vendredi 29 janvier 2016

L’Initiative du Président syrien, Genève 3 et le gibet de potence de l’Histoire

L'Initiative du Président syrien, Genève 3 et le gibet de potence de l'Histoire

Il y a trois ans, le 6 janvier 2013, le président Bachar al-Assad a exposé devant les comités et organisations populaires syriennes sa vision de la solution politique à ladite « crise syrienne » [1]. Trois ans durant lesquels la…

[Ukraine] Le jour où les parlementaires ont (de nouveau) sacrifié nos emplois à la globalisation…

[Ukraine] Le jour où les parlementaires ont (de nouveau) sacrifié nos emplois à la globalisation…

Et je ne parle même pas des relations avec la Russie pour récupérer le pays quasiment le plus pauvre d’Europe…

Je fais allusion à l’accord d’association UE-Ukraine, qui contient principalement un accord de libre-échange ua niveau économique.

Et cet accord a été ratifié cet été.

Merci à Didier qui nous a fait une belle synthèse des débats

Les débats au Sénat

Les débats sont consultables ici. Mais comme ils sont long, voici la synthèse :

Débat au Sénat préalable à la ratification des accords avec l’Ukraine et la Géorgie. Séance du 7 mai 2015    Florilège

La version gouvernementale :

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes : […] Je me suis moi-même rendu à Kiev, à l'occasion du premier anniversaire de « Maïdan », le 22 février dernier. J'ai alors pu mesurer les attentes des autorités et des citoyens ukrainiens pour qui l'Europe et le lien avec l'Europe sont synonymes d'État de droit, de démocratie, de lutte contre la corruption, de liberté, de solidarité, mais aussi de nouvelles perspectives sociales et économiques. […] La situation reste aujourd'hui très fragile dans l'est de l'Ukraine et de fortes tensions persistent, notamment autour de Donetsk et de Marioupol. Toutefois, le processus de sortie de crise négocié le 12 février à Minsk [...] est aujourd'hui la seule feuille de route pour la paix [et] doit être […] strictement respectée : le cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes, le volet politique concernant le futur statut des régions de l'Est et les élections qui doivent s'y tenir, le respect de l'intégrité territoriale des frontières et de la souveraineté de l'Ukraine.[...] Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux fournisseurs et investisseurs dans le pays, [...] profiteront de l'amélioration attendue de l'État de droit, du climat des affaires, des conditions d'investissement, qui seront facilitées, ainsi que des avancées réglementaires. [...] Cet accord ne porte pas sur une perspective d'adhésion à l'Union européenne. […] La conclusion de cet accord d'association avec l'Union européenne n'implique en aucun cas que l'Ukraine doive renoncer à ses relations avec la Russie. Le partenariat oriental n'est dirigé contre aucun pays et ne vise pas à créer de lignes de fracture sur le continent européen.

Les arguments en faveur des accords :

M. Daniel Reiner (PS), rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : […] C'est la décision du président Viktor Ianoukovytch de suspendre brutalement le processus de négociation [...] qui avait été l'élément déclencheur du soulèvement populaire de Maïdan. Néanmoins, très vite, la protestation a [...] débouché sur une crise politique et internationale aux multiples implications. Le gouvernement provisoire mis en place en février 2014 après le départ de Viktor lanoukovytch a, quant à lui, affirmé très vite son intention d'entériner l'accord. […] L'accord représente également un puissant levier pour moderniser son économie, en incitant à l'instauration d'un environnement favorable à la concurrence et aux investissements dans un pays où la corruption et l'économie informelle sont encore, hélas ! des réalités. […] À lui seul, le conflit à l'Est coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour. Depuis un an, l'activité s'est effondrée, la monnaie ukrainienne a perdu plus de la moitié de sa valeur, les réserves de change ont fortement diminué et le secteur bancaire se trouve largement fragilisé. […] Si l'application de l'accord est susceptible, dans un premier temps, de provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, l'Ukraine bénéficiera, pour certains produits sensibles, d'une asymétrie transitoire, la diminution des droits de douane étant plus rapide pour les exportations ukrainiennes que pour les exportations européennes. Enfin, l'Ukraine bénéficiera sur la période 2014-2020 d'une aide financière européenne […] approchant les 13 milliards d'euros sur la période. […] Il convient aussi de ne pas décevoir les aspirations de la société ukrainienne à l'égard de l'Europe. Néanmoins […] nous ne sommes pas favorables à un élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine.

M. Hervé Maurey (UDI, NC), président du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine. D'une part, cet accord a provoqué des événements politiques et historiques majeurs, parfois dramatiques ; d'autre part, la signature et la ratification de cet accord témoignent d'une volonté politique forte de l'Ukraine de construire son avenir en partenariat avec l'Europe. […] La volte-face du Président Ianoukovitch, à seulement quelques jours du sommet de Vilnius, a déclenché les événements de Maïdan […] Il a en effet fallu attendre que les caméras du monde entier se braquent sur les sacrifiés de Maïdan pour qu'une initiative conjointe des ministres des affaires étrangères français, allemands et polonais permette d'entendre la voix de l'Europe dans le règlement de cette crise. Sitôt installé, en février 2014, le gouvernement intérimaire a réaffirmé sa ferme volonté de parvenir à la signature de l'accord. […] Cet accord, pourtant obtenu de haute lutte, ne règle pas, tant s'en faut, tous les problèmes auxquels l'Ukraine est confrontée. […] Des violences se poursuivent à l'est de l'Ukraine, et, avec plus 6 000 morts à ce jour, ce conflit est le plus meurtrier que l'Europe ait connu depuis les années quatre-vingt-dix. Il entraîne avec lui son lot de violences contre les personnes et les biens, et de violation du droit international. À cet égard, nous ne devons pas oublier les conditions d'annexion de la Crimée. La question du retour des prisonniers n'est pas non plus réglée à ce jour.

M. André Gattolin (EELV) : ce serait une grave erreur que d'ignorer le choix libre d'un peuple européen de se rapprocher de valeurs si chères à l'Union européenne que sont la démocratie, l'état de droit et le respect des libertés fondamentales. […] Une telle intégration économique constitue globalement une réponse adaptée aux impacts provoqués par les embargos russes sur l'économie ukrainienne. […] Cet accord prévoit également une coopération en matière de nucléaire civil. […] Il ne s'agit pas là d'une source d'énergie [...] propre ou sûre. Mais, faute de mieux, [...] cette disposition permettra a minima de réduire les risques, vu le caractère vieillissant du parc nucléaire ukrainien [et] permettra aussi de desserrer le lien de dépendance à l'égard de la Russie en matière d'entretien des centrales nucléaires, en particulier du site de Tchernobyl. [..] La sécurisation du réseau ukrainien de transit de gaz naturel permettra à l'Union européenne de sécuriser son propre approvisionnement énergétique. […]  L'Union européenne et ses États membres doivent à très court terme relever un autre type de défi : [...] contrer les campagnes de désinformation massives actuellement menées par la Russie. L'Union européenne est d'ailleurs très préoccupée par cette manipulation de l'information. Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne, élabore en ce moment […] un important plan d'action sur la communication stratégique.

M. Claude Malhuret (UMP). L'accord a déjà eu une conséquence majeure : la très grave crise internationale déclenchée par la Russie, avec la volte-face de Viktor Ianoukovitch, la révolution du Maïdan, la fuite du président ukrainien, l'annexion de la Crimée, l'invasion déguisée de l'est de l'Ukraine par les troupes russes, les sanctions occidentales, la crise économique en Russie, tout cela en quelques mois ! […] Que fait la Russie ? Elle s'abstient soigneusement de répondre aux questions et fait traîner au maximum les discussions. Elle a déjà obtenu le report à 2016 de la mise en place de l'accord. Pendant ce temps, elle continue de saigner l'Ukraine, mois après mois. […] Pour son malheur, l'Ukraine a fait partie pendant soixante-dix ans de l'Union soviétique. Elle est aujourd'hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme la Géorgie, l'Azerbaïdjan, la Moldavie avant elle et peut-être demain les pays baltes, par la politique agressive de Vladimir Poutine, pour qui la chute de l'URSS est « la plus grande catastrophe du XXe siècle ». Nous savons, nous, que la catastrophe ne fut pas la mort, mais la naissance de l'URSS. La Russie aura donc, hélas, manqué par trois fois l'occasion de partager la réussite de l'Europe : au XIXe siècle à cause de l'autocratie tsariste, au XXe siècle en raison de la dictature communiste et au XXIe siècle du fait d'un nouveau nationalisme impérialiste et revanchard condamné à l'échec. Ce qui est étonnant, c'est que le Président russe passe encore souvent pour un stratège. Pendant des années, dans l'affaire syrienne, dans l'affaire iranienne, dans l'affaire géorgienne, on nous a rebattu les oreilles du génie de Poutine, de sa stratégie toujours gagnante contre une Europe impuissante et une Amérique démotivée.

Ce prétendu génie n'était dû qu'au traditionnel retard des démocraties à réagir et à leur aversion aux conflits. Mais l'avantage des démocraties, c'est que, lorsqu'elles prennent conscience du danger, la puissance de leurs institutions et de leur économie entraîne des réponses qui font mal. Alors que nous sommes, avec les sanctions, au bas de l'échelle des réactions possibles, le tigre de papier russe s'est effondré en quelques mois : récession de 5 % en 2015, fuite des capitaux massive, baisse de 30 % des réserves de change, chute du rouble de 40 %, taux de crédit à 17 %. Devant des démocraties qui ne tremblent plus, devant des alliés comme le Kazakhstan et la Biélorussie qui renâclent, car ils ont compris qu'ils risquaient d'être les prochaines victimes, la seule porte de sortie qu'a trouvée le génial Poutine est de se jeter dans les bras de la Chine, dix fois plus peuplée et trois fois plus riche, où Xi Jinping l'a accueilli à bras ouverts et s'est empressé de lui acheter à prix bradé tout le pétrole et le gaz disponible. Génial stratège, et pauvre Russie !

Mon deuxième sujet d'étonnement est que cette politique puisse trouver des soutiens chez nous. N'importe quel observateur objectif ne peut qu'être choqué par l'invraisemblable litanie des violations du droit international et du droit tout court opérées depuis quelques années par la Russie : intervention en Géorgie, soutien aux sécessions de l'Ossétie, de l'Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie, annexion de la Crimée, invasion quasi ouverte de l'est de l'Ukraine, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, violation des espaces aériens norvégiens, finlandais et portugais, envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, menaces contre des navires danois, affirmation publique par Poutine qu'il a envisagé l'utilisation d'armes nucléaires tactiques, augmentation de 30 % du budget militaire, propagande anti-occidentale massive, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, emprisonnement de Navalny et de bien d'autres, exil forcé pour Khodorkovski, Kasparov et tant d'autres, assassinat d'Anna Politkovskaïa, de Litvinenko, de Markelov, d'Anastasia Babourova, de Sergueï Magnitski, de Boris Beresovski, de Boris Nemtsov, plus récemment. Et la liste n'est pas exhaustive !

