être comprise sans jeter un œil sur l'extension tous azimuts du pouvoir américain dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. George Kennan, Henry Luce, Averell Harriman et, avant tout, les quatre frères Rockefeller, ont créé ce concept d'agrobusiness multinational. Ils ont financé la Révolution verte dans le secteur agricole des pays développés pour, entre autres choses, créer de nouveaux marchés pour les fertilisants pétrochimiques et les produits pétroliers, ainsi que pour augmenter la dépendance à l'énergie. Ce qu'ils ont fait est une partie indissociable de l'histoire des végétaux génétiquement modifiés.

Durant les premières années du nouveau siècle, il était clair que seulement quatre multinationales de l'industrie chimique émergeraient comme acteurs mondiaux sur le marché des brevets pour contrôler les produits alimentaires de première nécessité dont les gens dépendent pour leur alimentation quotidienne dans le monde entier – le maïs, le soja, le riz, la farine, et même les légumes, les fruits et le coton – ainsi que les nouvelles variétés de volailles, résistantes à la maladie, modifiées génétiquement prétendument pour résister au virus mortel de la grippe aviaire H5N1, ou même les cochons et le bétail aux gènes modifiés. Sur ces quatre multinationales, trois sont liées, depuis des dizaines d'années, aux recherches sur la guerre chimique du Pentagone. La quatrième, officiellement suisse, est en réalité dominée par les Anglo-saxons. Comme pour le pétrole, le marché des OGM est avant tout un projet mondial anglo-américain.

En mai 2003, avant que la poussière des bombardements américains sans relâche sur Bagdad soit retombée, le président des États-Unis a décidé de faire des OGM une question stratégique, une priorité pour sa diplomatie d'après-guerre. La résistance acharnée du deuxième producteur agricole mondial, l'Union européenne, a constitué un obstacle formidable à la réussite mondiale du Projet OGM. Aussi longtemps que l'Allemagne, la France, l'Autriche, la Grèce et les autres pays de l'Union européenne refuseraient obstinément d'autoriser la culture des OGM, pour des raisons de santé publique et de recherche scientifique, le reste des pays du monde resterait sceptique et hésitant. Au début de 2006, l'organisation Mondiale du commerce a forcé l'Union européenne à ouvrir la porte à la prolifération des OGM. Il semblait alors que le Projet OGM était tout proche du succès final.

Mais dans la foulée de l'occupation militaire anglo-américaine de l'Irak, Washington s'est occupé de faire passer l'agriculture irakienne dans le domaine des semences brevetées OGM, tout d'abord fournies grâce à la générosité du Département d'État et du Département de l'Agriculture.

La première expérimentation de masse avec des végétaux OGM, en fait, a eu lieu au début des années 1990 dans un pays dont les élites avaient été depuis longtemps corrompues par la famille Rockefeller et les banques new-yorkaises qui lui étaient associées : l'Argentine.

Les pages suivantes suivent la prolifération des OGM, souvent grâce à la coercition politique, les pressions gouvernementales, la fraude, les mensonges et même les meurtres. Si on les lit comme un polar, c'est qu'elles en sont un. Le crime perpétré ainsi au nom de l'efficacité agricole, du respect de l'environnement et de la solution au problème de la faim dans le monde amène des enjeux qui sont bien plus importants pour cette petite élite. Celle-ci n'agit pas seulement pour l'argent et le profit. Après tout, ces familles très puissantes décident qui dirige la Réserve fédérale, la Banque d'Angleterre, la Banque du Japon et même la Banque centrale européenne. L'argent qu'elles possèdent leur sert à détruire ou à créer.

Leur but est plutôt le contrôle ultime de la vie future sur cette planète, une suprématie dont seuls les anciens dictateurs et despotes pouvaient rêver. Laissé sans frein, le groupe d'aujourd'hui qui se trouve derrière le projet OGM n'est plus qu'à 10 ou 20 ans de la domination totale des capacités nourricières de la planète. Cet aspect de l'histoire des OGM doit être raconté. J'invite donc le lecteur à une lecture attentive et à une vérification indépendante ou une réfutation argumentée de ce qui suit…

William Engdahl

Le livre dont vous avez lu l'introduction est disponible en français sous le titre OGM semences de destruction – L'arme de la faim.

Article original en anglais : Seeds of Destruction: The Diabolical World of Genetic Manipulation, publié le 12 septembre 2013.

Traduit par Ludovic, vérifié par Wayan, relu par Diane  pour le Saker Francophone.




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