samedi 16 mai 2015

Alerte! Les Banques Centrales Perdent Le Contrôle : Tsunami Obligataire En Vue!

100 000 milliards de tsunami obligataire sur le point de détruire le casino!

Taux : l’énigme posée à Mario Draghi

Sun, 10 May 2015 00:00:00 +0200 - (source)

Ce n’était pas prévu au scénario. Alors que l’assouplissement quantitatif, où la Banque centrale européenne se dévergonde depuis début mars, était censé garantir des taux d’intérêt toujours plus bas, y compris sur la dette souveraine des plus impécunieux des gouvernements européens (à l’exception du paria grec), les marchés obligataires viennent d’enregistrer une chute soudaine, accompagnée mécaniquement d’une flambée des primes de risque, à commencer par la dette allemande, référence de la zone euro.

Mario Draghi serait confronté à « l’énigme » rencontrée jadis par l’ancien patron de la Fed, Alan Greenspan : quand ce qui devrait baisser monte, ou inversement. Simple hoquet ou prélude à ce qui se passera inévitablement, et avec une violence extrême, le jour où éclatera la colossale bulle obligataire mondiale alimentée par les principales banques centrales.
Le 7 mai, le rendement sur le Bund, l’obligation à dix ans de la République fédérale, a bondi en séance de 21 points de base (0,21 pour cent), grimpant jusqu’à 0,80 pour cent. Rappelons que deux semaines plus tôt, la courbe des taux allemands, du jour-le-jour (TJJ) au cinq ans, se trouvait en territoire négatif et que les augures prédisaient le même sort à l’échéance reine, le dix ans. Il se situait à 0,05 % le 17 avril dernier. Bien entendu, les primes de risque sur les signatures de moins bonne qualité, à commencer par celle complètement surestimée de la République française, ont suivi le mouvement. Mais la braderie s’est manifestée également sur le marché obligataire américain, et par contagion en Asie, y compris sur la dette japonaise, dont la Banque du Japon est pourtant l’acheteur omniprésent.
Perplexité des analystes. Comme le résumait Kerry Craig, « stratège » de J.P. Morgan Asset Management (cité par leFinancial Times), « le soudain mouvement sur les marchés obligataires européens est des plus surprenants parce que le programme de la BCE d’acheter jusqu’à 60 milliards d’euros par mois devrait garantir l’existence d’une demande sur le marché et conserver des taux bas, et même baissant encore ». Quand les événements les dépassent, les « experts » ont toujours une vaste panoplie d’arguments « techniques » à invoquer pour justifier ce qu’ils excluaient la veille. L’impasse avec la Grèce (une nouveauté, en effet…), la légère remontée de l’euro, celle du pétrole brut, une croissance européenne qui serait moins anémique, des anticipations d’inflation plus fortes aux États-Unis, etc. En désespoir de cause, on invoque le « cygne noir » (cher à Nassim Nicholas Taleb – lire ici). 

« Rien ne dure éternellement, même pas des bulles obligataires fonctionnant sous la protection de banques centrales ultra-laxistes », analysait l’équipe de recherche de Gavekal. « En dépit des promesses de répression financière illimitée dans la zone euro et au Japon, les souscripteurs d’obligations semblent se mettre en grève. » En d’autres termes, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Les investisseurs prêts à payer pour prêter de l’argent à des gouvernements banqueroutiers (ce à quoi reviennent des taux négatifs) sont soudainement sortis de la torpeur provoquée par le charmeur de serpents Mario Draghi, à commencer, semble-t-il, par les gestionnaires de fonds spéculatifs américains. Le problème, poursuit Gavekal, c’est que « les investisseurs institutionnels européens ne veulent pas ou ne peuvent pas prendre leur place alors que les rendements sur les dettes centrales restent très bas et que la réglementation et la gestion du risque les dissuadent d’acheter les dettes périphériques ». En conséquence, « un tel scénario suggère que la BCE, de manière assez spectaculaire, pourrait perdre le contrôle d’un marché qu’elle semblait avoir verrouillé il y a seulement quelques semaines ».

