vendredi 5 février 2016

La nouvelle dialectique « humanitaire » en Syrie

La nouvelle dialectique « humanitaire » en Syrie

Alep et les villages environnants se vident des milliers de combattants -et leurs familles- notamment du groupe terroriste Al-Nosra (la branche syrienne d'al-Qaida) devant l'avancée de l'armée régulière syrienne. Ces fuyards, qui ont semé la terreur et la mort durant 3 ans à Alep, vont maintenant en partie grossir les rangs des camps de réfugiés en Turquie. Les Etats qui – comme la Turquie, l'Arabie saoudite et la France – ont soutenu ces groupes terroristes « modérés » n'apprécient pas de voir l'armée gouvernementale reprendre le dessus. Ils sont maintenant plus que jamais à la manœuvre, comme l'expose l'analyse de Guillaume Borel ci-dessous. [Silvia Cattori]


Suite à l'avancée majeure de l'armée régulière syrienne dans la région d'Alep, les alliés régionaux de l'État Islamique et du Front Al-Nosra, la Turquie et l'Arabie Saoudite, montrent à nouveaux des velléités d'intervention directe sur le terrain syrien.

Soutenue par l'aviation russe, l'armée syrienne est en mesure de reprendre la ville d'Alep, fief des djihadistes du Front al-Nosra, et de libérer le gouvernorat régional. La principale route d'approvisionnement des djihadistes en provenance de Turquie a notamment été reprise par l'armée, qui a libéré plusieurs villages et localités de la province. Les quartiers rebelles sont sur le point d'être totalement encerclés. Selon le responsable de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane :

« Les pro régime encerclent les quartiers rebelles à Alep des côtés sud, est et nord, à l'exception d'une seule ouverture dans le Nord-Ouest qui permet aux insurgés d'accéder à la province voisine d'Idlib. »

Ce n'est donc probablement qu'une question de jours avant que les positions des djihadistes soient totalement bouclées. L'armée pourra alors lancer une vaste offensive afin de libérer l'intégralité de la ville. Toujours selon l'OSDH,  le bouclage d'Alep pourrait «  marquer le début de la fin pour eux, [les djihadistes] à moins qu'ils ne reçoivent une aide urgente des pays du Golfe et de la Turquie. »

Dans ce contexte militaire extrêmement préoccupant pour les alliés de la Turquie, Ankara semble montrer des velléités d'appuyer plus directement le Front al-Nosra. Les militaires turcs ont ainsi interdit un vol d'inspection russe au-dessus de leur territoire, qui devait s'effectuer dans le cadre du traité « ciel ouvert » qui autorise ce type de vols d'inspection afin de renforcer la transparence et l'ouverture militaire entre les principaux membres de l'OTAN et la Russie.

Le vol en question devait effectuer une reconnaissance entre le 1er et le 5 février sur la région frontalière avec la Syrie, et reconnaître notamment la base aérienne d'Incirlik utilisée par l'OTAN.

Le commandement militaire russe a logiquement interprété cette interdiction comme une volonté de dissimuler la préparation d'une offensive militaire sur le terrain syrien.

Selon le porte-parole du ministère russe de la Défense, l'armée russe «enregistre un nombre croissant de signes d'une préparation secrète des forces armées turques afin de mener des opérations sur le territoire syrien», et d'ajouter : « «Si quelqu'un à Ankara pense que l'interdiction d'un vol de reconnaissance russe permettra de cacher quoi que ce soit, il n'est pas professionnel ».

La coordination entre la Turquie et l'Arabie Saoudite semble également avoir franchi un cap devant l'urgence de la situation militaire. Les deux pays poussent notamment à la création d'une force militaire islamique de « maintien de la paix » sur le territoire syrien. Cette proposition a été formulée en janvier par un député du parti du président Erdogan, l'AKP, lors d'une réunion du conseil de l'Organisation de la Coopération Islamique basée en Arabie Saoudite. L'envoi d'une telle force sur le terrain pourrait en effet mettre un terme à l'avancée de l'armée régulière syrienne et  geler le conflit sur ses positions actuelles.