Pourtant, certains continuent de nier l'évidence. Les plus ardents soutiens de l'autocrate ne surprennent pas. Les extrémistes de droite et de gauche ont un flair infaillible pour renifler les dictateurs et leur faire la courte échelle. De Le Pen à Mélenchon, de Orban à Tsipras, qui gouverne à Athènes avec l'extrême droite et qui recueille les applaudissements du Front national français, c'est à qui gagnera le concours de courbettes. Alors que les troupes russes sont en Crimée et dans le Donbass, ils nous disent que les responsables de la situation sont les Américains. Les autres responsables à leurs yeux sont les dirigeants européens, cette Europe qu'ils haïssent et qu'ils veulent abattre ; cette Europe dont la politique de voisinage propose exactement ce que Poutine, tout comme eux, ne peut supporter : la démocratie, le respect de la loi et des droits de l'homme, le développement économique et la solidarité entre les États membres. Ce qui est navrant, en revanche, c'est le soutien incompréhensible de personnalités appartenant à des formations démocratiques, […] les libres opinions dans les journaux expliquant que la Crimée est russe, comme l'est de l'Ukraine, qu'il faut se dissocier des Américains qui sont des va-t-en-guerre, […]

Toutes ces actions derrière lesquelles la patte de l'ours russe n'est que trop visible me choquent profondément. Les arguments utilisés sont la transcription au mot près de la propagande russe, qui nous explique que « les Ukrainiens sont des fascistes, la nation ukrainienne n'existe pas, l'Ukraine fait partie de la sphère d'influence de la Russie, la Crimée a choisi volontairement son annexion par la Russie, la Russie a été humiliée pendant des années depuis la chute du mur de Berlin et il faut la comprendre ». Je remarque au passage que personne ne semble s'émouvoir de l'humiliation durant des décennies, ô combien plus grave, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois et de toutes les autres victimes de l'occupation soviétique, à commencer par les Ukrainiens. Les thuriféraires de Poutine ne se donnent même pas l'élégance d'habiller, au moins en façade, la propagande russe. […] Les nazis disaient vouloir défendre les minorités allemandes dans les Sudètes comme Poutine prétend vouloir défendre les « Russes ethniques » en dehors de la Russie. […]  Les sanctions sont une décision délicate ; elles ont un coût pour nous-mêmes. Pourtant, il fallait les décider, et il faut s'y tenir sans écouter les sirènes qui nous disent qu'elles n'ont aucun effet alors qu'à l'évidence leur effet est majeur. L'arrêt désormais assumé de la vente des Mistral est un acte courageux, qu'il faut soutenir.

Le fait que nous n'ayons jamais autant engrangé de contrats d'armement est d'ailleurs le meilleur démenti aux porte-voix de Poutine qui martelaient l'argument selon lequel notre crédibilité commerciale était en jeu. […] L'Ukraine est devenue un piège pour Poutine. Ses propres erreurs lui ont déjà infligé trois défaites. La première, qu'il n'avait pas prévue, fut la chute de Ianoukovitch et le printemps de Maïdan. La deuxième défaite fut que l'Ukraine soit très largement unie et capable de se battre, ce qu'il n'avait pas prévu non plus. Et la troisième défaite, encore moins prévue tellement est grand son mépris pour les Européens, fut que l'Europe soit capable de réagir. […] Que l'Europe reste unie, et unie avec les États-Unis. […] Un point dans ces accords est un véritable trou noir : l'impossibilité de contrôler la frontière russo-ukrainienne par où passent chaque jour – c'est un secret de Polichinelle – de nouveaux soldats et de nouvelles armes russes en prévision d'éventuels combats, à Marioupol par exemple.

Mme Gisèle Jourda (PS). Dès 2011, l'Ukraine a été fortement incitée par la Russie à rejoindre l'Union eurasiatique avec la Biélorussie et le Kazakhstan et surtout sa fameuse union douanière, incompatible avec la zone de libre-échange approfondi négociée avec l'Union européenne. […] Oui, l'Ukraine se bat pour l'Europe ! Le soulèvement populaire de Maïdan l'illustre parfaitement, tout comme la signature de cet accord. […] Pour la jeunesse ukrainienne, c'est un puissant symbole, un signe d'espérance et d'espoir. Pour Raphaël Glucksmann, conseiller de l'ancien président géorgien Mikheil Saakachvili, « ces documents incarnent l'Europe, la possibilité ou l'impossibilité d'un avenir ».

M. Jean-Yves Leconte (PS). Lorsque le Président Ianoukovitch a finalement refusé de signer l'accord d'association, la population s'est mobilisée pour protester, malgré les pressions russes qui commençaient à peser sur l'économie du pays. [...] Elle ne supportait plus le système kleptocratique et elle voyait en l'Europe une garantie de l'État de droit. Après le départ du Président Ianoukovitch, le pays a dû faire face, d'une part, à la plus grande violation du droit international en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – l'annexion de la Crimée – et, d'autre part, à une déstabilisation majeure. […] En raison de la situation de guerre dans le pays, les promesses de Maïdan semblent bien loin. La situation sociale est explosive, l'économie est totalement bloquée, l'oligarchie est toujours très présente et, en raison du conflit, les forces armées occupent une place très importante dans la société. Par ailleurs, il ne faut pas se le cacher, il y a des enjeux en termes de liberté d'expression. [….] Cet accord s'inscrit dans l'esprit de 1989, de la chute du mur de Berlin, des combats menés durant toute leur vie politique par Charles de Gaulle, Willy Brandt ou François Mitterrand pour sortir l'Europe du joug de Yalta, du joug totalitaire et faire en sorte que les peuples décident de leur avenir. […] L'histoire nous a montré que, lorsque la France et la Russie sont opposées, c’est l'ensemble de l'Europe qui est malade. Cette conviction historique ne doit pas nous empêcher de nous manifester quand la Russie commet l'inacceptable.

M. Alain Néri (PS). Évidemment, cet accord ne doit en aucun cas être interprété comme une perspective donnée à l'Ukraine d'adhérer à l'Union européenne ou à l'OTAN. Il précise d'ailleurs clairement qu'il n'est pas incompatible avec une participation à l'Union eurasiatique qui prend forme autour de la Russie. 

OB : C’est triste une bêtise pareille, le type n’a pas l’air d’avoir réfléchi que quand un pays appartient à 2 zones de libre-échange, il n’y a pratiquement plus qu’une seule zone de libre-échange…

Arguments défavorables aux accords :

M. Michel Billout (PCF, opposé aux accords). Le refus par un gouvernement pro-russe de le signer a été à l'origine de la guerre civile et de la quasi-partition du pays en 2013. […] Nos actes auront inévitablement des répercussions sur l'évolution de la situation dans la région. […] Force est de constater que les représentants européens se sont montrés particulièrement prudents. […] C'est cette prudence de l'Union européenne qui explique la prise en compte assez large, pendant le sommet, des préoccupations des Russes en termes aussi bien d'approvisionnements gaziers que d'application du processus de paix dans le Donbass. En revanche, l'Union européenne a exigé des Ukrainiens des engagements substantiels en faveur des accords de Minsk, et ce malgré les violations du cessez-le-feu qui s'intensifient dans le Donbass. Dans un tel contexte, où le gouvernement ukrainien joue manifestement un rôle ambigu, est-il opportun de ratifier si rapidement cet accord ? La procédure accélérée [...] est assez inhabituel[le] pour les accords internationaux de ce type. […] Dans quelle mesure cette ratification par le Parlement français contribuera[-t-elle], ou non, à trouver une solution politique à la crise actuelle [?]

De plus, le contenu même de l'accord [...] nous paraît critiquable. […]  La stratégie de l'Union européenne, dite de politique de voisinage, […] au lieu de mettre en place chez nos voisins des politiques de coopération sur une base d'égalité et de réciprocité, vise en réalité à étendre la zone d'influence de l'Union européenne par le biais d'une libéralisation économique. […] En Ukraine, cette politique, en démantelant progressivement la structure étatique de l'économie et en favorisant la mise en coupe réglée des principaux secteurs stratégiques de l'industrie par des oligarques qui se sont partagé le pouvoir, a pris en otage la population, lui faisant subir des réformes ultralibérales dévastatrices ! Les Russes, de leur côté, ont perçu cette stratégie, qui vise de fait à instaurer un rapport de force, comme une menace directe [...]. N'entrons donc pas dans ce jeu, où l'Ukraine tient le rôle de tête de pont de l'économie libérale ! Notre pays gagnerait à ne pas s'inscrire dans une telle stratégie, qui veut isoler la Russie, sur fond de sanctions économiques et de surenchères militaires auxquelles la Pologne et les États-Unis poussent en permanence. […] Les événements récents nous ont montré que le rapprochement économico-institutionnel avec l'Union européenne n'était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser la situation dans cette région. […] La ratification de l'accord par notre pays nous semble prématurée.

M. Alain Bertrand (PS, s’abstient). Il reste encore beaucoup à faire pour que ces pays amis se hissent au niveau de nos standards européens, malgré les difficultés que nous connaissons.[...]  Il faut encourager le développement économique de ce pays, qui dispose d'atouts et d'un formidable potentiel, [...] par exemple [les] ressources minérales ou l'agriculture. L'Ukraine offre à l'évidence des perspectives d'investissements et de commerce importantes pour ses voisins. Mais le climat des affaires devrait être plus serein. […] L'Ukraine figure malheureusement en queue de peloton dans le classement sur la corruption. […] La Rada a adopté une stratégie anti-corruption pour 2014-2017, et les services de sécurité ont été largement réformés. Mais l'assassinat d'un député et d'un journaliste au mois d'avril dernier témoigne tragiquement des difficultés actuelles. […] Le conflit a fait plus de 6 000 morts. De nombreuses personnes ont été déplacées. […]

Nous pouvons légitimement nous interroger sur la stratégie du Gouvernement visant à engager rapidement la procédure de ratification […]. Personne n'ignore le fond du sujet : sa portée politique à l'égard de la Russie, qui s'inquiète de la concurrence exercée par l'Union européenne au détriment de l'Union économique eurasiatique et d'une potentielle avancée de l'OTAN vers l'Est. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'esprit de nos amis russes, et il convient de le prendre en considération. Notre diplomatie doit aussi se soucier de l'équilibre à trouver entre l'Europe, qui regarde légitimement vers l'Est, et la Russie, qui souhaite tout aussi légitimement conserver une aire d'influence, conformément à son histoire et à son poids sur la scène internationale. […] L'Ukraine constitue évidemment un point névralgique […] La Russie souhaite en faire une zone neutre, une zone tampon. D'ailleurs, l'Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. La révolution de la place Maïdan en a été l'illustration. Si le pouvoir actuel est pro-occidental aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ? Les liens historiques et culturels entre l'Ukraine et la Russie sont très forts ! […] À l'égard de la Russie, il sera opportun d'éviter les provocations telles que les entraînements militaires de l'OTAN à proximité des frontières russes. Enfin, l'Union européenne doit définir collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre dans sa relation avec la Russie, afin d'éviter de bâtir des murs d'incompréhension qui obscurciraient l'avenir des peuples.