Les thuriféraires des politiques monétaires dites « non conventionnelles », généralement les mêmes qui idolâtraient le souffleur de bulles Greenspan jusqu’à l’implosion de 2007-2008, ne manqueront pas de voir dans ces derniers développements la justification de la stratégie des banques centrales. La situation ne serait-elle pas pire si elles n’étaient pas présentes en force sur les marchés ? D’autant qu’une « normalisation » relative (dans l’anormalité la plus extravagante) s’est imposée le vendredi 8 mai. En attendant le prochain épisode. Vision à courte vue, une nouvelle fois. Il suffit de considérer la situation de la Banque du Japon, pionnière de ces politiques non conventionnelles qu’elle pratique, sans impact significatif sur la santé économique de l’archipel, depuis plus de quinze ans.

« En 2018, explique l’économiste Kenneth Courtis, le bilan de la Banque du Japon sera égal ou même supérieur au PIB du pays. Il gonfle de quelque 18 % par an », sous la frénésie des achats de dettes, à commencer par celle de l’État, orchestrés par son gouverneur, Haruhiko Kuroda, imposé à ce poste par le premier ministre Shinzo Abe (lire ici). Aujourd’hui, la banque centrale nipponne est l’acheteur de plus en plus exclusif de la dette publique, ayant pratiquement expulsé les autres investisseurs et congelé le marché secondaire. « Que se passera-t-il, à l’année N, quand les obligations d’État viendront à échéance et que le gouvernement devra les rembourser alors qu’il en est incapable ? », demande le président de Starfort Holdings.
« Le gouvernement japonais pourrait considérer que la banque centrale n’est qu’une autre branche de l’État, ce qui est assez proche de la réalité dans le cas du Japon, et décider de rayer d’un trait de plume une dette publique essentiellement détenue par la BoJ. Sauf qu’en termes comptables, l’annulation de l’actif, les créances de la BoJ, implique une réduction équivalente du passif, c’est-à-dire la masse monétaire. Il peut y avoir une explosion des taux d’intérêt, la dévalorisation brutale de toutes les dettes obligataires, publiques ou privées, plus ou moins directement indexées sur celle du souverain. Et un effondrement de la devise. Soit une dislocation complète de l’ordre économique. » Étant donné la taille de l’économie japonaise, encore la troisième du monde, et son imbrication dans la machine productive mondiale (illustrée, par exemple, par la rupture de certaines chaînes globales de fabrication après la catastrophe de Fukushima), on imagine sans peine les effets d’un tel dénouement pour le reste du monde.

Globalement, résume Courtis, « il est évident que nous sommes dans une bulle sur les obligations et que tout ou tard, cela va se renverser. À quel rythme, dans quelles conditions et quelles en seront les conséquences ? Personne, et surtout pas les banquiers centraux, ne sait comment se jouera le jeu final ». Les achats de dettes vont donc se poursuivre et on voit bien que la main de Janet Yellen, présidente de la Fed, tremble à l’approche du moment où il faudrait renverser la tendance aux États-Unis en décidant de décoller les taux directeurs américains du niveau zéro où ils rampent depuis le début de la crise financière globale.

À ce stade, la petite bombe qui a éclaté sur les marchés obligataires début mai 2015 apparaît donc bien comme un nouveau coup de semonce, qui s'incrit encore dans la tendance d’un tiers de siècle à la baisse du loyer de l’argent depuis la grande rupture des années 1970, la fin du système de Bretton Woods et la domestication musclée de l’inflation aux États-Unis par Paul Volcker. Les deux graphiques ci-dessous décrivent l’évolution de l’emprunt du Trésor américain à 10 ans sur les périodes 1980-1999 et 2000-2015. On voit sur le second comment la ligne verte accentue depuis 2007 la chute graduelle illustrée par la ligne blanche venue des décennies précédentes. Le troisième graphique expose la même courbe pour le Bund allemand, jusqu’à l’approche du niveau zéro. Cette évolution générale du loyer de l’argent a coïncidé, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, avec la création d’une gigantesque économie globale de dettes, secouée à intervalles réguliers par des crises financières.