Selon Erdogan Toprak, député turc du parti d'opposition d'extrême gauche Parti démocratique du peuple, la visite récente du premier ministre Ahmet Davutoglu à Riyad en compagnie du chef de l'état-major turc, est le signe de la volonté d'Ankara d'une intervention armée conjointe sur le théâtre syrien. La question actuellement débattue à Ankara serait donc « de savoir si la Turquie — qui a déployé des efforts énergiques conjointement avec l'Arabie saoudite en vue de tenir les Kurdes syriens à l'écart des négociations de Genève — lancera une opération en Syrie pour empêcher les troupes d'Assad soutenues par l'aviation russe d'établir un contrôle sur les territoires turkmènes. »

Dans cette optique, le bloc américano-occidental et ses alliés régionaux ont rompu les pourparlers de paix de Genève qui s'étaient ouverts lundi, en prétextant l'offensive militaire actuelle du régime syrien et en conditionnant la réouverture des négociations à la mise en place d'un processus humanitaire, validant ainsi le plan turco-saoudien d'une force d'interposition de « maintien de la paix » dans le but d'offrir une porte de sortie aux groupes djihadistes encerclés par l'armée régulière et de reconstituer probablement des « zones refuge » près de la frontière turque.

Le secrétaire d'état américain John Kerry a ainsi dénoncé : « La poursuite de l'assaut des forces du régime syrien – renforcées par les frappes russes – contre des zones tenues par l'opposition » qui traduirait selon lui « le désir de chercher une solution militaire plutôt que de permettre une solution politique ».

Le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius, qui a mis en oeuvre depuis sa prise de fonction un soutien logistique et opérationnel aux groupes djihadistes et au Front al-Nosra, a également jugé que les circonstances militaires « privaient de sens » les discussions de Genève « auxquelles ni le régime de Bachar al-Assad ni ses soutiens ne souhaitent visiblement contribuer de bonne foi, torpillant ainsi les efforts de paix ».

Le 4 février, l'Arabie Saoudite se positionnait officiellement pour un engagement armé directdans le conflit contre l'État Islamique sous-direction américaine, par la voix du porte-parole du ministre de la défense.

La stratégie de guerre par procuration menée par la coalition occidentale et les Etats du Golfe dans le but de renverser Bachar-al-Assad au profit d'un protectorat islamique étant sur le point d'échouer du fait de l'entrée en guerre de la Russie, c'est maintenant au nom de l'urgence « humanitaire » que les sponsors occidentaux et régionaux des groupes djihadistes ayant semé le chaos et la mort en Syrie tentent de sauver leurs mercenaires. Le soudain intérêt porté à la situation humanitaire des syriens masque ainsi une tentative désespérée de geler le conflit afin d'offrir une porte de sortie aux rebelles armés et soutenus par la coalition. Nul doute que la thématique « humanitaire » n'en est qu'à ses premiers développements et que le système médiatique va s'en emparer de manière massive afin de conditionner les opinions à la nouvelle dialectique du conflit syrien.

Une première offensive préparatoire a ainsi eu lieu début janvier autour de la situation de la ville de Madaya, qui a notamment donné lieu à différentes supercheries et montages photographiques qui ont servi à alimenter une campagne de communication virale sur les réseaux sociaux mettant en scène une population civile en état de sous-nutrition avancée. Certains clichés mensongers véhiculés par les médias, notamment des pays du Golfe, n'étaient pas sans rappeler les images des détenus des camps de concentration…

Guillaume Borel




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Le président français Hollande se rend en Inde pour renforcer les liens militaires et l’investissement

Le président français Hollande se rend en Inde pour renforcer les liens militaires et l'investissement

La visite de trois jours en Inde du président français François Hollande le 24 janvier afin de vendre des avions de combat Rafale à l'Inde, suivant l'ouverture par New Delhi de pourparlers sur l'hébergement éventuel de troupes américaines sur des bases indiennes, souligne l'escalade militaire qui s'empare de l'Asie du Sud.

La délégation de Hollande, y compris les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, de l'Économie et de la Culture et des dizaines de hauts dirigeants d'entreprises, vise à stimuler le complexe militaro-industriel français et l'exploitation de la main-d'oeuvre indienne bon marché par la France. La délégation française a annoncé qu'elle va augmenter ses investissements en Inde d'un milliard pour un total annuel de 20 milliards de dollars, et ce par rapport à un investissement indien de seulement 700 millions de dollars par an en France.