M. Pascal Allizard (UMP, favorable aux accords). Le conflit est à l'origine de mesures et de sanctions de l'Europe à l'égard de son grand voisin russe, qui y répond par d'autres sanctions. Cette spirale funeste doit être arrêtée. Certes, c'est d'abord l'annexion de la Crimée qui est à l'origine de ces sanctions, mais cela fait déjà plusieurs années que nous savons que la politique européenne dite du « Partenariat oriental » va dans le mur. D'abord, elle coûte cher. Nous avons dépensé des milliards d'euros dans la politique de coopération sans vraiment savoir à qui étaient destinés les fonds. [E]lle repose sur une vision manichéenne et technocratique [qui] a placé les anciens pays du bloc soviétique dans une position trop difficile : choisir entre l'Union européenne ou l'Union eurasiatique proposée par la Russie, sachant que choisir l'un implique de rejeter l'autre. Quelle maladresse dans une zone où les identités, produits d'une histoire tourmentée, peuvent être multiples ! […] Deux langues sont communément employées en Ukraine : l'ukrainien et le russe. Si l'ouest est naturellement tourné vers l'Europe, la majorité des échanges de l'est du pays ont continué de se faire avec la Russie, même après l'indépendance de l'Ukraine, les populations des régions frontalières étant intimement liées. C'est pourquoi il faut que le Partenariat oriental évolue. Il doit mieux prendre en compte la position d'un partenaire aussi important que la Russie. Ne soyons pas candides, rien de durable ne pourra se construire dans cette région sans relations normalisées avec les Russes. Cela n'implique pas un renoncement aux valeurs et principes de l'Europe.

 

Mme Nathalie Goulet (UDI, AC, favorable aux accords). Pour faire partie de la commission Ukraine au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, je sais l'importance de ce pays pour la sécurité de l'Europe. Personne n'a oublié le nuage de Tchernobyl… […] Le président de la commission des droits de l'homme, M. Rabinovitch, [...] a longuement insisté sur le problème de la corruption. Il est donc indispensable de veiller au bon usage de ces fonds. […] Il faut également parler des droits de l'opposition. Il existe bien une Constitution, mais celle-ci n'est pas respectée. […] Le fait que le gouvernement compte des membres qui ne sont pas de nationalité ukrainienne contribue à rendre plus complexe l'appréciation de la situation politique.

Extrait de dialogues :

M. Pascal Allizard (UMP). Je souhaite néanmoins que cette économie de marché ne soit pas accaparée par quelques oligarques de l'ancien système,…

M. Alain Néri (PS). Très bien !

M. Pascal Allizard (UMP). … reconvertis dans les affaires, comme cela a pu se passer dans d'autre pays. L'Europe devra y veiller attentivement pour que les Ukrainiens ne soient pas dépossédés des fruits du développement.

 

Les débats à l’Assemblée

Les débats sont consultables ici. Mais comme ils sont long, voici la synthèse :

Débat à l’Assemblée nationale préalable à la ratification des accords avec l’Ukraine et la Géorgie. Séance du 25 juin 2015    Florilège

La version gouvernementale :

Mme Annick Girardin (PRG), secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie. Très similaires, ces accords visent à établir une « association politique et une intégration économique » entre l'Union européenne et, respectivement, l'Ukraine et la Géorgie. Ils constituent de puissants leviers de modernisation et de réforme au service des citoyens ukrainiens et géorgiens, et dans l'intérêt de la stabilité du voisinage de l'Union. Les accords d'association permettent [de] renforcer le dialogue politique et la coopération en matière de réformes intérieures, de politique extérieure et de sécurité, dans un large éventail de domaines d'intérêt communs. Ce dialogue est fondé sur les valeurs et principes fondamentaux de l'Union européenne, à commencer par le respect des valeurs démocratiques, des droits de l'Homme, de l'État de droit, de la bonne gouvernance et du développement durable. […] Alors que l'Union européenne est le premier partenaire commercial de l'Ukraine – 31 % des échanges commerciaux –, comme de la Géorgie – 27 %[, l]'accord permettra en effet à terme une libéralisation quasi-totale des échanges, assortie d'un calendrier de diminution des droits de douane, calendrier asymétrique afin de prendre en compte les différences de développement économique entre l'Union et ses partenaires. […] Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux fournisseurs et investisseurs dans ces pays,[...] profiteront de l'amélioration attendue de l'État de droit, de conditions d'investissement facilitées ainsi que des avancées réglementaires […] par exemple en matière de protection des indications géographiques. […] Ces accords ne prévoient pas de perspective d'adhésion à l'Union européenne. […] Pour la France, comme pour l'Union européenne, la conclusion de ces accords d'association avec l'Union européenne n'implique en aucun cas que l'Ukraine et la Géorgie doivent renoncer à leurs relations avec la Russie. Les accords ne les remettent nullement en cause. […] En apportant votre soutien et votre approbation à ces textes, vous témoignerez de l'amitié profonde qui lie la France et ces pays. Vous soutiendrez le développement de ces pays dans le cadre d'une relation nouvelle qu'ils ont souhaitée avec l'Union européenne et contribuerez à renforcer la stabilité et la paix aux frontières de l'Union européenne.

La vision des partisans :

M. Jean-Pierre Dufau (PS), rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Ces pays ont en commun d'avoir engagé un effort considérable pour se rapprocher des standards démocratiques et économiques européens. […] Leurs peuples se sont battus et ont versé leur sang – la dernière fois, sur la place Maïdan. Ces pays ont aussi en commun d'avoir perdu le contrôle d'une partie de leur territoire et d'être de ce fait en situation de confrontation plus ou moins ouverte avec la Russie.

S'agissant de la Géorgie, chacun se souvient que depuis son indépendance, ce pays est confronté au séparatisme de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Ce fut même la cause en 2008 d'une guerre russo-géorgienne. […] L'arrivée au pouvoir en 2012 et 2013 de dirigeants moins hostiles à la Russie a permis un apaisement entre les deux pays [...]. Cependant, le dossier n'a connu aucune avancée sur le fond, bien au contraire […]. Cet hiver, la Russie a en effet signé des traités avec les soi-disant gouvernements des deux régions séparatistes, traités qui reviennent de fait à les intégrer à la Russie du point de vue économique et sécuritaire, ce qui est évidemment inacceptable pour la Géorgie. Dans ce contexte, la Géorgie a, depuis une décennie, fait le choix de l'Europe, ainsi que celui de se rapprocher de l'OTAN. Elle a mené de nombreuses réformes qui, même si tout n'est pas parfait, lui ont assuré des succès économiques relatifs et qui, aujourd'hui, en font certainement l'un des plus démocratiques des pays issus de l'ex-URSS. […] De même, la lutte contre la corruption a produit des résultats significatifs.

J'en viens à l'Ukraine. [...] La crise politique au niveau central, qui a culminé en février 2014 sur la place Maïdan, est pour le moment surmontée. J'entends par là que l'Ukraine a actuellement un président, M. Porochenko, qui a été largement élu […] et un Parlement, démocratiquement issu des élections d'octobre dernier et comportant une très forte majorité proeuropéenne. Cela rompt avec la période précédente où le pays était profondément clivé entre sa partie occidentale, très nationaliste et proeuropéenne à la fois, et sa partie orientale et méridionale, largement russophone. L'Ukraine est aujourd'hui plus unie qu'elle ne l'a jamais été – si l'on fait naturellement abstraction de la Crimée et du Donbass. […] Les combats se sont apaisés depuis les accords de Minsk 2 en février dernier, mais ils n'ont jamais cessé. La situation économique et humanitaire est très difficile, même si le pays ne connaît ni la famine ni les camps de réfugiés qui existent ailleurs. […] Ce pays ne traverse pas seulement une crise nationale, mais aussi une crise économique très grave. En 2014 et 2015, le PIB ukrainien devrait connaître une baisse cumulée de 12 % à 15 %. La monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur face à l'euro et au dollar. Le déficit public est de l'ordre de 10 % du PIB si l'on tient compte de l'entreprise publique gazière Naftogaz, et le ratio entre la dette publique et le PIB est passé de 40 % à 94 % entre 2013 et 2015.
Face à cela, l'Ukraine bénéficie d'aides internationales massives, notamment du FMI et de l'Union européenne. Au total, l'aide internationale s'élèverait à 41 milliards de dollars d'ici 2018, soit l'équivalent de la moitié du PIB annuel de l'Ukraine. […] L'Ukraine s'est engagée dans un ensemble très complet de réformes politiques et économiques qui touchent de nombreux domaines : réforme constitutionnelle, décentralisation, indépendance de la justice et des médias, lutte contre la corruption, marchés publics, marché de l'énergie, banques ou encore privatisations. […]  Il s'agit de se conformer aux standards européens afin que l'Ukraine soit en mesure de présenter une candidature à l'Union européenne en 2020. […] Chacun de ces accords est aussi un accord de libre-échange dit « complet et approfondi » tel que le promeut la politique commerciale de l'Union […] : les droits de douane doivent être supprimés sur la quasi-totalité des flux commerciaux – entre 98 % et 100 % selon les cas. [...] […]  Leur préambule est explicite : compte tenu de la forte demande exprimée par l'Ukraine et par la Géorgie […] il reconnaît certes « l'identité européenne », les « aspirations européennes » ou encore la situation de « pays européen » des deux pays.

Mme Élisabeth Guigou (PS), présidente de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires étrangères s'est beaucoup impliquée [...] dans le suivi des événements en Ukraine, qui ont provoqué plus de 6 400 morts et 16 000 blessés, et qui ont obligé près de deux millions de personnes à abandonner leur logement. Nous ne pouvons pas non plus oublier les épreuves que la Géorgie a traversées en 2008 et le fait que son intégrité territoriale est affectée par le séparatisme des régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie.

L'approbation de ces accords d'association est une manière de saluer la mémoire de tous ceux qui, en Ukraine comme en Géorgie, ont lutté pour que leur pays s'engage sur la voie des réformes.

[…]  Les intentions des gouvernements ukrainien et géorgien sont tout à fait claires et affichées. S'agissant de l'Union, leur objectif avoué est de mettre leurs pays respectifs en position de présenter leur candidature d'ici quelques années. Pouvons-nous écarter d'emblée ces futures candidatures ? Je crois que l'idéal européen et les traités européens ne nous le permettent pas.  Mais pouvons-nous attendre tranquillement que des candidatures se déclarent sans nous soucier du contexte géopolitique ? Ce serait aller de nouveau au devant d'une crise grave. […] La Russie est un partenaire économique et politique majeur. Il faut maintenir le dialogue afin, espérons-le, lorsque la crise en Ukraine sera surmontée, dans le respect de son intégrité territoriale, de construire ce partenariat Union européenne-Russie que nous appelons de nos vœux.

Mme Danielle Auroi (EELV, vice-présidente du groupe d’amitié France/Etats-Unis), présidente de la commission des affaires européennes. […]  L'application de l'accord de Minsk 2 demeure difficile et la situation n'est pas encore stabilisée, loin s'en faut. […]  Le cessez-le-feu n'a jamais été parfaitement respecté et l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, n'a pas les moyens de surveiller de façon draconienne l'immense territoire […]. Des problèmes demeurent, ne serait-ce que la question des prisonniers, en particulier des prisonniers ukrainiens en Russie. Il subsiste une dizaine de « points chauds » où les tirs d'artillerie lourde n'ont jamais cessé, occasionnant des pertes humaines quotidiennes parmi les forces loyales ukrainiennes comme parmi la population civile. Le niveau d'inquiétude est remonté d'un cran, début juin, avec le déclenchement par les séparatistes à Marinka, au sud-ouest de Donetsk, d'une attaque d'une violence sans précédent depuis la mi-février.