Le 10 ans US -1980/1999
Le 10 ans US -1980/1999 © Bloomberg



Le 10 ans US - 2000/2015
Le 10 ans US - 2000/2015 © Bloomberg



Le bund allemand - 2000/2015
Le bund allemand - 2000/2015 © Bloomberg

Avec la crise financière globale et du fait du contresens inscrit dans les réponses apportées, dont les politiques non conventionnelles, les banquiers centraux ont perdu le contrôle, toujours en partie illusoire, d’un cycle monétaire qui aurait permis le déploiement de la « Grande Modération ». Dans ce processus, comme l’avait expliqué en 2012 le numéro deux de la BRI Hervé Hannoun (lire ici), les principales banques centrales ont en fait abdiqué de leur indépendance, chèrement acquise dans la phase précédente, non seulement à l’égard des gouvernements endettés mais également à l’égard des marchés financiers.

Dans une intervention le 22 avril dernier à Riga, le directeur général adjoint de la « banque des banques centrales » a prononcé un nouveau réquisitoire (qu’il faut lire intégralement) contre les dangers bien réels et les bénéfices illusoires charriés par le comportement des grands instituts d’émission. Présentées initialement comme « temporaires », ces dispositions sont toujours en place près de huit ans après le début de la crise. Leur impact sur l’économie réelle a été très limité, sinon nul, au regard des risques encourus. Les marchés et intermédiaires financiers sont bien trop occupés à jouer avec l’argent facile pour remplir leur fonction de financement de l’investissement et de la croissance. Argent facile qui incite les pays banqueroutiers à l'immobilisme. 

Jusques à quand ? « Tout cela implique le risque d’une correction majeure quand s’envole la confiance dans des valorisations artificiellement gonflées. La question n’est pas si mais quand cela se produira. » Pour Hervé Hannoun, « il n’y a aucun doute que la probabilité et la sévérité d’une autre crise financière sont accentuées par la prolongation de taux d’intérêt ultra-bas ou négatifs ».

En attendant, les bénéfices de ces politiques pour l’immense majorité des populations relèvent de la fiction pure et simple. Un seul exemple : quel est l’intérêt d’avoir des taux très bas sur les crédits immobilier si l’argent pas cher alimente une spéculation qui a placé les logements hors d’atteinte des classes moyennes ? Comme le remarque Hervé Hannoun, « les vainqueurs dans la politique des taux d’intérêt ultra-bas seront les agents économiques les plus lourdement endettés, à savoir les gouvernements. Les perdants seront les épargnants, les retraités et détenteurs de polices d’assurance vie ». « Il n’y a aucun précédent dans l’histoire économique de taux d’intérêt nominaux négatifs, y compris pendant la Grande Dépression aux États-Unis », rappelle-t-il. Avant d’ajouter : « Même Keynes, qui a pourtant inventé la terrifiante métaphore de "l’euthanasie des rentiers", n’avait osé envisager des taux d’intérêt nominaux négatifs. » En outre,« comme les ménages sont à la fois épargnants et consommateurs, nous devons nous demander si les taux d’intérêt négatifs n’érodent pas la confiance des ménages dans l’économie ».

« En dernière analyse, explique le numéro deux de la BRI dans sa conclusion, le débat sur la politique de taux ultra-bas revient à un échange entre le court et le long terme. » Et de citer l’ancien gouverneur de la Banque du Japon, le prédécesseur de Kuroda, Masaaki Shirakawa : « La politique monétaire peut faire naître aujourd’hui par avance la demande future en manipulant à la baisse les taux d’intérêt réels. Mais quand demain devient aujourd’hui, l’économie est confrontée à une demande plus faible, ce qui exige d’anticiper la demande d’après-demain. » Cette réflexion ne surprendra pas l’auteur de cet article, qui avait écrit dès 2001 (lire ici) que les cadres de la BoJ, dont Shirakawa est issu, étaient fondamentalement sceptiques sur les politiques non conventionnelles, pour ne pas dire hostiles. Pour Hervé Hannoun, « emprunter la croissance au futur n’est pas soutenable ».