Hollande s'est rendu directement à Chandigarh, la capitale de l'État de l'Haryana, dont les politiques de libre marché le rend attrayant pour la délégation française. Offrant une ligne de crédit de 2,25 milliards de dollars, la France a déjà promis d'aider à transformer Chandigarh, Nagpur et Pondichéry en «villes intelligentes» avec l'approvisionnement en eau potable, l'évacuation efficiente des eaux usées et les transports publics. Hollande et le premier ministre indien, Narendra Modi, ont participé à un sommet d'affaires entre l'Inde et la France à Chandigarh en présence de près de 30 dirigeants d'entreprises indiennes et françaises.

Au sommet, Modi a déclaré: «Nous voulons travailler en étroite collaboration avec la France… Le monde accepte l'Inde comme une bonne destination d'investissement. Le talent de l'Inde et les [compétences] manufacturières de la France peuvent réaliser beaucoup de choses.» Soucieux de garantir que les investissements français sont entre de bonnes mains, il a ajouté: «Ce gouvernement est connu pour son régime fiscal stable et prévisible.»

Les deux parties n'ont pas réussi à finaliser la transaction principale, l'achat par l'Inde de 36 avions de combat Rafale. Dassault, qui fabrique le Rafale, a déclaré la semaine dernière qu'il prenait en charge la finalisation d'un accord dans les quatre prochaines semaines. Après avoir rencontré Hollande, Modi a seulement affirmé: «Nous avons réalisé un accord intergouvernemental pour l'achat de 36 Rafales, à l'exception des aspects financiers.»

Bien que l'Inde est soucieuse de renforcer la force de ses escadrons de chasse et émerger en tant que grande puissance mondiale, les plans initiaux de New Delhi pour l'achat de 126 avions ont ensuite été réduits à 36 pour réduire les coûts.

Des accords ont été signés sur la coopération spatiale, l'économie verte, les villes intelligentes et l'infrastructure, la science et la technologie, et la rénovation des gares en Inde. Les deux parties ont également convenu de finaliser la construction de six réacteurs nucléaires en Inde par une entreprise française d'ici un an. Il y a aussi eu un accord aérospatial indéterminé entre Airbus et le groupe Mahindra.

Les deux parties ont également discuté de la coopération accrue en matière de sécurité et de renseignements. Hollande a dit: «La France et l'Inde sont deux grandes démocraties… nous sommes donc des cibles de choix pour les terroristes qui ne peuvent pas respecter la liberté, la démocratie ou la culture.»

La description de Hollande de la France et de l'Inde comme «deux grandes démocraties» qui mènent une «guerre contre le terrorisme» est de la pure hypocrisie. En fait, Modi et Hollande incarnent le caractère réactionnaire et antidémocratique des élites dirigeantes en Inde et en France.

Modi, qui en 2002 était le ministre en chef de l'État indien du Gujarat, a supervisé les pogroms anti-musulmans qui ont tué plus de 1.200 civils musulmans et ont fait fuir des dizaines de milliers de leurs maisons. Depuis que Modi est devenu premier ministre en mai 2014, les tensions communautaires et les attaques contre les minorités ont bondi.

Quant à la France, depuis l'attaque terroriste du 13 novembre dernier par l'État islamique à Paris, elle est sous l'état d'urgence. Les manifestations publiques sont interdites, il n'y a aucune garantie de la liberté de la presse ou la liberté de réunion, et aucun contrôle judiciaire des perquisitions et des saisies effectuées par la police. Hollande s'est engagé à rendre cette situation permanente et attise la haine anti-islamique. Cela a créé un climat politique dans lequel le Front national néo-fasciste peut prospérer.

Le voyage de Hollande a coïncidé avec la célébration par l'Inde de son indépendance de la Grande-Bretagne avec la fête du Jour de la République le 26 janvier. Conformément à la tradition d'inviter des dirigeants de premier plan des pays occidentaux pour le Jour de la République, le gouvernement Modi a fait de Hollande l'invité d'honneur. Il suivait le président américain, Barack Obama, l'année dernière et le premier ministre japonais, Shinzo Abe, l'année précédente.