Les régions séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud [...], qui représentent environ 20 % de la superficie du pays et sont majoritairement peuplés de russophones, ont en effet obtenu leur indépendance de fait il y a sept ans, suivant, me semble-t-il, une logique du même type que celle qui a conduit à l'annexion de la Crimée. Ces événements ont poussé le pays à se tourner vers l'Union européenne, qui est désormais son premier partenaire commercial.

M. Philippe Baumel (PS). […] L'étymologie« U-Kraïna », littéralement le pays de des confins, rappelle qu'elle a toujours été tiraillée entre plusieurs influences, polonaise ou russe, orientale ou occidentale, comme en témoigne son histoire. [...] En raison de l'annexion de la Crimée par la Russie et de la perte de contrôle d'une partie de la région du Donbass, l'Ukraine est confrontée à une crise majeure et doit relever simultanément un défi économique immense. […] Ce matin même, la Russie se prétendait impuissante à bloquer les volontaires russes qui partent au combat. L'Union européenne a donc décidé dès lundi de prolonger jusqu'en 2016 les sanctions économiques visant la Russie dont le rôle dans le conflit ukrainien n'est malheureusement plus à démontrer. […] Nous connaissons le rôle de l'accord d'association dans la crise politique ukrainienne. Le refus de l'ex-président ukrainien Viktor Ianoukovytch de le parapher en novembre 2013 a été à l'origine de manifestations ayant mené à la « révolution de la dignité » ou de Maïdan en février 2014. Le nouvel exécutif ukrainien a aussitôt repris la négociation de l'accord d'association qui a été ratifié le 16 septembre 2014. Celui-ci n'est évidemment pas responsable de la situation actuelle dont les racines profondes sont d'abord à chercher dans les divisions internes du pays, dans sa mauvaise gouvernance, en particulier au cours des années ayant précédé la récente révolution, et dans l'attitude de la Russie. […]

M. François Rochebloine (UDI). L'Ukraine subit encore de plein fouet les effets de la crise avec la Russie et les événements, malgré la signature des accords de Minsk II , ne sont toujours pas pacifiés. En dépit du cessez-le-feu, elle doit encore faire face aux forces russes, et, depuis la mi-mars, la situation s'est hélas à nouveau dégradée. La prolongation des sanctions de l'Union européenne contre la Russie en atteste.

M. Rémi Pauvros (PS, président du groupe d’amitié France/Ukraine). […]  L'accord d'association avec l'Ukraine […] est le fruit d'un combat douloureux mené depuis plusieurs mois par de nombreux citoyens ukrainiens, un combat pour la liberté et pour la démocratie. C'est avec beaucoup d'émotion que je souhaite ici saluer ce combat, car c'est l'esprit du mouvement de Maïdan qui résonne aujourd'hui dans cet hémicycle, l'esprit de ce mouvement né à Kiev par la volonté de citoyens ukrainiens qui se sont insurgés contre les velléités du président ukrainien de l'époque de s'opposer à la signature de cet accord d'association, un mouvement qui a porté haut et fort la voix des citoyens ukrainiens aspirant à un idéal européen de liberté, de démocratie et de modernité.

La vision des opposants :

M. Nicolas Dhuicq (UMP, président du groupe d’amitié France/Russie). Le groupe Les Républicains, ex-UMP, votera ces textes mais nous serons nombreux, issus en particulier de la famille gaulliste, à nous opposer résolument à ce type de provocation. Car c'est bien de provocation qu'il s'agit ! Quelle est la situation actuelle ? Les 1 200 entreprises françaises installées dans la Fédération de Russie, avec laquelle l'Occident a systématiquement refusé depuis le 11 septembre 2001 toute coopération sérieuse, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme, en ont assez des sanctions dont elles sont les premières à souffrir ! Comme le montre bien l'exemple de l'ancien chancelier Schröder qui travaille désormais pour Gazprom, l'Allemagne a parfaitement compris la situation et ses échanges économiques ne faiblissent pas. Pire encore, nous sommes passés derrière les entreprises italiennes au sein de la Fédération de Russie et nos banques timorées n'osent pas prêter à nos entreprises, tant aux grands groupes comme Total qu'aux PME, uniquement par peur des mesures de rétorsion des banques américaines ! Telle est la situation actuelle ! Il faudrait au moins cinquante milliards d'euros pour reconstruire l'économie ukrainienne. Avons-nous l'argent nécessaire ? L'Union européenne abondera-t-elle en monnaie sonnante et trébuchante l'économie de nos frères ukrainiens ? Que nenni ! […]

Et puisqu'il est question de valeurs européennes, qui ici s'interrogera sur la situation du président Porochenko dont la fortune personnelle a été multipliée par trois ou quatre depuis les derniers événements et qui commerce directement ou indirectement avec la Fédération de Russie à titre personnel ? Qui, dans cet hémicycle, s'interrogera sur son gouvernement, issu d'un véritable coup d'État, et sur l'action des services secrets à Maïdan, en particulier ceux de Varsovie ? […] Qui mènera les enquêtes sur certains assassinats perpétrés à Maïdan ? Qui s'interrogera sur la présence dans le gouvernement de M. Porochenko de trois ministres qui étaient encore de nationalité américaine trois jours à peine avant d'être nommés et dont l'un travaillait pour le département d'État ? […] Il s'agit, nous dit-on, d'ouvrir en grand les portes d'un libre-échange censé résoudre tous les problèmes alors que prévaut une situation de guerre civile dans laquelle des familles sont torturées et divisées de chaque côté de la frontière, dont certaines, russes orthodoxes, souhaitent dans leur âme profonde être rattachées à la grande patrie russe !

Mme Pascale Crozon (PS, favorable aux accords). Incroyable !

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Tant que nous n'aurons pas compris cela, nous nous tromperons sur l'Ukraine ! Tant que nous n'aurons pas parlé librement ici de la division Galicia de triste mémoire, qui massacra Polonais et Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et continue aujourd'hui à y défiler en uniforme officiel, nous nous tromperons sur l'Ukraine ! Qui vous parlera ici de ces affiches de propagande du gouvernement ukrainien appelant à écraser le cafard russe ? […] Plus cocasse, l'accord proposé avec la Géorgie. Qui ici dira que M. Saakachvili, qui lança son pays dans une opération funeste, dans une aventure terrible, a été nommé citoyen ukrainien et est désormais gouverneur de la ville et de l'oblast d'Odessa ?

Mme Pascale Crozon (PS, favorable aux accords). Et que voulez-vous qu'on y fasse ?

M. Nicolas Dhuicq (UMP). N'est-ce pas là un motif majeur d'interrogation ? Comment se fait-il que l'ancien président géorgien soit désormais ukrainien et administre une ville ukrainienne ? Ne pensez-vous pas, mes chers collègues, que ces accords sont une véritable provocation ? Que l'Ukraine, zone frontière, anciennement possession du royaume polono-lituanien, anciennement frontière du tsar, a toujours vocation à être une zone frontière entre la Fédération de Russie et nous ?

M. André Chassaigne (PCF).

En 2009, l'Union européenne lançait les négociations en vue d'un accord d'association avec l'Ukraine, la Géorgie et quatre autres pays de l'espace post-soviétique. Quatre ans après, l'interruption de ce processus de négociation par le président Ianoukovitch, sous la pression de la Russie, mettait l'Ukraine à feu et à sang, conduisant à une guerre civile et une quasi-partition de ce pays, qui a causé 6 000 victimes et réduit un million de personnes à l'état de réfugiés. C'est à l'aune de ce processus dramatique que nous devons aujourd'hui nous interroger sur le bien-fondé d'un nouvel accord et, plus largement, sur le rôle que la France peut jouer dans la stabilité de cette région. […] Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Dufau souligne à juste titre – je cite – « le rôle déclencheur qu'a joué la question de l'accord d'association dans la crise politique […] que traverse l'Ukraine ». […]

En ratifiant cet accord, ne prenons-nous pas le risque d'envenimer le conflit ukrainien et les séparatismes géorgiens ? Car, malgré la signature des accords de Minsk 2 en février dernier, le cessez-le-feu demeure précaire dans une région située au cœur d'un affrontement géopolitique ancien et vivace entre l'ancien espace soviétique et l'OTAN. En 1994, la Russie s'était engagée à s'abstenir de toute menace ou pression économique sur l'Ukraine en vue d'influencer sa politique, par le mémorandum de Budapest, également signé par les États-Unis. Cet accord garantissait l'indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières, un principe que nous devons défendre avec la plus grande fermeté. Puis en 1997, l'acte fondateur OTAN-Russie avait défini un modus vivendi entre les deux blocs militaires, l'OTAN s'engageant à ne pas déployer d'armements nucléaires chez ses futurs membres. Cet équilibre a été rompu, les engagements bafoués de part et d'autre, et l'Ukraine, comme la Géorgie, sont devenus le terrain d'affrontement des grandes puissances. Les États-Unis portent une responsabilité première de cette situation pour n'avoir jamais renoncé à étendre la sphère d'influence du bloc atlantique. Si l'OTAN a perdu sa raison d'être avec la fin de l'URSS, elle a pourtant poursuivi sans frein sa doctrine stratégique impérialiste, profitant de chaque faiblesse russe pour avancer ses pions.

Ce furent les adhésions de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne en 1999, puis celles de la Bulgarie, de la Slovaquie, des pays Baltes, de la Roumanie et de la Slovénie en 2004. Et que dire du projet d'adhésion de l'Ukraine, ravivé périodiquement par l'OTAN, notamment par Bush en 2008 ? La Russie de Poutine, obnubilée par son désir de puissance, n'espérait pas tant pour justifier sa politique de « grande Russie ». Aujourd'hui, tous nos efforts doivent converger pour refuser un embrasement géopolitique dont l'Europe serait la première victime. La mère des menaces, c'est évidemment la militarisation du conflit ukrainien et de l'ensemble de l'espace post-soviétique. Fort heureusement, l'accord de Minsk y a mis un coup de frein, mais il est impératif que nous obtenions des autorités russes la fin des livraisons d'armes aux insurgés. Dans le même temps, la France doit peser de tout son poids pour empêcher les provocations aux frontières russes. L'installation, en février dernier, de six nouvelles bases de l'OTAN, dotées de 40 000 hommes, entre la Baltique et la mer Noire, ne fait que contribuer à l'escalade, et les démarches engagées en décembre dernier par les nouvelles autorités ukrainiennes pour rejoindre l'Alliance atlantique risquent de conforter – je dis bien : conforter – la Russie dans son sentiment d'isolement. […]