C’est bien pourtant ce que font depuis plusieurs décennies les promoteurs de l’économie d’endettement, aux gouvernements et dans les banques centrales. Le problème, estime Kenneth Courtis, est que les gouvernants comme l’opinion vivent dans la nostalgie des taux de croissance des périodes des Trente Glorieuses, en Europe, ou de la Haute Croissance, au Japon.« On en est venu à croire qu’une croissance d’un tel niveau est la norme alors qu’elle représente une exception dans l’histoire humaine. » Depuis, « les banques centrales sont appelées à fabriquer de la demande à n’importe quel coût, et à chaque crise, elles entrent en jeu ». Jusqu’aux excès actuels. Il se demande si la Banque populaire de Chine, la banque centrale chinoise, ne va pas être la prochaine à succomber à la tentation des politiques non conventionnelles. « Ils veulent une croissance à 7 % et ils sont actuellement autour de 5 ½, 6 % », estime-t-il.
Les Chinois devraient y réfléchir à deux fois avant de tomber dans le piège redoutable où se sont laissé piéger les économies avancées. « Un taux de croissance élevé impliquerait des taux d’intérêt à un niveau insupportable compte tenu du niveau général d’endettement atteint dans toutes les principales économies », explique Kenneth Courtis. « Et un taux de croissance trop faible ne permet pas non plus de financer la dette. » C’est par où, la sortie ?

Le Licenciement De Zineb El Rhazaoui Ou Les Méthodes Expéditives Du Nouveau Charlie Hebdo

Le courrier lui a été remis en mains propres le 13 mai par la nouvelle directrice des ressources humaines deCharlie Hebdo, Marika Bret. La journaliste Zineb El Rhazoui lui signe une décharge, ouvre l’enveloppe sans savoir ce qui l’attend, et lit ce qui suit : « Madame, nous sommes contraints d’envisager votre licenciement pour faute grave. En conséquence, je vous convoque à un entretien préalable sur cette éventuelle mesure, le mardi 26 mai. » Comme c’est la règle, la salariée peut se faire assister par une personne de son choix. Mais attention. D’ici là, a écrit la DRH, « compte tenu de la gravité des faits je vous informe que vous ferez l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire, à effet immédiat, pour le temps de la procédure ». Suit une formule de politesse, et la signature de ladite DRH.

La journaliste reste sans voix. Ses collègues relayent la nouvelle, qui finit par parvenir au Monde le lendemain« Je tombe de l’armoire, je ne comprends pas », confie Zineb El Rhazoui à Mediapart ce vendredi.« Il n’y a jamais eu de discussion ou de mise en garde, avant ça, sur une faute que l’on pourrait me reprocher. Et quand j’ai demandé à la DRH et au directeur financier de s’expliquer, ils ont refusé au motif qu’il y a une procédure à respecter, comme dans une bureaucratie. Charlie a l’intention de licencier la journaliste la plus menacée de France, tout en allant cueillir les fruits du courage et de la liberté d’expression ? L’urgence, c’est d’économiser mon salaire, avec tout le fric qu’ils ont reçu ? C’est d’une violence et d'une bêtise indescriptibles », souffle-t-elle, choquée.


Sollicités vendredi par Mediapart, ni Richard Malka, l’avocat historique du journal, ni Gérard Biard, le rédacteur en chef, n’ont souhaité s’exprimer. Selon des rumeurs au sein de la rédaction, la direction deCharlie invoquerait des absences et des retards de la journaliste pour justifier ce courrier, tout en laissant entendre que son licenciement n’est pas certain…

« Si c’est cela dont on m’accuse, il faut savoir que j’ai en permanence six policiers avec moi, et que je dors quasiment à un endroit différent tous les soirs, chez des amis ou à l’hôtel. Alors oui, les rendez-vous et les reportages sont très difficiles à organiser. Mais j’écris dans tous les numéros de Charlie », se défend Zineb El Rhazoui.