Un contingent militaire français a participé au défilé du Jour de la République, la première fois depuis l'indépendance que les forces étrangères avaient rejoint la parade, ce qui souligne l'asservissement du gouvernement BJP aux puissances impérialistes.

Les articles de la presse indienne ont salué cette mesure comme une preuve de liens militaires croissants de l'Inde vers les puissances occidentales. C. Raja Mohan a loué Modi dans l'Indian Express pour avoir tenté d'exorciser les fantômes de «l'isolationnisme indien». Il a ajouté: «Le défilé du contingent français sur le Rajpath suggère que l'effort a commencé à porter ses fruits.»

Prétendant en quelque sorte que les relations de New Delhi avec Hollande ont un caractère anti-impérialiste, les médias indiens ont mis en évidence le fait qu'à la fin du 18e siècle, les troupes françaises se sont jointes au seigneur féodal indien Tipu Sultan contre les Britanniques, qui gouvernaient alors la majeure partie du pays.

La comparaison des troupes françaises luttant contre la monarchie britannique pendant la guerre d'indépendance américaine, la Révolution française et les guerres napoléoniennes est une fraude réactionnaire. Ces guerres ont émergé à partir d'un élan révolutionnaire des masses de l'Europe et de l'Amérique contre les monarchies absolues. Aujourd'hui, la France mène des guerres sanglantes pour défendre l'ordre impérialiste à travers l'Afrique et le Moyen-Orient, tout en imposant des mesures d'État policier chez elle.

Pour la première fois, l'implication de la CIA dans la visite d'un président français en Inde a été signalée. Le 23 janvier, la CIA a demandé à la police de l'État de l'Haryana de présenter un rapport sur l'état de la criminalité et des données sur toutes les activités criminelles signalées dans le Gurgaon et les districts environnants. Modi et Hollande ont visité Gurgaon le 25 janvier et cette initiative visait officiellement à assurer une sécurité adéquate.

Les demandes de renseignements de la CIA ont également porté sur l'exploitation minière illégale et d'autres activités dans la chaîne de montagnes Aravalli, ainsi que dans la région de Mewat, où plusieurs terroristes présumés ont été arrêtés au cours des trois dernières années, y compris un suspect d'Al-Qaïda.

Bien que le rôle de la CIA ait été présenté comme le reflet des relations amicales de la France avec les États-Unis, la politique étrangère française et américaine en Asie ne coïncide pas. En fait, bien qu'ils collaborent avec Washington sur la politique militaire, l'Inde et la France ont des réserves importantes concernant la politique étrangère américaine en Asie.

De manière significative, Modi et Hollande ont été silencieux lors de la visite sur le «pivot vers l'Asie» américain visant à isoler la Chine. Il y a seulement trois mois, Hollande a visité la Chine pour approfondir les relations financières avec ce pays. New Delhi et Paris sont devenus membres de «la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures» chinoise qui vaut 50 milliards de dollars, malgré les appels de Washington à la boycotter.

Des mesures de sécurité maximum ont été imposées à Gurgaon et Faridabad. Des commandos SWAT (Special Weapons and Tactics) ont pris position dans un rayon de deux kilomètres autour de l'endroit où se trouvaient Hollande et Modi, et l'article 144 a été imposé. Cela permet aux autorités d'interdire un rassemblement de plus de 10 personnes et d'imposer des amendes et un emprisonnement de trois ans à ceux qui transgresseraient les ordres de la police. L'article 144 était en vigueur dans les centres commerciaux de premier plan, aux endroits stratégiques et aux endroits bondés entre le 24 et le 26 janvier.

Des mesures de sécurité généralisées ont été imposées à la fête du Jour de la République. «Le centre-ville de Delhi a été essentiellement transformé en forteresse», a commenté NDTV. Cinquante-mille membres de la police et des forces de sécurité de Delhi ont été mobilisés et NDTV a noté: «Des commandos à mitrailleuses légères ont été déployés à 10 endroits stratégiques et des canons antiaériens sont restés positionnés à deux points d'observation dans la capitale.» Plusieurs anneaux de sécurité ont été déployés autour de Hollande et Modi.