Dans ce contexte géopolitique brûlant, les accords d'association entre l'Union européenne, l'Ukraine et la Géorgie seront inévitablement interprétés comme un nouveau pas vers le rattachement de l'espace post-soviétique au bloc atlantique. […]  Est-il bien raisonnable de se prêter à un tel engrenage ? Est-ce le rôle de la France ? […] Il est bien difficile de ne pas interpréter le partenariat oriental lancé par l'Union européenne comme une prolongation de l'entreprise du bloc atlantique en matière économique. […]  Il s'agit d'ancrer l'Ukraine dans une économie de marché totalement déréglementée et, en contrepartie, de lui fermer les portes de l'économie russe, ce qui a déjà fait chuter, sur un an, le PIB ukrainien de 17,6 % et sa monnaie de 70 %. Si le peuple ukrainien voit l'Europe comme l'horizon d'une vie meilleure, ces mesures préparent des lendemains qui déchantent pour la majorité et, à n'en pas douter, de formidables profits pour une nouvelle caste d'oligarques ukrainiens. […]  En échange de 25 milliards de dollars d'aide, le FMI, la BCE et la Commission européenne – aujourd'hui, l'évocation de ces institutions éveille chez tout le monde la même pensée – souhaitent ainsi la libéralisation des entreprises publiques – notamment dans l'énergie – le gel des salaires et la baisse des dépenses publiques, un scénario à la grecque, en somme, qui produira le même marasme économique et les mêmes effets dévastateurs pour la population ukrainienne. Nous ne pouvons que déplorer que l'Union européenne se fasse ainsi le héraut d'un capitalisme sauvage.  […]

Nous ne pouvons passer sous silence les dérives réactionnaires qui travaillent le gouvernement ukrainien de l'intérieur. Le président Porochenko entend réécrire l'histoire au profit des forces nationalistes et fascistes qui ont collaboré avec l'armée nazie. […] En retour, le parti communiste, et tout ce qui a trait au communisme, pourrait prochainement être interdit et condamné à la clandestinité, comme aux pires heures de l'histoire. Enfin, les relents antisémites trouvent à s'exprimer comme jamais. […] Comment la France pourrait-elle apporter un blanc-seing à ces égarements ? […] C'est pourquoi nous regrettons que les pas de notre diplomatie se soient, sur d'autres dossiers – j'insiste sur ces mots – placés dans ceux des Américains…alors que l'intérêt de la France n'était pas celui-là. […] Trop souvent, notre politique étrangère a mis de côté les autorités russes : je pense à la crise syrienne, aux négociations sur le nucléaire iranien, mais aussi au boycott impensable des célébrations du soixante-dixième anniversaire de la victoire sur le nazisme à Moscou, vécu comme un véritable affront par le peuple russe. […] Enfin, la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l'OTAN, qui n'a pas été remis en cause par ce gouvernement, a affaibli notre indépendance nationale.

1er extrait de dialogues :

Mme Chantal Guittet (PS). Plusieurs raisons me conduisent à soutenir ces accords d'association. En premier lieu, ce rapprochement fait écho à une volonté exprimée à la suite de deux révolutions : celle de Maïdan, qui a eu lieu en février 2014,…

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Coup d'État !

Mme Chantal Guittet (PS). … et la révolution des roses de novembre 2003 en Géorgie.

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Coup d'État !

Mme Chantal Guittet (PS). Elles ont amené au pouvoir des gouvernements pro-européens qui ont fait le choix stratégique du rapprochement avec l'Union européenne.

2nd extrait de dialogues :

Mme Annick Girardin (PRG), secrétaire d'État. Les atteintes à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine ne peuvent rester sans réponse. Le régime de sanctions décidé par l'Union européenne est calibré, temporaire et peut être adapté à tout moment à l'évolution de la situation politique. […] Les choses sont claires, monsieur Chassaigne : l'Ukraine et la Géorgie doivent pouvoir choisir souverainement leur avenir.

M. André Chassaigne (PCF). Tout comme la Grèce !

Eh oui, seuls 10 % des présents ont voté contre (ce n’est pas très grave qu’ils n’étaient que 18, ça marche comme ça, ils se spécialisent. Ils auraient été 1 800, il y aurait eu 1 600 oui et 200 non, ça ne changeait rien. On a d’ailleurs vu avec les débats que la fine fleur intellectuelle du Parlement s’était mobilisée… heum heum)

Merci pour nos emplois en tous cas…

N’hésitez en tous cas pas à contacter les députés pour leur demander des explications…

L’Ukraine, de plus en plus européenne…

L'Ukraine, de plus en plus européenne…

Dans la famille “l’Union européenne” ça change votre vie, voici aujourd’hui l’Ukraine !

Voici donc un comparatif des salaires bruts mensuels en Chine et en Ukraine, minimaux et moyens :

On voit donc que, contrairement à la Chine, évidemment, l’Ukraine se rapproche de plus en plus de la logique de l’UE… Salaire minimal en 2015 : 46 € bruts par mois (il augmentera un peu en 2016), contre 230 € en Chine…

Comme vous allez me demander, le salaire moyen chinois tourne donc à 56 350 yuans en 2014, et environ 60 000 yuans en 2015, soit avec un yuan à 0,14 euro, on a bien 8400 € soit 700 € bruts mensuels – une grande partie devant cependant être économisée pour la retraite. Et il est très inégalement réparti…

Mais il monte vite, le plan quinquennal chinois prévoit une hausse annuelle du salaire minimal de 13 % par an… Soit un doublement tous les 5 ans à ce rythme. « Le peuple doit être notre priorité, assurer et améliorer son bien-être doit être le point de départ et le but de tout notre travail », avait déclaré Wen Jiabao, le Premier ministre chinois en mars 2011, lors de la présentation du plan quinquennal.

Vous me direz aussi que j’aurais pu faire un graphe en parité de pouvoir d’achat (PPA), mais ce qui m’intéresse ici n’est pas l’analyse du niveau de vie dans ces pays, mais bel et bien l’analyse de l’intensité concurrentielle pour nos emplois – et l’employeur qui délocalise ne s’intéresse en rien aux coûts en PPA, son analyse se base sur ces chiffres…

Et je vous rappelle que depuis le 01/01/2016, nous sommes en libre-échange avec l’Ukraine

Et il n’y a que les Néerlandais qui voteront à propos de cette folie…

Pauvres de nous…

 

Voici aussi au passage l’inflation 2015 en Ukraine…

“L’Europe”, ça vous gagne – et on a compris qu’ici, le peuple n’est pas sa priorité… (c’est l’effet BHL comme en Libye)

Une lettre du grand-père d’Assad à Léon Blum de 1936 prévoyait déjà le massacre des minorités par les musulmans

Une lettre du grand-père d'Assad à Léon Blum de 1936 prévoyait déjà le massacre des minorités par les musulmans

Je suis retombé sur cette intéressante analyse de 2012…

Source : The Jewish Press, 20-09-2012

En 1936, Souleiman Assad, l’arrière grand-père de Bachar el-Assad, le dictateur syrien en difficulté, a averti la France des dangers d’une prise de contrôle par l'Islam sunnite.

Par le professeur Mordechai Kedar (Docteur en philosophie de l’université Bar-Ilan, c’est un Israélien) a servi pendant 25 ans dans les renseignements militaires des forces armées israéliennes et s’est spécialisé dans le discours politique arabe, les médias arabes, les organisations islamiques et la scène nationale syrienne. Il donne des conférences en arabe à l’université Bar-Ilan et est un expert des Arabes-Israéliens.

 

Le président syrien Bachar el-Assad menace du doigt — encore

Je commencerai par une note personnelle. Depuis le début des pogroms en Syrie il y a un an et demi, j’ai écrit à maintes reprises dans mes articles sur cette honorable scène, que les alaouites allaient se comporter avec cruauté, dureté et une totale insensibilité envers leurs opposants, parce qu’ils sont conscients de combattre non seulement pour garder entre leurs mains le contrôle du régime, mais aussi — et surtout — pour garder leur tête posée sur leurs épaules. Mon propos était une analyse, fruit d’une très longue recherche sur la scène nationale syrienne, qui a été publiée dans une thèse de doctorat que j’ai écrite (en 1998) et dans un livre qui en est tiré (2005). J’ai pu entendre et lire de temps en temps des expressions hostiles de la part des musulmans contre les alaouites, mais je n’ai jamais eu la preuve que les alaouites craignaient vraiment que les musulmans pourraient les massacrer s’ils en avaient l’occasion.

En arrière fond, c’est un fait historique, la Syrie moderne est issue du protectorat français, qui a été imposé à la Syrie après la Première Guerre mondiale et qui a pris fin en 1943. Comme dans d’autres États arabes du Moyen-Orient, nombre de maladies génétiques dont souffre la Syrie découlent des erreurs commises par les États en charge des mandats, la France et la Grande-Bretagne. L’Italie, qui contrôlait la Libye, est responsable dans une certaine mesure du chaos dans cet État. La principale erreur des États européens au Moyen-Orient a été de créer des États qui réunissaient des ethnies, des tribus, des religions différentes et des groupes sectaires antagonistes, avec l’espoir que le jour viendrait où tout ce monde-là s'assiérait autour d’un feu de camp et chanterait des chansons patriotiques en parfaite harmonie. Cela n’est pas arrivé, cela n’est pas en train de se produire aujourd’hui et il est probable que cela n’arrivera pas dans un avenir proche non plus.

Le 30 août de cette année s’est tenu un débat au Conseil de Sécurité des Nations Unies à propos de la guerre civile qui faisait rage en Syrie et qui était responsable d’environ cinq mille morts pour le seul mois d’août. Parmi les porte-parole qui participaient à la discussion, étaient présents le ministre français, Laurent Fabius, et le représentant syrien aux NU, Bachar al-Jaafari. Le délégué syrien a attaqué les États occidentaux et surtout la France pour son soutien aux rebelles. Le ministre français a réagi en déclarant :

Vous parlez défavorablement du mandat français, et je dois vous rappeler que le grand-père de votre Président a demandé à la France de ne pas quitter la Syrie et de ne pas lui accorder l’indépendance, et ceci dans un document officiel qu’il a signé et qui est aujourd’hui conservé au ministère français des Affaires étrangères, et si vous voulez je vous en donnerai une copie.

Fabius faisait référence à un document que les dirigeants alaouites, dont Souleiman el-Assad, l’arrière grand-père du Président syrien, avaient écrit, et qui se trouve dans les archives du ministère français des Affaires étrangères. Le document portait la date de réception — 15 juin 1936, et avait été écrit peu avant cette date au Premier ministre français de l’époque, Léon Blum.

À cette époque, le gouvernement Français était en contact avec un groupe d’intellectuels Syriens qui pensaient qu’on pouvait construire un état syrien plus grand en rassemblant des groupes différents les uns des autres, comme en Europe. Ce document a été publié par le passé dans le journal libanais al-Nahar et dans le journal égyptien al-Ahram, mais il n’a pas fait les gros titres. À l’intention de nos chers lecteurs, nous reproduisons ici le document complet, qui devra être lu en gardant à l’esprit ce qui se passe en Syrie depuis un an et demi. Mes commentaires sont entre crochets.

 

Cher M. Léon Blum, Premier ministre de France,

À la lumière des négociations en cours entre la France et la Syrie, nous — les dirigeants alaouites de Syrie — attirons respectueusement votre attention et celle de votre parti (les Socialistes) sur les points suivants :

1. La nation Alaouite [sic !!] qui a maintenu son indépendance pendant des années avec beaucoup de zèle et au prix de beaucoup de victimes, est une nation qui diffère des nations musulmanes sunnites par ses croyances religieuses, par ses coutumes et par son histoire. La nation Alaouite [qui vit dans les montagnes de la côte ouest syrienne] n’a jamais été soumise aux lois de ceux [musulmans] qui gouvernent les villes à l’intérieur du territoire.