Née au Maroc, sociologue de formation, la jeune femme collabore à Charlie Hebdo depuis 2011, et est notamment coauteur avec Charb (assassiné le 7 janvier) de la bande dessinée La Vie de Mahomet, parue en 2012. C’est une adversaire déclarée de l’islamisme et de l’intégrisme, elle a reçu pour cela des menaces de mort répétées« Vouloir me virer aujourd’hui, sans motif, c’est une décision aussi absurde qu’abjecte », lâche Zineb El Rhazoui. « Quel message envoie-t-on aux terroristes et aux ennemis de la liberté d’expression ? Il faudrait que les petites mamies qui ont envoyé des chèques de 5 euros et les chômeurs qui se sont abonnés en croyant aider les victimes et la rédaction manifestent dans la rue ! »

Sur le fond de cette affaire, Zineb El Rhazoui pense être l’objet d’une « mesure punitive »« Je suis une grande gueule, et je n’ai pas hésité à m’opposer plusieurs fois à Riss [nouveau directeur de Charlie depuis les attentats – ndlr] en conférence de rédaction, que ce soit au sujet de la gestion totalement opaque de l’entreprise par la direction ou de la ligne éditoriale du journal. La nouvelle direction, c’est devenu une petite oligarchie de quatre ou cinq personnes à qui il faut faire allégeance. »

La jeune femme fait en outre partie des quinze signataires de la tribune « Pour une refondation de Charlie »,parue le 31 mars dans Le Monde, et qui témoignait déjà d’une fracture au sein de l’équipe.

Les quinze membres du collectif (soit la grande majorité de la base) appelaient alors publiquement de leurs vœux un changement de structure du journal et une plus juste répartition du capital, tout en s’inquiétant du« poison des millions » reçus après les attentats, et d’un projet de fondation annoncé par la direction sans concertation. Ils écrivaient notamment ceci :
« Nous ignorons tout de la fondation qui est en train d’être créée et souhaitons qu’elle soit l’émanation d’un projet mûrement réfléchi par l’ensemble du journal. Nous refusons que le journal, devenu une proie tentante, fasse l’objet de manipulations politiques et/ou financières, nous refusons qu’une poignée d’individus en prenne le contrôle, total ou partiel, dans le mépris absolu de ceux qui le fabriquent et de ceux qui le soutiennent (...). Surtout, nous refusons que ceux qui ont dit et écrit "Je suis Charlie" se réveillent demain matin avec la gueule de bois des illusions souillées, et constatent que leur confiance et leur attente ont été trahies. »
Après cette tribune, qui faisait suite à la « fuite » d’un mail annonçant la création du collectif, les membres ont été fermement priés par la direction de ne plus s’exprimer publiquement sur les affaires internes du journal.

Après la tuerie perpétrée dans les locaux de l’hebdomadaire satirique le 7 janvier, et passé le choc des attentats, un immense mouvement de solidarité s’est déclenché, sans précédent par son ampleur. Pendant plusieurs semaines, dons et demandes d’abonnement ont afflué par milliers au journal, au point que certains courriers n’avaient pas encore pu être dépouillés trois mois plus tard.

À mesure que la France « devenait » Charlie, et que des membres de la direction annonçaient la création d’une « fondation » pour aider les dessinateurs menacés ou garantir la liberté de la presse, des malentendus et des tensions ont commencé à s’accumuler au sein de l'hebdo. « Risquer sa vie pour un journal, enterrer ses collègues et amis, passer son temps chez le psy pour tenir le coup, et ne même pas être consulté sur ce qu’on allait faire de cette masse d’argent et sur l’avenir du journal, ça ne passe pas », confie un membre de l’équipe qui veut rester anonyme.


La rumeur insistante d’un magot de 30 millions d’euros accumulés en trésorerie a échauffé les esprits. « Au bout de quatre mois, des familles de victimes et des blessés hospitalisés n’ont pas encore reçu un centime d’aide du journal », accuse un membre de l’équipe, très remonté. Selon des sources internes, seules quatre familles de disparus ont, à ce jour, reçu une aide financière de Charlie Hebdo, de 20 000 euros à chaque fois.