Sarath Kumara

Article paru d'abord en anglai, WSWS,s le 3 février 2016




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Bienvenue à Genève… en Syrie

Bienvenue à Genève… en Syrie

Le prétendu processus de paix en Syrie s'apprête à arriver au stade de la mascarade genevoise, qui pourrait se prolonger pendant des mois. Attendez-vous à des doses massives de cabotinage et de fanfaronnades capables de faire rougir Donald Trump lui-même.

L'idée même de toutes ces pantomimes en costard-cravate cherchant à personnifier Damas à Genève est d'un ridicule consommé. L'envoyé de l'ONU, le très élégant Staffan de Mistura, reconnaît lui-même que la tâche à accomplir est sisyphéenne, même si tous les acteurs qui comptent étaient réunis autour de la table.

Voilà maintenant que la figure de l'opposition George Sabra annonce qu'il n'y aura pas de délégation du Haut comité des négociations, basé à Riyad, à la table des négociations. Comme si les Syriens avaient besoin d'une opposition instrumentalisée par l'Arabie saoudite.

Pour remettre les choses dans leur contexte, voici donc une récapitulation extrêmement concise des faits décisifs observés récemment sur le territoire syrien, que la nouvelle capitale Genève pourrait ignorer à ses risques et périls.

Remontons à l'été dernier, lorsque le commandant iranien et superstar de la Force Al-Qods, Qasem Soleimani, déterminé à se faire entendre, s'est rendu en personne à Moscou pour présenter crûment la gravité de la situation dans l'ensemble du théâtre des opérations en Syrie.

Pour l'essentiel, Soleimani a dit au Kremlin et aux services secrets russes qu'Alep pourrait prochainement tomber, que le Front al-Nosra était aux portes de Damas au sud, qu'Idlib était tombé et que Lattaquié, où se trouve une base de l'armée russe, allait suivre.

On peut facilement imaginer l'effet de cet électrochoc de realpolitik dans l'esprit du président Poutine. D'où sa résolution d'empêcher que la Syrie ne s'écroule et devienne une nouvelle Libye, version remixée.

La campagne de l'Armée de l'air russe était devenue le dernier moyen pour modifier les règles du jeu. Elle est en passe de sécuriser l'axe Damas-Homs-Lattaquié-Hama-Alep, la zone urbaine et développée dans l'ouest de la Syrie où vit 70 % de la population du pays. Daesh et le Front al-Nosra (alias al-Qaïda en Syrie) n'ont aucune chance de s'emparer de ce territoire. Le reste est en grande partie désertique.

Jaysh al-Islam, une bande armée hétéroclite équipée par l'Arabie saoudite, occupe encore quelques positions au nord de Damas. La menace peut être contenue. Les péquenauds se trouvant dans la province de Daraa, au sud de Damas, ne pourraient foncer vers la capitale que dans le cadre d'une impossible reprise de l'opération Tempête du désert (1991).

Les rebelles modérés, une concoction préparée à l'intérieur du périf de Washington, ont bien tenté de garder Homs et Qousseir en coupant le réapprovisionnement de Damas, mais ils ont été repoussés. Quant à la bande de rebelles modérés qui ont pris toute la province d'Idlib, elle se fait bombarder sans relâche, depuis maintenant quatre mois, par l'Armée de l'air russe. Le front au sud d'Alep est également sécurisé.

Ne bombardez pas nos rebelles !

Il est facile de pointer du doigt ceux que les actions des Russes rendent livides : l'Arabie saoudite, la Turquie et, dernier acteur et non le moindre, l'Empire du Chaos, qui sont tous à la table des négociations à Genève.

Le front al-Nosra, qui est commandé à distance par Ayman al-Zawahiri, est intimement lié aux salafo-djihadistes de l'Armée de la conquête, parrainée par les Saoudiens, en plus d'être allié tactiquement à une myriade de groupes symboliquement liés à l'Armée syrienne libre (ASL), qui n'existe pratiquement plus que de nom.

La CIA, qui se sert des Saoudiens comme déni plausible, a armé jusqu'aux dents des éléments de l'ASL jugés sûrs en leur fournissant, entre autres, des missiles antichars TOW. Devinez qui a intercepté pratiquement toutes les armes ? Le front al-Nosra.

La suite était hilarante. Washington, Ankara et Riyad se sont mis à dénoncer furieusement Moscou parce qu'il bombardait leurs rebelles modérés plutôt que Daesh.