2. La nation Alaouite refuse d’être annexée à la Syrie musulmane, parce que la religion islamique y est déclarée comme la religion officielle du pays, et que la religion islamique considère la nation Alaouite comme hérétique. Par conséquent nous vous demandons de considérer le destin tragique et terrible qui attend les Alaouites s’ils sont annexés de force à la Syrie, quand elle sera libérée de la surveillance du mandat et qu’elle aura le pouvoir d’établir des lois qui découlent de sa religion. [Selon l'Islam, les hérétiques idolâtres ont le choix de se convertir à l'Islam ou de se faire massacrer.]

3. Accorder l’indépendance à la Syrie et abandonner le mandat serait un bon exemple des principes socialistes en Syrie, mais l’indépendance complète signifie que quelques familles musulmanes auront le contrôle de la nation Alaouite en Cilicie, en Alexandrette [la bande d'Alexandrette que les Français ont retirée à la Syrie et annexée à la Turquie en 1939] et dans le massif d’Ansariyeh [les montagnes de la partie ouest de la Syrie, la continuité topographique des monts du Liban]. Même le fait d’avoir un parlement et un gouvernement constitutionnel ne garantira pas les libertés individuelles. Ce contrôle parlementaire, manquant de valeurs réelles, n’est qu’une façade et en vérité il sera contrôlé par le fanatisme religieux qui ciblera les minorités. Les dirigeants de France veulent-ils que les musulmans contrôlent la nation alaouite et qu’ils la plongent dans les affres de la misère ?

4. Le fanatisme et l’étroitesse d’esprit, dont les racines sont profondément ancrées au cœur des Arabes musulmans à l’encontre de tous ceux qui ne sont pas musulmans, est la mentalité qui nourrit perpétuellement la religion islamique, aussi n’y a-t-il aucun espoir que la situation change. Si le mandat est abandonné, le danger de mort et la destruction menaceront les minorités en Syrie, même si l’abandon [du mandat] décrète la liberté de pensée et la liberté confessionnelle. Pourquoi, même aujourd’hui nous pouvons voir comment les habitants musulmans de Damas obligent les Juifs vivant sous leur égide à signer un document dans lequel il leur est interdit d’envoyer de la nourriture à leurs frères juifs qui subissent un désastre en Palestine [pendant les jours de la grande révolution arabe], la situation des Juifs de Palestine étant la preuve la plus flagrante et la plus concrète de l’importance du problème religieux parmi les Arabes musulmans contre quiconque n’appartient pas à l’Islam. Ces bons Juifs ont apporté la civilisation et la paix aux Arabes musulmans et ont propagé la richesse et la prospérité en terre de Palestine, ils n’ont fait de mal à personne et ils n’ont rien pris de force. Pourtant, les musulmans leur ont déclaré une guerre sainte et n’ont pas hésité à massacrer leurs femmes et leurs enfants en dépit du fait que l’Angleterre est en Palestine et que la France est en Syrie. Un avenir noir attend donc les Juifs et les autres minorités si le mandat est abandonné et que la Syrie musulmane s’unit à la Palestine musulmane. Cette unification est le but ultime des Arabes musulmans.

5. Nous apprécions la bonté d’âme dont vous faites preuve en défendant la population syrienne et nous comprenons votre désir de la rendre indépendante, mais la Syrie est à l’heure actuelle loin du noble but que vous avez fixé pour elle, car elle est encore emprisonnée dans un esprit de féodalisme religieux. Nous ne pensons pas que le gouvernement français et le parti socialiste français seront d’accord pour l’indépendance des Syriens, car sa mise en œuvre causerait l’asservissement de la nation Alaouite et exposerait la minorité Alaouite au danger de mort et de destruction.

Nous ne pouvons pas imaginer que vous accéderez à la demande des Syriens (nationalistes) d’annexer la nation alaouite à la Syrie, parce que vos principes sacrés — s’ils soutiennent l’idée de liberté — ne pourront tolérer une situation dans laquelle une nation (les musulmans) entraverait la liberté d’une autre (les alaouites) en l’annexant de force.

6. Vous jugez peut-être bon de garantir les droits des Alaouites et des autres minorités par les termes du traité (le traité franco-syrien qui définit les relations entre les États), mais nous soulignons que les contrats n’ont aucune valeur dans la mentalité islamique syrienne. Nous avons vu cela par le passé, avec le pacte que l’Angleterre a signé avec l’Irak et qui interdisait aux Irakiens de massacrer les Assyriens et les Yazidis.

La nation Alaouite que nous, soussignés, représentons, implore le gouvernement français et le parti socialiste français et leur demande d’assurer la liberté et l’indépendance de notre nation à l’intérieur de ses petites frontières [un État alaouite indépendant !!]. La nation alaouite confie son bien-être aux mains des dirigeants socialistes français, elle est sûre qu’elle trouvera un soutien fort et indéfectible en tant que nation amie et loyale, ayant rendu de grands services à la France, et qui est aujourd’hui menacée de mort et de destruction.

(signé par): Aziz Agha al-Hawash, Mahmoud Agha Jadid, Mahmoud Bek Jadid, Souleiman Assad [le grand père d'Hafez], Souleiman al-Mourshid, Mahmoud Souleiman al-Ahmad.

Ainsi se conclut le document, écrit il y a 76 ans, mais qui aurait pu l’être hier. Le document porte en lui tous les maux du Moyen-Orient dont les peuples de la région ont souffert jusqu’à aujourd’hui : fanatisme religieux des musulmans, violence, marginalisation de quiconque n’appartient pas au groupe dominant, stéréotypes qui déterminent la pensée de groupe ainsi que l’ignorance et la naïveté (en français dans le texte) occidentales à propos de tout ce qui concerne les problèmes régionaux et la façon de les résoudre.

Et avec tout le respect dû aux auteurs du document, ils ne sont pas pour autant exempts de problèmes non plus. Bien qu’ils soient arabes et parlent l’arabe, ils se différencient de la scène arabo-musulmane globale et se définissent comme la « nation » alaouite, uniquement parce qu’ils sont membres d’une religion différente. Il se peut que la façon dont ils se considèrent soit fondée sur le fait qu’il s’agit de tribus séparées des tribus musulmanes, et qu’ils se voient comme d’authentiques natifs des montagnes de la Syrie occidentale, contrairement aux musulmans arabes qui ont envahi la région au septième siècle depuis la péninsule arabe sous le glaive du second calife musulman, Omar ibn al-Khattâb, qui a imposé l’Islam aux peuples conquis.

Nul doute que les Alaouites aient tiré les conclusions nécessaires de ce qui est écrit dans le document, car ils ont gouverné les musulmans depuis 1966 d'une poigne de fer cruelle et assoiffée de sang, parce qu’ils savaient bien ce qui arriverait si les musulmans les dominaient.

Il y a un autre détail intéressant dans le document : l’Empire ottoman n’est pas du tout mentionné, bien qu’il ait essayé d’islamiser les alaouites et les ait forcés à construire des mosquées dans leurs villages. Il se pourrait que les signataires se soient abstenus de faire référence aux Turcs à cause de la minorité alaouite qui vivait en Turquie, et de crainte que s’ils décrivaient ouvertement les Turcs en termes négatifs, ceux-ci pourraient prendre leur revanche sur leurs frères alaouites vivant en Turquie.

Mais le détail le plus intéressant dans le document réside dans les termes positifs que les auteurs ont employés pour dépeindre les Juifs en terre d’Israël.

Qui sait, peut-être qu’à l’avenir, lorsque les alaouites auront été forcés de fuir les villes musulmanes de Syrie pour sauver leur vie et échapper au destin qui est décrit dans le document, afin de garder leur tête posée sur leurs épaules, ils établiront ensuite leur État indépendant dans leurs montagnes, le massif d’Ansariyeh, et peut-être qu’alors — en tant qu'État d’une minorité persécutée — par ironie de l’histoire, ils essaieront de tendre la main à « l’entité sioniste », qui est toujours une entité illégitime et méprisée aux yeux des Arabes et des musulmans.

À propos de l’auteur : le Pr. Mordechai Kedar (Docteur en philosophie de l’université Bar-Ilan, c’est un Israélien) a servi pendant 25 ans dans les renseignements militaires des forces armées israéliennes et s’est spécialisé dans le discours politique arabe, les médias arabes, les organisations islamiques et la scène nationale syrienne. Il donne des conférences en arabe à l’université Bar-Ilan et est un expert des Arabes-Israéliens.

Source : The Jewish Press, le 20 septembre 2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

La déchéance, c’est maintenant, par François de Smet

La déchéance, c'est maintenant, par François de Smet

Un bien beau texte, profond, bref et percutant… De l’anti-Valls….

Source : Libération, François de Smet, (Philosophe) 11-01-2016

Lors des vœux aux forces de sécurité, à la préfecture de police de Paris, jeudi.Photo Marc Chaumeil pour Libération

Créer deux catégories de Français ou démocratiser ladite déchéance pour tous, au risque de recréer des apatrides ? Tel est le débat hallucinant en ce début 2016.

Depuis quelques semaines, un débat surréaliste s'est installé en France. Le président de la République et son gouvernement se sont enfermés dans une spirale infernale autour de la déchéance de nationalité pouvant frapper les auteurs d'attentat terroriste. Chacun perçoit aisément que nul candidat kamikaze ne se verra freiné dans son action par la possibilité d'être déchu de sa nationalité – quelqu'un prêt à tuer au nom d'une cause n'a déjà plus d'autre appartenance que le territoire imaginaire inhérent à cette cause. Nous sommes donc en présence d'une mesure prônée délibérément et explicitement pour contrer les peurs et flatter les sentiments identitaires.

Cette mesure, en plus d'être inutile, est désastreuse parce qu'elle élude que la nationalité n'est pas en premier lieu un lien de loyauté envers un Etat comme le serait la carte de membre envers un club : généralement non choisie, elle est la matérialisation administrative du statut d'être humain et de son appartenance à la communauté qui le voit naître. Une nationalité n'est pas seulement un lien administratif, sentimental et identitaire avec un pays. Elle constitue aussi, et surtout, ce qui fait de tous les êtres humains sur Terre les récipiendaires d'un bagage commun. Après la Seconde Guerre mondiale, il avait été peu ou prou reconnu que les cas d'apatridie devaient être limités à tout prix. Car l'apatridie n'est rien d'autre qu'une forme de mort civile, qui a déjà été utilisée pour exclure de la communauté des individus n'ayant rien de terroriste. Oter la nationalité ne se réduit pas à punir symboliquement un individu, c'est aussi lui ôter tous les droits qui vont de pair avec cette nationalité, en premier lieu le droit de participer à la vie publique et celui de résider librement sur le territoire.

Encore une fois, en pratique, cela n'empêchera nullement le moindre terroriste de dormir, lui qui s'imagine déjà appartenir à un ailleurs – sur Terre, dans un pseudo-califat, ou dans l'au-delà. En revanche, cela abîme l'universalité de la condition humaine propre à la modernité et nous fait entrer dans un rapport de force identitaire souhaité par les fanatiques qui, en attaquant la France, attaquent précisément la nature universaliste de ses valeurs. Le poids de la nationalité comme matérialisation du genre humain est fortement éludé dans le débat, ce qui est d'autant plus surprenant en France, pays pouvant se vanter d'avoir apporté au monde une certaine idée de l'universalité du genre humain. Le problème est le suivant : comme tout le monde est supposé bénéficier d'une nationalité, cette dernière est en réalité devenue le substrat d'une humanité partagée : ce qui rend tous les êtres humains titulaires de droits, c'est le fait qu'ils bénéficient d'une nationalité qui leur permet de jouir des droits, fondamentaux ou non.