L’équipe n’a pas non plus apprécié de voir arriver la communicante Anne Hommel, qui a notamment œuvré pour DSK et Jérôme Cahuzac, venir travailler pour Charlie Hebdo après les attentats. « C’est moi qui lui ai demandé de l’aide, parce que mon téléphone sonnait jour et nuit et que je n’y arrivais plus, mon métier n’est pas de communiquer, et c’est une professionnelle reconnue », explique Richard Malka. Avocat de Charlie, ami proche de Charb et de Riss, Richard Malka a également quelques clients riches et célèbres, comme DSK et Carla Bruni, et une bonne partie de la base n’a pas apprécié de le voir d’abord devenir le porte-parole de Charlie, avant d’appeler Hommel à la rescousse.

L’avocat balaie ces reproches du revers de la main, et dit ne plus s’occuper que des affaires de presse et d’édition pour Charlie Hebdo« Il y a d’autres avocats que moi pour les finances et pour le droit du travail. » Reste qu’Anne Hommel travaille toujours pour l'hebdomadaire satirique, et que l’équipe le vit mal.

L’argent est un autre motif de discorde. Le collectif demande notamment que les dividendes soient gelés pendant dix ou vingt ans (et non pas versés aux actionnaires), cela pour pérenniser l'avenir du journal. « Il y a beaucoup de fantasmes et de rumeurs autour du magot de Charlie. Ce n’est pas aussi simple, on n’a pas 30 millions en caisse », nuance un proche de la direction. « Grosso modo, les dons représentent 4,5 millions d’euros. Quant à l’argent des ventes au numéro, il n’arrive des messageries que trois mois après. Une fois les recettes des ventes et des abonnements encaissées, et une fois les impôts payés, il devrait rester 15 millions d’euros. »
Mais ensuite, poursuit cette source, « il y aura encore des charges exceptionnelles à régler, comme la sécurisation des locaux (1,5 million), les sociétés prestataires (comme celle qui gère les abonnements), et les avocats. Une refonte de la grille salariale est aussi en cours. Il n’y aura aucune distribution de dividendes aux actionnaires pendant trois ans. Les comptes sont examinés par un commissaire aux comptes, rien n’est caché. Pour ce qui est des aides à redistribuer aux victimes, c’est long parce que ça pose plein de problèmes fiscaux. On s’est rapprochés du ministère de la justice pour créer une commission ad hoc, comme celle du DC-10 d’UTA. Quant à l’idée de fondation, elle a été flinguée, mais du coup on va payer un impôt sur les sociétés monstrueux »...

Le capital de Charlie est actuellement détenu par Riss (40 %) et le directeur financier Éric Portheault (20 %), les 40 % qui appartenaient à Charb étant provisoirement gelés dans sa succession. Cette répartition n’est plus du goût de l’équipe. 
« Il n’est pas normal que le capital de Charlie soit aux mains de deux personnes qui disposent de tout le pouvoir, dirigent d’une main de fer et ne veulent rien entendre », explique à Mediapart le chroniqueur Patrick Pelloux. L’urgentiste, qui est membre du collectif du journal, plaide avec d’autres pour la mise en place d’un actionnariat coopératif où chacun aurait sa part, « en s’inspirant des modèles du Canard enchaîné ou de Mediapart ». Le collectif de Charlie a consulté des avocats, dont Antoine Comte, et a pris langue avec le ministère de la culture. Inquiet pour l’avenir de son journal, un membre de l’équipe a même alerté l’Élysée.


Paris, le 11 janvier 2015.
Paris, le 11 janvier 2015. © Thomas Haley

Ces aspirations égalitaires ne sont pas du goût de tout le monde. « Quand le journal perdait de l’argent, personne ne demandait à entrer au capital, ni à changer de statuts », grince un proche de la direction, très amer - bien qu'une demande d'actionnariat partagé ait déjà été lancée en 2010. « L’envie de prendre le pouvoir et l’appât du gain leur montent à la tête. Le fait de faire partie de l’équipe le 7 janvier, et depuis peu de temps pour certains, ne signifie pas avoir le droit de devenir actionnaire », ajoute-t-il. « Pour être actionnaire, selon nos statuts, il faut déjà être salarié, ce qui n'est pas le cas de tout le monde », rappelle un autre. Fermez le ban.