Lentement mais sûrement, l'Armée arabe syrienne (AAS), parallèlement à l'offensive russe, a repris l'initiative. Les 4+1 – la Russie, la Syrie, l'Iran (ses forces spéciales, dont bon nombre viennent de l'Afghanistan) et l'Irak, plus le Hezbollah – ont commencé à coordonner leurs efforts. La province de Lattaquié, où se trouvent non seulement Tartous, mais aussi la base aérienne de Khmeimim, est maintenant entièrement sous le contrôle de Damas.

Ce qui nous amène à parler des cauchemars d'Ankara. L'Armée de l'air russe a réduit en cendres la grande majorité de ses mandataires turkmènes (largement infiltrés par des fascistes turcs [Les loups gris, NdT]) au nord-ouest de la Syrie. C'était la principale raison expliquant le geste désespéré du sultan Erdogan d'abattre le Su-24.

Il est maintenant clair, à l'heure qu'il est, que les gagnants sur le terrain sont les 4+1, et que les perdants sont l'Arabie saoudite et la Turquie. Il n'y a donc pas de quoi s'étonner si les Saoudiens veulent voir au moins une partie de leurs mandataires à la table des négociations à Genève, et si la Turquie cherche à changer de sujet en bloquant la présence des Kurdes syriens, accusés d'être des terroristes bien pires que Daesh.

C'est à Jerablus que ça se passe, pas à Genève !

Comme si les choses n'étaient pas assez confuses, tous ces think tanks formant le royaume du baratin aux USA nous rabâchent maintenant qu'il y a une entente entre Washington et Ankara pour ce qui sera, à toutes fins utiles, une invasion turque au nord de la Syrie, sous le prétexte d'écraser Daesh au nord d'Alep.

C'est de la foutaise. Le jeu d'Ankara comprend trois volets : soutenir ses mandataires turkmènes lourdement meurtris ; assurer le maintien des activités dans le corridor menant à Alep (où passe la cruciale autoroute djihadiste liant la Turquie à la Syrie) ; et surtout empêcher par tous les moyens les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) de relier Afrin à Kobané et d'unir ainsi les trois cantons des Kurdes syriens à proximité de la frontière turque.

Tout cela n'a rien à voir avec la lutte contre Daesh. Le plus dingue, c'est que Washington aide actuellement les Kurdes syriens en leur fournissant un appui aérien. Le Pentagone doit ou bien soutenir les Kurdes syriens, ou bien soutenir Erdogan dans son invasion du nord de la Syrie. La schizophrénie n'a pas sa place ici.

Un Erdogan au désespoir pourrait être assez cinglé pour affronter l'Armée de l'air russe pendant sa supposée invasion. Poutine a dit officiellement que la réponse à toute provocation sera immédiate et fatale. Pour couronner le tout, les Russes et les Américains coordonnent maintenant leurs sorties aériennes au nord de la Syrie.

C'est donc là que ça va chauffer, en plus d'éclipser la pantomime de Genève. Les YPG kurdes et leurs alliés planifient une attaque majeure afin de saisir la bande de cent kilomètres le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie encore sous le contrôle de Daesh, qui assurerait ainsi l'union des trois cantons.

Erdogan a été catégorique. Si les YPG passent à l'ouest de l'Euphrate, ce sera la guerre. Il semble bien que ce soit la guerre alors. Car les YPG se préparent à attaquer les villes stratégiques de Jerablus et de Manbij. La Russie va sûrement aider les YPG à reconquérir Jerablus. Ce qui dressera (de nouveau) la Turquie contre la Russie sur le terrain.

Genève dites-vous ? C'est pour les touristes. La capitale de l'horreur syrienne, c'est maintenant Jerablus.

 Pepe Escobar

 

Article original en anglais : You have now landed in Geneva, Syria, Rt, le 29 janvier 2016.

Traduit par Daniel, édité par jj, relu par Diane pour le Saker francophone

Photo : Le médiateur de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura © Denis Balibouse / Reuters

Pepe Escobar est l'auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge(Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) Empire of Chaos(Nimble Books, 2014) et le petit dernier, 2030 (Nimble Books, 2015).




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