Lutter contre l'apatridie, c'était en finir pour de bon avec la mort civile de l'Ancien régime, par laquelle certains étaient privés de tout droit en punition de leur forfait. Car, comme cela a pu être mis en exergue bien plus tard dans le débat sur l'abolition de la peine de mort, il est humaniste de considérer qu'on est un être humain avant d'être un terroriste ou un assassin, même si c'est là, on le concède, un effort moral douloureux à accomplir ; et que cette appartenance au genre humain, au lieu de se voir naïvement refoulée par la mise à mort ou la déchéance de nationalité, doit être reconnue comme faisant partie intégrante du problème. C'est le fait que les assassins soient des êtres humains qui rend moralement injustifiable de les tuer comme ils tuent ; c'est leur appartenance à une nation de droits et devoirs qui rend moralement injustifiable de les déchoir de leur nationalité comme si cela allait régler quoi que ce soit. Comme s'il suffisait que le monstre ne soit pas français, belge, marocain ou syrien pour qu'il ne soit plus humain. Vouloir sortir les monstres de la nationalité, c'est vouloir les sortir de l'humanité qui, pourtant, nous relie à eux. C'est refuser de voir le problème en face. C'est préférer la facilité du symbole au travail de terrain. C'est tomber, par faiblesse, dans le piège de tous ceux qui véhiculent des visions manichéennes du monde, entre choc des civilisations, radicalisme religieux ou préférence nationale.

Bien sûr, la mesure rencontre un large plébiscite des citoyens. Comme la peine de mort jadis. Comme toute réaction populaire devant une menace ressentie – à juste titre – comme existentielle. Il ne fait guère de doute que si on posait par sondage la question du recours à la torture ou à l'exécution sommaire contre les terroristes (et, pourquoi pas, contre les meurtriers), l'adhésion serait spectaculairement large. Cela n'en ferait pas des mesures justes sur un plan humain, moral, selon une perspective devant dépasser la douleur incommensurable de l'événement.

Il existe en France depuis quelques années une étrange religion républicaine qui se cherche sans cesse de nouvelles incarnations, de nouvelles processions, de nouvelles épiphanies pour prouver son existence auprès de ses fidèles. L'éphémère ministère de l'Identité nationale en était une. La déchéance de nationalité, pour tous ou non, en est une autre. Il est normal que dans les temps obscurs, l'être humain désemparé tente de se parer de ses dernières certitudes. Mais dans la mécanique politique infernale dont elles ne peuvent désormais, sauf retournement, sortir sans perdre soit la face soit l'honneur, les autorités françaises risquent surtout d'envoyer un message destructeur. Là où l'idéal de la République était de porter des idéaux à vocation universelle, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à «Je suis Charlie», elle s'expose à devenir pour de bon, sur fond d'une surenchère matamoresque et un rien délirante, une nation aussi borgne que les autres. Une nation repliée sur ses peurs, enfermée dans les petites haines bien triviales vers lesquelles, avec mortifère jubilation, la poussent les terroristes.

Dernier ouvrage paru : Reductio ad hitlerum, PUF, 2014.

François de Smet Philosophe

Source :Libération, François de Smet, 11-01-2016

Opération “Timber Sycamore” : la guerre secrète de la CIA en Syrie est principalement financée par les Saoud, par Maxime Chaix

Opération "Timber Sycamore" : la guerre secrète de la CIA en Syrie est principalement financée par les Saoud, par Maxime Chaix

Source : Maxime Chaix, 24-01-2016

Un article du New York Times [en français ici] vient de dévoiler le nom de code de la guerre secrète multinationale de la CIA en Syrie : il s'agit de l'opération Timber Sycamore, ce qui peut signifier « Bois de Platane » ou « de Figuier sycomore ». En 1992, les chercheurs syriens Ibrahim Nahal et Adib Rahme avaient publié une étude selon laquelle, « [b]ien que la largeur des cernes soit influencée par les facteurs du milieu, le bois de Platane d'Orient peut être classé parmi les espèces à croissance relativement rapide par rapport au hêtre ou au chêne. » Les groupes rebelles majoritairement jihadistes, qui ont proliféré en Syrie à partir de l'été 2011, pourraient donc être considérés comme des « platanes d'Orient » du fait de leur « croissance rapide » – sans qu'un lien ne soit forcément établi entre le nom de code de cette opération clandestine de la CIA et ce phénomène biologique. Il est également possible que « Sycamore » fasse référence non pas au platane mais au figuier sycomoredont le « bois peut servir de combustible et le frottement de deux branches permet d'allumer un feu ».

Essentiellement, le New York Times a révélé dans cet article que l'Arabie saoudite a financé à hauteur de « plusieurs milliards de dollars » la guerre secrète de la CIA en Syrie. D'autres contributeurs étatiques à cette campagne de l'Agence sont cités par ce journal. Il s'agit de la Turquie, de la Jordanie et du Qatar. Or, bien que le montant exact des contributions de chaque État impliqué dans ces opérations n'ait pas été dévoilé, le Times nous informe que l'Arabie saoudite en a été le principal financeur. D'après ce journal, « [l]es hauts responsables états-uniens n'ont pas révélé le montant de la contribution saoudienne, qui constitue de loin le principal financement étranger de ce programme de fourniture d'armes aux rebelles combattant les forces du Président Bachar el-Assad. Néanmoins, des estimations ont indiqué que le coût total des efforts de financement et d'entraînement [des rebelles] atteignait plusieurs milliards de dollars. »

Le Times confirme ainsi les informations du Washington Postque j'avais analysées quelques semaines avant les attentats du 13-Novembre. En effet, en juin 2015, ce quotidien révéla que la CIA avait « mené depuis 2013 contre le régime el-Assad "l'une [de ses] plus grandes opérations clandestines", dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. D'après ce journal, cette intervention secrète (…) s'inscrit dans un "plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie", c'est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie. » Grâce au New York Times, nous savons à présent que l'Arabie saoudite a été, « de loin », le principal soutien étatique de cette guerre secrète – notamment à travers l'achat massif et la livraison, par les services spéciaux saoudiens (GID), de missiles antichars TOW de marque Raytheon à des groupes affiliés à al-Qaïda, dont l'Armée de la Conquête.

Toujours selon le Times, le chef de station de la CIA joue un rôle diplomatique plus important que l'ambassadeur des États-Unis en Arabie saoudite. Ainsi, entre le GID et la CIA, « l'alliance reste solide, puisqu'elle est renforcée par une liaison entre maîtres-espions. Ministre de l'Intérieur saoudien, le prince Mohammed ben Nayef a succédé au prince Bandar dans l'approvisionnement en armes des rebelles [en Syrie]. Il connait l'actuel directeur de la CIA John O. Brennan depuis l'époque où ce dernier était le chef de station de l'Agence à Riyad dans les années 1990. D'anciens collègues ont déclaré que ces deux hommes étaient restés proches (…) Le poste occupé autrefois par M. Brennan à Riyad est, bien plus que celui de l'ambassadeur US, le véritable lien entre le pouvoir états-unien et le royaume [des Saoud]. D'anciens diplomates se souviennent que les discussions les plus importantes ont été systématiquement menées via le chef de station de la CIA [dans la capitale saoudienne]. »

Ces informations du New York Times renforcent la notion d'« État profond supranational » liant les hauts responsables des services spéciaux des États-Unis et de l'Arabie saoudite, ce qu'explique Peter Dale Scott dans son dernier livre. Ainsi, cet auteur démontre que les relations états-uno-saoudiennes constituent une véritable « boîte noire » :

« Dans les années 1980, William Casey, le directeur de la CIA, prit des décisions cruciales dans la conduite de la guerre secrète en Afghanistan. Toutefois, celles-ci furent élaborées hors du cadre bureaucratique de l'Agence, ayant été préparées avec les directeurs des services de renseignement saoudiens – d'abord Kamal Adham puis le prince Turki ben Fayçal. Parmi ces décisions, nous pouvons citer la création d'une légion étrangère chargée d'aider les moudjahidines afghans à combattre les Soviétiques. En clair, il s'agit de la mise en place d'un réseau de soutien opérationnel connu sous le nom d'al-Qaïda depuis la fin de cette guerre entre l'URSS et l'Afghanistan. Casey mit au point les détails de ce plan avec les deux chefs des services secrets saoudiens, ainsi qu'avec le directeur de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), la banque pakistano-saoudienne dont Kamal Adham et Turki ben Fayçal étaient tous deux actionnaires.

Ce faisant, Casey dirigeait alors une deuxième Agence, ou une CIA hors canaux, construisant avec les Saoudiens la future al-Qaïda au Pakistan, alors que la hiérarchie officielle de l'Agence à Langley "pensait que c'était imprudent". Dans La Machine de guerre américaine, j'ai situé le Safari Club et la BCCI dans une succession d'accords conclus dans le cadre d'une "CIA alternative" ou d'une "deuxième CIA", datant de la création en 1948 du Bureau de Coordination Politique (OPC pour Office of Policy Coordination). Ainsi, il est compréhensible que George Tenet, le directeur de la CIA sous George W. Bush, ait suivi le précédent de [William] Casey [, le directeur de l'Agence sous Reagan,] en rencontrant une fois par mois environ le prince Bandar, l'ambassadeur d'Arabie saoudite aux États-Unis – mais sans révéler le contenu de leurs discussions aux officiers de la CIA chargés des questions saoudiennes. »

Dans l'article du Times, le prince Bandar est présenté comme le principal architecte de cette politique de soutien à la rébellion en Syrie. En effet, ce journal confirme que « [l]es efforts saoudiens furent dirigés par le flamboyant prince Bandar ben Sultan, qui était alors le chef des services secrets [du royaume, et] qui demanda aux espions saoudiens d'acheter des milliers [de mitrailleuses] AK-47 et des millions de munitions en Europe de l'Est pour les rebelles [en Syrie]. La CIA a facilité certains de ces achats d'armements pour les Saoudiens, dont un vaste deal avec la Croatie en 2012. Durant l'été de cette même année, ces opérations semblaient hors de contrôle à la frontière entre la Turquie et la Syrie, les nations du Golfe transmettant de l'argent et des armes à des factions rebelles – y compris à des groupes dont les hauts responsables états-uniens craignaient qu'ils soient liés à des organisations extrémistes comme al-Qaïda. »

Ainsi, la guerre secrète de la CIA et de ses partenaires étrangers en Syrie a fortement encouragé la montée en puissance de Daech, que le Pentagone et ses alliés bombardent depuis septembre 2014 sans grande efficacité, le tout sur fond de polémiques. À partir de juillet 2012, à travers les politiques profondes du prince Bandar, les « platanes » jihadistes en Syrie ont connu une « croissance relativement rapide », avec le soutien actif de la CIA et de ses partenaires. Or, Bandar est si proche de l'Agence que l'on ne peut réellement dissocier ses actions clandestines de celles des services spéciaux états-uniens, du moins lorsqu'il était ambassadeur de l'Arabie saoudite à Washington (1983-2005) puis directeur des renseignements saoudiens (2012-2014). Dix jours avant les attentats du 13-Novembre, j'avais publié un article intitulé « La guerre secrète multinationale de la CIA en Syrie », dans lequel j'écrivais :