Après le choc des attentats du 7 janvier, les ventes de Charlie Hebdo ont atteint un sommet impensable. Le numéro de la reparution (le 1 178, dit « numéro des survivants », paru le 25 février) a atteint les 7 millions d’exemplaires. Les ventes sont passées à 1,1 million la semaine suivante, puis 500 000, et 400 000, avant de baisser doucement et de se stabiliser actuellement autour de 200 000 exemplaires, selon la rédaction en chef. Surtout, le journal bénéficie d’une véritable rente, avec un nombre d’abonnés impressionnant de 270 000.

À rapprocher des 24 000 exemplaires qui étaient vendus péniblement chaque semaine avant les attentats, et des 8 000 abonnés. Des chiffres qui n’assuraient pas la viabilité d’un titre alors en perte de vitesse. Mais voilà, depuis le 7 janvier, Charlie est passé du statut de fanzine un brin désuet à celui de monument, à la fois riche et mondialement célèbre.

Le décalage entre cette image publique glorifiée et un quotidien difficile, voire douloureux, n’en est que plus énorme en interne. Le management est, en effet, cause de tensions. L’équipe décimée, la direction décapitée, c’est l’ancien codirecteur, Riss, blessé dans l'attentat, qui a dû reprendre le travail et diriger le journal avant d’être entièrement rétabli. « Il a dû devenir directeur et dessiner tout en faisant plusieurs heures de rééducation par jour. On ne lui a même pas laissé le temps de revenir qu’il fallait déjà faire campagne », plaide un proche, selon qui « la nature a horreur du vide ».

Cela étant, le dessinateur-directeur est décrit comme assez autoritaire, et un peu rugueux. « Charb avait plus de rondeur, et un vrai sens de l’écoute, leur tandem était très complémentaire », explique un membre de l’équipe.« Aujourd’hui, c’est plus compliqué. »
Dire que l’ambiance à Charlie n’est plus ce qu’elle était serait un euphémisme. Chacun ou presque est encore placé sous étroite protection policière, des blessés sont encore hospitalisés, et toute l’équipe est profondément meurtrie. « Ce n’est pas évident de continuer à rigoler et de faire un journal satirique quand tout porte à pleurer. Mais c’est notre identité, et c’est ce qui nous fait tenir », confie Gérard Biard, le rédacteur en chef, qui ne fait pas partie du collectif, et dit s’attacher surtout à « faire le journal ». « Notre problème le plus urgent, et le plus difficile, c’est qu’il faut arriver à faire vivre le journal. »

Mais l’équipe est aujourd’hui constituée de personnes en souffrance, la situation interne est explosive, et la relève des disparus n’est pas encore là. « On est un journal de dessinateurs, et ce sont majoritairement des dessinateurs qui ont été assassinés, et qui nous manquent », explique Gérard Biard. « On reçoit régulièrement des dessins, des jeunes pointent le bout de leur nez, mais c’est long pour devenir un dessinateur de presse comme Cabu, Wolinski, Charb ou Tignous. »

Selon des sources internes à la rédaction, le dessinateur Luz, un historique de Charlie, a confié récemment qu’il n’en pouvait plus, et a annoncé son départ pour septembre. D’ici là, l’hebdomadaire aura quitté Libération(qui l’hébergeait depuis les attentats), et emménagé, grâce à la mairie de Paris, dans de nouveaux locaux ultrasécurisés, qui seraient « vastes et lumineux », et dont l'adresse est gardée secrète.

http://jdrien.net/autoblogs/mediapart.france/?20150515_000000_Le_cas_El_Rhazoui_revele_l_ampleur_de_la_crise_a__Charlie_Hebdo_