« [E]n juillet 2012, le prince Bandar était nommé à la tête des services spéciaux saoudiens, ce qui avait été analysé par la plupart des experts comme un signe de durcissement de la politique syrienne de l'Arabie saoudite. Surnommé "Bandar Bush" du fait de sa proximité avec la dynastie présidentielle du même nom, il était ambassadeur à Washington à l'époque des attaques du 11-Septembre. Depuis plusieurs années, cet homme intimement lié à la CIA est accusé par l'ancien sénateur de Floride d'avoir soutenu certains des pirates de l'air désignés coupables de ces attentats. Jusqu'à ce qu'il soit poussé vers la sortie en avril 2014, le Guardian souligna que "Bandar avait dirigé les efforts saoudiens visant à mieux coordonner les livraisons d'armes aux rebelles combattant el-Assad en Syrie. Néanmoins, il a été critiqué pour avoir soutenu des groupes islamistes extrémistes, risquant ainsi le même "retour de bâton" que celui des combattants saoudiens d'Oussama ben Laden rentrant au pays après le jihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 – une guerre sainte qui avait été autorisée officiellement. (…) En 2014, un parlementaire états-unien avait déclaré sous couvert d'anonymat que la CIA était "bien consciente que de nombreuses armes fournies [par l'Agence] avaient terminé dans de mauvaises mains." En octobre 2015, l'éminent expert de la Syrie Joshua Landis affirma qu'"entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites [dans ce pays] sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés" ».

En d'autres termes, la CIA et ses alliés turcs et pétromonarchiques ont grandement favorisé la montée en puissance de ces groupes extrémistes en Syrie, dont al-Qaïda et Daech. Pour autant, cette politique profonde multinationale fut-elle délibérément choisie par la Maison Blanche ? La réponse à cette question n'est pas évidente. Comme je l'avais souligné en août 2015, l'ancien directeur du Renseignement militaire du Pentagone (DIA) Michael Flynn avait dénoncé sur Al-Jazeera l'irrationalité stupéfiante de la Maison Blanche sur le dossier syrien. À cette occasion, il révéla que les responsables de l'administration Obama avaient pris la « décision délibérée » de « faire ce qu'ils font en Syrie » ; en d'autres termes, ils auraient choisi de soutenir des milices anti-Assad que la DIA décrivait à partir de 2012 comme noyautées et dominées par des forces jihadistes. Dès cette année-là, Flynn et son agence informèrent la Maison Blanche du risque de voir émerger un « État Islamique » entre l'Irak et la Syrie du fait du soutien occidental, turc et pétromonarchique à cette rébellion.

Afin de clarifier ses propos, il a ensuite expliqué à un journal russe que le gouvernement des États-Unis avait soutenu jusqu'à présent « une telle diversité de factions [anti-Assad qu'] il est impossible de comprendre qui est qui, et qui travaille avec qui. La composition de l'opposition armée syrienne, de plus en plus complexe, a rendu toute identification considérablement plus difficile. Pour cette raison, (…) du point de vue des intérêts américains, nous devons (…) prendre du recul et soumettre notre stratégie à un examen critique. À cause de la possibilité, très réelle, que nous soutenions des forces liées à État islamique (…), en même temps que d'autres forces anti-Assad en Syrie. » Selon le général Flynn, lorsqu'il dirigeait la DIA au Pentagone, cette agence recensait « autour de 1 200 groupes belligérants [en Syrie]. » De ce fait, le général Flynn pense « vraiment que personne, y compris la Russie, n'a une compréhension claire de ce à quoi nous avons affaire là-bas, mais sur le plan tactique, c'est vraiment très important de le comprendre. Une vision unilatérale de la situation en Syrie et en Irak serait une erreur. »

À cette complexité du terrain s'ajoute le traditionnel mode opératoire de l'Agence, qui est celui du « déni plausible » visant à dédouaner le gouvernement des États-Unis de toute action criminelle en ayant recours à des agents privés et/ou étrangers. Dans mon article sur la guerre secrète de la CIA en Syrie, j'avais souligné que

« [l]e caractère multinational des opérations anti-Assad a aussi été une source majeure de confusion. Tout d'abord, bien que de nombreux services occidentaux et moyen-orientaux aient été conjointement impliqués dans ce conflit, il reste difficile de penser cette guerre secrète sous un angle multinational. En effet, les médias et les spécialistes ont eu tendance à dissocier les politiques syriennes des différents États clandestinement engagés dans la déstabilisation de la Syrie. Il est vrai que le renoncement des États-Unis à intervenir directement a suscité de vives tensions diplomatiques avec la Turquie et l'Arabie saoudite. Par ailleurs, l'hostilité du roi Abdallah à l'égard des Frères musulmans a engendré des dissensions majeures entre, d'un côté, le royaume saoudien et, de l'autre, le Qatar et la Turquie – ces tensions s'étant atténuées après l'intronisation du roi Salmane en janvier 2015.

Du fait de ces divergences, les politiques syriennes des États hostiles au régime el-Assad ont été trop peu analysées sous leur angle multinational. Plus exactement, les opérations occidentales ont été dissociées de celles des pays moyen-orientaux. Or, les services spéciaux de ces différents États ont mené jusqu'à présent des actions communes et coordonnées, dans l'opacité abyssale de la classification. En janvier 2012, la CIA et le MI6 ont lancé des opérations clandestines d'approvisionnement en armes des rebelles entre la Libye, la Turquie et la Syrie, avec de l'aide et des financements turcs, saoudiens et qataris. (…) [I]l s'est avéré que ces armements ont été livrés "presque exclusivement" à des factions jihadistes, selon le parlementaire britannique Lord Ashdown. D'après le grand reporter Seymour Hersh, "[l]'implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison." Les actions de l'Agence en Syrie sont-elles mieux contrôlées aujourd'hui ? La question reste ouverte, mais la doctrine du "déni plausible" traditionnellement mise en œuvre par la CIA pourrait être un élément de réponse.

(…) Même si ce mode opératoire tend à brouiller les pistes, le rôle central de la CIA dans cette guerre secrète multinationale [en Syrie] ne fait plus de doute. En octobre 2015, le New York Times expliqua que "[l]es missiles antichars TOW de fabrication américaine ont fait leur apparition dans la région en 2013, à travers un programme clandestin [de la CIA] mené par les États-Unis, l'Arabie saoudite et d'autres alliés. Celui-ci vise à aider des groupes d'insurgés "sélectionnés" par l'Agence à combattre le gouvernement syrien. Ces armes sont livrées sur le terrain par des alliés des Américains, mais les États-Unis approuvent leur destination. (…) Des commandants rebelles ont éclaté de rire lorsqu'on les a questionnés sur la livraison de 500 TOW en provenance d'Arabie saoudite, déclarant qu'il s'agissait d'un nombre ridicule comparé à ce qui est réellement disponible. En 2013, l'Arabie saoudite a commandé [à Washington] plus de 13 000 [TOW]."

(…) À la suite de l'entrée en guerre de la Russie, un ancien conseiller du Pentagone a confirmé au Washington Post que le recours à des partenaires étrangers impliquait le "déni plausible", ce qui permet de couvrir les opérations de la CIA en Syrie : "Fabriqués par Raytheon, les missiles [TOW] proviennent principalement des stocks du gouvernement saoudien, qui en avait acheté 13 795 en 2013 (…) Puisque les accords de vente nécessitent que l'acheteur informe les États-Unis de leur destination finale, l'approbation [de Washington] est implicite, selon Shahbandar, un ancien conseiller du Pentagone. D'après lui, aucune décision n'est requise de la part de l'administration Obama pour que ce programme puisse continuer. "II n'y a pas besoin d'un feu vert américain. Un feu orange est suffisant". "Il s'agit d'un [programme] clandestin et il peut techniquement être démenti, mais c'est le propre des guerres par procuration."" Ainsi, la doctrine du "déni plausible", qui implique des tierces parties sur lesquelles on peut rejeter la faute, semble expliquer pourquoi le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans cette guerre secrète est [à ce point] refoulé, déformé ou minimisé. »

Dans cet article, j'ajoutais que, « [c]ontrairement au mythe de l'"inaction" [militaire] occidentale contre le régime de Bachar el-Assad, la CIA a été massivement impliquée en Syrie, dans le cadre d'une intervention clandestine subventionnée par des budgets classifiés, mais également étrangers. Or, ces financements extérieurs et les milliards de dollars qu'ils mobilisent ne sont pas supervisés par le Congrès US, cette institution n'ayant pas le pouvoir d'exercer son contrôle sur des politiques ou des budgets étrangers. » En se basant sur les déclarations d'un parlementaire états-unien, le New York Times vient de confirmer cette absence de transparence due au recours à des financements étrangers :

« Tandis que l'administration Obama voyait cette coalition comme un argument séduisant pour le Congrès, certains parlementaires, comme le sénateur Ron Wyden – un Démocrate de l'Oregon –, ont demandé pourquoi la CIA avait besoin de l'argent saoudien pour financer cette opération, selon un ancien officiel états-unien. M. Wyden a refusé de répondre à nos questions, mais son équipe a publié une déclaration exigeant une plus grande transparence : "Des hauts responsables ont déclaré que les États-Unis sont en train de renforcer les capacités militaires opérationnelles de l'opposition anti-Assad. Or, les citoyens n'ont pas été informés sur les modalités de cette politique impliquant des agences états-uniennes, ou des partenaires étrangers avec lesquels ces institutions coopèrent. »  

À l'aune des révélations du New York Times sur l'opération Timber Sycamore, et sachant que le soutien de la CIA et de ses alliés en faveur d'al-Qaïda en Syrie est dorénavant de notoriété publique – y compris en France –, il est indispensable que les citoyens occidentaux demandent des comptes à leurs parlementaires. Comme l'avait courageusement dénoncé la parlementaire états-unienne Tulsi Gabbard trois semaines avant les attentats du 13-Novembre, « des armements US vont dans les mains de nos ennemis, al-Qaïda et ces autres groupes, des groupes islamistes extrémistes qui sont nos ennemis jurés. Ce sont des groupes qui nous ont attaqués le 11-Septembre, et nous étions censés chercher à les vaincre, mais pourtant nous les soutenons avec ces armes pour renverser le gouvernement syrien. (…) Je ne veux pas que le gouvernement des États-Unis fournisse des armes à al-Qaïda, à des islamistes extrémistes, à nos ennemis. Je pense que c'est un concept très simple : vous ne pouvez vaincre vos ennemis si, en même temps, vous les armez et vous les aidez ! C'est absolument insensé pour moi. » Il est donc urgent que les puissances occidentales élaborent et mettent en oeuvre des politiques plus rationnelles et pragmatiques afin de lutter efficacement contre le terrorisme, sans quoi cette forêt de « platanes » continuera de s'étendre dangereusement.

Maxime Chaix

Source : Maxime Chaix, 24-01-2016